Les règles, c’est pour les autres !

Source : « Tarnac : justice de justice ou justice d’Etat » par Frédéric Lordon, 12 Mars 2018 (ici).

Sur son blog du Monde Diplomatique, Frédéric Lordon s’interroge ce mois-ci sur le rôle de la justice aujourd’hui.
En partant de deux exemples, celui de l’affaire Tarnac et celui de Loïc Canitrot, il cherche à mettre en évidence le lent mais certain basculement de l’appareil judiciaire en un pouvoir au service de l’ordre établi du patronat et du politique, l’ayant transformé en une justice d’État.

C’est un sujet qui intéresse fortement les lanceurs d’alerte, nombre d’entre eux ayant été confrontés à cette dure réalité : la justice reproduit les discours dominants, la justice se range trop souvent du côté des pouvoirs, cette justice qui aurait la fâcheuse tendance à chercher avant tout à criminaliser celui qui porte l’alerte.

Comme dans le cas de Loïc Canitrot (relaté par Frédéric Lordon) ou peut être demain pour l’affaire Tarnac (dont le procès vient de s’ouvrir), il y a encore des acteurs de cette justice qui voient clair.
On ne parlera pas de résistance, faire son métier ou respecter son serment professionnel ce n’est pas résister, c’est tout simplement vivre, c’est être un acteur citoyen.
Mais ne soyons pas dupes : ces quelques soubresauts de justice ne sont que l’arbre qui cache la forêt. S’il y a encore des palais où la justice est dite, combien d’affaires ne sont pas même instruites, combien ne le seront jamais ou si mal, combien verront l’équité d’une justice pour tous bafouée ? Et derrière une grosse affaire, un nom emblématique, combien de dénonciations maltraitées, par manque de moyens, pas absence de volonté, par abaissement de l’idéal ?

En citant Frédéric Lordon, malheureusement beaucoup de lanceurs d’alerte risquent de se reconnaître :
« Pour une part croissante de son activité, la justice est devenue une justice de la contestation politique. C’est-à-dire, par contraction, une justice politique. Et, partant, autre chose que la justice ».
Et un peu plus loin :
« Heureux dénouement, mais vérité institutionnelle pénible : l’obtention ordinaire de la justice est devenue une issue extraordinaire. La simple demande du fonctionnement normal de l’institution du droit requiert désormais des miracles. Si avoir à faire à la justice c’est s’en remettre à la contingence miraculeuse, on comprend qu’on n’y regarde pas sans un pincement – et en réalité avec de plus en plus lourds soupçons ».

Triste réalité où l’exercice de la justice se comprend pour le justiciable, comme un jeu de roulette au casino. Faudrait-il avant tout compter sur la chance pour espérer tirer la bonne couleur et le bon numéro!

Peut-être que la réponse à cette triste réalité nous vient de plus loin, des lointaines Indes… et le jour même de la publication de l’article de Frédéric Lordon.
Voilà le garant de l’indépendance de la justice française, le garant de « l’ordre » républicain, de ses « valeurs universelles », le Président de la République en personne, qui nous donne un conseil de réussite : « ne respectez jamais les règles ».

La belle affaire ! Dénoncer c’est justement rappeler que les règles ne sont pas respectées. Non pas par plaisir, mais simplement parce qu’après plus de deux siècles d’une histoire démocratique, parfois chaotique, il apparaît que le respect de certaines règles, par tous, facilite le « vivre ensemble » et place chacun sur un pied d’égalité même si elle reste toute relative. Dénoncer, souvent parce que cela est une obligation professionnelle et légale, c’est demander qu’elles soient toujours respectées.

Si l’objectif est de ne jamais respecter les règles, abolissons-les, et d’une pierre deux coups, plus besoin de justice… Mais il est moins sûr que cette proposition satisfasse les pouvoirs : des règles il en faut absolument, la justice se chargera simplement de dire qui doit les respecter et qui en est exempté.
En somme, une justice ordinaire…

MM.

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