Deux décisions récentes sur des sujets qui nous intéressent tous et notamment les lanceurs d’alerte (en premier lieu ceux dont les dossiers touchent la finance), méritent d’être brièvement rappelés. Nous comprenons qu’une justice totalement indépendante du pouvoir politique et égale pour tous n’est pas à l’ordre du jour de ce quinquennat. Il est à regretter qu’elle ne soit pas non plus à l’ordre du jour de la plupart des politiques ou partis, autant d’éléments qui malheureusement compliquent la tache des lanceurs d’alerte.
1/ L’indépendance du parquet
L’arrêt de la CEDH (Cour Européenne des Droits de l’Homme) du 27 juin 2013 rappelle que le parquet français, en raison de son statut, ne présente pas la garantie d’indépendance vis à vis de l’exécutif qui caractérise, comme l’impartialité, une autorité judiciaire au sens de l’article 5 § 3 de la Convention européenne des droits de l’homme. A cette occasion, le syndicat de la magistrature soulignait dans un communiqué que la CEDH avait rappelé aux autorités françaises que les magistrats du parquet ne présentaient pas les garanties d’indépendance leur permettant d’être considérés comme des autorités judiciaires au sens de la Convention, que de modifier à la marge la composition du CSM (Conseil Supérieur de la Magistrature) était insuffisante, mais qu’il convenait de conférer au ministère public les garanties statutaires lui permettant d’exercer ses missions avec toute l’indépendance nécessaire au bon fonctionnement de notre démocratie.
La France condamnée par la CEDH… à une réforme constitutionnelle !
Il n’est pas inutile de rappeler que la France représente à ce titre une exception parmi les grands pays démocratiques européens, le Parquet n’ayant pas comme en Italie par exemple l’obligation d’instruire, sa mise sous tutelle politique peut conduire dans certains cas à « une gestion » des instructions ce dont certains lanceurs d’alerte pourraient témoigner.
Lors de l’audience solennelle de rentrée de la Cour de Cassation, lundi 15 janvier, le chef de l’Etat s’est prononcé en faveur du maintien d’une « chaîne hiérarchique » entre les magistrats du parquet et le ministre de la Justice. il refuse d’accorder au parquet son indépendance totale.
Macron refuse d’accorder au parquet son indépendance totale
Suite à cette annonce, le syndicat de la magistrature a communiqué:
#ChantiersJustice : désintégration de la justice et des justiciables. Notre communiqué sur les annonces d'E.Macron et N. Belloubet sur la réforme constitutionnelle et les chantiers de la justice. https://t.co/g6R1FWNoWi #UnJourSansFin pic.twitter.com/Ql3HQ019Up
— SMagistrature (@SMagistrature) 16 janvier 2018
Malgré les promesses, cette situation semble devoir perdurer quelle que soit la couleur politique affichée et au-delà des beaux discours nous ne pouvons que constater qu’il y a une maladie bien française du politique consistant à toujours s’assurer d’avoir la main, en cas de besoin, sur les affaires judiciaires.
2/ Le verrou de Bercy
Auditionnée ce mardi 15 Janvier à l’Assemblée, La procureur du PNF (Parquet National Financier), Eliane Houlette, a estimé que le « verrou » de Bercy « bloque toute la chaîne pénale ».
Le #VerrouDeBercy "entrave totalement notre liberté d'action", critique la procureure du parquet national financier >> https://t.co/Up9ncYVfvw (par @wiels_j) #PNF #DirectAN pic.twitter.com/4AQQAqWHY7
— LCP (@LCP) 16 janvier 2018
Rappelons que le privilège revenant à Bercy en matière de poursuite pénale pour fraude fiscale n’a pu être supprimé.
Adopté par le Sénat, l’amendement suggérant la suppression partielle du «verrou de Bercy», étudié dans le cadre du projet de loi sur la moralisation de la vie politique, avait été rejeté le 25 juillet 2017 à l’Assemblée nationale.
Notons néanmoins que la question du verrou de Bercy fait l’objet aujourd’hui d’une mission: dix-neuf députés, de tous bords politiques, vont enquêter et auditionner jusqu’en avril au sujet des procédures de poursuites contre la fraude, l’évasion et l’optimisation fiscales. Ils se prononceront alors, pour ou contre le monopole de Bercy.
Fraude fiscale. L’Assemblée nationale lance une mission sur le verrou de Bercy
Ce sujet, comme le souligne la Procureure Madame Houlette, conduit à une inégalité de traitement des français devant la loi fiscale. Soulignons aussi que peu de politiques sembleraient enclin à se priver d’un tel levier de pouvoir.
Avec l’indépendance du Parquet, le verrou de Bercy est devenu le serpent de mer de la vie politique française qui constitue, parmi d’autres, des entraves à l’action des lanceurs d’alerte.