L’homme politique est un lâche comme les autres (ou un peu plus…)

Lâcheté, dictionnaire Larousse : «Manque de courage, d’énergie morale, de fermeté. Se taire par lâcheté devant une injustice».

Chaque lanceur d’alerte a son lâche préféré. Celui qui vous soutient lundi, vous «lâche» mercredi et vous poignarde vendredi ; celui qui est scandalisé par ce que vous dénoncez mais qui ne fera rien car «ça ne le regarde pas» ; celui qui choisit son camp, celui des « vainqueurs »; celui qui a une femme qui ne travaille pas, des gosses, un crédit sur la maison, des vacances aux sports d’hiver ; celui qui se lance dans «l’aventure» avec vous mais qui sautera sur la première offre de négociation pour quitter le bateau; même celui qui retournera sa veste…
«Manque de courage» c’est sûr, «d’énergie morale» on n’en demandait pas tant, «de fermeté».

A l’occasion du nouveau show judiciaire Sarkozy au sujet de sa lune de miel éphémère mais lucrative avec feu le dictateur Kadhafi, Mediapart nous rappelle (ici) le peu d’enthousiasme de l’ensemble de la classe politique française, pendant ces six premières années d’enquête, à apporter sa pierre à l’édifice de la vérité.
Antton Rouget, auteur de l’article «La France face à l’affaire libyenne : chronique d’une lâcheté politique», nous informe : «La politique de l’autruche. Depuis 2012, malgré le chaos en Libye, malgré les soupçons de financement occultes et les arrangements de la France avec une dictature, le pouvoir politique a constamment détourné le regard de l’affaire Sarkozy-Kadhafi, qui présente les plus graves symptômes d’un scandale d’État»«écartant même l’hypothèse d’une commission d’enquête parlementaire sur l’évolution des relations entre Paris et Tripoli et le déclenchement de la guerre de 2011». Encore une fois, une spécificité française.
À l’étranger, les autres pays occidentaux embarqués dans la guerre en Libye ont affronté leur passé et le constat est saisissant. En Grande-Bretagne, une commission parlementaire des affaires étrangères a enquêté en refusant la version officielle servie par l’ancien premier ministre David Cameron, pour livrer en septembre 2016 des conclusions sans équivoques contre l’opportunisme de l’intervention anglaise. De même aux Etats-Unis en mars 2016 où Barack Obama a reconnu la responsabilité de son pays dans «le chaos libyen».
«Et en France… rien. Ni enquête parlementaire, ni initiative politique visant à interroger, au-delà des éléments couverts par l’enquête judiciaire sur le financement de la campagne de Nicolas Sarkozy en 2007, les possibles compromissions politiques, diplomatiques, commerciales ou militaires au plus haut sommet de l’État».
Que vont nous dire nos hommes politiques, parlementaires, chefs de partis, ministres, premiers ministres, présidents? Qu’ils ne savaient pas? François Hollande, Président de la République, ne semblait pas avoir beaucoup de doute : «Moi, président de la République, je n’ai jamais été mis en examen… Je n’ai jamais espionné un juge, je n’ai jamais rien demandé à un juge, je n’ai jamais été financé par la Libye…».

Un cas isolé ? Pas vraiment.

Prenons, au hasard, le cas Areva-Uramin. Encore un cas de cécité avancée pour la plupart des hommes politiques français. Pourtant, il semblerait que l’on soit dans les «milieux informés», au fait des agissements passés dans cette entreprise publique.
Bruno Le Maire, Ministre de l’Économie et des Finances en exercice : «Véritable scandale républicain, gestion indigente, dissimulation systématique, connivence, connaissance entre les uns et les autres, absence de contrôle de l’État…».
Retournons vers le Larousse.
Dissimulation: «action de cacher ce qui existe» ;
Connivence: «entente secrète, intelligence non avouée en vue d’une action ; complicité» ;
Indigente: «qui manque des choses les plus nécessaires».
En matière de gestion d’une entreprise multinationale, qui plus est publique, on aura compris que pour le ministre, le «véritable scandale républicain» d’Areva est fait de malversations en tout genre, sans doute d’acte de prévarication et de vol de fonds publics.
La classe politique ne pourra pas nous dire cette fois-ci, ne pas être au courant, ce réquisitoire ayant été tenu devant la représentation nationale.
Et puis ? Pas grand-chose à cette heure-ci malgré le suivi très documenté de ce dossier par certains journalistes, fournissant même les noms d’un État et des banques ayant vu transiter d’importantes sommes d’argent soupçonnées venir d’Areva.

Plusieurs lanceurs d’alerte ont pu faire directement l’expérience de cette lâcheté du corps politique qui semble plus préoccupé, toutes couleurs confondues, à se défendre les uns les autres. Sur des questions précises, sur des agissements concrets, combien de regards qui fuient, combien de changements brutaux de discussion, combien de réponses évasives ?

Nous n’avons de cesse sur MetaMorphosis de décrier et nous interroger sur les rôles effectifs des organes de contrôle censés suivre et faire appliquer lois et règlements.
N’oublions pas que dans une démocratie les parlementaires sont la première autorité de contrôle du pouvoir exécutif, de la défense de l’intérêt public, et du respect des lois qu’ils votent eux-mêmes.
L’affligeante passivité de la représentation nationale au regard des deux scandales majeurs cités dans cette tribune, nous interroge sur sa démission.
Face à ses responsabilités éludées, elle fait preuve d’un évident «manque de courage, d’énergie morale et de fermeté». En somme, de lâcheté.
…Le Larousse pourrait à présent compléter:
Parlementaire: « homme politique français passif et lâche »

MM.

Lanceurs d’alerte, échouez, la reconnaissance est à ce prix !

Vincent Crouzet, l’un des meilleurs connaisseurs des affaires Areva / Uramin, nous rappelle dans un billet publié ce jour sur le blog de Médiapart (ici), les anciennes fonctions (Président du Conseil de Surveillance) dans ce Groupe au moment de la folle et catastrophique aventure Uramin, de Jean-Cyril Spinetta, auteur d’un rapport sur « l’avenir du transport ferroviaire ».
Nous pourrons également consulter l’article de Martine Orange « le Rapport téléguidé pour justifier le démantèlement de la SNCF » du 15 Février dans Médiapart (ici). Pour faire simple, on est en face d’un Rapport très français, marqué du sceau de la complaisance des réseaux incestueux privés-publics. Un rapport du style : « donne-moi les réponses, je t’écris les bonnes questions »…

Le moins que l’on puisse dire c’est que ce Jean-Cyril Spinetta n’a pas fait l’objet d’une grande clairvoyance lors de ses fonctions chez Areva. Plus étonnant, mais très révélateur surtout avec le recul, il défend la gestion du Groupe, y compris l’acquisition d’Uramin, quand il en était le Président. Même devant l’évidence, il y a une incapacité à reconnaître ses erreurs, attitude tellement répandue dans la haute administration, publique ou privée, qu’elle n’est sans doute pas étrangère à la multiplication de scandales et d’échecs industriels. S’il ne s’agissait que de Jean-Cyril Spinetta… mais la liste de ces grands commis / gestionnaires titulaires de casseroles (quand ce n’est de batteries entières) qui continuent à donner leurs conseils de « bonne gestion », et vous dire ce que l’on doit « impérativement faire », est longue. Ce que l’on oublie souvent c’est que derrière ces rapports et conseils, il y a certes de l’argent public, mais surtout des salariés et leurs familles, des sous-traitants, des fournisseurs et tant d’autres qui deviennent victimes de l’incompétence de certains. Nous n’en ferons pas la liste ici, arrêtons nous juste sur le plus emblématique d’entre eux, Conseil depuis des dizaines d’années de la plupart des leaders politiques et des propriétaires ou dirigeants de grands groupes, Alain Minc.
L’hebdomadaire Marianne du 25 Août 2015 résume parfaitement son aura visionnaire : « On l’aime bien, Alain Minc. Il y a chez lui une mystérieuse force d’inertie face aux signes avant-coureurs d’une catastrophe ». En janvier 2008 déjà, alors que tous les indicateurs viraient au rouge foncé, notre Pythie libérale expliquait que «le système financier» est «régulé avec un doigté tel qu’on éviterait une crise, qui aurait pu être quand même de l’ampleur des très grandes crises financières qu’on a connues dans le passé !» Et d’ajouter : «C’est quand même un univers au fond qui est très résilient, qui est très bien régulé». Il concluait ainsi : «L’économie mondiale est plutôt bien gérée». Puis, en juin 2008, trois mois avant un crash qui allait mettre à terre l’économie mondiale : «Le risque de grand dérapage est a priori passé».

D’un côté, il y a la parole officielle, donc labellisée vraie, tenue par des personnes n’ayant aucune ou une faible légitimité à la tenir. Mais leur appartenance à un système de cooptation consanguin public-privé valide sans autre contrôle ou contradiction leurs propos et propositions. D’un autre côté il y a ceux, et au premier rang les lanceurs d’alertes, au fait des réalités de la gestion quotidienne des organisations, de leur insuffisance et parfois de leurs errements et fautes, qui peinent à se faire entendre. Mais que vaut cette parole ? Rien, on l’aura compris. Mais avant d’en arriver là, cette parole va passer par toutes les couleurs de l’ignominie : mensonge, chantage, vengeance… folie même… Surtout ne posez pas la question de savoir si le Sir Jean-Cyril Spinetta est le mieux avisé et désintéressé pour parler du statut des cheminots, surtout n’osez pas la question de savoir si ses liens économiques, politiques et sociologiques en font le meilleur observateur de « l’avenir du transport ferroviaire », surtout ne pensez pas même à demander si sa cruelle absence de clairvoyance lors de son passage chez Areva ne serait pas de nature à le disqualifier d’entrée pour une telle réflexion.
Nous avons tous connu dans nos carrières professionnelles des gens, honnêtes et impliqués, définitivement disqualifiés à l’accession à certains postes hiérarchiques plus élevés, pour des petites erreurs aux conséquences sans comparaison avec l’affaire Uramin. Et ne parlons même pas des lanceurs d’alerte disqualifiés à jamais moralement et professionnellement, pour… avoir simplement fait leur travail et respecté leurs obligations.
Beaucoup de nos donneurs de leçons ne peuvent pas en dire autant…

MM.