Nous en parlions ici même, il y a quelques jours, à propos de la Tribune de Maître Fedida: la Directive européenne de protection des lanceurs d’alerte sera retranscrite en droit français. Mais à quelle sauce ? Après quels renoncements ou altérations ? En un mot, à quel prix pour les lanceurs ?
Comme nous l’indiquions, Maître Fedida a lancé les grandes manœuvres, lui sur le registre de l’inutilité d’une telle Directive, le monde économique et politique n’étant mû que par la bienveillance et la recherche de l’intérêt général, ce qui fait des lanceurs des parasites inutiles motivés par des sentiments de délation et de paranoïa . En théorie.
En pratique, une autre manœuvre est en cours, celle du Ministre de la justice Dupond-Moretti qui n’enlève rien à sa profonde détestation des lanceurs/ délateurs.
Un peu à l’image de ce qui avait été fait avec la loi Secret des Affaires pour contrebalancer la loi Sapin2, il s’agit ici de se dire que la directive européenne sera plus ou moins retranscrite dans ses termes initiaux et qu’alors la meilleure façon de s’y opposer est de poser des garde-fous au travers de nouveaux textes venant limiter la portée de la Directive et/ou compliquant le travail des magistrats instructeurs.
C’est tout l’esprit du projet « Legal Privilege » défendu par Macron et le garde des Sceaux, qui vise à la création d’un avocat en entreprise qui pourrait se prévaloir auprès des autorités policières et judiciaires du secret professionnel des avocats.
Comme l’explique Mediapart dans l’article ci-dessus, une telle mesure empêcherait aux enquêteurs l’accès à d’importants documents dans les enquêtes qu’ils mènent…
Certes des garde-fous existent avec la possibilité de saisir le juge des Libertés et de la Détention pour obtenir lesdits documents, certes on nous explique qu’un tel dispositif existe dans d’autre pays mais en oubliant de rappeler que les prérogatives ne sont pas forcément les mêmes et que de tels dispositifs s’inscrivent essentiellement dans les pays soumis au droit anglo-saxon.
S’il n’est pas inutile d’indiquer que la majorité des avocats , de même que les principaux services judiciaires comme le Parquet National Financier ou encore le Parquet Anticorruption en charge d’enquêtes, sont contre un tel projet, nous voyons bien l’objectif visé: ralentir quand ce n’est pas décourager les magistrats enquêteurs. Comme l’indique l’un d’entre eux dans l’article de Mediapart, lors de perquisition, ils saisissent le maximum de documents pour en faire une étude postérieure, étude permettant bien souvent d’initier d’autres pistes de recherche.
En plaçant sous le secret professionnel un certain nombre d’études, d’avis et documents juridiques réalisés par l’avocat d’entreprise, ces éléments devenant ainsi insaisissables, c’est toute la rapidité et la profondeur des enquêtes qui sont atteintes.
Un tel dispositif, s’il venait à être voté par le Parlement, aurait bien évidemment un impact notable sur les lanceurs d’alerte. Nous pensons notamment à ceux des métiers de la finance et de la banque où les alertes réalisées reposent dans la plupart des cas sur les avis juridiques des services internes; si ces documents devenaient inaccessibles pour les juges instructeurs, la parole du lanceur s’en trouverait fortement amenuisée, les affaires de corruption, de blanchiment étant bien souvent réalisées aux travers de mécanismes juridiques et financiers conçus, mis en œuvre et validés par les services juridiques des entreprises. En leur sein, l’existence d’un avocat bénéficiant du secret professionnel rendrait la tâche des lanceurs d’alerte (qui seraient donc systématiquement accusés du viol du secret professionnel ) plus compliquée, celle des services d’enquête dans le meilleur des cas ralentie si ce n’est pas entravée. Par conséquent, la directive de protection des lanceurs d’alerte dont l’esprit principal est l’universalité des domaines et canaux d’alerte serait de-facto fortement impactée.
Après la théorie Fedida, voilà la technique Dupond-Moretti. Leur combat est le même: faire taire les lanceurs. Sinon, les contrecarrer en mettant en œuvre des dispositifs pour que, Directive européenne ou non, entreprises et politiques puissent continuer leurs affaires sous le sceau du secret. Les lanceurs, eux, prêcheront un peu plus dans le désert.
Enfin, nous noterons le Timing : Dupond-Moretti fait le forcing auprès du Parlement pour que le texte sur le « Legal Privilege » soit présenté d’ici fin mars avec un vote dans les mois qui suivent… alors que la Directive européenne de protection des lanceurs doit être retranscrite dans le droit français… au plus tard au 31/12/2021.
Affaire à suivre…
MM.