Bientôt sur vos écrans : Lehman Brothers, le retour

– A partir de la Tribune de Simon Johnson, économiste, publiée le 07/03/2018 dans le journal Le Monde « L’administration Trump prépare Lehman Brothers, épisode 2 », (ici) –

Au-delà des questions d’éthique, ce qui semble le plus caractériser les acteurs politiques, quel que soit d’ailleurs leur pays d’origine, est leurs problèmes de mémoire. Décidément ils n’apprennent rien de leurs erreurs, des faits et dysfonctionnements passés. Il semblerait que l’Histoire ne fasse plus partie du champ du politique et que l’on pourrait organiser ainsi la Société, sans se soucier des expériences passées. On va sans doute un peu vite en besogne, ces pertes de mémoires ne relèvent pas encore d’un Alzheimer aiguë, mais d’une sélectivité bien comprise. L’Histoire, le passé, en veux-tu en voilà sur les valeurs, la Nation…
Par contre, sur les questions économiques, c’est le trou noir. De vieilles « théories » économiques, à l’efficacité jamais démontrée, on nous en sort à la pelle. Un peu de ruissellement, une théorie de l’offre usitée jusqu’à l’overdose mais n’ayant montré qu’une faible efficacité… c’est cadeau. Par contre, les crises financières passées, leurs causes, leurs effets, les mécanismes à l’œuvre… plus aucun souvenir. Le trou noir.

Le président américain Donald Trump a frappé une nouvelle fois par voie de décret. Il en a signé deux démantelant les réformes clés en matière de réglementation financière mises en place par son prédécesseur Barack Obama dans le sillage de la crise des subprimes de 2008. Il a demandé au Trésor et au ministère du Travail de se pencher sur les moyens de réformer la loi Dodd-Frank (au nom de deux élus démocrates Chris Dodd et Barney Frank) et de la règle Volcker (au nom de Paul Volcker, un ancien président de la Réserve fédérale américaine). Ces deux législations visent à éviter les excès sur les marchés et à protéger davantage les consommateurs. «J’ai des amis qui ne peuvent pas lancer leur entreprise parce que les banques ne veulent pas leur prêter à cause des règles et des contrôles de Dodd-Franck», a lancé Donald Trump.
La machine est en marche au Congrès, une commission paritaire travaillant à un projet de loi destiné à plus ou moins abroger le cadre réglementaire post crise 2008. Au-delà de la majorité républicaine, nombre de démocrates semblent favorables à ces dispositions, comme en écho aux critiques de leur trop grande proximité avec les milieux financiers.
Petit rappel : Tout avait commencé par des dizaines de banques qui avaient prêté – sans scrupule et sans s’assurer de la capacité de remboursement des débiteurs – des sommes énormes pour investir dans l’immobilier. Dans un deuxième temps, les banques avaient transféré les risques en vendant des produits dérivés complexes. La crise de 2008 avait provoqué non seulement la faillite des milliers des ménages américains, mais aussi des banques se retrouvant incapables de recouvrer leurs investissements. C’est dans ce contexte que l’administration Obama avait promulgué en 2010 la loi Dodd-Frank, aussi connu comme la loi «too big to fail – trop grosses pour faire faillite» qui oblige les banques à notamment augmenter leurs fonds propres et à prévenir leur propre surendettement. Dans le même registre, la règle Volcker vise à freiner les investissements spéculatifs avec l’argent de leurs clients. N’oublions pas que le nouveau président américain a par ailleurs définitivement abrogé une disposition de la loi Dodd-Frank qui visait à éviter la corruption pour l’obtention de concessions. Désormais, les compagnies pétrolières et minières américaines ne sont plus obligées de rendre publiques les sommes versées aux gouvernements étrangers.

La crise des subprimes n’aurait donc servi à rien ? Les défenseurs de l’abrogation des dispositions les plus contraignantes de la loi Dodd-Frank ont la réponse : « La crise des subprimes ? Un accident de parcours qui ne doit pas remettre en cause l’utilité de la finance ».
On n’ose imaginer ce que pourrait être un réel accident !

Ce retour en force vers une nouvelle phase de déréglementation financière et bancaire s’appuie, en substance, sur un corpus de croyances des économistes ultra-libéraux selon lesquels les banquiers, les financiers et autres spéculateurs savent mieux que quiconque évaluer le risque de leur contrepartie à laquelle ils consentent des crédits ou lorsqu’ils spéculent sur des produits financiers !! Dans ces conditions, à quoi bon vouloir restreindre certains mouvements des acteurs financiers par des réglementations ?
Toute forme de régulation financière visant à protéger la finance de ses dérives, et par voie de conséquence l’économie dans son ensemble, se révélera inévitablement, du moins selon ces thuriféraires du laisser-faire financier, contre-productif.

En Europe, quelques voix disent s’inquiéter de ce processus de déréglementation. « Donald Trump est bel et bien une menace pour la stabilité financière. C’est dangereux, nuisible et extrêmement malheureux à l’époque où nous vivons », a déclaré le ministre suédois des Marchés financiers, Per Bolund à l’agence TT. Peu de banquiers à la tribune, et pour cause, la pêche est miraculeuse, en attendant le prochain Lehman Brothers…

Même si de nombreuses études ont pu démontrer que la déréglementation bancaire des années 80 n’est pas étrangère ni à la multiplication des crises, ni à l’accroissement de leur intensité, nos politiques ont une nouvelle fois perdu la mémoire.
On ne va pas se compliquer la vie avec de vieilles histoires… de toute façon, au final, il y a toujours le « prêteur -pigeon- de dernier ressort », un certain contribuable.

MM.