Il y a délit et délit !

Qui a dit « Informer n’est pas un délit » ?
Si vous êtes un habitué de MetaMorphosis, vous avez sûrement la réponse.
Plus difficile. Qui a dit : « Dénoncer un délit, ce n’est pas de la délation » ?
L’auteur de cette maxime, au demeurant d’une grande vérité et pour ainsi dire à la base de toute action des lanceurs d’alerte, n’est autre que Christian Estrosi. Le bien nommé « motodidacte » nous gratifie de cette pensée profonde à l’occasion de la défense de sa nouvelle trouvaille niçoise en cours de test au joli nom de « reporty », ici, une application sécuritaire devant permettre à tout citoyen de dénoncer un délit ou une incivilité en temps réel à la police.
Nous ne discuterons pas ici de l’intérêt de cette initiative du maire de Nice, ayant trop peur d’arriver à la même conclusion que pour les caméras de surveillance dont l’efficacité n’est plus à démontrer depuis un certain soir de 14 juillet…
Reconnaissons que nous serons pour une fois d’accord avec l’énoncé de Monsieur Estrosi quand il dit « Dénoncer un délit, ce n’est pas de la délation ».
Sauf qu’il doit bien y avoir un loup quelque part…
Au fait, de quel délit parle t-on?
En droit un délit est toujours un délit quelle qu’en soit la gravité appréciée par le degré de la peine encourue ou par la réprobation morale qu’il peut engendrer.
Etant nécessairement rationnel, le maire de Nice doit considérer que tout délit vaut dénonciation et qu’il ne pourra en aucun cas être reproché à celui qui la réalise, un quelconque acte de délation. Sans faire un catalogue des positions et votes politiques de ce personnage, remontons seulement deux années en arrière à l’occasion du vote de la Loi Sapin2 qui visait à donner un cadre juridique aux personnes qui dans l’exercice de leur fonction sont amenées à dénoncer des délits. Quelle a bien pu être la position de Monsieur Estrosi sur ce texte qui prévoyait également quelques dispositions de moralisation de la vie politique?
Il a, une fois de plus, comme à l’occasion de proposition de lois sur la fraude fiscale et sur le verrou de Bercy, voté contre ces textes.
Nous ne discuterons pas de la cohérence des positions qu’il partage avec la plupart de ses collègues parlementaires, les votes étant le plus souvent conditionnés à des décisions partisanes et/ ou de défense de son électorat, il n’en demeure pas moins que ce type de position met en évidence que le corps politique et de façon générale la Société, ont une appréciation très sélective des délits. Système au combien pernicieux car il nous semble rejaillir dans le fonctionnement même de la justice.
Sans juger de leurs utilités, quelques affaires récentes (qui rappelons-le encore une fois, méritent une justice exemplaire) ont mis en évidence les moyens extraordinaires mis en oeuvre par les services de police et de la justice, sur une seule affaire – un cas récent de féminicide a mobilisé jusqu’à 500 personnes pendant plusieurs semaines, de l’aveu même de la Procureure en charge du dossier – en écho à la litanie des affaires politico-financières pour lesquelles l’Etat est incapable de mobiliser plus d’un fonctionnaire à temps plein.
En quoi consiste l’application niçoise estrosienne? Dénonciation d’un vol à l’étalage, d’un vol à l’arrachée? D’une dégradation de véhicule? D’un comportement suspect?…Autant de petits délits qui ont à faire quelque part à une atteinte aux biens privés. Les questions politico-financières et c’est bien en cela que réside tout le problème, sont des atteintes à la propriété collective dans lesquelles chaque citoyen a individuellement du mal à se retrouver et donc à en comprendre les enjeux, tant pour la Société que pour lui-même.
Pour ceux qui naviguent depuis de longues années dans ce type d’affaire, à l’image des lanceurs d’alerte, il est évident qu’il n’existe ni au sein des services de police ni au sein de la justice elle-même et encore moins de la part du corps politique, de volonté et souvent de capacité à mettre en oeuvre les moyens nécessaires pour traiter convenablement ces affaires.
Sous une pression électorale et médiatique, notre justice et notre police sont devenues des services de proximité visant à contenir quand ça n’est pas entretenir, le fameux « sentiment d’insécurité » au détriment d’une insécurité plus insidieuse mais tout autant pernicieuse pour la cohésion du corps social. Ne pas s’attaquer à la corruption au sein des corps institués c’est hypothéquer l’avenir.

MM.