«Un nouveau scandale d’évasion fiscale révélé par une fuite de documents confidentiels, des noms d’entreprises ou de riches particuliers qui s’étalent dans les journaux, des États complaisants montrés du doigt… Des «Offshore Leaks» aux «Paradise Papers», les révélations sur les paradis fiscaux s’accumulent depuis une décennie. Et quoi qu’en disent les pessimistes, ces enquêtes ont fait bouger les lignes».
Dans son édition datée du 12 Mai, «Paradis fiscaux : ce qu’ont changé dix ans de révélations», (ici), Le Monde s’essaie à faire un bilan des nombreux leaks ayant émaillé l’actualité depuis la crise de 2008. À la lecture de l’extrait ci-dessus, nous comprenons que le journal a une lecture plutôt positive des modifications apportées successivement aux législations dans la lutte contre les paradis fiscaux. Nous ne pouvons que souscrire à l’analyse factuelle réalisée par le quotidien du soir, l’étude est documentée et ne se prête guère, sur les faits, à la contestation.
Nous aurons néanmoins une lecture quelque peu différente. Par expérience, les lanceurs d’alerte savent pertinemment que l’on ne peut se fier à la seule vérité des textes, fusent-ils a priori contraignants, sans aller regarder au-delà, dans leur effective mise en œuvre et dans les outils de contrôle et de pilotage. Par ailleurs, gardons à l’esprit que dans une économie aussi mondialisée que l’est la finance, toute contrainte posée là, trouve quasi instantanément sa parade ici.
Tout d’abord un constat général : la multiplication des leaks a-t-elle permis de lutter significativement contre l’évasion fiscale et le blanchiment d’argent ? Difficile de répondre à cette question avec certitude tant les outils d’évaluation et de pilotage manquent ou ne sont pas dévoilés à la connaissance du grand public. Ne soyons pas plus royaliste que le roi. Mais une chose est sûre : quand nos politiques en exercice, nationaux ou européens, ont des résultats convaincants sur une politique menée, on peut être certain, quitte même à arranger la réalité, qu’une communication effrénée va être effectuée sur ces sujets. On en a quasiment la démonstration tous les jours concernant la «lutte contre le terrorisme». Alors, même si nous ne sommes pas très futés, nous nous disons à MetaMorphosis que si sur les 80 milliards d’euros d’évasion fiscale française, les pouvoirs publics étaient, par une politique active et volontariste ces 8 dernières années, parvenus à récupérer 30, 40, 50 milliards d’euros, nous aurions eu sûrement la chance de voir défiler les ministres et premiers ministres pour se vanter de ces exceptionnels résultats… Malheureusement, cela n’est pas le cas et plus encore , nous notons un réel énervement quand ces questions sont évoquées publiquement comme l’a démontré Macron lors d’un récent entretien télévisuel.
Des oppositions farouches à des mesures entrant dans cette lutte (verrou de Bercy, comptabilité des multinationales par pays…) nous donnent au contraire le sentiment que l’action sur la fraude fiscale et le blanchiment ne semblent pas du tout être une priorité des gouvernants.
Revenons à l’article du Monde. Nous disions qu’il faut regarder au-delà des beaux discours d’intention et même des lois et règlements mis en œuvre. Nous prendrons trois exemples en écho aux avancées mentionnées par le journal.
Tout d’abord, Le Monde nous indique que les leaks ont permis de «montrer du doigt les États complaisants». Effectivement, la publicité autour des différents leaks a permis de focaliser l’attention sur un certain nombre de pays: Panama, Bahamas, Luxembourg, Malte… entre autres. Et puis ? Certains ont été sermonnés, d’autres ont été forcés à modifier quelques parties de leur législation, d’autres sont passés au travers des gouttes.
Mais que vaut cette publicité quand le gendarme européen chargé de s’emparer de ces leaks pour perfectionner ses politiques de lutte, ne trouve rien de mieux que de nous pondre une liste de paradis fiscaux où tous ceux susceptibles d’y figurer sont comme pas magie effacés ?
A quoi peut donc bien servir de montrer les comportements anti-européens voir quasi-mafieux de Malte, si c’est pour entendre au final la Commission Européenne nous dire qu’il n’y a rien à voir ? Et l’on pourrait multiplier les exemples. Nous rappelons juste qu’à l’occasion de la publication des Panama Papers, nous avions eu la chance d’entendre le ministre français de l’économie nous dire que le Panama avait été retiré de la liste noire parce qu’il avait dit qu’il allait faire des efforts ! Quelques semaines plus tard, le Panama était replacé sur la liste noire, pour en sortir quelques années après… Le ridicule ne tue pas, encore !
Ensuite, Le Monde nous explique que le secret bancaire est en voie de disparition reprenant l’exemple américain : «Les scandales poussent les États-Unis à choisir une option plus radicale. En 2010, la loi Fatca impose aux acteurs financiers du monde entier de communiquer au fisc américain les données de leurs clients américains. En quelques mois, Washington fait plier la Suisse, qui défendait jalousement son secret bancaire depuis près d’un siècle. Il faudra pourtant plusieurs années avant que cette transparence s’impose comme un standard mondial». Nous ne contesterons pas le fait que le secret bancaire, tel qu’on l’a connu dans le passé, est en voie de disparition en Europe tout du moins. Il convient néanmoins de noter deux choses qui permettent de relativiser cette affirmation: d’une part, le cas américain est américain et seulement américain. Imposer un national sur l’ensemble de ses revenus quelque soit sa résidence est en effet une très bonne mesure, au demeurant facile à mettre en œuvre. Pourquoi aucun pays, pourquoi la France n’a pas décidé de suivre ce chemin ?
D’autre part, la disparition du secret bancaire est un peu de la poudre aux yeux. Nous savons très bien que l’essentiel des actifs perdu par les banques en Suisse sont aujourd’hui logés dans les banques suisses, à Hong-Kong, à Singapour ou ailleurs en Asie. En réalité, la place suisse n’a pas diminué de taille, elle s’est délocalisée en partie. Là aussi, les gesticulations de nos politiques sur les prétendues difficultés à suivre l’argent, font rire les banquiers. Les outils informatiques, les systèmes de transfert, les systèmes de compensation, offrent aujourd’hui tous les outils nécessaires pour assurer une traçabilité des fonds, hors cash. Tout ceci n’est que volonté politique: il n’est pas difficile d’imposer au travers des banques une super-taxation des fonds quittant le territoire européen si le bénéficiaire économique ne peut être certifié d’une façon incontestable.
Enfin, Le Monde évoque le cas des intermédiaires : «Les intermédiaires sont au cœur du problème, reconnaît Petr Jezek. Nous devons mieux les contrôler, en leur appliquant des sanctions en cas de manquement, car l’autorégulation ne suffit pas.» Si les banques sont régulièrement épinglées pour leur incapacité à surveiller leurs clients, les cabinets spécialisés dans la finance offshore bénéficient encore d’une large impunité (Bruxelles a présenté en 2017 un projet de directive pour les réguler)».
Le constat est sans équivoque. Les banques sont en théorie beaucoup contrôlées. D’une part elles sont rarement condamnées même en cas de malversations avérées et lourdes, d’autre part, les intermédiaires sont tout simplement devenus les sous-traitants des établissements financiers. On n’a fait que déplacer là aussi, le problème. Tant que tous les intermédiaires ne seront pas assujettis à des contraintes fortes et des contrôles effectifs, les parieurs pourront continuer à aller au casino sans crainte.
Les leaks ont effectivement fait beaucoup de bruit. Merci aux lanceurs d’alerte et aux journalistes qui les ont relayés. Au final, nous craignons que ce ne soit pour pas grand-chose. Il semble clair que ces huit années de révélations gênent fortement les utilisateurs des paradis fiscaux, les banques, les intermédiaires et la classe politique dans sa très grande majorité. La loi secret des affaires (malheureusement non évoquée dans son bilan par Le Monde) est leur réponse, relativement radicale, qui permettra de tarir grandement ce type de révélations et au final de continuer dans l’opacité les business de la fraude fiscale et du blanchiment.
Sans volonté politique, les leaks ne restent finalement que de la communication.
MM