L’œil du lanceur

Il n’est pas question de revenir sur le débat politique d’hier soir, l’interview du président de la république Emmanuel Macron menée par Edwy Plenel et Jean-Jacques Bourdin.
Il y a abondance ce jour, de remarques, commentaires, analyses et autres, de tout genre, tout niveau et pour tous les goûts. Il n’y avait pas grand chose à attendre de ce débat et le résultat nous donne raison.
A cet exercice debout qui nous change des Pernault ou Delahousse assis, reconnaissons aux interviewers d’avoir fait le travail même si cela a manqué parfois de persévérance dans le questionnement; reconnaissons enfin à l’interviewé une certaine combativité même si l’on reste sur notre faim sur le fond.
Cela reste au final un exercice de communication politique pour les deux parties, qui – chacune dans leur rôle- présentent une facture assez lisse et sans surprise.

Regardons plutôt du côté des moments qui sortent de cette continuité, de cette permanence de la communication. Laissons les interviewers à leur travail : nous regretterons que Plenel ait été si facilement déstabilisé par la basse attaque sur le redressement fiscal de Médiapart (cf. plus loin) et ait mis un temps certain avant de revenir dans le débat sans vraiment pousser l’interviewé dans ses retranchements; nous pouvons regretter que Bourdin ait parfois trop facilement lâché prise ou n’ait pas su choisir les arguments et exemples les plus appropriés…

Mais celui qui nous intéresse c’est l’autre. Une prestation combative mais au final assez convenue, conforme au personnage sans vision de l’avenir, arqué sur des positions idéologiques et emmuré dans ses certitudes de classe. D’accord ou pas, on ne lui en veut pas, il fait le job de ceux qui l’on fait élire et auxquels il doit rendre des comptes ce qui était sans doute la finalité première de l’exercice d’hier soir (le choix des contradicteurs et il ne manquait plus que Lucet, semble aller dans ce sens), genre «regardez, je n’ai pas peur de ces ennemis de notre classe, je confirme devant tout le monde que je ferai ce pour quoi vous m’avez fait élire»
Après, nous ne chipoterons pas sur les inexactitudes, approximations, affirmations fausses, réponses à côté de la plaque… de toute façon «votre bon peuple» veut voir un gendre parfait avec des couilles… Pardon pour l’expression, mais chez les lanceurs, c’est sans langue de bois!

Revenons à ces fameux moments, à ces cassures dans le discours. Ce qui est bien avec Macron, et ce n’est pas la première fois que nous le remarquons (cf. sa dernière visite en milieu hospitalier), c’est qu’il perd vite pied dès qu’il y a un petit accroc dans la machine ; autre avantage c’est que ça se voit tout de suite dans le discours lui-même mais aussi dans le ton de la voix et ses expressions. On peut donc difficilement se tromper, à sa décharge ses amis ne lui demandent pas d’être un bon comédien, juste un bon serviteur.
Nous avons décelé trois moments, fort intéressants car ils relèvent du même sujet qui se trouve être l’un des chevaux de bataille de MetaMorphosis.

A trois reprises Macron a dévié de son plan de communication. A trois reprises, il est sorti de son rôle de président gendre idéal pour redevenir le réactionnaire oligarque qu’il est. A chaque fois cela avait affaire à l’argent, comme si en parler était déjà un péché : Arnault, Pinault et Parly.

Temps 1, sur le premier personnage, Arnault – il n’est secret pour personne qu’il demeure son obligé – sa réaction fut virulente et haineuse comme en témoigne l’attaque par le redressement fiscal de Médiapart. Outre le fait que Macron connaît très bien la réalité de cette affaire et le bien fondé de la position du site journalistique, il est quand même étonnant, pour quelqu’un qui nous rabâche pratiquement à chacune de ses sorties l’importance de la révolution numérique, de le voir se perdre dans une telle attaque, un coup bas, petit mais blessant. Laissons ça de côté, Médiapart est assez grand pour se défendre. Alors pourquoi blesser ? Rendre coup pour coup parce qu’on est soi-même blessé?
Dire et affirmer qu’Arnault pratique l’optimisation fiscale à outrance atteint donc directement Macron. Pourquoi pas! Nous avons eu droit alors à ce magnifique flou artistique du chat noir qui n’est pas tout noir, de la fraude qui n’est pas totalement de la fraude, de l’optimisation qui n’est pas encore de la fraude, de la fraude que ce n’est pas la mienne de faute… Tout ça pour nous dire qu’on ne fera pas grand chose.

Temps deux, Pinault…décidément ils commencent à m’ennuyer mes patrons! Alors, là oui, bien sûr que l’on fait quelque chose, mais on ne vous dira pas quoi ; et puis comme on n’a rien à cacher, on va le faire sous le couvert du verrou de Bercy mais là aussi on ne vous dira pas quoi… Si Pinault ça gêne moins qu’Arnault, que l’un et l’autre ne s’en n’inquiètent pas, on va juste dire qu’on va faire des choses… De toute évidence, sur la séquence fraude fiscale, Macron n’était pas à l’aise et assez vindicatif. Dommage que les interviewers n’aient pas plus profité de ce moment. Si d’un côté on peut comprendre que l’inaction est difficilement défendable pour l’homme d’action qu’il cherche à vendre, la réaction est apparue tout à fait disproportionnée comme si certains sujets ne pouvaient être débattus sur la place publique. Concernant la fraude fiscale, la re-publica (la chose publique) s’arrête aux portes des ministères.

Temps 3, la dernière séquence concernant Parly, est la plus révélatrice. Comme pour Arnault, voilà Macron qui attaque sous la ceinture lorsque Plenel évoque le salaire de Parly quand elle était en charge de la stratégie (sic) à la SNCF. Entreprise publique, argent public, salaires rendus publics, c’est quoi le problème Macron ? D’accord, 50.000 euros par mois pour une responsable de la stratégie de l’entreprise c’est un peu cher payé quand on voit le tableau catastrophique que nous tire aujourd’hui le gouvernement de ce service public! Mais pire, et c’est là que nous voulions en venir car cette séquence résume pour nous ce qui devait être retenu du débat, Plenel a eu l’indécence de mettre en parallèle pouvoir et responsabilité. Comme pour les deux cas précédents, Macron a joué la carte de l’attaque pour repousser la question et bien évidemment ne jamais y répondre. Mieux, il est apparu dédouaner de toute responsabilité ceux en charge de la stratégie, au motif qu’ils ne sont pas directement responsables des choix stratégiques de l’entreprise. Dit autrement, la responsable de la stratégie de la SNCF n’est pas responsable des échecs stratégiques de la SNCF qui relèvent de choix stratégiques de la SNCF !!! Comprendra qui pourra, là on a dépassé de loin la séquence sur la fraude fiscale.

Le moment est en fait assez délicieux pour ceux qui, comme les lanceurs d’alerte, ont vécu directement et dans leur chair parfois, cette démission générale des structures dirigeante et de contrôle, ce basculement bien réel vers l’irresponsabilité que même la justice aujourd’hui semble reconnaître, cette déconnexion totale entre l’exercice du pouvoir et la responsabilité. Mais nous comprenons mieux la logique : si la responsable de la stratégie n’est pas responsable des échecs stratégiques, les salariés, eux, en paieront quoi qu’il en soit, le plein tarif.

MM.

Lanceurs d’alerte, échouez, la reconnaissance est à ce prix !

Vincent Crouzet, l’un des meilleurs connaisseurs des affaires Areva / Uramin, nous rappelle dans un billet publié ce jour sur le blog de Médiapart (ici), les anciennes fonctions (Président du Conseil de Surveillance) dans ce Groupe au moment de la folle et catastrophique aventure Uramin, de Jean-Cyril Spinetta, auteur d’un rapport sur « l’avenir du transport ferroviaire ».
Nous pourrons également consulter l’article de Martine Orange « le Rapport téléguidé pour justifier le démantèlement de la SNCF » du 15 Février dans Médiapart (ici). Pour faire simple, on est en face d’un Rapport très français, marqué du sceau de la complaisance des réseaux incestueux privés-publics. Un rapport du style : « donne-moi les réponses, je t’écris les bonnes questions »…

Le moins que l’on puisse dire c’est que ce Jean-Cyril Spinetta n’a pas fait l’objet d’une grande clairvoyance lors de ses fonctions chez Areva. Plus étonnant, mais très révélateur surtout avec le recul, il défend la gestion du Groupe, y compris l’acquisition d’Uramin, quand il en était le Président. Même devant l’évidence, il y a une incapacité à reconnaître ses erreurs, attitude tellement répandue dans la haute administration, publique ou privée, qu’elle n’est sans doute pas étrangère à la multiplication de scandales et d’échecs industriels. S’il ne s’agissait que de Jean-Cyril Spinetta… mais la liste de ces grands commis / gestionnaires titulaires de casseroles (quand ce n’est de batteries entières) qui continuent à donner leurs conseils de « bonne gestion », et vous dire ce que l’on doit « impérativement faire », est longue. Ce que l’on oublie souvent c’est que derrière ces rapports et conseils, il y a certes de l’argent public, mais surtout des salariés et leurs familles, des sous-traitants, des fournisseurs et tant d’autres qui deviennent victimes de l’incompétence de certains. Nous n’en ferons pas la liste ici, arrêtons nous juste sur le plus emblématique d’entre eux, Conseil depuis des dizaines d’années de la plupart des leaders politiques et des propriétaires ou dirigeants de grands groupes, Alain Minc.
L’hebdomadaire Marianne du 25 Août 2015 résume parfaitement son aura visionnaire : « On l’aime bien, Alain Minc. Il y a chez lui une mystérieuse force d’inertie face aux signes avant-coureurs d’une catastrophe ». En janvier 2008 déjà, alors que tous les indicateurs viraient au rouge foncé, notre Pythie libérale expliquait que «le système financier» est «régulé avec un doigté tel qu’on éviterait une crise, qui aurait pu être quand même de l’ampleur des très grandes crises financières qu’on a connues dans le passé !» Et d’ajouter : «C’est quand même un univers au fond qui est très résilient, qui est très bien régulé». Il concluait ainsi : «L’économie mondiale est plutôt bien gérée». Puis, en juin 2008, trois mois avant un crash qui allait mettre à terre l’économie mondiale : «Le risque de grand dérapage est a priori passé».

D’un côté, il y a la parole officielle, donc labellisée vraie, tenue par des personnes n’ayant aucune ou une faible légitimité à la tenir. Mais leur appartenance à un système de cooptation consanguin public-privé valide sans autre contrôle ou contradiction leurs propos et propositions. D’un autre côté il y a ceux, et au premier rang les lanceurs d’alertes, au fait des réalités de la gestion quotidienne des organisations, de leur insuffisance et parfois de leurs errements et fautes, qui peinent à se faire entendre. Mais que vaut cette parole ? Rien, on l’aura compris. Mais avant d’en arriver là, cette parole va passer par toutes les couleurs de l’ignominie : mensonge, chantage, vengeance… folie même… Surtout ne posez pas la question de savoir si le Sir Jean-Cyril Spinetta est le mieux avisé et désintéressé pour parler du statut des cheminots, surtout n’osez pas la question de savoir si ses liens économiques, politiques et sociologiques en font le meilleur observateur de « l’avenir du transport ferroviaire », surtout ne pensez pas même à demander si sa cruelle absence de clairvoyance lors de son passage chez Areva ne serait pas de nature à le disqualifier d’entrée pour une telle réflexion.
Nous avons tous connu dans nos carrières professionnelles des gens, honnêtes et impliqués, définitivement disqualifiés à l’accession à certains postes hiérarchiques plus élevés, pour des petites erreurs aux conséquences sans comparaison avec l’affaire Uramin. Et ne parlons même pas des lanceurs d’alerte disqualifiés à jamais moralement et professionnellement, pour… avoir simplement fait leur travail et respecté leurs obligations.
Beaucoup de nos donneurs de leçons ne peuvent pas en dire autant…

MM.