« Le convoi s’était arrêté pour prier dans une région du sud de l’Afghanistan, bastion des talibans, quand des missiles Hellfire ont jailli du ciel, carbonisant les trois véhicules et exterminant 23 civils ». Cette attaque de février 2010, fondée sur l’analyse d’images prises par des drones américains téléguidés par des opérateurs qui furent plus tard décrits comme « imprécis et non professionnels » lors d’une enquête militaire, a alimenté
les critiques montantes envers la guerre des drones secrète des Etats-Unis.
Les opérateurs qui ont confondu de simples voyageurs pour des insurgés avaient analysé depuis une base militaire du Nevada des enregistrements vidéos flous pris par un drone Predator en Afghanistan, et leur interprétation erronée a déclenché le massacre des milliers de kilomètres plus loin.
Ils affirment n’avoir vu sur les images que des hommes à l’allure militaire, mais plusieurs victimes et blessés se sont révélés être des femmes, habillées de couleurs vives.
Le drame, et ce qu’il révèle du programme militaire secret des drones américains, est au coeur de «National Bird », un documentaire dérangeant.
Ce film suit trois lanceurs d’alerte (dont Lisa Ling) qui, rongés de culpabilité, ont décidé de parler.
« Je savais qu’il fallait que je fasse quelque chose car ce qui se passait était (moralement inacceptable) et devenait hors de contrôle », a dit à l’AFP Lisa Ling, ancienne analyste militaire d’images captées par des drones.
Dans le documentaire, elle montre une lettre de félicitations reçue pour avoir aidé à identifier 121.000 insurgés en deux ans, et invite les spectateurs à extrapoler le nombre de morts depuis que l’Amérique a déclaré la guerre aux talibans après les attentats du 11 septembre 2001.
« L’une des difficultés avec la guerre des drones, souligne Lisa Ling, est le manque de fiabilité des images floues à partir desquelles sont prises des décisions de vie ou de mort. »
Mais pour elle, le plus gros problème est le détachement géographique et émotionnel des opérateurs de drones par rapport aux cibles lointaines de leurs décisions.
L’administration du président Barack Obama dit avoir éliminé 2.500 extrémistes entre 2009 et fin 2015, la plupart par drones, et reconnaît jusqu’à 116 victimes civiles tuées par des drones au Pakistan, Yémen, en Somalie et en Libye.
Le Bureau of investigative journalism estime qu’il y en a eu environ six fois plus.
Le président Obama, dont le gouvernement a accéléré le recours aux attaques de drones, a assuré en 2013 que ces attaques étaient seulement menées en cas de « quasi certitude » qu’une cible recherchée était présente.
« A l’époque on ne savait pas grand chose », souligne Sonia Kennebeck, la réalisatrice de « National Bird ».
Elle est parvenue à remonter la trace de Lisa Ling et d’Heather Linebaugh, une autre ancienne opératrice de drones souffrant de syndrome de stress post-traumatique, et celle de « Dan », un analyste de renseignement qui a fait l’objet d’une enquête dans le cadre de la Loi américaine sur l’espionnage.
Kennebeck a voyagé avec Lisa Ling en Afghanistan pour rencontrer les proches des victimes de l’attaque de 2010, ou ceux qui ont été gravement blessés, parfois mutilés, par les tirs de missiles.
La journaliste voulait lancer un débat national qu’elle jugeait inexistant et nécessaire pour savoir si les Américains voulaient qu’une guerre de drones soit menée en leur nom, et comment la réglementer.
« De quelle précision a-t-on besoin avant de lâcher une bombe sur une maison? Est-ce qu’on sait à 100% qui est dedans et qui on tue? », interroge-t-elle.
D’après le cercle de réflexion américain indépendant New America, les Etats-Unis sont en train d’être rejoints par d’autres pays dans leur guerre des drones: 86 pays sont équipés de ces technologies pour des applications commerciales ou militaires. Et 19 nations ont des programmes de frappes militaires par ces appareils aériens sans pilote.
Plus tôt cette année, le Nigeria est devenu le 8e pays à avoir utilisé des drones de combat.
Pour Lisa Ling, il faut comprendre que, « vu du sol, ces drones, c’est du terrorisme ».
(Source: AFP) Du dailymail du 03/11/2016 ‘National Bird’ shines light on secretive drone wars By AFP
Du journal Courrier International du 03/01/2018 :
La guerre des drones menée par les États-Unis, portée à son apogée sous l’ère Obama, a longtemps été présentée comme une manière “chirurgicale” de lutter contre le terrorisme. Pourtant, entre 2012 et 2013, 90 % des victimes n’étaient pas les cibles initialement définies. Jeremy Scahill, journaliste d’investigation à The Intercept, dénonce la mise en place d’un “programme d’assassinats” américain envers des personnes jamais jugées, et qui a fait plusieurs centaines de victimes civiles depuis 2009.
Guerre des drones. “Les États-Unis pensent avoir le droit de tuer comme bon leur semble”
Et pour ne pas oublier ceux qui subissent: What it’s really like to live with drone warfare