L’actualité récente nous permet de mettre en perspective l’action du lanceur d’alerte.
Nous ne nous attacherons pas ici aux seules victoires personnelles, qui n’ont pour effet que l’auto-satisfaction, quand elles ne s’attaquent pas au sujet même de l’alerte.
Cinq années après les déclarations d’Edward Snowden et en dépit de la couverture médiatique et de l’émotion (toujours sincère ?) qu’elles ont pu susciter, nous apprenons que la Chambre des représentants des États-Unis a adopté jeudi dernier un projet de loi visant à renouveler le programme de surveillance d’Internet de la NSA sans mandat, en faisant fi des objections des défenseurs de la vie privée.
Quatre années après les révélations, suite à son heureuse et bienvenue relaxe prononcée par la cours de cassation luxembourgeoise, Antoine Deltour a posté le message suivant:
« …Enfin, maintenant qu’on a presque fini de parler du sort des lanceurs d’alerte, on va peut-être enfin pouvoir se ré-intéresser au fond de l’affaire. Et j’ai justement quelques réflexions à partager.
1) Les révélations « Luxleaks 2 » de décembre 2014 sont tombées dans l’oubli alors qu’elles impliquent TOUS les grands cabinets d’audit, y compris les concurrents de PwC.
2) Le Luxembourg, qui a brillé dans sa communication post-Luxleaks (« ce sont des pratiques du passé, nous avons fait beaucoup de progrès depuis ») continue à s’opposer à l’harmonisation de l’impôt sur les sociétés, contre l’avis même de J.C. Juncker.
3) Malgré quelques avancées en faveur de la justice fiscale, les recettes de l’impôt sur les sociétés continuent de diminuer en Europe comme la banquise au pôle nord. Et les bénéfices des multinationales grimpent comme le niveau de la mer aux Maldives. C’est le résultat de la course verse le bas qui découle de la concurrence fiscale.
4) La succession des scandales, et surtout les Paradise Papers, me font peu à peu douter qu’on arrive un jour à mettre de l’ordre dans tout ça.
5) Enfin, à mon avis, nous ferions mieux de mobiliser notre temps de cerveau disponible pour atténuer l’effondrement et construire l’après. Car l’espèce humaine ne va pas pouvoir continuer longtemps à détruire son propre milieu de vie sans un rappel à l’ordre assez brutal. »
2008 : le premier « Leak » SwissLeaks. Que reste t-il dix ans après, que reste t -il après les PanamaPapers, MaltaFiles, LuxLeaks, ParadisePapers etc ? Sans parler de tous les scandales qui ont touché telles ou telles multinationales ? Rien ou plutôt la bonne parole de Moscovici, Commissaire Européen aux affaires économique et monétaire, à la fiscalité et à l’union douanière: « il n’y a pas de Paradis Fiscaux en Europe. »
Comme le nuage de Tchernobyl qui avait été suffisamment discipliné pour ne pas franchir les frontières européennes, l’argent de la fraude fiscale, du blanchiment ou de la corruption fait de même.
Se faisant, nous comprenons mieux la Commission : il n’y a pas grand chose à faire.
Pourquoi lance t-on l’alerte ?
Pour être célèbre ? Sûrement pas, même si certains semblent y trouver un échappatoire à l’isolement.
Par vocation ? Non plus.
Pour défendre des valeurs ? Sans doute une bonne raison mais non suffisante.
À la question souvent posée « regrettez-vous d’avoir lancé l’alerte ? »
Outre qu’elle n’ait pas de sens, il n’y a jamais de réponse satisfaisante.
Enfin reste la question : « le referiez-vous ? »
On oublie souvent que la motivation première du lanceur est de se conformer à ses obligations professionnelles et ou légales. Dénoncer consiste alors à informer les Autorités de contrôles et ou judiciaires que certaines personnes s’affranchissent des règlements et lois que la Société a posés pour veiller à l’intérêt de tous. Bien souvent cette obligation de dénoncer est également une obligation personnelle qui risque d’exposer judiciairement le salarié en cas de silence.
Tout ceci pour souligner que dans la démarche de l’alerte il y a un lien de cause à effet, et donc un besoin de résultat.
On ne dénonce ni par vocation ni par plaisir mais parce que c’est le plus souvent une obligation ce en quoi nous attendons que les Autorités désignées à cet effet, ou la justice, fassent cesser les risques que représentent pour la Société, les agissements de certains.
Poser la question aux lanceurs « à quoi a servi votre alerte ? » Nombreux vous répondront, après un si long combat et tant d’années, à rien.
La justice est lente et cette lenteur est clairement identifiée : faiblesse des moyens et manque de volonté des juges. Si cet argument nous voulons bien l’entendre, en quoi cela devrait être le problème du justiciable et à fortiori du lanceur ?
Ceci est un choix politique dont on identifiera sans problème les volontés cachées. L’ensemble des affaires précédemment citées dure depuis cinq à dix années et permet de mettre en perspective l’action des lanceurs : in fine (s’il y a un jour une fin) tout ceci, pour quel résultat ? Edward Snowden est toujours à Moscou et la loi de surveillance générale a été renouvelée. Antoine Deltour est innocenté et comme il le souligne lui même, le business fiscal du Luxembourg réalisé au détriment des autres états membres continue… HSBC (l’affaire arrivée à terme après dix années d’instruction) ne sera jamais condamnée après avoir « négocié » avec la justice le prix d’une amende et ironie de l’histoire, ce qui reste un échappatoire à la justice commune a été défendu par une association de « défense » des lanceurs d’alerte.
UBS sera peut être jugée un jour mais encore combien de cartes en main pour éloigner la date fatidique ? Les affaires des cabinets en optimisation fiscales du Panama, des Bahamas et d’ailleurs, ont-elles été sérieusement affectées ? Pendant ce temps on tue une journaliste d’investigation à Malte… et chaque lanceur en charge de son affaire qu’il ne peut laisser faute de quoi sans doute serait-elle enterrée, attend son tour.
Beaucoup d’autres affaires bien qu’ayant connu de fortes médiatisations, sont dans la même situation. Tant d’années après, les résultats ne sont vraiment pas convaincants.
Alors s’il s’agit de lancer l’alerte pour faire du bruit, ce n’est ni la motivation ni le but recherché par les lanceurs. Cela fait sans doute plaisir à une certaine presse, à quelques acteurs auto-proclamés défenseurs de la « cause », et à quelques politiques usant l’alerte à des fins de récupération… Malheureusement il semble qu’il faut être lanceur pour se rendre compte qu’après l’agitation, le calme plat revient très vite, promesses et engagements évaporés.
Lancer l’alerte, c’est avant toute chose mettre fin aux pratiques dénoncées. A défaut, rapidement pour que les instances de contrôles ou le pouvoir judiciaire prennent des mesures conservatoires dans un souci de précaution. Or là aussi, la présomption d’innocence reste la plus forte. Combien de personnes dénoncées, pour certaines mises en examen, et qui demeurent néanmoins en plein exercice de leurs fonctions, nullement inquiétées? Combien de lanceurs d’alerte, dès leur dénonciation, alors même que les instructions ouvertes viennent confirmer le bien fondé de leurs soupçons, alors même que l’avancée des procédures vient confirmer la réalité des infractions, demeurent marginalisés, personnellement et professionnellement, dans l’incapacité de se reconstruire ?
Si le but du système est, au terme de dix années de combat à minima, s’entendre dire que l’on a bien fait de porter l’alerte mais que dans les faits aucune mesure pendant tout ce temps n’a été prise pour mettre un terme aux pratiques délictueuses dénoncées, qu’aucune des personnes responsables n’a été réellement suspendues à minima voire condamnées au mieux, alors nous avons la réponse au titre de cet article : lancer l’alerte n’est pas sérieux, ni à titre personnel pour les conséquences désastreuses que l’on connait, ni même pour l’intérêt général qui n’en récolterait quasiment jamais et que trop tardivement les fruits.
Mieux vaut tard que jamais ? Très certainement si nous prenons le cas d’Irène Frachon et du Médiator qui reste malheureusement le rare exemple qui infirmerait la règle… Mais pour combien de morts ?
MM.
Loin de nous de vouloir « piétiner » telles ou telles victoires de lanceurs. L’objectif de cette tribune est d’essayer de mettre en perspective, comment la Société répond aux alertes. Bien évidemment toute alerte est légitime et bienvenue quand il s’agit d’un agissement désintéressé en vue de prévenir sur une menace pour l’intérêt général.
Porter l’alerte reste une démarche personnelle aux motivations parfois multiples et nous n’avons ni vocation ni légitimité même en tant que lanceurs à porter un jugement sur telle ou telle action. C’est effectivement une démarche personnelle comme en témoigne et comme on oublie trop souvent de souligner, l’ensemble des personnes porteuses de sujet d’alerte et qui ne franchissent jamais le pas. Ils sont souvent beaucoup plus nombreux que les quelques lanceurs sur lesquels est portée l’attention et à qui bizarrement, on va demander en permanence de se justifier.
Des lanceurs gagnent des batailles, et l’on ne peut que s’en réjouir. Se faisant, rien n’empêche de rappeler qu’au-delà de ces batailles, il y a une guerre. Chaque bataille, les lanceurs peuvent la gagner au prix souvent d’un acharnement, d’une volonté et d’une abnégation admirables. Notons tout de même l’absurdité du propos. On demande en effet aux lanceurs de livrer des batailles dans lesquelles bien souvent, ils ne devraient pas même être entraînés. Si une fois de plus, les instances de contrôle et de justice faisaient correctement leur travail dans des délais acceptables, beaucoup de batailles dans lesquelles sont plongés les lanceurs et qui tournent toutes plus ou moins autour du harcèlement judiciaire, n’auraient pas lieu d’être. Il n’est pas étonnant ensuite, aux vues de la dureté des batailles, et de la quasi absence de résultats tangibles, que ceux qui pourraient et même devraient lancer l’alerte préfèrent se taire.
Ceci dit et pour revenir au fond de notre tribune , si les batailles sont menées et peuvent être gagnées, les lanceurs ne pourront seuls gagner la guerre qui nécessite une implication de la Société et de tous ses corps intermédiaires au premier rang desquels la justice, le politique et la presse.
Or, avec le recul que nous avons sur certaines affaires emblématiques, force est de constater qu’après de longues années si les lanceurs continuent à se battre le plus souvent au détriment de leur vie personnelle et professionnelle, la Société et les corps intermédiaires désertent vite le champ de bataille. X années plus tard, nous sommes bien obligés de constater que les journalistes ont laissé tomber l’affaire, que les politiques ont oublié leurs belles promesses et que la justice nous sort sa ritournelle habituelle absence de moyen.
En un mot tout le monde est fier un moment de ce que font les lanceurs d’alerte mais oublie vite que les beaux discours restent vains sans action. Pire, comme par ironie on constate que ce qui avait pu créer l’émotion entre vite dans le droit et l’usage. Donc aux lanceurs et aux batailles gagnées bravo mais n’oublions pas que les batailles ne font pas une guerre et que le lanceur doit mettre en permanence la Société face à ses responsabilités. C’est l’objet de La Tribune : lancer l’alerte est-ce bien sérieux et nécessaire ?
MM.
Bonjour, J’ai été lanceur d’alerte, face à une direction générale très agressive et faisant l’autruche! J’ai été harcelé, placardisé, sanctionné, pressionné, maltraité jusque dans mon travail, pour finalement être viré de manière totalement illégale et vexatoire (relevé par l’inspection du travail de Créteil). Les prudhommes sont corrompus, les avocats vous laissent tomber en pleine procédure, certainement achetés et finalement, vous retrouvez la force de vous défendre seul (avec un peu d’aide quand même…), face à une cour d’appel. Suite du verdict au prochain numéro! Toute l’histoire est ici, si ça vous intéresse de voir l’affaire et surtout la compagnie d’assurances concerné et ses dirigeants…. https://rutube.ru/search/?query=olivier%20brunard%20axa
Bon visionnage et partage autour de vous! Merci!! 🙂