Vous reprendrez bien un peu de secret…

Nous y voilà ! La machine à se taire, à faire taire, est donc en marche.
Première décision importante relative au secret des affaires, le cas du magazine économique Challenges (expliqué dans le détail dans l’article paru dans Médiapart ce jour, ici) nous laisse augurer des jours tourmentés pour la liberté de la presse et, accessoirement et concomitamment, pour la liberté d’alerter.
Rappelons-nous à l’époque de la présentation du projet de loi sur le secret des affaires, des alertes qui avaient été portées par des journalistes et des Associations sur le risque que pouvait représenter cette disposition, notamment au regard du flou de sa définition, pour la liberté de la presse et pour la liberté de l’alerte citoyenne.
Rappelons-nous que ses défenseurs faisaient fi de ces remarques arguant – toujours sur le terrain de l’efficacité économique – que cette loi avait pour objectif unique de protéger les secrets des entreprises face à la concurrence.
Que nous sommes loin de ces vœux pieux dans le cas de l’affaire Challenge vs Conforama. Même si la décision n’est pas encore définitive puisque le Directeur de la publication a décidé de faire appel, l’arrêt du Tribunal du Commerce dit en substance, en motivant sa décision sur des arguments pour le moins fragiles comme l’a rappelé Médiapart dans son article, qu’au titre du secret des affaires, Challenges n’est pas autorisé à révéler que la chaîne de distribution Conforama connait de graves difficultés suite aux procédures contre les malversations réalisées par son actionnaire Sud-africain, dans lesquelles on retrouve pour la petite histoire et à l’image d’Enron, un grand cabinet d’audit international qui a allègrement certifié les comptes!
Bizarrement, le Tribunal du Commerce prend une décision pour soi-disant protéger l’entreprise qui va à l’encontre de l’un des sacro-saints piliers de l’économie de marché à savoir leur transparence et une information égale pour tous.
Il y aurait comme le fait remarquer le journal économique, des acteurs de marché qui pourraient bénéficier d’une information de première importance et d’autres qui en seraient interdits. Nous ne parlons même pas, mais qui s’en soucierait, des salariés du Groupe qui pourraient être intéressés quant à l’état de santé de leur employeur.
Au final de quoi parle-t-on ? De quel secret parle-t-on ? Dans le cas présent, vu les faits qui sont reprochés à l’actionnaire, on pourrait se demander si l’on ne protège pas en fait le secret de malversation…
Il semble malheureusement qu’il y ait une logique à ça, qui s’initie peu à peu dans le droit, visant à décriminaliser toute action répréhensible des entreprises. Il n’y a pas d’autre logique par exemple dans la CJIP (Convention Judiciaire d’Intérêt Public) où toute condamnation formelle est abandonnée. Il n’y a pas d’autre logique dans le cas nous occupant, que de préserver les intérêts d’une société au détriment de l’information des marchés.
On voit à présent, et on suivra avec beaucoup d’attention les prochaines décisions s’appuyant sur le secret des affaires, que l’on cherche effectivement à limiter le droit d’information de la presse mais que l’on cherche aussi à ôter aux différents acteurs l’information nécessaire à des prises de positions financières sur telle ou telle société.
Plus loin, même s’il n’y a pas à cette heure-ci à notre connaissance de décisions relatives à des sujets d’alerte prises sous couvert du secret des affaires, le cas Challenges vs Conforama ne laisse rien présager de bon. En théorie on voit bien qu’à toute alerte, il pourrait se voir opposer le secret d’affaire puisqu’il s’agit dans la majorité des cas, de mettre en évidence des dysfonctionnements ou des malversations, qui, par définition, dès qu’elles sont connues du public, sont de nature à altérer la confiance en elle de ses partenaires et des marchés.
CQFD !

MM.

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