Principe d’innovation : la victoire des lobbys ?

Dans son édition du jour, Le Monde nous informe ici, de l’entrée dans la loi européenne du principe d’innovation.
«Le «principe d’innovation» a discrètement fait son entrée dans la législation européenne, mercredi 12 décembre, à la suite d’un vote au Parlement. Réunis en en séance plénière, les eurodéputés ont adopté le texte établissant le prochain programme de recherche de l’Union européenne (UE), «Horizon Europe». C’est dans son préambule que figure le concept, inventé par l’European Risk Forum, un think tank des industriels du tabac, des pesticides ou de la chimie, créé dans les années 1990 par British American Tobacco pour intervenir sur la gestion des risques par les pouvoirs publics».

«En des termes vagues, le «principe d’innovation» demande que «l’impact sur l’innovation devrait être pleinement évalué et pris en compte» à chaque initiative législative. Sous son apparence de bon sens, il a en fait été conçu comme un outil de neutralisation d’un autre principe, dont l’existence légale est, elle, bien réelle : le principe de précaution».

La notion de principe d’innovation

Cette notion apparaît en France et en Europe en 2013-2014 simultanément dans plusieurs univers, notamment le rapport de la commission dirigée par Anne Lauvergeon et dans une lettre adressée par l’European Risk Forum au Président de la Commission Européenne. Ce principe est d’abord conçu comme un rééquilibrage du principe de précaution, notamment sur la question de la prise de risque. Il consiste à privilégier les solutions nouvelles qui sont d’une efficacité supérieure en termes de qualité et de coût par rapport aux solutions existantes.

Que se cache-t-il derrière cette volonté d’introduire un principe d’innovation ? Est-il légitime et a-t-on vraiment besoin de le formaliser ainsi ? Faisons un peu d’histoire.

En décembre 2014, le rapport de la «Boite à idées» rédigé sous la direction de Bernard Accoyer, Benoît Apparu et Eric Woerth, est partisan de supprimer le principe de précaution au profit d’un principe d’innovation responsable : «Le principe de précaution reposait à l’origine sur une idée simple: l’absence de certitudes, compte tenu des connaissances scientifiques et techniques du moment, ne doit pas retarder l’adoption de mesures effectives et proportionnées visant à prévenir un risque de dommages graves et irréversibles à l’environnement, le tout à un coût économique acceptable. Dix ans après, nombreuses sont les critiques qui n’y voient qu’un obscurantiste principe de blocage du progrès scientifique, et le reflet d’une incapacité des pouvoirs publics à admettre le risque et l’incertitude, données pourtant consubstantielles d’une société avancée. Si bien que des voix de plus en plus nombreuses, dans le monde scientifique, politique et économique, réclament son abrogation».

Quelques mois auparavant, la commission du développement durable du Sénat et son rapporteur, le Sénateur Bizet sont partisans de modifier le principe de précaution : «C’est précisément l’objet de la présente proposition de loi constitutionnelle, dont votre rapporteur pour avis est également l’auteur, et qui entend rééquilibrer la définition du principe de précaution dans la Charte de l’environnement afin de clarifier les conditions de sa bonne application. Il s’agit ainsi d’exprimer plus clairement que le principe de précaution est aussi un principe d’innovation, puisque sa bonne application repose, en fait, sur le développement des connaissances scientifiques et de l’innovation. Innovation et précaution sont en réalité les deux versants d’une même ambition : celle d’un développement économique responsable face aux grands risques environnementaux».

En octobre 2014, le rapport de la Fabrique de l’Industrie précise dans sa préface sa position de maintien du principe de précaution sous réserve d’une application plus éclairée : «Le principe de précaution est parfois décrié comme constituant un obstacle au développement des innovations voire de l’activité industrielle. Davantage que l’usage juridique de ce principe, c’est son invocation abusive par des groupes qui contestent certaines technologies, nouvelles ou non, ou son application maladroite qui peuvent être source de perturbations pour les entreprises».
La Fabrique de l’Industrie a réuni en 2013, sur ce sujet, un groupe de travail composé notamment d’industriels, de scientifiques, d’experts du développement durable. Il est apparu, au fil des auditions de nombreuses personnalités, que le problème venait moins du principe de précaution lui-même que d’une exigence de sécurité de plus en plus affirmée des consommateurs ou des citoyens ainsi que d’une perte de confiance envers les institutions chargées d’assurer leur protection.
Certaines entreprises ont su bien prendre en compte cette préoccupation et y répondre, afin de restaurer un dialogue plus confiant avec leurs clients ou riverains. Elles ont même su transformer cette capacité en avantage compétitif.

➡️La précaution est une mesure prise à l’avance destinée à prévenir la survenance d’un événement dangereux, déplaisant ou ayant des conséquences négatives.
➡️L’innovation en soi ne saurait être considérée comme un événement dangereux, déplaisant ou ayant des conséquences négatives. Tout au contraire, il existe dans nos sociétés une forte demande pour l’innovation en ce que celle-ci favorise la réduction des dangers, des phénomènes déplaisants et des impacts négatifs des activités humaines ou de la nature.
➡️Le principe de précaution ne saurait à bon droit être interprété comme interdisant l’action. L’inaction n’apporte pas la suppression des dangers, des phénomènes déplaisants et des impacts négatifs. Au contraire, le principe de précaution appelle l’innovation. La sécurité aérienne d’aujourd’hui n’existerait pas sans la valorisation incessantes des innovations. La directive sur la sécurité générale des produits n’est pas pour peu dans la réputation de qualité des produits et la multiplicité des standards que l’Europe a essaimé dans le monde. En tout, une précaution exigeante et intelligente est facteur d’économie, de développement et de succès.

Jean-Yves Le Déaut a précisé dans une contribution personnelle au Compte-Rendu de la journée du 5 juin 2014 : «Nous souhaitons inscrire dans la loi le principe d’innovation, en stipulant que « le principe d’innovation garantit le droit pour tout organisme de recherche et tout opérateur économique de mettre en place et de conduire des activités consistant à développer des produits, services, procédés, modes d’organisation, pratiques sociales ou usages nouveaux ou sensiblement améliorés par rapport à ce qui est disponible sur le marché. Ce principe est facteur de développement des connaissances scientifiques et de progrès technique, social et humain, au service de la société. Il est garanti par les autorités publiques dans l’exercice de leurs compétences et sert notamment de référence dans l’évaluation des bénéfices et des risques, conduite par ces autorités. Les autorités publiques promeuvent ce principe dans le cadre de la détermination et de la mise en œuvre des politiques nationales».

Dans sa séance du 9 février 2015, l’Assemblée Nationale a adoptée l’amendement no 808 à l’article 40 de la Loi Macron, introduisant la notion de principe d’innovation dans notre législation. Ce principe impose aux services publics d’être administrés selon le meilleur état des techniques. Après navette entre l’Assemblée et le Sénat, le texte de la Loi Macron est revenu à sa rédaction d’origine et l’amendement Le Déaut a été éliminé. Aucun principe légal d’innovation n’existe donc aujourd’hui en France.

Innovation, précaution et protection

Le principe d’amélioration continue est par définition favorable au progrès économique. Il consacre en amont le rôle fondamental des créateurs dans la production de richesse. Reste à mettre en œuvre le corollaire du principe d’innovation : la propriété de l’auteur sur sa création. Selon une définition empruntée au droit romain, «la justice est une volonté ferme et perdurable qui attribue à chacun ce qui lui revient». A qui appartient l’innovation, sinon à son créateur.

Ce n’est en effet, le plus souvent, pas le législateur qui protège, même si le pouvoir lui en donne parfois l’illusion. Ce sont les mesures prises pour mettre en application la loi. La loi ne décrète pas l’arrêt des maladies, c’est le progrès technique qui permet leur réduction. Les progrès récents montrent que ce n’est pas tellement la limitation législative et réglementaire qui a réduit les excès de vitesse des véhicules. C’est, on l’a vu, la loi plus les compteurs, les régulateurs de bord, les radars à l’extérieur et les ordinateurs distribuant les pénalités, qui déterminent l’efficacité de la précaution « limite de vitesse ».

➡️ La précaution implique une bonne expression légale de la demande d’innovation. Si le droit du créateur est bien reconnu, ce dernier trouvera aisément des moyens pour financer l’innovation et le développement du principe de précaution.
➡️ De la reconnaissance de la paternité morale et matérielle du créateur sur l’innovation, découle le renforcement de la responsabilité des acteurs économiques et donc la bonne mise en œuvre du principe de précaution. Le créateur responsable peut prendre des engagements sur ses innovations. Il peut notamment contracter des clauses de territorialité et d’emploi avec les collectivités publiques, notamment en échange de financement et d’avantages divers. Tout un droit peut s’édifier en matière de protection de l’environnement autour du rôle du créateur – gardien et responsable de ses innovations.
➡️ À cet égard le principe d’innovation est bien de nature législative. Il touche à l’un des droits les plus fondamentaux de l’être humain : celui que détient le créateur sur l’œuvre produite par son travail. C’est particulièrement vrai pour le travail créateur qu’est l’innovation. C’est pourquoi le droit du créateur sur l’innovation est inscrit dans la déclaration universelle des droits de l’être humain (Article 27). Il fait partie des libertés fondamentales.

On voit bien qu’innovation et précaution sont à la fois des droits fondamentaux et très complémentaires.
Il n’y a rien au demeurant de choquant à ce qu’ils fassent partis l’un et l’autre du corpus législatif national et européen. Mais une fois de plus un droit ne vaut que si on l’utilise, une loi ne vaut que si on l’applique effectivement dans son esprit initial.

Dans cette affaire, car nos politiques sont devenus les sujets des lobbyistes et parce que l’on cherche à hiérarchiser ces deux principes, ce concept tel qu’il nous est proposé, ressemble à une attaque contre le principe de précaution qui nuit manifestement aux profits d’industries polluantes et dangereuses.
Ces dernières cherchent plutôt à utiliser ce principe pour saper les lois communautaires sur les produits chimiques, les nouveaux aliments, les pesticides, les nano-produits et les produits pharmaceutiques, ainsi que les principes juridiques de protection de l’environnement et de la santé humaine inscrits dans le traité de l’Union européenne.

MM.

Problème de santé mentale, qu’une question de coût ?

Le rapport annuel de l’Organisation de Coopération et de Développement Economique (OCDE) sur la Santé en Europe a été publié.
« Les problèmes de santé mentale coûtent à la France 80 milliards d’euros par an, soit 3,7% points de son PIB, selon le rapport annuel de l’Organisation de coopération et de développement économique (OCDE) sur la Santé en Europe publié jeudi 22 novembre ».


Voilà un bon exemple de ce type d’étude, d’une grande utilité, qui permet de mieux connaître et appréhender certains des grands enjeux économiques et sociaux qui traversent nos sociétés, surtout quand elle est réalisée de façon comparative sur plusieurs pays européens.

N’en déplaise à Manuel Valls et à ses acolytes, pour agir efficacement, encore faut-il connaître la situation, dans toute sa complexité et sa diversité, pour pouvoir faire un diagnostic et expliquer les enjeux.

Mais aussi un bon exemple de ce type d’institutions internationales (l’OCDE ici), sans aucun doute utile à certains égards, qui malheureusement vit trop souvent dans un monde parallèle qui confère à la cécité.
N’en déplaise aux gardiens de l’orthodoxie qui les habitent, ces entités sont décidément incapables de voir plus loin que leur petit livre rouge (le bien nommé) de leurs dogmes libéraux.

➡️ Il y a urgence à mieux prendre en charge la santé mentale alerte l’OCDE dans son Panorama de la santé, alors que 84 millions d’Européens (soit plus d’un sur six) sont concernés et que 84.000 décès intervenus en 2015 étaient imputables à des problèmes de santé mentale, suicides compris. Dans son opus 2018, l’OCDE tire la sonnette d’alarme non seulement pour améliorer la qualité de vie des patients mais aussi en raison du coût induit pour la société, estimé à 4% du PIB, soit 600 milliards d’euros, pour les 28 pays de l’Union Européenne. Un montant qui se décompose en 190 milliards (1,3% du PIB) de dépenses de santé, 170 milliards (1,2%) de dépenses sociales, auxquelles s’ajoutent 240 milliards (1,6%) de coûts indirects liés à un taux d’emploi et à une productivité plus faible parmi les personnes concernées.

En France, les coûts directs et indirects des problèmes de santé mentale sont estimés à environ 3,7% du PIB, soit plus de 80 milliards d’euros, dont plus de 25 milliards d’euros de coûts indirects, liés à un taux d’emploi et à une productivité plus faible.

«L’OCDE a établi un panel très large de personnes ayant des problèmes de santé mentale : des schizophrènes jusqu’aux personnes souffrant de déprime légère ou celles dépendantes à l’alcool».
La France ne se démarque pas par rapport à ses voisins européens. Les problèmes de santé mentale coûtent très cher aussi à l’Allemagne, au Danemark, aux Pays-Bas, au Royaume-Uni, à l’Espagne et à l’Italie.

➡️ Le constat général de cette étude, la possibilité de chiffrer effectivement ces problèmes de santé publique, sont des éléments d’analyse intéressants qui peuvent étonner par leur ampleur un citoyen peu au fait de ces questions. Le caractère européen de la situation devrait également interroger, mais nulle part l’OCDE ne semble faire un lien avec la très grande convergence des modes économiques de développement, des modes de consommation ou de la détérioration des conditions de travail. Plus remarquable encore, est la « profondeur » des recommandations de l’OCDE.
«Pour réduire ces coûts, l’OCDE recommande à la France, mais aussi à ses voisins européens, de mettre davantage l’accent sur la prévention des problèmes de santé mentale, sur les diagnostics précoces. Plus un patient est pris en charge tôt, moins son état se dégrade. L’OCDE recommande aussi à la France de s’intéresser en particulier à deux publics, parmi les plus touchés, les chômeurs et les retraités».
Un rapport d’une institution internationale reste un rapport d’une institution internationale ! Pas de miracles, il n’y a qu’un seul objectif, réduire les coûts. Comment ? En détectant le mal-être mental le plus tôt possible après son déclenchement. On aurait pu essayer d’agir sur les conditions rendant possible de tels mal-êtres. N’y pensez pas !
Soyons plus clairs. Que faire face au développement croissant de maladies mentales liées au travail ? Les détecter très rapidement, c’est sans doute pour cela que la médecine du travail est en train d’être sacrifiée.

Que faire face aux deux populations les plus touchées, chômeurs et retraités ?
Les diagnostiquer très rapidement.
Quant aux causes… À l’OCDE on pense que ce n’est pas parce qu’on aura identifié les causes premières de ces maladies qu’on diminuera immédiatement les coûts. Parce qu’un malade c’est un coût, et un coût est un coût.

Et puis tout ceci est un peu dommage, car notre institution libérale a mis le doigt sur un second phénomène. Elle souligne en effet que l’augmentation de l’espérance de vie ralentit dans l’Union Européenne. En France, l’espérance de vie est parmi les plus élevées de l’Union européenne : l’Hexagone se situe au 3è rang après l’Espagne et l’Italie. Mais il y a eu un net ralentissement de la croissance de l’espérance de vie en France ces dernières années, particulièrement chez les femmes où elle a stagné entre 2011 et 2016. Le Royaume-Uni, l’Espagne ou l’Allemagne connaissent le même phénomène.
Sans pouvoir fournir « d’explications complètes » (sic), l’OCDE estime que cette stagnation de l’espérance de vie est due au moins en partie à des augmentations de mortalité parmi les personnes âgées au cours des mois d’hiver, ces dernières années, liées notamment à la grippe et ses complications. À cela s’ajoute un ralentissement de la réduction de la mortalité liée aux maladies cardiovasculaires (crises cardiaques ou AVC) parmi l’ensemble de la population, possiblement liée à l’augmentation de certains facteurs de risque comme l’obésité, le manque d’activité physique et le diabète.
Ne cherchez pas les mots pollutions, alimentation déficitaire, conditions de travail, de transport, insalubrité de logement… c’est tellement mieux quand c’est la faute des maladies.

Avec l’OCDE, tout est conforme au modèle et on a la solution : les gens sont malades, ça coûte un « pognon de dingue », mais comme la maladie finit par les tuer, on devrait finir par diminuer les coûts.

MM.

Sanofi, un groupe pharmaceutique qui vous veut du bien

Une «bonne» nouvelle et quelques questions…

La «bonne» nouvelle c’est le journal Le Monde du 09 Juillet 2018 qui s’en fait l’écho (ici) : «Le groupe pharmaceutique a annoncé, lundi, l’arrêt immédiat de la production de son usine chimique, devant le tollé suscité par des informations sur ses émissions hors norme de rejets toxiques », « afin d’opérer les améliorations techniques indispensables à un retour à la normale ».
En cause, des rejets dans l’atmosphère de substances dangereuses dans des quantités très supérieures aux limites autorisées. «Toutes les conditions en matière d’émissions et d’absence de risques pour les salariés et les riverains devront être réunies pour que l’État puisse autoriser une reprise de l’activité du site», a indiqué le gouvernement mardi 10 juillet.

On a bien fait de mettre des guillemets à bonne pour « bonne » nouvelle. À la limite, ça ne devrait même pas être une nouvelle… ou alors nous n’avons plus qu’à nous réjouir qu’une entreprise pharmaceutique qui ne respecte pas les règles élémentaires qui lui sont imposées, qui s’en rend compte mais ne fait rien, décide, parce que la presse s’en empare, de stopper son petit jeu de massacre. Nous devrions même lui donner une médaille pour cet acte de bravoure !

Parce que malheureusement, nous en sommes un peu là : un politicien corrompu qui est condamné à un ou deux ans de sursis, et le pays d’applaudir et de louer la sévérité de la justice, alors qu’il aurait pris du ferme et beaucoup plus dans la plupart des autres pays européens. Une banque qui négocie (et donc est exemptée de toute condamnation judiciaire) une amende de dix millions d’euros, et le peuple qui se réjouit que les fautes soient punies, sans que personne ne se demande combien de profits l’entreprise a pu engranger avec ses malversations.
Applaudissons tous en cœur l’extraordinaire acte de bravoure de Sanofi… et surtout pas de mauvais esprit à reparler du scandale maison de la Depakine.

Donc «aux grands maux, les grands remèdes», l’arrêt immédiat de l’usine a été annoncé ce 09 juillet. Dans un souci d’exactitude, on rappellera néanmoins qu’en octobre 2017, les rejets toxiques constatés dépassaient déjà toutes les normes… Si le temps ne fait rien à l’affaire, il aura quand même fallu attendre (quoi?) pour enfin décider d’interrompre «momentanément » toute production afin effectuer sur le site les travaux nécessaires pour un retour à la normale des valeurs. « Mieux vaut tard que jamais » dira l’optimiste, on peut donc se féliciter sur ce point et ne plus porter trop d’attention aux premières expertises alarmantes qui semblent s’être évaporées en même temps que les rejets incriminés.

Tout ceci pour nous ramener au sujet de l’alerte. Si alerter, que ce soit de la part de lanceurs -dont ce peut être l’obligation professionnelle mais en aucun cas le métier- ou d’autorités de contrôle dédiées -dont c’est la raison d’être- c’est prévenir pour que soit mis fin aux dysfonctionnements constatés; ne rien entendre ou tenter de minimiser le problème est un manquement grave à l’exercice de sa mission.
Dans le cas présent la passivité (pour ne pas dire plus) de l’entreprise et des autorités publiques, aurait pu avoir raison de la santé des riverains sans que des médias décident d’assumer d’alerter conduisant à la décision que l’on connaît.
Une fois de plus nous avons confirmation : nous ne pouvons guère faire confiance à un auto-contrôle des entreprises, le «rien faire», synonyme de dépenses non engagées, étant toujours (et on pourrait même dire « naturellement ») la décision privilégiée ; les autorités de contrôle sont déficientes ou inefficaces, en l’absence de moyens, d’un réel pouvoir de contrainte et d’une véritable autonomie par rapport aux industriels, elles ne remplissent que d’une façon parcellaire leur mission.

Revenons tout de même à la question centrale : comment Sanofi peut-elle sciemment rejeter jusqu’à 190 000 fois la norme autorisée de bromopropane, une substance classée comme cancérigène, mettant en danger la santé de ses salariés et des habitants de Mourenx ?
D’après le journal Mediapart qui a révélé l’affaire (ici), Jade Lindgaard, auteur de l’article va plus loin dans son enquête : «Mais les anomalies de l’usine de Sanofi à Mourenx ne s’arrêtent pas là. C’est lors d’une visite d’inspection, en septembre 2017, que des inspecteurs de l’environnement ont découvert que deux cheminées du site ne faisaient l’objet d’aucune mesure alors que le suivi des rejets de COV est obligatoire. Ils l’ont donc réclamé.
Sanofi s’est plié à leur demande plus d’un mois plus tard, en octobre. Les dépassements astronomiques de rejets de COV sont signalés dans une note interne de février 2018 »
et de rajouter que « Selon Patrick Mauboulès, de la Sepanso (Société pour l’Étude, la Protection et l’Aménagement de la Nature dans le Sud-Ouest), la situation est d’autant plus inquiétante qu’il y a des raisons de penser que ces rejets excessifs se produisent depuis 2012, date de la mise en place d’un nouveau procédé de fabrication sur le site ».
Question: Entre 2012 et 2017 aucun contrôle n’aurait été ni fait ni réclamé, pas même pensé?

Voilà donc un nouvel adage pour une nouvelle ère : «qui va vérifier s’il y a des anomalies, s’expose à en trouver».
C’est bien connu, alerter étant source d’angoisse, mieux vaut se taire… En effet, toujours selon Mediapart, «Patrice Laurent, le maire de Mourenx, dont certains habitants vivent à quelques dizaines de mètres du site, a appelé à ne pas alerter la population et à respecter «la sérénité», pour continuer à vivre et travailler en sécurité sur cette zone».
Tout va bien puisque «à la suite d’une rapide étude des risques sanitaires, le groupe Sanofi considère que les rejets de son usine ne sont pas dangereux pour la santé des riverains».
On a eu chaud ! Si ignorer le danger c’est «travailler en sécurité» , alors ignorer le thermomètre en cas de fièvre, c’est vous garantir la pleine forme ?

Ne rien voir, ne rien entendre, ne rien dire.
Il nous manquait le dernier pied pour que la chaise soit bien stable, « ne rien faire » : «Représentants écologistes et syndicaux s’alarment, mais l’État ne sanctionne pas».

MM.

Lactalis : la mariée était trop belle

Et voilà Lactalis à nouveau dans les feux des projecteurs suite aux révélations le 19/02/2018, d’anciens salariés d’un Laboratoire nantais mandaté par elle, pour la détection d’allergènes sur ses échantillons.
Le principe est simple, peu importe le résultat, ce dernier doit et quoi qu’il arrive, devra être nécessairement satisfaisant.
Tel un jeu d’enfant, si les premiers résultats ne sont pas ceux escomptés, il suffirait (selon les techniciens) sur la base « d’échantillons spécifiques », relancer de nouveaux tests et ce en boucle jusqu’à obtention (enfin!) d’un résultat « négatif », pour délivrer le feu vert sanitaire à sa cliente.

Une sorte de fardage, histoire de cacher les travers où l’apparence semble être pour Lactalis comme pour le laboratoire le seul but de ladite recherche : le maquillage comme méthode corrective, trouver le bon fard, voilà l’objectif.
Une mariée potentielle telle Lactalis doit être belle, et pour ce faire, il faut savoir la satisfaire… La voilà enfin prête, le « mariage » entre le Laboratoire et Lactalis scellé : un contrat à plusieurs millions d’euros en ces temps où la concurrence entre prétendants s’est accrue, pour ne pas perdre « la reine », mieux vaudrait ne pas décliner ses attentes. L’effort de la contrepartie pour que Lactalis soit heureuse et fidèle consiste en un peu de maquillage… Quand on est un laboratoire (non de cosmétique à l’origine mais que nenni) un peu de bluff, pardon de blush, ne se refuse pas à la mariée à la fois exigeante sur le résultat et généreuse contractuellement ! [Pour ce « contrat à plusieurs millions d’euros », on s’arrange !] Bref, mieux vaut savoir la servir pendant des années pour qu’elle vous le rende bien ; les deux protagonistes semblaient visiblement heureux de leurs bons procédés jusqu’à ce jour de décembre 2017 où patatras … le vrai visage de Lactalis apparait tout comme, quelques mois après, celui du laboratoire qui avait contribué durant des années à lui fournir un camouflage en voie d’altération.
Voilà qu’interviennent un beau matin au micro d’Europe 1 (ici), les anciens témoins du fumeux mariage, des ex-laborantins. Ceux même qui se seraient adonnés fut un temps, à la fabrication de la pâte tartiner…
« A chaque fois que le résultat obtenu n’était pas celui espéré, ça devenait un automatisme pour nous. Le responsable nous disait vous pouvez refaire l’analyse ». Interloqué par la méthode, un des techniciens témoins prévient sa hiérarchie. La réponse du marié : « nous ne maîtrisons pas tous les tenants et les aboutissants ». Dont acte et don’t act : fin de l’histoire. Un mariage c’est sacré!
La mariée, il fallait la pomponner et ne pas y aller de main morte ! Telle une acceptation consciente au détriment de la loi et au mépris toutes procédures scientifiques les plus élémentaires, pour ne pas nuire au pacte du couple, les témoins ont acté la remise à la mariée, de résultats manipulés: « On s’est souvent dit entre nous qu’un jour, un scandale sanitaire allait arriver. Parce qu’on rendait des résultats qu’on savait biaisés », déplore-t-il.
Quant à l’alerte, lancée auprès de la Direction, si elle n’a pas été entendue, a-t-elle été tout au moins maintenue ? Appuyée ? Réitérée ?
Maintenant que les masques tombent, la parole semble à priori plus facile pour les témoins: serait-ce dû à l’écoute médiatique enfin devenue disponible ? Ou simple opportunité pour ces ex laborantins à vouloir remettre les pendules à l’heure maintenant que tout explose ? Et ceux qui semblaient avoir eu peur à l’époque [L’un des salariés affirme même avoir eu « peur de Lactalis »], de quelle peur parle-t-on et pourquoi aurait-elle subitement disparue ? La peur servirait-elle d’excuse comme pour expier une forme de lâcheté qui expliquerait de facto l’absence de lanceurs d’alerte tant chez Lactalis que dans le Laboratoire ?
Pourtant, -et c’est bien ce qui est triste- rappelons qu’à tout mariage avec témoins, qu’il soit officieux et d’intérêt, il y a cette fameuse phrase « Si quelqu’un a quelque raison que ce soit de s’y opposer, qu’il parle maintenant, ou se taise à jamais ! ».
Pour ce qui est de l’auto-contrôle, tel l’exemple de Lactalis qui doit recourir à un laboratoire pour se faire valider des données essentielles à l’intérêt général, si le cœur, pardon, l’intérêt financier l’emporte sur la raison, il est parfaitement clair que ça ne peut en aucun cas fonctionner.

MM.

Irène Frachon contre Servier

Procès Mediator: « Un soulagement » pour Irène Frachon
Les juges d’instruction ont renvoyé devant le tribunal correctionnel de Paris les laboratoires Servier, ainsi que l’Agence du médicament, dans le volet principal du scandale du Mediator. Irène Frachon, la lanceuse d’alerte et pneumologue au CHU de Brest, parle d’un « immense soulagement ». Toutefois, elle n’ose espérer la tenue du procès avant 2019.

Mediator: les laboratoires Servier renvoyés devant le tribunal correctionnel
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Irène Frachon : le procès des laboratoires Servier « met fin à une insupportable attente pour les victimes » du Mediator

Procès des laboratoires Servier
Les laboratoires Servier et l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) sont renvoyés en correctionnelle dans l’affaire du Mediator. Ils sont poursuivis respectivement pour « homicides involontaires par violation délibérée » et « homicides involontaires par négligence ». Quatorze prévenus et onze personnes morales sont concernés par ce renvoi. C’est un « immense soulagement », a expliqué Irène Frachon, pneumologue au CHU de Brest et qui avait lancé l’alerte sur le Mediator.
Un beau message à l’attention de tous les lanceurs d’alerte: la persévérance d’Irène confirme que le combat n’est jamais perdu, même face à de grands groupes.