Les affaires au secret

Le Parlement français doit avant le 09 juin 2018, transposer dans le droit national la Directive Européenne sur le secret des affaires. Lors de son adoption en 2016, celle-ci avait été décrite comme une éventuelle menace pour la liberté d’information et comme une possible restriction au travail des journalistes et à l’action des lanceurs d’alerte.
L’article du journal « le Monde » intitulé « La loi sur le secret des affaires menace-t-elle la liberté d’informer? » (ici), revient sur cette question.
Nous nous attacherons plus particulièrement aux conséquences de ce projet de loi pour les lanceurs d’alerte.
Le texte déposé par les députés de LREM le 19/02/2018, ne recèle aucune surprise : il suit celui de la Directive Européenne qui rend illégales l’obtention, l’utilisation ou la divulgation d’une information qui répondrait aux trois critères suivants:
– elle n’est pas connue ou aisément accessible à des personnes extérieures à l’entreprise;
– elle revêt une valeur commerciale parce qu’elle est secrète;
– elle a fait l’objet de mesures de protection « raisonnables » de la part de l’entreprise.

A la lecture de ces trois critères nous voyons bien, comme cela était le cas pour la loi Sapin 2, que l’application effective d’un tel texte va être largement conditionné à l’interprétation que va en faire la justice.
Comment en effet va-t-on apprécier le caractère « raisonnable » des mesures de protection, comment estime-t-on le niveau de secret donnant une valeur commerciale à une information, quelle est la mesure de la facilité d’accession à une information ?
Autant de sujets dont on peut se douter qu’ils feront l’objet d’âpres combats judiciaires.
Comme déjà souligné sur ce site, il nous semble qu’un des critères essentiels d’une loi est d’être écrite de la sorte qu’elle rééquilibre les situations intrinsèques de déséquilibres des parties.
Nous avions déjà souligné lors de l’adoption de la loi Sapin 2 que l’indétermination de certains termes ou dénominations conduirait nécessairement à des problèmes d’interprétation. Or, le lanceurs d’alerte est face à des groupes multinationaux dans une situation d’infériorité quant aux moyens qu’il peut déployer pour assurer sa défense. Là aussi, les questionnements évoqués précédemment conduiront nécessairement le lanceur dans des discussions longues pour lesquelles il n’a pas les mêmes moyens d’action que la partie adverse.

Comme le rappelle « le Monde » dans l’article en référence « la situation est plus compliquée » pour les lanceurs d’alerte, avec ce projet de loi sur le secret des affaires.
En effet, la loi prévoit que ce secret ne saurait être opposé aux personnes qui révèlent « de bonne foi une faute, un acte répréhensible, ou une activité illégale dans le but de protéger l’intérêt public général ».
Le projet de loi prend soin de faire référence à la loi Sapin 2 qui dans son texte a défini et protégé le statut de lanceurs d’alerte.
Outre le fait que nous n’avons pas à cette heure-ci de recul suffisant pour apprécier l’efficacité du dispositif Sapin 2 (il peut paraître étrange qu’on nous vende la protection des lanceurs au regard du secret des affaires au travers d’un dispositif non encore évalué), le principal problème réside dans la définition même du lanceur, puisque si dans les textes en tous les cas cela semble clair pour la dénonciation de faits illégaux, qu’en est-il des faits légaux mais contraires à l’intérêt général ?
L’exemple le plus connu est l’affaire LuxLeaks, dans laquelle se télescoperaient les notions de protection des lanceurs version Sapin 2 et de protection du secret des affaires version Directive Européenne. Le juge devra statuer, l’expérience ne préjugeant rien de positif pour les lanceurs, l’institution judiciaire ayant une fâcheuse tendance à reproduire les discours dominants comme l’a démontré dans cette même affaire LuxLeaks l’autorisation de saisie d’échanges entre un lanceur et un journaliste.
Le démontre également, et MetaMorphosis s’en était fait l’écho, une récente décision opposant l’hebdomadaire « Challenges » à l’enseigne « Conforama » où en substance la justice interdit la presse d’informer le public des problèmes financiers rencontrés par cette chaîne et son actionnaire.

Derrière les belles paroles des Associations et des politiques selon lesquelles « la transparence doit devenir la règle et le secret l’exception », force est de constater qu’avec le secret des affaires, c’est la logique inverse qui s’appliquera aux lanceurs d’alerte. En effet, malgré la multiplication des textes, malgré la multiplication ces dernières années des affaires transnationales, les lanceurs d’alerte doivent continuer à faire la preuve de leur bonne foi pour être protégés.
Dans la pratique, nombreux vous diront que même de bonne foi, les protections sont inexistantes. Pas de doute que cette incertitude juridique va encore une fois dissuader les velléités de dénonciation.

Mais au final, n’est-ce pas le but recherché ?

MM.

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