Derrière la presse, l’ombre des lanceurs d’alerte

On s’étonne tous, journalistes en premier, du traitement du maintien de l’ordre par le pouvoir. D’abord sous Hollande dans le cadre des manifestations contre la loi El Khomri, puis sous Macron avec une systématisation et un accroissement des violences policières qui en deviennent presque « une forme de dialogue ». Derrière le maintien de l’ordre, l’ombre de la censure; derrière la presse, l’ombre des lanceurs d’alerte…

On s’étonne certes, on comptabilise, on cartographie, on documente… mais seul un petit nombre nous rappelle que ces techniques et cette violence sont de longue date expérimentées dans les banlieues et les ghettos sociaux.
Les « voltigeurs » et autres B.A.C. ne sont pas apparus un samedi de manifestation de gilets jaunes; ils ont de toute évidence une grande expérience de ce qu’ils appellent encore « le maintien de l’ordre » et semblent agir dans beaucoup de cas, sous le couvert d’une forme d’impunité non écrite.
Citoyens et journalistes semblent découvrir leur existence et pratiques mais à l’image des pouvoirs qui se sont succédé depuis plusieurs décennies, cette situation ne s’explique en fait que parce qu’ils avaient oublié l’existence même de ces quartiers.

Aujourd’hui, à juste titre, les journalistes -enfin ceux pour qui le mot « indépendance » a eu et a encore un sens- sont vent debout contre tout le dispositif que met progressivement en place Macron pour limiter leur capacité d’investigation, et dans certains cas tout simplement leur capacité à pouvoir divulguer des informations d’intérêt général, bien qu’ils agissent dans le cadre des lois encadrant leur métier.

Contre la presse l’objectif est le même qu’en d’autres matières et notamment du droit à manifester: criminaliser les auteurs de toute forme de revendication et d’expression contraires au discours dominant et placer, dans l’ordre du droit, les intérêts privés avant l’intérêt général.
La profession journalistique est attaquée aujourd’hui de toute part. En tant que lanceurs d’alerte, nous ne pouvons qu’exprimer notre solidarité.

A l’image de l’analogie que nous faisions précédemment sur le maintien de l’ordre, les journalistes auraient pu et auraient dû regarder ces quinze dernières années le traitement réservé aux lanceurs d’alerte.

Sans doute auraient-ils pu y déceler les atteintes qui sont à leur tour, aujourd’hui, portées à l’exercice de leur métier.
Les lanceurs d’alerte, ceux qui n’ont voulu que pleinement exercer leur métier dans le respect de leurs obligations professionnelles et/ou légales, vivent un cauchemar depuis très longtemps: parole systématiquement décrédibilisée, remise en cause de leur bonne foi, attaques parfois personnelles et insultantes, intimidations, stigmatisation de la part d’une grande partie de leur profession, blacklistage professionnel et isolement social et personnel, très grande difficulté à défendre leurs droits, chemin du combattant pour accéder à la justice, judiciarisation du moindre de leur propos…. Les noms d’oiseaux volent par les temps qui courent : délateurs, balances, cafards, traîtres… Que les journalistes y prennent garde, le dictionnaire des insultes est plein de ressources.

Est à l’œuvre toute la panoplie des sempiternelles techniques, non pour faire éclater la vérité mais pour faire taire.

En un mot: les lanceurs vivent de longue date ce que l’on veut imposer aujourd’hui à la presse, à savoir se taire hors des sentiers balisés par les pouvoirs et quand ils osent s’exprimer, les renvoyer directement devant les tribunaux.
De la même façon que beaucoup de journalistes, à l’image du reste de la société, ont oublié d’aller voir ce qui se passait dans les banlieue en matière de maintien de l’ordre, pour le découvrir un jour de décembre 2018 sur les Champs-Élysées, l’acharnement dont ils sont aujourd’hui l’objet aux fins de les rendre silencieux, était lisible dans le parcours de la plupart des lanceurs d’alerte. Encore ne fallait-il pas voir dans les lanceurs que de simples sources, mais aussi des personnes qui par leurs actions défendent la liberté d’expression et d’information, et veillent à privilégier l’intérêt général contre les intérêts privés, fussent-ils même ceux de leurs employeurs quand ceux-ci agissent hors de tout cadre réglementaire et légal.

Nos gouvernements manquent d’imagination: ils ne font que recycler de vieilles idées après les avoir testées là où personne ne va voir, ou ne cherche à voir.

Ce qui marche si bien sur les lanceurs d’alerte n’a pas de raison de ne pas fonctionner avec la presse.

MM.

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