Pesticides : les mots et les maux

Au royaume des politiciens, éditorialistes et autres experts de circonstance, les rois sont ceux qui maîtrisent la «nov’langue», les mots. Puis il y a les maux.

Ainsi, les cotisations sociales sont devenues des charges sociales, un plan de licenciements un plan de sauvegarde de l’emploi, et la liste pourrait être longue. Des mots.

Au royaume de la « start-up nation » tout doit être quantifié, tout doit être mesuré comme une charge, un coût. Enfin, pas vraiment tout. Surtout ce que l’idéologie défendue veut détruire, les protections sociales, les revenus de redistribution, les aides diverses veillant à amortir les inégalités. Car lorsqu’ il s’agit de coûts infligés par l’activité productiviste à l’ensemble du corps social, bizarrement les mêmes politiciens sont aux abonnés absents. Les maux.

L’article du Monde «Pesticides : des coûts (bien) cachés» permet d’en prendre la mesure. D’abord le constat : «Au total, donc, ce sont sans doute quelque 700 millions d’euros d’argent public qui auront été investis dans la réduction des « phyto », pour un résultat global dont il faut bien dire – à s’en tenir aux chiffres – qu’il est jusqu’à présent nul». Et une question : «Ce constat pose à nouveau la question – bien plus vaste que le seul financement de ces plans successifs – des « coûts cachés » des pesticides».

De quoi parle-t-on précisément : «C’est ce que les économistes nomment dans leur jargon les «externalités négatives» : combien coûte à la collectivité l’utilisation actuelle de ces produits, en plans de réduction de leurs usages, mais aussi en soins médicaux, en assainissement des eaux, en érosion des services gracieusement offerts par les écosystèmes, voire en frais d’acquisition de connaissances (étudier les effets de ces produits a aussi un coût) ? C’est la question taboue, la question à laquelle il vaut mieux, semble-t-il, ne pas chercher de réponses».
Si, malgré des investissements publics dans la lutte contre l’utilisation des «phyto», pour une somme non négligeable, aucun effet sur leur utilisation effective n’est enregistré, c’est qu’il existe des impacts «cachés» qui de toute évidence ne sont pas pris en compte dans l’élaboration des politiques publiques.

Et pourquoi ne pas prendre en compte tous ces impacts négatifs : «Les dommages des pesticides pour la santé et l’environnement, parfois appelés “coûts cachés” des pesticides, concernent le secteur agricole en général, et ses travailleurs (…). Ainsi, les données épidémiologiques, bien qu’encore très incomplètes, mettent en évidence une sur-incidence de certaines pathologies chroniques (cancers du sang, de la prostate, maladie de Parkinson) parmi la main-d’œuvre agricole exposée aux pesticides.» D’où des coûts privés (supportés par les malades) et publics (supportés par la Sécurité sociale) induits par le recours aux «phyto».

On vous le donne en mille…Quelle est la réaction du gouvernement à cette problématique ? «Le comité de chercheurs mis en place par l’Institut national de la recherche agronomique (INRA) pour définir les «défis scientifiques» du programme, avait en effet inclus dans leur document d’orientation la nécessité de « mieux connaître les coûts cachés des pesticides pour aider à réduire leur utilisation ». Ils n’ont pas été écoutés par le ministère« ; et plus loin : «Le ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche n’a pas suivi la volonté des chercheurs de creuser la question».
S’il s’agit d’une aide sociale qui, comme chacun sait coûte «un pognon de dingue», tous les ministres vont se lever tel un seul homme pour réclamer une évaluation du coût pour la collectivité. Concernant les «phyto», n’y songez pas ! Car même si «traduire en termes monétaires les dégâts induits par le recours excessif à l’agrochimie peut sembler une forme de cynisme – une maladie ou une dégradation environnementale ne peuvent être réduites à un seul coût – comme le disent les chercheurs du comité d’orientation du PPR, cela pourrait être un levier majeur du changement. Pour l’heure, et malgré plus de dix années d’échec à faire baisser le recours aux pesticides, le gouvernement semble souhaiter que ces « coûts cachés » demeurent, précisément, cachés».

La ficelle est bien grosse mais comme Macron et son gouvernements sont devenus les maîtres du «plus c’est gros, mieux ça passe», rien de bien étonnant. Car il ne faut pas être un «expert» attitré des chaînes de télé en continu pour savoir que ces coûts cachés sont le cœur du problème, qu’ils incombent essentiellement aux industriels et sont exclusivement supportés, aussi bien en terme de conséquences que financièrement, par la collectivité.

Sur ce sujet aussi, nos politiques ne dérogent pas à leur règle d’or : privatisation des profits et mutualisation des pertes.

Puis silence, on empoisonne…Mais on a essayé et essaie encore de « réparer » (ou pas)…Des mots sur des maux.


MM.

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