Lactalis : la mariée était trop belle

Et voilà Lactalis à nouveau dans les feux des projecteurs suite aux révélations le 19/02/2018, d’anciens salariés d’un Laboratoire nantais mandaté par elle, pour la détection d’allergènes sur ses échantillons.
Le principe est simple, peu importe le résultat, ce dernier doit et quoi qu’il arrive, devra être nécessairement satisfaisant.
Tel un jeu d’enfant, si les premiers résultats ne sont pas ceux escomptés, il suffirait (selon les techniciens) sur la base « d’échantillons spécifiques », relancer de nouveaux tests et ce en boucle jusqu’à obtention (enfin!) d’un résultat « négatif », pour délivrer le feu vert sanitaire à sa cliente.

Une sorte de fardage, histoire de cacher les travers où l’apparence semble être pour Lactalis comme pour le laboratoire le seul but de ladite recherche : le maquillage comme méthode corrective, trouver le bon fard, voilà l’objectif.
Une mariée potentielle telle Lactalis doit être belle, et pour ce faire, il faut savoir la satisfaire… La voilà enfin prête, le « mariage » entre le Laboratoire et Lactalis scellé : un contrat à plusieurs millions d’euros en ces temps où la concurrence entre prétendants s’est accrue, pour ne pas perdre « la reine », mieux vaudrait ne pas décliner ses attentes. L’effort de la contrepartie pour que Lactalis soit heureuse et fidèle consiste en un peu de maquillage… Quand on est un laboratoire (non de cosmétique à l’origine mais que nenni) un peu de bluff, pardon de blush, ne se refuse pas à la mariée à la fois exigeante sur le résultat et généreuse contractuellement ! [Pour ce « contrat à plusieurs millions d’euros », on s’arrange !] Bref, mieux vaut savoir la servir pendant des années pour qu’elle vous le rende bien ; les deux protagonistes semblaient visiblement heureux de leurs bons procédés jusqu’à ce jour de décembre 2017 où patatras … le vrai visage de Lactalis apparait tout comme, quelques mois après, celui du laboratoire qui avait contribué durant des années à lui fournir un camouflage en voie d’altération.
Voilà qu’interviennent un beau matin au micro d’Europe 1 (ici), les anciens témoins du fumeux mariage, des ex-laborantins. Ceux même qui se seraient adonnés fut un temps, à la fabrication de la pâte tartiner…
« A chaque fois que le résultat obtenu n’était pas celui espéré, ça devenait un automatisme pour nous. Le responsable nous disait vous pouvez refaire l’analyse ». Interloqué par la méthode, un des techniciens témoins prévient sa hiérarchie. La réponse du marié : « nous ne maîtrisons pas tous les tenants et les aboutissants ». Dont acte et don’t act : fin de l’histoire. Un mariage c’est sacré!
La mariée, il fallait la pomponner et ne pas y aller de main morte ! Telle une acceptation consciente au détriment de la loi et au mépris toutes procédures scientifiques les plus élémentaires, pour ne pas nuire au pacte du couple, les témoins ont acté la remise à la mariée, de résultats manipulés: « On s’est souvent dit entre nous qu’un jour, un scandale sanitaire allait arriver. Parce qu’on rendait des résultats qu’on savait biaisés », déplore-t-il.
Quant à l’alerte, lancée auprès de la Direction, si elle n’a pas été entendue, a-t-elle été tout au moins maintenue ? Appuyée ? Réitérée ?
Maintenant que les masques tombent, la parole semble à priori plus facile pour les témoins: serait-ce dû à l’écoute médiatique enfin devenue disponible ? Ou simple opportunité pour ces ex laborantins à vouloir remettre les pendules à l’heure maintenant que tout explose ? Et ceux qui semblaient avoir eu peur à l’époque [L’un des salariés affirme même avoir eu « peur de Lactalis »], de quelle peur parle-t-on et pourquoi aurait-elle subitement disparue ? La peur servirait-elle d’excuse comme pour expier une forme de lâcheté qui expliquerait de facto l’absence de lanceurs d’alerte tant chez Lactalis que dans le Laboratoire ?
Pourtant, -et c’est bien ce qui est triste- rappelons qu’à tout mariage avec témoins, qu’il soit officieux et d’intérêt, il y a cette fameuse phrase « Si quelqu’un a quelque raison que ce soit de s’y opposer, qu’il parle maintenant, ou se taise à jamais ! ».
Pour ce qui est de l’auto-contrôle, tel l’exemple de Lactalis qui doit recourir à un laboratoire pour se faire valider des données essentielles à l’intérêt général, si le cœur, pardon, l’intérêt financier l’emporte sur la raison, il est parfaitement clair que ça ne peut en aucun cas fonctionner.

MM.

Monnaie de singe

Reconnaissons le rôle précurseur joué par Transparency France dans l’affaire qui nous occupe aujourd’hui.
Rappelons que cette Association a défendu bec et ongles dans le cadre de la Loi Sapin2, sans jamais vraiment se soucier de ce que pouvaient en penser les principaux intéressés à savoir les lanceurs d’alerte, la fameuse Convention Judiciaire d’intérêt Public (CJIP).
Celle-ci permet à une entreprise coupable de faits relevant des tribunaux pénaux, de ne jamais être condamné contre la simple reconnaissance des faits et le paiement d’une amende. Transparency et le Gouvernement de l’époque ont démontré à cette occasion, le peu d’intérêt qu’ils portaient aux lanceurs d’alerte (tout en feignant le contraire) et leur totale méconnaissance de la nature même de leur action.
Qu’attendent les lanceurs d’alerte si ce n’est la reconnaissance par une décision de justice du bien fondé de leurs dénonciations, seule solution leur permettant d’envisager une reconstruction personnelle et professionnelle ?
Qui peut croire au bout de tant d’années de combat qu’un lanceur d’alerte puisse se résoudre à retrouver devant lui une organisation pouvant clamer haut et fort qu’elle n’a jamais été condamnée?

Marchons dans les pas de Transparency France et allons un peu plus loin dans cette logique, l’actualité récente nous donnant matière à faire une nouvelle proposition: instaurons dans le droit français la peine : « Je m’excuse ».
D’un côté Lactalis qui a en toute connaissance de cause avec la complicité bienveillante de la grande Distribution, mis sur le marché des produits dangereux pour les consommateurs et, ce que beaucoup semblent oublier, interdits à la vente. A ce que nous sachions, quand le cartel de Medellin met sur le marché de la cocaïne, le premier réflexe qui vient, est qu’il s’agit d’un produit interdit à la vente, aux effets également dangereux. Bizarrement, y compris au gouvernement, concernant Lactalis, cela ne semble pas avoir été la première réflexion. Madame Agnès Buzin Ministre des Solidarités et de la Santé, nous explique en effet dans les jours suivant la mise en évidence de ce scandale, « que les excuses de Lactalis: pas sûr que ce soit suffisant  » ici
On serait en droit d’attendre d’une Ministre de la République, qu’elle soit avant tout scandalisée par le fait que cette société ait continué à commercialiser des produits nocifs interdits à la vente. A la place, on la découvre déjà réfléchir à quel degré de « peine » ce manquement déclencherait une sanction, comme s’il y avait quand on enfreint la loi, un plan B autre que celui passant nécessairement par la case justice.
Nouvel exemple tout récent avec l’affaire des essais de Volkswagen sur des êtres humains et des singes. On découvre cette magnifique déclaration du porte-parole de la Chancelière Merkel mais au combien révélatrice qui nous dit que de tels agissements sont injustifiables « d’un point de vue éthique » ici. Comme nous savons tous depuis Platon que l’éthique ou la morale n’ont pas grand chose à faire avec le droit et donc la justice, nous en déduisons que pour le porte-parole de Madame Merkel, les agissements de Volkswagen ne relèvent pas de ladite justice.
Cette société l’a très bien compris puisqu’elle nous a tout de suite livré son analyse de la situation: « Je m’excuse » ici. Un « je m’excuse » du type : « voilà ça c’est dit, passons maintenant à autre chose ». Certes, c’était pour les essais sur les macaques, il ne reste plus qu’à le réitérer pour les hommes.

Nous ne pouvons que conseiller à toutes les sociétés faisant l’objet d’instruction judiciaire, Lafarge par exemple ou telles ou telles banques, de se saisir de ce nouvel argument de défense qui semble imparable et bien compris de la classe politique: des excuses valent pardon et rédemption, inutile d’aller à l’église.

Si les peuples européens montrent un tel désaveu dans leur classe politique, une telle méfiance dans les systèmes judiciaires, un tel sentiment d’impunité pour les grandes sociétés et les puissants, cela vient aussi d’une dénaturation du sens même de l’exercice du droit relayé en cela par ceux qui ont justement la charge de le faire appliquer.

A ne pas y faire attention, ces petites incisions dans le corps de la justice où celui qui est mis en cause finit lui même par décider de sa peine (parce qu’au final dans la CJIP l’inculpé garde la main comme en témoigne la transaction signée avec HSBC), c’est la démocratie qu’on risque d’assassiner.
Finissons sur un exemple qui vient illustrer le propos et qui est d’autant plus inquiétant qu’il sort de la bouche d’un procureur de la République déclarant ainsi: « Ce n’est pas normal qu’il y ait si peu de déclarations de soupçons sur la Côte d’Azur. Les professionnels n’ont pas le courage de lâcher les chiens. » ici
Rappelons que les professionnels en question, Notaires et Agents Immobiliers, ont au titre du blanchiment les mêmes obligations que celles censées encadrer la profession bancaire. S’agissant de leurs responsabilités professionnelle et légale, il est étonnant et symptomatique de la bouche d’un Procureur de confondre Courage et Obligation.

A quand une justice du mea-culpa et des peines appréciées en fonction du niveau de courage de chacun?

MM.

Carte blanche à Yasmine Motarjemi lanceuse d’alerte chez Nestlé

MetaMorphosis est heureux d’accueillir la contribution de Madame Yasmine Motarjemi lanceuse d’alerte chez Nestlé, ex Directrice de la sécurité sanitaire des aliments.
Titulaire d’un doctorat en ingénierie alimentaire de l’Université de Lund en Suède, elle rejoint en 1990, l’Organisation mondiale de la santé à Genève en tant que scientifique senior. De 2000 à 2010, elle a occupé le poste de vice-présidente adjointe chez Nestlé et a travaillé en tant que responsable mondiale de la sécurité des produits Nestlé.

À la suite du scandale de l’épidémie de salmonelle liée à Lactalis, de nombreux réseaux sociaux ont soulevé la question: pourquoi n’y a-t il pas eu de lanceur d’alerte dans cette entreprise?
Yasmine Motarjemi répond à la question, dans la Tribune « L’ère de la dénonciation est arrivée ».

« Le problème est que le harcèlement psychologique et le licenciement abusif, suivis de chômage, menacent ceux qui osent protester contre la négligence. Le harcèlement psychologique est utilisé pour exercer des représailles contre les lanceurs d alerte, mais le harcèlement a également des répercussions sur le travail des employés, leur santé et la sécurité des produits, de multiples façons.

Le dimanche 7 janvier 2018, à l’occasion de la remise des Golden Globe, les vedettes de l’industrie l’industrie cinématographique étaient vêtues de noir pour manifester contre le harcèlement sexuel et montrer leur solidarité avec les victimes.

Certains cas de harcèlement ont eu lieu il y a plusieurs années et les victimes sont restées silencieuses. Certaines victimes ont accepté ce harcèlement dans le but de promouvoir leur carrière. Néanmoins, il est admirable que l’industrie cinématographique soit maintenant mobilisée pour purger le système et apporter un certain degré de moralité à leurs pratiques.

En revanche, dans l’industrie alimentaire, personne ne s’élève contre le harcèlement et le mobbing, que les raisons soient sexuelles, de jalousie, de discrimination, de représailles ou pour réduire au silence les lanceurs d’alerte. Pas plus les collègues que les associations professionnelles ou les autorités ne font preuve de solidarité avec les victimes. Elles ne manifestent aucun intérêt pour mettre fin à de telles pratiques.

Les conséquences du harcèlement moral pour les victimes sont profondes et durables. Leur vie est souvent irrémédiablement détruite. De telles pratiques de management devraient retenir l’attention du public.

Dans l’industrie alimentaire ou dans d’autres industries telles que les produits pharmaceutiques, les transports, les produits chimiques, etc., de tels événements auront une incidence sur la sécurité des biens de consommation et de l’environnement, ainsi que sur la santé et le bien-être des personnes. Je pense que l’industrie alimentaire et les autres secteurs d’activité devraient apprendre de l’industrie cinématographique et mettre un terme à ces pratiques qui peuvent ruiner la vie.

La balle est dans la cour des dirigeants et de la haute direction, en d’autres termes, les vedettes du secteur alimentaire ».

Yasmine Montarjemi

Version originale en anglais: ici

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En savoir plus:

Du journal Le Monde : Une ancienne de Nestlé dénonce la gestion défaillante du groupe en matière de sécurité alimentaire

Article Yasmine Journal -L'Essor- Fév 2015 by France Culture on Scribd

Lettre de Yasmine Motarjemi à M.Schneider by Le Lanceur on Scribd

Lactalis: de l’intérêt général aux intérêts privés.

Rappel : Selon les informations du Canard enchaîné (du 3 janvier 2018), le géant des produits laitiers a tu les conclusions d’enquêtes internes menées dès le mois d’août 2017 par Lactalis Nutrition Santé. Ces dernières rapporteraient bien la présence de salmonelles sur du matériel de nettoyage et sur des carrelages dans l’usine de Craon en Mayenne.
L’affaire du lait contaminé commence donc là, par la conséquence: 37 nourrissons, âgés de 2 semaines à 9 mois, ont été atteints de salmonellose, quelques cas en Europe, comme en Espagne et en Grèce.
Ce n’est que le 2 décembre 2017, une fois le risque de contamination confirmé par l’agence Santé publique France, que Lactalis enclenche une première procédure de rappel et de retrait de concernant douze références suivi d’un retrait massif de laits infantiles le 10 décembre.

Voilà où nous en sommes, attendons la fin des enquêtes en cours pour connaitre les responsabilités effectives de chacun.
Au-delà du cas précis de Lactalis, cette affaire nous semble révélatrice et concerner directement les lanceurs d’alerte à plus d’un titre.
– l’alerte au sein de l’entreprise: si l’alerte a été lancée, une fois de plus il apparaît qu’elle n’a pas suffisamment voire pas du tout été prise en compte.
Au-delà des questions de rapports de force aux sein des Sociétés et précarisation de l’emploi salarié, il nous semble que le processus d’alerte entériné notamment par la loi Sapin2 est insuffisant ou mal calibré. On ne peut se limiter à une seule alerte interne si concomitamment n’est pas réalisée l’alerte auprès d’une instance de contrôle, régulation, ou judiciaire. Nous touchons là à l’une des principales limites de la loi Sapin2 qui contraint le lanceur à respecter un processus d’alerte, attendre les délais de prise en charge ou non, certes en l’encadrant dans l’entreprise mais l’expérience nous apprend que pour les alertes portant sur les sujets graves, la hiérarchie est soit déjà informée soit complice et qu’il existe moult motifs qui permettront de marginaliser voire se défaire assez rapidement du lanceur.
– Le cas Lactalis est révélateur d’un dysfonctionnement grave des Autorités de contrôle, et ce quelque soit le secteur d’activité. Comme expliqué dans l’article de Libération paru ce jour et à consulter ici, « cette crise sanitaire n’est pas qu’un simple accident de parcours mais l’échec d’un système basé sur un principe d’auto-contrôle ».
Il y a dans le contrôle étatique à la française, un présupposé selon lequel l’Etat, représentant l’intérêt général, pourrait faire confiance à des entreprises ou à un secteur d’activité représentant des intérêts personnels ou catégoriels. C’est une erreur de sens, les deux intérêts étant par définition opposés, on ne peut donc se satisfaire de ce système d’auto contrôle où des professionnels surveillent d’autres professionnels ou des banquiers contrôlent des banquiers ou des notaires contrôlent des notaires…
Loin de nous l’idée que tous les professionnels défendront systématiquement leurs intérêts personnels, mais il en relève de la responsabilité de l’Etat par principe et par précaution, de s’assurer que lesdites instances de contrôles bénéficient d’une indépendance suffisante pour exercer leur fonction dans l’intérêt général.

Les exemples sont malheureusement nombreux où l’Etat a abandonné son rôle de défense de l’intérêt général à des intérêts privés ou corporatistes aux conséquences prévisibles et dont l’affaire Lactalis n’est qu’une nouvelle illustration.

MM.