UBS, une affaire d’Etat

Février 2019, le Tribunal Correctionnel de Paris condamne en première instance la filiale française de la plus grande banque Suisse, Ubs, à payer 4,5 milliards d’euros dont une amende record en France de 3,7 milliards pour démarchage bancaire illégal et blanchiment aggravé de fraude fiscale outre 800 millions d’euros obtenus de dommages et intérêts.

C’est à l’occasion du procès en appel qui se déroule actuellement à Paris depuis le 08 mars et jusqu’au 24, qu’Antoine Peillon journaliste et auteur de « Ces 600 milliards qui manquent à la France  » avec Nicolas Forissier co-fondateur de MetaMorphosis et ancien auditeur interne de la banque, reviennent ensemble sur l’affaire Ubs.

Ubs, une affaire d’Etat.

MetaMorphosis tient à remercier Antoine Peillon pour la qualité de ses interventions, Ishta photographe et Longs Formats.

« Parce que la vérité se meurt dans le silence… » M.M.

Carte blanche à Philippe Pascal, lanceur d’alerte ex inspecteur de l’URSSAF

Semaine importante mais aussi difficile. Plus de 10 ans après le contrôle et la perquisition d’un hôtel restaurant, plusieurs audiences au tribunal et des années de galère, je serai confronté à ceux qui ont changé ma vie : un homme politique employeur et l’URSSAF qui était mon employeur mais qui ne m’a pas soutenu.

Après deux années de pause, le combat reprend. Je raconte cette étrange période dans un livre « J’accuse l’URSSAF » qui sortira dans quelques semaines.

Merci à tous ceux qui m’ont soutenu et surtout à ceux de mes amis (ceux qui restent car j’en ai perdu pas mal !) qui m’ont maintenu leur amitié et leur confiance malgré les rumeurs et le dénigrement permanent subi pendant de longs mois.

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Si j’écris ces quelques lignes, ce n’est pas pour m’épancher mais parce que beaucoup de soutiens m’ont demandé le compte rendu de cette audience matinale. Et là je suis nerveusement et mentalement un peu fatigué, prêt à m’effondrer. Donc je fais une synthèse générale de l’audience.

Ce matin a été très difficile pour moi. J’ai déposé plainte pour dénonciation calomnieuse et plainte abusive. Le magistrat Marchal m’avait poursuivi pour recel d’un enregistrement privé alors que j’avais remis cet enregistrement qui relatait un entretien de licenciement entre un salarié et son employeur. Il démontrait le recours au travail illégal. Ne pas transmettre cette cassette aurait été une faute professionnelle et d’ailleurs le magistrat Villardo avec lequel j’avais instruit le dossier m’avait demandé de lui transmettre ; ma directrice avait signé cette transmission par article 40 du CPP.

Bref il s’agissait clairement, de la part de M. Mariani et Morice, d’une plainte bâillon destinée à me faire taire (ils me connaissaient mal…..) puisque je n’avais fait que mon travail.

Ce matin j’ai vraiment eu l’impression d’être l’accusé.

Maître Morice et son assistant zélé m’ont assailli de questions qui n’avaient rien à voir avec l’objet de la plainte, créant un habile écran de fumée. Heureusement le président a à plusieurs reprises rappelé à M. Morice que je n’étais pas l’accusé et qu’il fallait revenir à l’objet de la plainte.

Il y a tellement de détails que je ne peux tous les évoquer ici mais sachez que j’ai eu réponse à tout.

Les accusations sans preuve, la calomnie, les rumeurs nauséabondes, j’ai eu droit à tout pour me déstabiliser mais j’ai réussi à tenir le coup.

Le seul moment où j’ai failli me lever de ma chaise pour sauter à la gorge du ténor du barreau parisien c’est quand il a évoqué ma sœur. Mon avocate m’a pris par le bras pour me faire rasseoir. En effet, pour mémoire, ma sœur Annie qui était rédactrice en chef de l’hebdo le comtadin un jour m’a demandé de lui donner des infos sur le dossier Mariani, je lui ai dit, « si tu en veux téléphone au Proc, moi je ne peux rien dire« … ce qu’elle a fait. Et le magistrat lui a fait des révélations lui laissant entendre une prochaine garde à vue. Aussi a-t-elle titré, interrogativement « M. Mariani en G.A.V ? » . Lorsqu’il a su que la journaliste était la sœur de l’inspecteur de l’URSSAF bien sûr il y a eu déchaînement de la part du notable. Et comme il connaissait bien le directeur de cet hebdo, M. Riccobono, Annie a été licenciée. S’en est suivi un burn-out et des tumeurs successives jusqu’à sa mort le 28 février 2018.

Malgré les menaces et procès incessants je suis toujours vivant mais ma sœur a payé de sa vie la puissance d’un homme politique. Alors, que cet avocat évoque cet article et ma sœur m’a donné envie de lui rentrer dedans. Je sais qu’en écrivant ça je m’expose encore…. au point où j’en suis !

L’autre point important lors de cette matinée est que Me Morice me reproche de dire qu’il y a connivence entre son client et l’URSSAF. Il est clair que la direction régionale et le conseil d’administration MEDEF ont clairement pris parti pour celui qui a été verbalisé et redressé contre leur inspecteur. L’URSSAF ne s’est d’ailleurs pas porté partie civile lorsque j’ai porté plainte, à la demande de M. Villardo, suite aux menaces agressions et intimidations que j’ai subies. Et cette absence de soutien a conduit le magistrat Marchal à classer ma plainte sans suite.

Et ce matin il y a eu un rebondissement extraordinaire qui démontre irréfutablement cette connivence. En effet, en 2013 j’avais écrit à M. Clément directeur régional de l’URSSAF PACA pour lui dire qu’il était scandaleux que la direction de l’URSSAF prenne le parti du fraudeur plutôt que celui de son inspecteur, je lui ai fait tant de reproches qu’il m’a mis en conseil de discipline pour manque de discernement et dénigrement de la hiérarchie. Pour moi ce n’était pas du dénigrement mais la vérité des faits, bref…. Eh bien, tenez vous bien, que croyez vous que M. Clément a fait ? Il a envoyé copie de ma lettre, document interne à l’URSSAF, pour rendre service au notable et étayer sa défense. M. Morice a je crois fait une grosse erreur en lisant cette lettre où je traite c’est vrai son client de parrain du Vaucluse mais ce n’était pas destiné à être public, ce n’était que mon sentiment né de tout ce que je subis depuis 10 ans. Car je persiste et signe j’en veux plus à la direction de l’URSSAF qu’à M. Mariani car eux étaient tenus à un devoir éthique et à respecter la déontologie. Et aujourd’hui M. Morice a démontré qu’il y a bien complicité entre la direction de l’URSSAF et son client puisque le directeur d’e l’URSSAF PACA envoie la correspondance de son inspecteur à un cotisant qui a subi un contrôle et qui est en procès contre lui ! Incroyable non ?! Je me réserve donc le droit de porter plainte contre M. Clément qui a clairement démontré de quel côté il se place.

Le délibéré est fixé au 17 mars à 14 heures.

J’espère que justice sera rendue mais dans tous les cas je suis prêt à me battre, encore et toujours.

Philippe Pascal

Lanceurs, on a les moyens de vous faire taire !

Nous en parlions ici même, il y a quelques jours, à propos de la Tribune de Maître Fedida: la Directive européenne de protection des lanceurs d’alerte sera retranscrite en droit français. Mais à quelle sauce ? Après quels renoncements ou altérations ? En un mot, à quel prix pour les lanceurs ?

Comme nous l’indiquions, Maître Fedida a lancé les grandes manœuvres, lui sur le registre de l’inutilité d’une telle Directive, le monde économique et politique n’étant mû que par la bienveillance et la recherche de l’intérêt général, ce qui fait des lanceurs des parasites inutiles motivés par des sentiments de délation et de paranoïa . En théorie.
En pratique, une autre manœuvre est en cours, celle du Ministre de la justice Dupond-Moretti qui n’enlève rien à sa profonde détestation des lanceurs/ délateurs.


Un peu à l’image de ce qui avait été fait avec la loi Secret des Affaires pour contrebalancer la loi Sapin2, il s’agit ici de se dire que la directive européenne sera plus ou moins retranscrite dans ses termes initiaux et qu’alors la meilleure façon de s’y opposer est de poser des garde-fous au travers de nouveaux textes venant limiter la portée de la Directive et/ou compliquant le travail des magistrats instructeurs.
C’est tout l’esprit du projet « Legal Privilege » défendu par Macron et le garde des Sceaux, qui vise à la création d’un avocat en entreprise qui pourrait se prévaloir auprès des autorités policières et judiciaires du secret professionnel des avocats.

Comme l’explique Mediapart dans l’article ci-dessus, une telle mesure empêcherait aux enquêteurs l’accès à d’importants documents dans les enquêtes qu’ils mènent…
Certes des garde-fous existent avec la possibilité de saisir le juge des Libertés et de la Détention pour obtenir lesdits documents, certes on nous explique qu’un tel dispositif existe dans d’autre pays mais en oubliant de rappeler que les prérogatives ne sont pas forcément les mêmes et que de tels dispositifs s’inscrivent essentiellement dans les pays soumis au droit anglo-saxon.

S’il n’est pas inutile d’indiquer que la majorité des avocats , de même que les principaux services judiciaires comme le Parquet National Financier ou encore le Parquet Anticorruption en charge d’enquêtes, sont contre un tel projet, nous voyons bien l’objectif visé: ralentir quand ce n’est pas décourager les magistrats enquêteurs. Comme l’indique l’un d’entre eux dans l’article de Mediapart, lors de perquisition, ils saisissent le maximum de documents pour en faire une étude postérieure, étude permettant bien souvent d’initier d’autres pistes de recherche.

En plaçant sous le secret professionnel un certain nombre d’études, d’avis et documents juridiques réalisés par l’avocat d’entreprise, ces éléments devenant ainsi insaisissables, c’est toute la rapidité et la profondeur des enquêtes qui sont atteintes.


Un tel dispositif, s’il venait à être voté par le Parlement, aurait bien évidemment un impact notable sur les lanceurs d’alerte. Nous pensons notamment à ceux des métiers de la finance et de la banque où les alertes réalisées reposent dans la plupart des cas sur les avis juridiques des services internes; si ces documents devenaient inaccessibles pour les juges instructeurs, la parole du lanceur s’en trouverait fortement amenuisée, les affaires de corruption, de blanchiment étant bien souvent réalisées aux travers de mécanismes juridiques et financiers conçus, mis en œuvre et validés par les services juridiques des entreprises. En leur sein, l’existence d’un avocat bénéficiant du secret professionnel rendrait la tâche des lanceurs d’alerte (qui seraient donc systématiquement accusés du viol du secret professionnel ) plus compliquée, celle des services d’enquête dans le meilleur des cas ralentie si ce n’est pas entravée. Par conséquent, la directive de protection des lanceurs d’alerte dont l’esprit principal est l’universalité des domaines et canaux d’alerte serait de-facto fortement impactée.


Après la théorie Fedida, voilà la technique Dupond-Moretti. Leur combat est le même: faire taire les lanceurs. Sinon, les contrecarrer en mettant en œuvre des dispositifs pour que, Directive européenne ou non, entreprises et politiques puissent continuer leurs affaires sous le sceau du secret. Les lanceurs, eux, prêcheront un peu plus dans le désert.


Enfin, nous noterons le Timing : Dupond-Moretti fait le forcing auprès du Parlement pour que le texte sur le « Legal Privilege » soit présenté d’ici fin mars avec un vote dans les mois qui suivent… alors que la Directive européenne de protection des lanceurs doit être retranscrite dans le droit français… au plus tard au 31/12/2021.

Affaire à suivre…

MM.

« Il ne faut pas avoir peur de la vérité  »

« Il ne faut pas avoir peur de la vérité » ( Albert II ) ou les tribulations d’un juge honnête dans la Principauté de l’entre-soi, des secrets et de l’omerta.

Nous vous invitons à voir ou revoir le Pièces à Conviction du 10 juin 2020 intitulé « Scandales à Monaco, les révélations d’un juge ».

Vous saurez tout sur la fameuse affaire Rybolovlev, « amabilités » de la police, de la justice et de tout ce que Monaco compte de personnages « importants » à son égard, le mal fou que tout ce beau monde se donne pour empêcher un juge français détaché de tout simplement rechercher la vérité.

Ce juge est Edouard Levrault. Il intervient tout au long du reportage et au terme de sa diffusion, dans une interview dont nous avons repris ici les principaux passages.

Nous ne pouvons qu’être reconnaissants du travail et de la pugnacité de ce juge qui a pris indéniablement des risques dans un environnement pour le moins hostile.

Mal bien français, nous aurions tendance à faire de ce juge un héros, qualificatif qu’il rejette lui même en rappelant qu’il n’a eu d’autres ambitions que celle de remplir sa mission dans le cadre de la loi.

Il faudra sans doute un jour, que les quelques journalistes d’investigation toujours actifs en France nous pondent de longs sujets non plus sur ceux qui font leur travail et respectent leur serment, mais sur tous les autres !

Pourquoi pas un Pièces à Conviction sur tous les juges français détachés à Monaco qui ont répondu aux sollicitations, gouté avec délectation à tous les avantages que la Principauté sait offrir à ceux qu’elle souhaite loyaux ? En un mot sur ces juges qui ont préféré soigner leur carrière et oublier sur le bas côté leur serment ?

Généralement ils ne sont pas difficiles à reconnaître, ils obtiennent à la sortie de leur mission en Principauté, une affectation promotion en France. Parce que si Levrault n’a reculé devant rien jusqu’à perquisitionner et mettre en examen le ministre de la justice locale, il existe aussi des juges français détachés qui en trois années d’instruction n’ont pas trouvé utile une perquisition, ni même jugé bon d’entendre les lanceurs d’alerte, et ont fui comme la peste les journalistes… Quand, ô malheur pour eux, quelques informations sur l’affaire sont rendues publiques par voie de presse, ils ne prendront pas même la peine d’en faire la réquisition …

« J’ai réalisé qu’à Monaco la justice devait être une institution qui arrange, et non qui dérange »

Edouard Levrault

Il y a(vait) donc Levrault, mais surtout, aussi tous les autres.

Messieurs les journalistes, rendez hommage à ces derniers…

Pour le plaisir nous pourrions aussi poursuivre ce raisonnement en s’intéressant non plus à ces lanceurs d’alerte qui, conformément à leurs obligations professionnelles et légales saisissent leur hiérarchie puis la justice, mais à tous ces salariés , directeurs en tout genre, qui s’exonèrent de leurs propres obligations pour se ranger du côté obscur des affaires, du secret et de l’omerta. A Monaco et ailleurs, nous savons trop bien que pour les entreprises et les pouvoirs en place, ceux ci, ces taiseux, sont quoi qu’il en coûte les plus loyaux, de vrais héros… selon l’adage bien connu : « le silence est d’or ».

M.M

La Misérable

Juridictions paralysées par manque de moyens, généralisation des cours criminelles et des procédures sans audiences pour juger plus vite et désengorger une justice asphyxiée. A quand les procès sans tribunaux, ni avocats pour, demain, juger encore plus gratis. Discours contre la misère de la justice. A Mme Belloubet, ministre de l’injustice.

LA MISERABLEJe ne suis pas, Madame la ministre, de ceux qui croient qu’on peut supprimer l’injustice en ce monde ;…

Publiée par Sofia Soula-michal sur Jeudi 14 mai 2020

Sofia SOULA-MICHAL

Avocat au Barreau de LYON.

Pour partager : https://blogs.mediapart.fr/sofia-soula-michal/blog/140520/la-miserable?fbclid=IwAR1rdtGo89wW8slGSdtjVR23w5qMqcD2AM04GTcBqCsfW5uaZjzqHMqT1x4

Lanceur d’alerte : comme un âne sur le toit…

A l’origine, la présente tribune faisait l’objet d’une commande pour une revue professionnelle. Des changements internes à cette revue ont conduit à sa non-publication. Vous ne la trouverez donc que sur MetaMorphosis. Bonne lecture.


La plupart du temps, dans l’opinion publique, « lanceur d’alerte » c’est le temps d’un scoop ou du délibéré d’un procès phare. Mais en réalité l’alerte relève du temps long, très long, trop long dans la vie du lanceur. Il semble bon de rappeler que le lanceur d’alerte n’est pas animé par la vengeance ni le ressentiment par rapport à son métier ou à son entreprise, c’est au contraire une personne attachée à son travail et attachée à une certaine idée du travail bien fait ; elle se sent frustrée et contrariée que les choses ne se passent pas « dans les règles ».

L’article 6 de la loi Sapin II donne la définition du lanceur d’alerte : « une personne physique qui révèle ou signale, de manière désintéressée et de bonne foi un crime ou un délit, une violation grave et manifeste d’un engagement international régulièrement ratifié ou approuvé par la France, un acte unilatéral d’une organisation internationale pris sur le fondement d’un tel engagement, de la loi ou du règlement, une menace ou un préjudice grave pour l’intérêt général dont elle a eu personnellement connaissance ».
Dans les faits, le lanceur d’alerte est avant tout celui ou celle qui a « la taille du gibet ». Comment cela est-ce possible ? « Dura lex, Sed lex », ça devrait fonctionner… En réalité, c’est plutôt « pas vu, pas pris ».

Nous vivons sous une multiplicité de textes de lois, de corpus règlementaires qui régissent chaque profession, et même notre vie quotidienne.

S’il vous vient à l’idée de fracturer la porte d’une automobile en plein jour sur une place de village, outre le fait d’être vu, le ou les témoins iront prévenir derechef la gendarmerie du canton. C’est ce que l’on pourrait appeler « le contrôle ». Un fait et geste hors la loi devrait en principe être rapidement localisé et jugulé par un organe de contrôle. Or, plus les organisations sont complexes, plus les organismes de contrôles doivent être élaborés mais malheureusement, ils sont soit :

  • Inexistants réellement, si ce n’est sous la forme d’un Comité Théodule dont le rayon d’action est purement théorique.
  • Inefficaces dans les cas où se sont les corps de métiers qui sont chargés de se contrôler eux-mêmes.
  • Négligés par manque de moyens ou de volonté politique.

En effet, qui contrôle les sommes en argent liquide qui passent sous le manteau ? Les opérations financières dont l’origine des fonds est interlope, voire douteuse ?

En théorie en France c’est le Tracfin, mais le correspondant Tracfin est, en fait, le dirigeant de l’industrie ou de la division « théâtre du désordre » qui donne lieu à l’alerte. Exemple : un notaire qui perçoit des dessous de tables, c’est aussi un correspondant Tracfin qui perçoit des dessous de table ; un directeur d’agence bancaire qui aide au blanchiment, c’est un correspondant Tracfin qui aide au blanchiment.

Partant, il est aisé de constater que, même si la loi peut paraître claire et précise dans sa formulation, le contrôle de l’application de la loi est parfois brumeux et ténu. C’est le fil ténu de la loi.

Et c’est justement sur ce point, en passant et repassant sur ce fil ténu que se créé une brèche entre la loi et son respect, et c’est dans cette brèche que s’engouffre le principe du « pas vu, pas pris ».

L’ouverture de cette brèche peut se faire très progressivement, d’abord par de petites irrégularités, et comme le contrôle ne fonctionne pas bien, il est aisé d’être tenté d’en commettre de plus grosses, jusqu’à des montages sophistiqués dans lesquels une grande partie de l’entreprise peut être « mouillée ».

Alors la brèche se fait gouffre, et le lanceur en puissance n’a devant lui que deux options : y participer ou lancer l’alerte, dénoncer !

Le lanceur se consulte et consulte : les instances professionnelles, des avocats, des collègues, cherchant une logique de bon sens à quelque-chose qui commence à ne plus en avoir.

Les parcours sont différents, en fonction de la personnalité, de l’éducation, du vécu du lanceur ; et aussi en fonction de son environnement professionnel, de sa position dans la hiérarchie.

Cependant, presque tous les lanceurs passent par les trois phases : du doute, de la peur et de l’implosion c’est à dire le lancement d’alerte lui-même.

Il nous semble bon de rappeler ici que la motivation du lanceur d’alerte n’est pas la vengeance vis à vis de son employeur, de sa profession, ou même de la société tout entière, il n’est mû par aucune visée idéologique. C’est tout le contraire, le lanceur est attaché à son entreprise, à son environnement professionnel, à son métier : tout ce qu’il souhaite c’est que son entreprise continue à fonctionner dans la légalité.

C’est souvent seul ou au sein d’un groupe très restreint, que le lanceur se retrouve face à cette question : Quand et comment lancer l’alerte ?

Selon le corps de métier, chaque cas est différent, mais les cheminements peuvent se recouper.

Dans un premier temps, on peut se tourner, parfois déjà conseillé par un avocat, vers ses supérieurs, même si ce sont eux qui sont les fauteurs de troubles. La bonne entente et l’ambiance de travail s’en trouvent considérablement viciés d’un seul coup, car sur le vif, c’est le lanceur d’alerte qui est le fauteur de trouble aux yeux de ses collègues et de sa hiérarchie. Ce qui explique que ce n’est qu’en de très rares cas que l’on peut trouver appui, ouvertement ou non, auprès de ses collègues. En effet, les collègues brandissent leur tranquillité et la pérennité de l’entreprise (comprendre de leur propre situation) que l’alerte peut remettre en question. Ils peuvent être même confortés dans cette posture par les organisations syndicales, particulièrement dans les professions dites « à ordre ».

Face à l’immobilisme de l’entreprise qui ne fait généralement rien pour faire cesser les méfaits, le lanceur doit alors s’en remettre à la police et à la Justice. On ne saurait comment décrire le dénuement du lanceur d’alerte à ce moment, d’autant plus qu’il est aisé de l’accuser de « tirer contre son camp » ou de « cracher dans la soupe ». Parfois, devant un Officier de Police Judiciaire incrédule, on se retrouve être celui ou celle qui débite des énormités. On vous explique alors qu’il y aura une enquête qui peut être longue et si vous avez de la chance, un éventuel procès.

Mais quoiqu’il en soit, les auteurs des méfaits sont eux protégés par la présomption d’innocence. Le lanceur n’a quant à lui qu’un petit viatique : il s’est présenté de lui-même aux autorités, et ne pourra, le cas échéant être poursuivi pour complicité.

Devant la lenteur des enquêtes et des procédures, souvent ralenties par les mutations des enquêteurs ou des Procureurs et autres « dépaysements », certains lanceurs se tournent vers la presse d’investigation. S’exposer à tous pour que son dossier ne tombe pas dans l’oubli : qu’on ne se méprenne pas, ce n’est pas pour lui-même que le lanceur recherche la lumière, mais pour son dossier.

Que l’on soit ou non passé par la case presse, lancer l’alerte c’est signer en tous les cas son arrêt de mort professionnel, s’il n’a pas déjà eu lieu bien en amont.

Protégés qu’ils sont par la présomption d’innocence, les mis en cause transforment celle-ci en arme offensive contre le lanceur, qui lui n’est absolument pas protégé par une quelconque « présomption d’alerte ».

Non seulement les faits délictueux ne cessent pas, mais c’est le lanceur qui se retrouve attaqué de toutes parts par ces « innocents présumés ». Car même mis en examen, parfois pour des qualifications lourdes, l’innocent demeure « présumé innocent » alors qu’on pourrait supposer, si le juge d’instruction a bien fait son travail, qu’ils sont plus proches d’une « présomption de culpabilité » !

Et les funestes leviers sont nombreux :

  • Harcèlement jusqu’à la démission.
  • Licenciement économique déguisé.
  • Licenciement pour tout autre motif et l’on doit bien reconnaître que les employeurs font alors preuve d’une imagination débordante. 
  • Mise à la retraite anticipée.
  • Placardisation dans le meilleur des cas avec harcèlement car l’objectif est toujours le même, que le lanceur « dégage ». Certains pourraient raconter que le soir de leur départ, le champagne a été sabré !

Comme les « passeports jaunes » des anciens bagnards, c’est votre CV, qui est désormais frappé d’infamie.

Même « éjecté » de l’entreprise, le lanceur continue à être poursuivi par son employeur : 

  • Attaques en diffamation.
  • Blacklistage dans la profession : ces sociétés ont beau se faire concurrence, elles n’en demeurent pas moins solidaires quand l’une d’entre elles se fait dénoncer.
  • Harcèlement du lanceur et de ses proches.
  • Et même parfois, atteintes physiques et agressions.

Dans cette telle ambiance, on peut facilement imaginer que les salariés qui n’ont rien dénoncé sont peu aisés à se ranger du côté du lanceur d’alerte, ne voulant pas subir les mêmes foudres. Au mieux, ils affichent une indifférente neutralité, au pire, ils tombent dans le fayotage, voire produisent de faux témoignages en défaveur du lanceur. Dans le pire des cas, alors que l’enquête est déjà en route, certaines personnes qui n’ont pas voulu voir au moment même de l’alerte, peuvent faire preuve devant les forces de police d’un zèle tardif sans pour autant faire preuve de solidarité avec le lanceur d’alerte « originaire ».

La mise au ban professionnelle du lanceur, entraîne irrémédiablement son étouffement financier. Non seulement, le chômage, la fin de droit, la retraite anticipé, la démission, réduisent considérablement ses revenus, mais l’entreprise, elle est toujours debout, et tente de noyer le lanceur sous une multiplicité de procédures : prudhommale, vol de documents, diffamation, faux témoignages etc. … leur imagination est débordante… 

Les entreprises disposent elles d’un trésor de guerre et d’une batterie de conseillers et avocats, et gardent plus que jamais leur réseau, face au lanceur isolé et désargenté.

Dans ces conditions, il est aisé de comprendre la brutalité de cet arrêt de la vie professionnelle et la spirale descendante financière et sociale dans lequel le lanceur est entraîné.

Cette descente s’effectue en quelques mois, voire en quelques jours, « grâce » à la calomnie que votre ex-employeur (toujours protégé par la présomption d’innocence) clame sur tous les tons, auprès de vos anciens clients, de vos anciens collègues et auprès des autres dirigeants pour qu’ils ne prennent pas « le risque » de vous embaucher, car vous représentez à leurs yeux, non pas une personne honnête dans son travail, mais un gêneur qu’il faut éliminer de la profession.

Dans cette situation, retrouver un travail stable ne se résume pas à envoyer des CV ou à répondre à des annonces.

Il faut d’abord briser cette spirale infernale qui perdure même quand la justice reconnaît le bien fondé de votre action.

L’avenir professionnel n’aura de sens qu’à partir du moment où les lanceurs d’alerte seront à nouveau admis dans le monde professionnel pour ce qu’ils sont : des citoyens attachés à leur entreprise et à leur métier, soucieux de l’honnêteté, de la rectitude et du travail bien fait.

MM.


« Parce que la vérité se meurt dans le silence… »

A la création de MetaMorphosis, nous avons choisi pour formule « Parce que la vérité se meurt dans le silence… » Elle nous semblait bien résumer le combat des lanceurs d’alerte, ce combat pour une vérité qui s’oppose en permanence au silence de ceux dénoncés, des corps intermédiaires, de la justice, de la presse et tant d’autres. Nous ne pensions pas un jour qu’une telle formule trouverait une résonance dans le comportement de certains lanceurs d’alerte…

Dans le petit monde des lanceurs d’alerte, nous nous connaissons tous et parce que nous sommes confrontés aux mêmes problématiques et aux mêmes galères, nous prenons soin de suivre l’actualité des uns et des autres.

Le combat des lanceurs d’alerte est extrêmement difficile, contre ceux que nous avons dénoncés, contre la presse parfois et les politiques le plus souvent, mais aussi ne nous en cachons pas, contre une opinion publique qui n’est pas majoritairement derrière nous.

Aussi, nous pensons que pour battre en brèche un certain nombre de préjugés, les lanceurs se doivent d’être irréprochables aussi bien dans leur motivation, dans leur capacité à appuyer factuellement leur dire et dans leur communication.
Il y en va du devenir des alertes et des procédures judiciaires, aussi bien les parties adverses que la justice cherchant les failles ou apportant une attention toute particulière à la cohérence des timing des alertes et au poids de la preuve.

On a pu voir par exemple, des lanceurs tout à fait honnêtes dans leur démarche mais ayant été attaqués de toute part pour une ancienne faute (broutille) qu’ils auraient pu commettre dans le passé.

Le cas qui nous occupe -celui de Céline Boussié ayant dénoncé des faits de maltraitance dans un IME- est de première importance.

Pour des lanceurs d’alerte, c’est à dire ayant agi avec bonne foi, désintéressement et dans l’intérêt général, les publications sur les réseaux sociaux de certains documents il y a quelques mois, ont fait l’objet d’une véritable bombe. Ils mettent en évidence à notre avis, des incohérences qui, si elles étaient avérées, auraient un impact catastrophique sur l’ensemble des lanceurs.
Vol (ce que nous a indiqué la Présidente du Comité de soutien) ou pas vol de ces documents publiés peut être une question, la personne s’estimant lésée entamera sûrement les procédures adéquates. Faux ou pas faux documents, il en va de même.
Faisons néanmoins attention à ne pas tomber dans le biais des organisations que le lanceur attaque, qui systématiquement se cachent derrière le vol de documents ou la diffamation de certaines déclarations pour tenter de nier la réalité des faits.

Nous accordons que le site ayant publié en premier ces documents est pour le moins partisan et polémique, il n’en demeure pas moins que les faits sont là, que les documents à eux seuls posaient à l’époque, de nombreuses questions. Faute de réponse de la principale intéressée, il fallait pour comprendre les motivations de la justice prud’homale, attendre le compte rendu de sa décision. Et c’est Rémy Garnier, le lanceur d’alerte de l’affaire Cahuzac, qui, pour comprendre une telle décision dite « schizophrénique » par l’intéressée, se l’est procuré et le déchiffre… Si bien, qu’il en reste…stupéfait.

« Un jugement schizophrénique ? » Par Rémy Garnier

Si « comprendre » est notre leitmotiv, il est regrettable de constater que nulle presse ayant communiqué à ce sujet, n’ait trouvé bon et juste de se pencher dessus. L’obtention de la décision prud’homale ne semblait pourtant pas bien difficile ….et « éclairés », nous l’aurions été bien plus tôt.

Comme dit précédemment, le lanceur joue son alerte (et malheureusement dans certain cas sa vie) sur la cohérence de son comportement.

Les lanceurs savent deux choses des entreprises qu’ils dénoncent : que les comportements trahissent souvent plus que les paroles et que le refus de débattre ou la dénégation est déjà une forme d’aveu. Ils savent aussi que la presse, assoiffée de « sujets vendeurs » peut être manipulable.

Alors, n’en déplaise à beaucoup, une définition du Lanceur, celle retenue par la Loi Sapin 2, même si elle est imparfaite, n’en demeure pas moins fondamentale, tout comme les notions de désintérêt et bonne foi qu’elle véhicule.
Être lanceur n’est pas un choix, « Lanceurs d’alerte: si je veux, comme je veux, quand je veux… Pas vraiment  » , non plus un métier, ça n’est pas même un titre de gloire comme le rappelle Rémy Garnier dans une autre tribune intitulée « Victime de son égo  » .

« Victime de son égo » Rémy Garnier

Et si la frontière entre le lanceur, le repenti, le délateur est ténue, ouvrir la porte aux imposteurs, c’est définitivement décrédibiliser les lanceurs. C’est le plus beau cadeau qu’on puisse faire à ceux que les lanceurs dénoncent !
« Alerte à l’imposture  » , autre tribune de Rémy Garnier.

Enfin, quand on a la prétention de vouloir « briser l’omerta » on ne s’y vautre pas, refusant de répondre à des questions légitimes et dénigrant, parfois violemment ceux qui ont vraiment l’intérêt général pour seule motivation. Si l’on veut vraiment « briser l’omerta » on n’en fait pas sa ligne de défense !

Tout ceci doit également nous interroger sur la Maison des Lanceurs, seul lieu indépendant où les lanceurs sont censés pouvoir se raccrocher. Nous avions déjà évoqué sur MM. à travers « La maison des lanceurs d’alerte: tout ça pour ça  » les doutes que nous portions sur sa réelle utilité. Les éléments troublants concernant Céline Boussié qui en est la secrétaire générale adjointe, sont sans doute portés à sa connaissance depuis de longs mois… sans aucune réaction de sa part, sans aucune mesure préventive.

La Maison des lanceurs a-t-elle conscience qu’elle joue ici sa légitimité ?

En espérant que ça fasse réfléchir tous ceux qui voient des lanceurs à chaque coin de rue…

MM.

Affaire Legay : cachez ces preuves que je ne saurais voir !

Geneviève Legay, c’est cette militante septuagénaire qui, le 23 mars dernier à Nice, avait été grièvement blessée lors d’une charge de policiers en marge d’un rassemblement interdit des « gilets jaunes ».

L’enquête préliminaire avait été confiée à une commissaire, dont on apprendra plus tard, qu’elle est la compagne du responsable policier en charge du maintien de l’ordre le jour des faits. En matière de déontologie, et pour l’impartialité des investigations, on pouvait faire mieux pour éviter d’entrée de jeu, tout conflit d’intérêt.

Passons… Si l’enquête peine à débuter correctement faute aux statuts des intervenants et s’il venait à manquer quelques autres déclarations importantes comme preuves au dossier « Legay », en voilà d’autres…

Ce jour, dans un article de Médiapart, on y apprend l’existence d’un rapport de la gendarmerie qui avait refusé de participer à la charge initiée par la police. Il ne va pas sans dire que ce rapport vient confirmer les dires de la victime et de ses avocats, contredisant de facto les innombrables mensonges colportés par la police, le Préfet, Castaner et Macron.

Le mensonge devenu sous ce gouvernement politique publique, nécessite également d’instrumentaliser la justice, comme orchestré dès l’origine en confiant l’instruction de l’affaire à la compagne du commissaire mis en cause. Quitte à bien faire les choses, cette instrumentalisation s’est poursuivie en ne versant pas au dossier d’instruction ce fameux rapport de la gendarmerie dont on mesure bien qu’il viendrait tuer dans l’œuf toute la stratégie du mensonge mise en œuvre par le pouvoir.

On vous rappelle en effet la thèse officielle du gouvernement que les journalistes serviles répètent à l’envie comme Le Parisien (propriété de Bernard Arnault) la semaine passée : « Les Gilets jaunes ont fait exploser le nombre de tirs de LBD » ! Car, bien évidemment, les forces de police et les autorités qui les instruisent n’y sont pour rien… Tant que l’on n’a pas eu à faire directement à la justice et à son fonctionnement, ce type de pratique, consistant à ne pas verser à l’instruction des éléments essentiels, peut sembler impensable.

Les lanceurs d’alerte entendent une autre musique…

Certains parquets, certains services de police judiciaire et mêmes certains juges d’instruction, gèrent les affaires dont ils ont la charge selon une technique toute simple et d’une efficacité redoutable : « qui ne cherche pas, ne trouve pas !  » . Surtout ne pas faire de perquisitions, on risquerait de trouver quelque chose ! Surtout faire très attention aux questions posées lors des interrogatoires, les « mis en cause » risqueraient de révéler des informations essentielles ! Surtout ne pas verser au dossier d’instruction des pièces qui risqueraient de confirmer les accusations des lanceurs ! Quand on n’a pas de bol et que des journalistes portent sur la place publique des éléments renforçant l’accusation, surtout ne pas en faire la réquisition auprès des organes de presse ! Avec les lanceurs d’alerte c’est facile puisque ces derniers n’étant pas partie civile de l’instruction portant sur les faits qu’ils ont dénoncés, personne ne risque d’aller voir ce qui se passe dans le dossier d’instruction ! Ce dernier, même ouvert, pourra dès lors mourir de sa plus belle des morts, dans la durée, dans le calme et faute d’inaction… Il suffit de patienter quelques « bonnes » années et un beau jour se rendre compte que le dossier est vide ! C’est ballot !!! Battre le fer quand il chaud, avec la justice c’est plutôt à froid.

En agissant de la sorte, et on vous parle ici de vécu, certains procureurs, officiers de police judiciaire et juges trahissent leur mission et toutes les règles déontologiques qui régissent leurs professions.

Combien se sont retrouvés devant leurs pairs pour rendre des comptes ? Quand le mensonge devient le cœur de l’action politique, la justice n’est plus qu’un instrument de ce mensonge, et le justiciable une victime à tous les coups.

MM.

Des chiffres et l’alerte (en écho aux « Échos »)

S’agissant d’un article du journal «Les Échos», «  Quels outils pour les lanceurs d’alertes ?  » paru ce jour, nous n’allons pas bouder notre plaisir à répondre au journaliste fort bien veillant et faire la partie manquante de son travail…Quand ça les arrange – « Les Échos » -, les chiffres, rien que les chiffres, lorsqu’ils vont dans le sens du discours dominant, le journal n’est généralement pas avare de commentaires et qualificatifs.

Alors reprenons la main et voyons un peu l’article suivant «  Quels outils pour les lanceurs d’alertes ?  »

Pour commencer, « 38% [des entreprises] ont recensé des cas de fraude fiscale, de blanchiment d’argent et de harcèlement sexuel en 2018 ». 38% et nous ne saurons pas si « Les Échos » trouvent ça normal ou non, beaucoup ou pas. Pour nous, lanceurs d’alerte, nous pensons qu’avec un taux avoisinant les 40%, il y a au minimum lieu de s’inquiéter! Nous nous doutons bien à la lecture de l’article si peu alarmant que si nous venions à l’interroger, le journal de Bernard Arnault nous sortirait une réponse type « le verre à moitié vide à demi plein » , en se satisfaisant que, par définition, 60% des entreprises n’ont pas recensé de tels cas! 60% ce serait toujours ça pour « Les Échos » , nous les connaissons optimistes. Nous, pessimistes que nous sommes, nous retiendrons qu’à hauteur de 38%, ça dysfonctionne gravement…

Forts de leur confiance, «Les Échos» ne sont pas non plus vraiment étonnés (et nous lanceurs non plus) par le fait que les entreprises françaises soient très en retard par rapport à leurs consœurs européennes dans la mise en œuvre de dispositifs d’alerte interne comme la loi les y oblige maintenant. En retard nous sommes, mais c’est en cours ! L’optimisme est toujours de mise…

Enfin, les chiffres toujours les chiffres, nous aurions aimé une fois de plus, que «Les Échos» s’y penchent un peu plus dessus, l’analyse faisant partie du travail de journaliste…

Ainsi nous apprenons qu’en France seulement 11% des alertes sont reconnues comme abusives, ce qui, pour jouer le même jeu que le journal économique, nous permet d’en conclure puis d’affirmer, que pour près de 90% des lanceurs qui portent des alertes, ces dernières sont fondées et légitimes !!

Nous comprenons la gêne du journal du Groupe LVMH… le mythe du lanceur malhonnête et intéressé, en prend un sacré coup !

Par conséquent, les entreprises reconnaissent elles-mêmes que les cas de fraude en tout genre en leur sein sont très nombreux (40%, 38% si on se veut être puristes) et, dans leur très très grande majorité, les salariés qui dénonceraient, seraient honnêtes et dotés d’un sens civique! Comprenez qu’on ne va pas bouder notre plaisir à le souligner !

Autre point. Ce que ne nous dit pas l’enquête, et qui serait sans doute l’information la plus intéressante, serait de savoir qui commet ou rend possible les 40% des cas recensés.

Nous savons tous pour avoir travaillé dans des entreprises de tailles et secteurs d’activité différents, que les systèmes d’information et de contrôle sont tels qu’il est devenu quasi impossible pour un salarié lambda d’accéder seul aux outils lui permettant de réaliser des faits de corruption, de blanchiment ou autres. Les rares affaires portées à ce jour devant les tribunaux démontrent que nos 40% de cas sont généralement réalisés et ou rendus possibles par, pour rester poli, la bienveillance des Directions et organes en charge des contrôles. Tous ces dispositifs d’alerte interne sont sans doute utiles s’ils sont effectivement mis en œuvre mais ils conduisent quelque part, grand totem de la vision politique du gouvernement Macron, à demander aux entreprises de s’ auto-réguler et s’ auto-contrôler.

Les lanceurs d’alerte savent très bien que cette façon de procéder est vouée à l’échec sauf à considérer qu’il y aurait dans la nature humaine une forte propension à s ’auto-dénoncer. Le fonctionnement de nos systèmes démocratiques, dont le monde économique avec l’aide des politiques tend de plus en plus à s’affranchir, est fondé non pas sur l’auto-contrôle mais sur l’existence d’un pouvoir indépendant des intérêts privés en charge de faire respecter l’application des lois et règlements pourvus par le peuple.

Chez nous -pour répondre à « Les Échos« -, ça s’appelle la Justice, tiers normalement indépendant dont on doit bien reconnaître qu’on lui a grignoté et/ou qu’elle s’est laissée dépouiller de certaines de ses prérogatives.

Par conséquent, pour reprendre le titre de l’article des Échos « Quels outils pour les lanceurs d’alerte ? », les lanceurs vous répondront sans hésiter : la Justice, rien que la Justice et toute la Justice. Bien évidemment tout cela suppose qu’elle en ait envie, qu’elle en ait les moyens, que le Parquet qui initie les instructions soit réellement indépendant et non soumis au pouvoir politique comme en France, puis enfin qu’elle agisse, et qu’elle le fasse dans des délais «raisonnables», en tous les cas compatibles avec les situations de ceux qui portent l’alerte.

MM.

Justice : elle n’en peut plus…et nous non plus!

Nous ne voudrions pas nous répéter, mais force est de constater que, année après année, en matière de justice, peu de choses change. Pire encore, sa situation se dégrade t-elle ? Visiblement elle n’en peut plus…et nous non plus !

2019 et le système judiciaire français est toujours le plus mal loti d’Europe en terme de moyens et d’effectifs.
Nous avions déjà évoqué les manques de moyens de la justice, ses carences, les maux dont elle souffre : « La justice, trois maux et combien de responsables ».

Conséquences: des magistrats et des services de police judiciaire surchargés, des délais de traitement beaucoup trop long et au final des conditions de travail qui influent nécessairement sur la motivation des personnels.
Aujourd’hui, au regard des conditions dans lesquelles ils exercent, les magistrats font à leur tour un bilan à travers une grande enquête détaillée ici : « L’envers du décors: enquête sur la charge de travail dans la magistrature ».

Comme toujours la première victime est le citoyen justiciable qui, soit prend son mal en patience, soit se résout à faire l’économie de la justice. Les lanceurs d’alerte sont bien placés pour savoir que se passer de la justice peut être aussi un choix bénéfique pour eux; les conditions d’exercice dans lesquelles elle opère, posent à un moment un dilemme à chaque justiciable alors qu’il est au cœur même de notre « démocratie »: privilégier l’ intérêt personnel à l’intérêt général. Il en va d’une économie d’un tas d’ennuis, privés, professionnel et financier… Triste constat au détriment de l’intérêt général. Et pour cause.

Cette question des moyens de la justice est un véritable serpent de mer qui anime le débat politique depuis plusieurs décennies. Le constat est simple : quel que soit le gouvernement, quelle que soit la majorité parlementaire, aucune avancée n’est enregistrée sur cette question. Si l’on aborde la justice comme un service public, il est de la responsabilité de l’exécutif et du législatif de lui donner les moyens afin qu’elle puisse exercer ses missions dans le respect des droits constitutionnels de chaque citoyen et dans des conditions lui permettant de veiller à la défense de l’intérêt général.

Ne soyons pas dupes, quels que soient les gouvernants , quelle que soit leur couleur politique, aucun n’a jugé nécessaire et impératif d’octroyer à la justice les moyens suffisants à un exercice serein de ses missions. Nous pouvons nous cacher derrière un manque de volonté mais de leur expérience, les lanceurs d’alerte vous diront plutôt que la « chose » est organisée , l’objectif étant de limiter au maximum les capacités d’action de justiciables mettant en évidence de graves dysfonctionnements des institutions. D’une part l’effort budgétaire nécessaire pour mettre la justice française aux normes européennes est en valeur absolue négligeable; d’autre part on constate que pour d’autres missions de service public, les gouvernants n’ont pas vraiment de problème à trouver les allocations nécessaires.

Il s’agit donc bien d’une question de priorité, de choix, d’une volonté de laisser en l’état le service judiciaire et de limiter en fait ses missions à la seule défense de l’ordre établi qui se résume dans une économie libérale à la seule défense des biens et des personnes. Le vol d’une mobylette, la destruction de la vitrine d’une banque vous assurera une justice rapide, quand ce n’est pas expéditive et sévère et qui aura su, pour ces faits, mettre en œuvre tous les moyens nécessaires pour passer.

Dénoncer un système de blanchiment d’argent organisé ou de corruption d’argent public, armez-vous de patience….si on mobilise déjà un enquêteur quelques heures par semaine soyons heureux et surtout espérez vivre vieux si vous voulez un jour connaître la fin de l’histoire… si elle ne débouche pas sur un classement sans suite faute de preuves qui n’ont pu être saisies à temps ou faute de prescription.

MM.