Problème de santé mentale, qu’une question de coût ?

Le rapport annuel de l’Organisation de Coopération et de Développement Economique (OCDE) sur la Santé en Europe a été publié.
« Les problèmes de santé mentale coûtent à la France 80 milliards d’euros par an, soit 3,7% points de son PIB, selon le rapport annuel de l’Organisation de coopération et de développement économique (OCDE) sur la Santé en Europe publié jeudi 22 novembre ».


Voilà un bon exemple de ce type d’étude, d’une grande utilité, qui permet de mieux connaître et appréhender certains des grands enjeux économiques et sociaux qui traversent nos sociétés, surtout quand elle est réalisée de façon comparative sur plusieurs pays européens.

N’en déplaise à Manuel Valls et à ses acolytes, pour agir efficacement, encore faut-il connaître la situation, dans toute sa complexité et sa diversité, pour pouvoir faire un diagnostic et expliquer les enjeux.

Mais aussi un bon exemple de ce type d’institutions internationales (l’OCDE ici), sans aucun doute utile à certains égards, qui malheureusement vit trop souvent dans un monde parallèle qui confère à la cécité.
N’en déplaise aux gardiens de l’orthodoxie qui les habitent, ces entités sont décidément incapables de voir plus loin que leur petit livre rouge (le bien nommé) de leurs dogmes libéraux.

➡️ Il y a urgence à mieux prendre en charge la santé mentale alerte l’OCDE dans son Panorama de la santé, alors que 84 millions d’Européens (soit plus d’un sur six) sont concernés et que 84.000 décès intervenus en 2015 étaient imputables à des problèmes de santé mentale, suicides compris. Dans son opus 2018, l’OCDE tire la sonnette d’alarme non seulement pour améliorer la qualité de vie des patients mais aussi en raison du coût induit pour la société, estimé à 4% du PIB, soit 600 milliards d’euros, pour les 28 pays de l’Union Européenne. Un montant qui se décompose en 190 milliards (1,3% du PIB) de dépenses de santé, 170 milliards (1,2%) de dépenses sociales, auxquelles s’ajoutent 240 milliards (1,6%) de coûts indirects liés à un taux d’emploi et à une productivité plus faible parmi les personnes concernées.

En France, les coûts directs et indirects des problèmes de santé mentale sont estimés à environ 3,7% du PIB, soit plus de 80 milliards d’euros, dont plus de 25 milliards d’euros de coûts indirects, liés à un taux d’emploi et à une productivité plus faible.

«L’OCDE a établi un panel très large de personnes ayant des problèmes de santé mentale : des schizophrènes jusqu’aux personnes souffrant de déprime légère ou celles dépendantes à l’alcool».
La France ne se démarque pas par rapport à ses voisins européens. Les problèmes de santé mentale coûtent très cher aussi à l’Allemagne, au Danemark, aux Pays-Bas, au Royaume-Uni, à l’Espagne et à l’Italie.

➡️ Le constat général de cette étude, la possibilité de chiffrer effectivement ces problèmes de santé publique, sont des éléments d’analyse intéressants qui peuvent étonner par leur ampleur un citoyen peu au fait de ces questions. Le caractère européen de la situation devrait également interroger, mais nulle part l’OCDE ne semble faire un lien avec la très grande convergence des modes économiques de développement, des modes de consommation ou de la détérioration des conditions de travail. Plus remarquable encore, est la « profondeur » des recommandations de l’OCDE.
«Pour réduire ces coûts, l’OCDE recommande à la France, mais aussi à ses voisins européens, de mettre davantage l’accent sur la prévention des problèmes de santé mentale, sur les diagnostics précoces. Plus un patient est pris en charge tôt, moins son état se dégrade. L’OCDE recommande aussi à la France de s’intéresser en particulier à deux publics, parmi les plus touchés, les chômeurs et les retraités».
Un rapport d’une institution internationale reste un rapport d’une institution internationale ! Pas de miracles, il n’y a qu’un seul objectif, réduire les coûts. Comment ? En détectant le mal-être mental le plus tôt possible après son déclenchement. On aurait pu essayer d’agir sur les conditions rendant possible de tels mal-êtres. N’y pensez pas !
Soyons plus clairs. Que faire face au développement croissant de maladies mentales liées au travail ? Les détecter très rapidement, c’est sans doute pour cela que la médecine du travail est en train d’être sacrifiée.

Que faire face aux deux populations les plus touchées, chômeurs et retraités ?
Les diagnostiquer très rapidement.
Quant aux causes… À l’OCDE on pense que ce n’est pas parce qu’on aura identifié les causes premières de ces maladies qu’on diminuera immédiatement les coûts. Parce qu’un malade c’est un coût, et un coût est un coût.

Et puis tout ceci est un peu dommage, car notre institution libérale a mis le doigt sur un second phénomène. Elle souligne en effet que l’augmentation de l’espérance de vie ralentit dans l’Union Européenne. En France, l’espérance de vie est parmi les plus élevées de l’Union européenne : l’Hexagone se situe au 3è rang après l’Espagne et l’Italie. Mais il y a eu un net ralentissement de la croissance de l’espérance de vie en France ces dernières années, particulièrement chez les femmes où elle a stagné entre 2011 et 2016. Le Royaume-Uni, l’Espagne ou l’Allemagne connaissent le même phénomène.
Sans pouvoir fournir « d’explications complètes » (sic), l’OCDE estime que cette stagnation de l’espérance de vie est due au moins en partie à des augmentations de mortalité parmi les personnes âgées au cours des mois d’hiver, ces dernières années, liées notamment à la grippe et ses complications. À cela s’ajoute un ralentissement de la réduction de la mortalité liée aux maladies cardiovasculaires (crises cardiaques ou AVC) parmi l’ensemble de la population, possiblement liée à l’augmentation de certains facteurs de risque comme l’obésité, le manque d’activité physique et le diabète.
Ne cherchez pas les mots pollutions, alimentation déficitaire, conditions de travail, de transport, insalubrité de logement… c’est tellement mieux quand c’est la faute des maladies.

Avec l’OCDE, tout est conforme au modèle et on a la solution : les gens sont malades, ça coûte un « pognon de dingue », mais comme la maladie finit par les tuer, on devrait finir par diminuer les coûts.

MM.

https://media.giphy.com/media/l0HFkA6omUyjVYqw8/giphy.gifQuand la toxicité a bon dos

La Cour des comptes vient de rendre public son habituel rapport annuel. Comme à chaque fois, il y aurait beaucoup à dire mais concentrons-nous aujourd’hui sur le chapitre qu’elle consacre aux coûts de sortie des emprunts toxiques contractés par les Collectivités locales au début des années 2000.
Rappelons que 579 Collectivités (départements, villes, syndicats intercommunaux…) ont contracté dans ces années là des emprunts dits « toxiques » à savoir pour l’essentiel, des emprunts à taux variables indexés sur certaines devises (notamment le franc suisse).
Suite à la crise financière de 2008, et à la forte variation des monnaies ou des cours de marché sur lesquels ces prêts s’appuyaient, beaucoup de collectivités se sont retrouvées en situation difficile, contraignant l’Etat à intervenir et à supporter en grande partie les coûts de sortie.
Dans son dernier rapport, la Cour des comptes chiffre le coût pour le fond dédié créé à cet effet, à 2.6 milliards d’euros, ici.
La Cour des comptes souligne les « risques inconsidérés » pris par certaines collectivités de taille importante: « les dix plus gros bénéficiaires du fond disposaient d’une capacité d’expertise liée à leur taille qui aurait dû leur permettre des choix plus éclairés en matière d’emprunt ». On soulignera pour la petite histoire, que la métropole de Lyon et le Conseil Départemental du Rhône, ont été parmi les plus exposés.

Tout banquier privé ou d’affaires ayant travaillé dans les années 2000, a eu affaire d’une façon ou d’une autre, à ce type de prêt indexé essentiellement sur le franc suisse ou le yen.
Il n’y a sur le fond, rien de répréhensible à proposer ce type de produit ou pour être plus précis de montage car ces prêts étaient souvent adossés à des actifs.
Ceci étant dit, il convient de rappeler que si le banquier peut vendre tout ce qui est autorisé, un certain nombre de règles professionnelles voire réglementaires encadrent l’exercice de son métier.
Parmi ces règles, il s’impose aux banquiers de s’assurer que le contractant a une connaissance suffisante du risque, qu’il est en mesure d’apprécier et de comprendre les risques directs et indirects liés au produit vendu.
Autre règle, et nous ne serons pas exhaustifs dans leur énoncé, le banquier doit s’assurer que le produit souscrit s’inscrit dans la stratégie patrimoniale du souscripteur, qu’il doit être conforme à un certain équilibre au sein du patrimoine et répondre aux objectifs de gestion retenus.
Dans le cas des prêts toxiques, et puisque la Cour des comptes souligne qu’aussi bien l’Etat, les élus et les banques sont coupables de cette situation, nous sommes en droit de nous poser quelques questions.
Par définition, la gestion des finances d’une Collectivité ne peut être court-termiste. Elle s’inscrit bien au contraire, dans une vision parfois sur plusieurs générations, compte tenu du coût unitaire important des investissements collectifs et d’un retour sur investissements à long terme.
Comment dans ce contexte les établissements financiers dont certains étaient publics ou para publics (DEXIA et consorts), ont pu proposer des montages à base de taux variables qui présentent par définition même un risque dépassant l’horizon temporel de quelques années ?
Pire, il semble que les outils de couverture ont été peu ou mal utilisés.
Comment des élus et à fortiori les Cours régionales des comptes ont-elles pu accepter que soient souscrits de tels prêts sans exiger que toutes les garanties soient prises pour préserver les finances publiques ?
Le rapport de Cour des comptes est très clair à ce sujet puisqu’il souligne la responsabilité conjointe des élus locaux « qui ont pris des risques inconsidérés sans en informer correctement leur Assemblée délibérante », des banques qui « ont conçu ces produits structurés et encouragé leur souscription », enfin celle de l’Etat « qui n’a pas pris la mesure des risques encourus ».

Une fois de plus, le trop grand pouvoir laissé à certains élus sans qu’ils bénéficient pour autant des compétences nécessaires, l’absence ou la défaillance du contrôle de l’Etat et la facilité déconcertante avec laquelle les banques ont pu sur-vendre ces produits très rentables pour elles, placent la Collectivité devant le fait de devoir subir une situation et in fine contraignent le contribuable à payer les errements de décideurs irresponsables.

Loin de nous de tomber dans quelques théories du complot, mais force est de constater une fois de plus avec cette affaire, après Areva, Alstom… et tant d’autres, que le problème semble être toujours le même: des décisions en petit comité, des partenaires de l’entre-soi, des autorités de contrôles inefficaces, des alertes dont on ne tient jamais compte.
En un mot, les donneurs de leçon de bonne gestion sont bien souvent de mauvais gouvernants.

MM.