De la diarrhée intellectuelle

Comme disait Bourdieu , avant de s’intéresser au « quoi » ( le discours), il faut s’intéresser au « qui » (celui qui parle) et au d’ « où » (la position du locuteur).


Un exemple dans l’actualité récente : « un inceste consenti et heureux », celui d’une jeune fille de 15 ans violée par son père qui lui fera même un enfant. Ce sont les propos de la défense du père, un avocat médiatique devenu Ministre de la justice, Dupond-Moretti. On apprend ces jours-ci que Macron charge ce même ministre d’une mission de réflexion sur la prescription en matière d’inceste et d’abus sexuels sur mineur. Un inceste tellement « consenti et heureux » que deux années après les faits, le père tuera sa fille d’une balle dans la tête.


De Dupond-Moretti à l’auteur de notre tribune du jour, l’ avocat Jean-Marc Fedida, il y a au moins un point commun: la détestation des lanceurs d’alerte.


Maître Jean-Marc Fedida est, selon sa biographie médiatique, « avocat et essayiste. Il est souvent mis à contribution dans les dossiers qui agitent les sphères politiques et financières. Il s’est engagé dans la défense des libertés publiques et individuelles. » C’est beau comme un carton d’invitation aux dîners du Siècle …mais très vite on se rendra compte que sa conception des libertés individuelles est à géométrie variable. Cet avocat, de grandes multinationales comme Total, défenseur entre autres d’Alain Madelin et de Didier Schuller s’exprime donc dans le JDD du 23/01/2021, propriété du Groupe Lagardère et qui, comme tout bon journal de milliardaire qui se respecte, s’est fait ces dernières années , le défenseur inconditionnel de la macronie et ces derniers mois, l’avocat populaire de Sarkozy.


Tout est dans le titre de La Tribune : « Alerte aux lanceurs d’alerte ».

L’interstice donne le ton: « L’avocat Jean-Marc Fedida conteste le projet de créer un statut pour les lanceurs d’alerte, qui stigmatise inutilement selon lui le monde économique et pourrait alimenter toute forme de dénonciations. »

Nous pourrions faire une analyse de texte, le choix des mots ne pouvant malheureusement nous exempter d’une analyse de fond.

A la lecture, nous passons très vite du terme de lanceur d’alerte à celui de dénonciateur puis délateur, (vocabulaire très cher à Dupond-Moretti), osant jusqu’à écrire que la Directive européenne de protection des lanceurs d’alerte viserait selon lui, à formaliser « une protection juridique quasi parfaite des délateurs ».
Comme son ministre tutélaire, en plus de se flatter dans les médias d’être un « essayiste », cet avocat n’a pas dû essayer bien longtemps de réfléchir à la distinction entre le fait de dénoncer des actes, des faits (le lanceur d’alerte), et celui de dénoncer des personnes pour ce qu’elles sont, ce qui les caractérise (les délateurs).
Il n’a pas non plus essayé (ou alors n’y est-il pas arrivé ?) de trouver un argumentaire solide à sa démonstration.


Résumons-le.

Oyez oyez peuple de râleurs français, le Sieur Fedida vous apporte une grande nouvelle ! Nous vivons dans un monde parfait où les entreprises et hommes politiques sont intrinsèquement bons et soucieux de l’intérêt général, un monde tellement beau que les lois existantes sont parfaites et que les autorités de contrôles qu’elles ont instituées, exercent un travail irréprochable.

Pourquoi donc des lanceurs d’alerte ?
Pourquoi penser à leur donner un statut et à les protéger puisque le système en lui même s’auto-régule , s’auto-contrôle, s’auto-sanctionne…? Tout ceci dans l’intérêt général ! Certes les entreprises recherchent le profit; certes les politiques recherchent le pouvoir; mais rassurez-vous, tout ceci est fait avec une éthique irréprochable et toujours avec pour but de défendre le bien commun.


Sortir de ce cadre, installer dans nos droits un statut et une protection de lanceurs d’alerte seraient, selon Fedida « élever au rang de dogme la culpabilité annoncée du dénoncé ». Parce que, comme il l’écrit si bien , le lanceur, lui, agit par « simple indignation », « frustration », « acrimonie » et formule ainsi des dénonciations « instrumentées, loufoques et paranoïaques».  Et là dessus, l’Europe voudrait imposer à cette France où le terme de corruption n’existerait même pas, une « impunité garantie par la loi » des lanceurs d’alerte sans que cela soit assorti « d’une responsabilité corrélative quelconque ». L’avocat pyromane de service aurait dû, avant de s’essayer, lire la directive jusqu’au bout…
Il nous annonce des jours sombres…selon lui la directive européenne (que la France doit retranscrire dans son droit avant le 31/12/2021) nous préparerait « à vivre une ère de suspicion et de défiance » et de sacrifier notre « vertu » à une idéologie « aussi simpliste que démagogue ». Allons donc!


Mesdames et Messieurs, les lanceurs non pardon ….les délateurs, en ont pris pour leur grade !
Il n’est pourtant pas compliqué de comprendre que les mondes économique et politique sont intrinsèquement bons et bienveillants et ce, par essence. N’est-ce pas?


Alors une simple question nous vient: quelle finalité à toute cette diarrhée intellectuelle ?


Il est fort à parier que le gouvernement actuel fera tout, d’une façon ou d’une autre, pour retarder, puis édulcorer et enfin vider de sa substance la directive européenne sur les lanceurs. Celle-ci allant à l’encontre du fonctionnement économique et politique d’une société telle que la conçoit Macron, viendrait atténuer fortement la loi du silence instaurée au travers de la loi secret des affaires.
Si comme nous le dit l’avocat de service , les entreprises sont intrinsèquement honnêtes, il faudra nous expliquer pourquoi Bercy a donné instruction aux directions des impôts de traiter les entreprises en cas de fraude sous le principe de la bonne foi (le fameux droit à l’erreur) ?


Cette tribune parue dans le JDD n’est à notre sens pas anodine. Sur la base des critères que nous évoquions au début de cet article (quoi/qui/où), nous qui sommes à une année de la deadline pour retranscrire la Directive, il est fort à parier que Maître Fedida vient présentement de lancer les hostilités comme un pavé dans la mare et que toutes les bonnes âmes que compte la macronie viendront sans doute dans les prochains mois s’y adonner à cœur joie.
Nous leur souhaitons bien du courage, Maître Jean-Marc Fedida ayant posé pour sa défense des arguments d’une telle bassesse, que ses successeurs devront creuser toujours plus profond.

M.M