Quand la pensée rétrécit, c’est la vertu qui trinque

Rien de bien nouveau sous les lustres versaillais. Notre «président le petit» pour paraphraser Victor Hugo, a rentabilisé ses investissements en conseils en communication, coiffeurs, maquilleuses et autres vaisselles, pour nous faire partager son envie irrépréhensible de personnifier la République dans une forme toujours un peu plus autoritaire, «illibérale» si on veut faire «moderne».
Il n’y a en fait pas grand-chose à en dire, car tout ceci, à la suite des Poutine, Erdogan, Maduro et consorts, relève avant tout du domaine de la psychologie et accessoirement de la défense de caste. Ce n’est pas que la plus grande vigilance s’impose, le temps semblant s’inscrire un peu partout dans un cercle vicié et peut être déjà irréversible, mais la raison n’a ici que peu de place, remplacée par les contre-vérités et l’idéologie comme seules armes d’exercice du pouvoir.

On pourrait en faire un catalogue à la Prévert, sans grand intérêt, toujours la même litanie à l’œuvre depuis un an et encore au moins quatre années à tenir. Ne jetons pas la pierre à notre communicant d’opérette, il n’y a pas mieux à se mettre sous la dent chez ses alliés, amis-ennemis, ennemis-amis ou opposants affichés. La pauvreté du discours et du débat politique est sans doute la chose la mieux partagée au sein des bancs des assemblées.
Demeurent quelques îlots épars et diffus où la réflexion, l’argumentation et la contradiction ont encore droit de cité, mais force est de constater que «l’ignorance crasse» (Desproges) de nos dirigeants est bien incapable de les entendre.
Alors on a eu droit -entre autres- au chant des sirènes des débuts de la révolution industrielle, quand la bourgeoise détentrice du capital décide de se substituer à l’aristocratie rentière (c’est une tautologie en fait, le capital étant devenu une rente et la caste dominante n’ayant que changé de nom), selon laquelle seule l’entreprise serait créatrice de richesse. Dommage que notre «président le petit» ait séché les cours d’économie pour ceux d’expression théâtrale, auxquels on le renverra, et n’ait toujours pas compris que cette discipline n’étant qu’une science sociale, seule la confrontation au réel permet de porter des affirmations nécessaires évolutives dans le temps. Dans le cas présent, on pourra se rapporter à l’article de Frédéric Lordon dans le Monde Diplomatique (ici) qui rappelle que se sont les conditions macro-économiques qui permettent éventuellement aux entreprises de créer de la richesse, qu’elles n’en créent jamais in extenso, où la vérité statistique selon laquelle les plus fortes périodes de création de richesse par les entreprises correspondent à celles de plus fortes dépenses publiques, les entreprises, comme tout agent économique, n’étant rien sans des infrastructures, des services publics et un cadre juridique efficaces.

Au-delà de cette petite cuisine économique, qui n’a pour seul but que d’insister sur le fait qu’une présentation tronquée, partielle et partiale de la réalité n’a d’autre finalité que de servir un discours destiné à façonner une vision idéologique de l’exercice du pouvoir, l’assertion versaillaise nous semble cacher quelque chose de plus profond. Car il y a ici un détournement de sens de nature à convoquer la vertu.
Dans sa perception immédiate, la richesse est un bien commun censé profiter à l’intérêt général. Or, l’entreprise créé avant toute chose de la valeur dont on sait très bien, les chiffres eux ne mentent pas, est quasi-exclusivement accaparée par les détenteurs du capital et du pouvoir, les miettes pour les salariés. Comme souvent avec Macron, et en cela il confirme une psychologie troublée, il y a toujours une part de vérité dans ses mensonges. Il suffit de se donner la peine de rechercher le sens caché. Et il a raison : seules les entreprises créent de la valeur, si l’on pouvait devenir riche par son seul travail salarié cela se saurait, et en soit ce n’est pas un mal. Simplement le discours ne connaît pas la méthode -de la valeur pour qui ?- car poser la question c’est dire de quel type de société on se réclame, c’est dire à qui l’État doit apporter son soutien, c’est ne pas dire ce que l’on va faire. Ne pas poser la question c’est aussi tout autoriser puisque l’intérêt général serait en jeu. C’est donc éluder les questions d’éthique du champ de l’entreprise.

Quand des actualités se percutent c’est parfois croustillant et souvent instructif. La peur ! Celle qui s’empare des salariés des entreprises de nouvelles technologies, en France et aux États-Unis. Dans l’Amérique de Trump c’est la peur des ingénieurs, techniciens, développeurs… des Google, Facebook, Amazon et autres Gafam de voir leur travail utilisé par leur gouvernement ou ceux d’États étrangers pour porter atteinte aux droits fondamentaux des peuples.

Ce mouvement, qui prend de plus en plus d’ampleur outre-atlantique, est documenté dans plusieurs articles (NYT, Washington Post) et tout récemment encore dans un article de We Demain (ici) au titre évocateur : «Migrants : des employés des GAFAM refusent de collaborer avec l’État US – Amazon, Google, Microsoft… Ces dernières semaines, des salariés des géants de la tech dénoncent la vente de puissants outils technologiques aux forces de l’ordre américaines, à des fins de surveillance et de répression envers les migrants».
Et en France ? C’est la peur des employés d’Amesys que des journalistes s’intéressent à leur travail ! (ici). Ils le disent : «on vit dans la peur».


Au moins, ils ont la franchise que leur mentor de petit président n’a pas. Comme nous le résume Antoine Champagne pour le site Reflets, auteur de l’enquête, «c’est une éthique très particulière que celle que se sont choisie les salariés d’Amesys. Si l’exportation de nos armes numériques sont autorisées, peu importe le mal qui sera fait avec elles… ».

Après tout, si le boulot consiste à créer de la seule valeur pour l’entreprise, que faire de considérations éthiques? La valeur est financière ou ne l’est pas.
S’il s’agit de créer de la richesse pour la société, le débat est autre. Ne pas donner à d’autres, par le fruit de notre travail, la capacité de faire ce que l’on ne voudrait pas que l’on nous fasse, c’est une richesse.
Car bien évidemment la richesse n’est pas que financière. Mais c’est un autre débat pour lequel on peut fortement douter de trouver une oreille attentive du côté du Palais de l’Elysée …

MM.

« Si c’est moi… c’est à moi »

Une donnée à caractère personnel (couramment « données personnelles ») correspond en droit français à toute information relative à une personne physique identifiée ou qui peut être identifiée, directement ou indirectement, par référence à un numéro d’identification ou à un ou plusieurs éléments qui lui sont propres.
L’entrée en vigueur du règlement européen sur la protection des données personnelles, généralement abrévié en RGPD, approche à grands pas, le 25 mai prochain.

Le sigle RGPD signifie Règlement Général pour la Protection des Données personnelles. En anglais, le sigle est GDPR pour « General Data Protection Regulation ». Il désigne le nouveau texte de référence européen en matière de protection des données personnelles. Il a été conçu pour adapter et moderniser la législation et harmoniser le cadre juridique européen dans ce domaine. Toutes les entreprises, organismes publics et associations des 28 États membres de l’Union européenne qui collectent des données à caractère personnel sur les résidents européens, sont concernés. Les organisations issues de pays en dehors de l’UE sont aussi concernées si elles collectent et traitent des données personnelles de résidents européens. Les Gafa, Uber, Airbnb et autres sont donc également soumis au règlement.

Le texte du RGPD a été adopté définitivement le 14 avril 2016 par le Parlement européen après de longues négociations, et promulgué au Journal Officiel le 27 avril 2016. Il remplace l’ancien texte de référence européen de 1995 en matière de protection des données personnelles. Cette ancienne directive avait servi en France de fondement à la loi Informatique et libertés. La version finale du texte RGPD est disponible en français sur le site de l’Union européenne ou sur le site de la CNIL. Le RGPD doit entrer en vigueur le 25 mai 2018. Comme il s’agit d’un règlement européen, et non pas d’une directive, le texte entrera en application simultanément dans tous les États membres de l’Union européenne, sans transposition dans les droits nationaux. Autrement dit, le Parlement français n’aura pas besoin de voter la transposition du texte en France.
Après le 25 mai 2018, tout traitement en infraction avec le RGPD pourra déboucher sur des sanctions. Des amendes jusqu’à 20 millions d’euros ou 4% du chiffre d’affaires annuel de l’exercice précédent pourront être prononcées. Ce sera le montant le plus élevé qui sera retenu entre ces deux cas de figure.

Pour les géants du web comme Facebook ou Google, la note pourrait atteindre des dizaines ou des centaines de millions d’euros. Cependant, les multinationales ne sont pas forcément les entreprises les plus exposées car elles ont des armées de juristes et d’experts qui travaillent déjà à plein temps sur le sujet. En revanche, le risque est plus élevé pour les petites entités comme les TPE, PME ou associations, souvent peu renseignées sur le sujet.
Comme auparavant, la Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil) procèdera à des vérifications dans les locaux des organisations ou en ligne. Les contrôles seront effectués sur la base d’un programme annuel, des plaintes reçues par la Cnil, ou encore des informations présentes dans les médias. Ils pourront également faire suite à un précédent contrôle. Étant donné que les principes fondamentaux de la protection des données restent globalement inchangés (sécurité des données, loyauté du traitement, durée de conservation…), ils continueront donc à faire l’objet de vérifications rigoureuses de la part de la Cnil.

En revanche, les nouvelles obligations et les nouveaux droits résultant du RGPD (droit à la portabilité, analyses d’impact…) feront l’objet de contrôles. Mais ils seront dans un premier temps non punitifs. L’objectif est d’aider les organismes à bien comprendre les enjeux et la mise en œuvre opérationnelle des nouvelles dispositions. Si l’entité est de bonne foi et qu’elle est engagée dans une démarche de conformité, la Cnil n’appliquera aucune sanction durant les premiers mois qui suivront l’entrée en vigueur du règlement. Autre nouveauté à noter, les contrôles effectués sur les acteurs internationaux seront réalisés par plusieurs organismes afin de rendre une décision à portée européenne.

Les 4 principes clés du RGPD sont :
– le consentement,
– la transparence,
– le droit des personnes et
– la responsabilité (accountability).

Le consentement.
L’article 7 stipule que « le consentement devrait être donné par un acte positif clair par lequel la personne concernée manifeste de façon libre, spécifique, éclairée et univoque son accord au traitement des données à caractère personnel la concernant, par exemple au moyen d’une déclaration écrite, y compris par voie électronique, ou d’une déclaration orale »;
Le consentement peut être retiré à tout moment par les personnes le demandant. Pour les entreprises à caractère BtoB, la collecte du consentement n’est pas obligatoire si la finalité de la collecte est bien respectée (les cases pré-cochées sont autorisées).

La transparence.
Comme il est précisé dans l’article 12 du RGPD, les organisations doivent fournir aux individus des informations claires et sans ambiguïté sur la façon dont sont traitées leurs données. Celles-ci doivent être accessibles par tous, via des documents contractuels, des formulaires de collecte ou les pages « privacy » des sites web.

Le droit des personnes.
De nouveaux droits sont apparus dans le règlement comme le droit à l’oubli pour tous les utilisateurs. Les organisations n’auront plus qu’un mois (au lieu de deux) pour supprimer les données suite à une demande. Le droit à la portabilité des données est aussi une nouveauté. Il permet à un individu de récupérer les informations qu’il a fournies sous une forme réutilisable pour, le cas échéant, les transférer à un tiers.

Le principe de responsabilité (accountability).
Il regroupe toutes les mesures qui visent à responsabiliser davantage les entreprises dans le traitement des données à caractère personnel. Les organismes doivent par exemple mettre en place des mesures adéquates pour garantir la sécurité des données. Elles doivent également appliquer le « privacy by design », un concept qui impose de réfléchir à la protection des données personnelles en amont de la conception d’un produit ou d’un service. Elles doivent aussi choisir des sous-traitants qui soient conformes au RGPD ou encore désigner un data protection officer (DPO), chargé de contrôler la conformité de l’organisme avec le RGPD.

Le DPO, chef d’orchestre du RGPD-
Le délégué à la protection des données personnelles ou data protection officer en anglais est chargé d’assurer la mise en conformité RGPD de l’organisme pour lequel il travaille. Il doit s’assurer que les collaborateurs respectent les dispositions du règlement quand ils utilisent des données à des fins commerciales ou à des fins internes (au sein des logiciels RH par exemple). Il est donc amené à collaborer avec tous les départements. La désignation d’un DPO est obligatoire pour « les autorités ou les organismes publics, les organismes dont les activités de base les amènent à réaliser un suivi régulier et systématique des personnes à grande échelle et les organismes dont les activités de base les amènent à traiter à grande échelle des données dites sensibles ou relatives à des condamnations pénales et infractions » précise la Cnil. Enfin, le DPO peut être mutualisé, c’est-à- dire désigné pour plusieurs organismes sous certaines conditions (être facilement joignable par exemple). Le DPO est en quelque sorte le successeur du correspondant informatique et libertés (CIL), facultatif depuis 2005, qui est chargé de veiller au respect de la loi Informatique et libertés dans les organismes publics et privés. Les missions du DPO sont toutefois plus strictes. Il doit être doté de certaines qualifications (qualités professionnelles, connaissances du droit en matière de protection de données). Ses missions diffèrent toutefois du CIL puisqu’il a une dimension de conseil et de sensibilisation sur les nouvelles obligations du règlement.

Tout ceci semble bien pensé et solide. Reconnaissons à l’Europe une apparente réelle volonté, en opposition à ce qui se dessine aux États-Unis, de placer l’internaute et ses données personnelles au centre de la problématique. Nos expériences « déformantes » de lanceurs d’alerte nous conduisent à être néanmoins prudents et d’attendre de voir si tous ces dispositifs sont effectifs et efficaces. Aussi, nous suivrons avec attention toutes les démarches destinées à mettre à l’épreuve cette nouvelle réglementation.

L’association de défense des droits et libertés à l’ère du numérique, La Quadrature du Net (LQDN), a lancé une vaste campagne contre les Gafam (Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft), (ici), reposant sur une série d’actions de groupe contre leurs services, grâce à l’entrée en vigueur au 25 mai du règlement européen sur la protection des données (RGPD).
L’article 80 du RGPD permet en effet à toute personne concernée de mandater un organisme ou une association à but non lucratif actif « dans le domaine de la protection des droits et libertés des personnes concernées » pour effectuer en son nom une réclamation.
Sur cette base, La Quadrature compte lancer une douzaine d’actions auprès de la Commission nationale informatique et liberté (Cnil) à compter du 25 mai, estimant d’ores et déjà que les géants du Net visés ne respecteront pas les règles de consentement explicite et de protection des données prévues dans le RGPD.
Pour LQDN, « les services des Gafam ne peuvent s’accaparer nos données qu’avec notre consentement libre et explicite. Il n’est pas libre s’il nous est imposé de le donner pour accéder à leurs services. Or, c’est bien ce qu’ils font ».

MM.