Une tribune publiée ce jour dans le Monde intitulée « Macronisme : la haute administration, le véritable parti présidentiel » (ici) écrite par un Collectif de hauts fonctionnaires, estime que le « macronisme se distingue par la confusion entre une partie de la haute administration et la politique du gouvernement ». Pour ces serviteurs de l’Etat, le parti présidentiel est aujourd’hui « dépossédé des deux fonctions traditionnellement dévolues à un parti politique : la sélection du personnel politique et l’élaboration du programme et des propositions ». Le Collectif s’inquiète que l’élaboration du programme et des idées, rôle traditionnel des partis soit assurée de manière exacerbée par l’administration, parachevant cette mutation vers une administration-parti.
Au final, « un risque se détache particulièrement de cette confusion entre administration et politique : le remplacement de la démocratie – littéralement, le pouvoir du peuple – par la technocratie, au sens premier du terme : le pouvoir des techniciens ».
Cette situation, inquiétante, n’est pas très étonnante. L’acharnement de Macron, de ses commanditaires et de ses soutiens, à vouloir faire de la France une entreprise – et de la gérer comme telle – telle une S.A. à Conseil d’Administration, était inscrite dans son programme. Elle s’appuie sur une conception très dogmatique du politique, au sens classique du terme, c’est-à-dire la négation de ce qui fait le jeu démocratique, le débat et la contradiction. Outre le problème bien compris de l’appauvrissement du jeu démocratique comme le souligne le Collectif de hauts fonctionnaires, que pose une telle vision, avec un pouvoir transmis aux techniciens, il faut bien voir que ceux qui conçoivent les politiques, quelles qu’elles soient, se retrouvent également en charge de leur mise en œuvre et de leur évaluation. On met en place un système qui traduit bien une vision doctrinaire du monde et plus spécifiquement du champ démocratique.
Nous percevons mal dans une telle affaire, que celui qui conçoit telle politique fiscale ou sociale soit en charge de sa mise en œuvre et puisse évaluer ses propres choix.
Pour qui fréquente les grandes entreprises depuis de longue années, une telle façon de faire (de gérer disent-ils) n’est pas une surprise. Cela fait très longtemps que les techniciens ont pris le pouvoir dans les entreprises, notamment du secteur tertiaire.
Les choix « stratégiques » ou de « politiques » sont légions, extrêmement changeants, souvent déconnectés des réalités des acteurs de terrain, rarement justifiés et quasiment jamais évalués. Qui n’a pas été confronté à ces changements multiples de « stratégie commerciale » sans qu’il ne soit pris le temps de la confrontation aux faits et de l’évaluation, y compris celle de leurs auteurs ? Les services de « soutien » ont pris le pouvoir depuis longtemps, voulant transformer la réalité du terrain à leur propre vision, non pas de ce que pourrait être le métier, mais l’entreprise. Il n’y a donc rien de bien révolutionnaire chez Macron si ce n’est cette volonté de gérer l’Etat comme une entreprise, de résumer l’intérêt collectif à l’agrégation d’intérêts privés, alors que l’histoire politique et économique de la France est riche en contre-exemples. La Tribune publiée par le Monde résume bien cette situation : transférer le pouvoir du peuple aux techniciens.
Cette confusion des genres – celui qui établit la politique, la met en œuvre, et la contrôle – est une réalité dans les entreprises, une des raisons principales des dysfonctionnements et malversations constatées, sans doute l’un des premiers obstacles aux remises en question des organisations et des hiérarchies. Cette confusion des genres, car elle donne trop de pouvoir à certains, créé des liens de dépendances entre tous ceux qui sont à la manœuvre, et annihile tout travail de contrôle indépendant et objectif, conduit au statut quo, à nier toute erreur et à se lever d’un seul homme contre celui qui met en évidence les errements et fraudes. En un mot, cette structuration des pouvoirs de décision au sein des organisations est l’ennemi principal des lanceurs d’alerte.
La généralisation d’un tel système au sein même de l’Etat n’est pas de nature à rassurer les lanceurs, et ne peut que conduire qu’à mettre une nouvelle chape de plomb sur les alertes.
MM.