Il était une fois la Wells Fargo et ses whistleblowers

Ce soir, nous allons vous raconter une histoire extraordinaire.
Dans un pays lointain, des lanceurs d’alerte ont porté…l’alerte, ont été (difficilement) entendus par les Autorités de contrôle de leur secteur d’activité, puis licenciés par la banque, pour être ensuite, finalement réintégrés, les préjudices subis et salaires non perçus pendant ces années, devant être réglés par l’employeur licencieur.
Wells Fargo ends fight with a whistleblower in fake-accounts scandal
Leurs dénonces ? des comptes fantômes ouverts dans la banque, des surprimes d’assurances autos, des pratiques commerciales douteuses…une série de scandales qui apparaissent les uns après les autres.
Quoiqu’il en soit, des mesures de précautions et sanctions significatives (prises par la FED) sont tombées ce jour.

Ce merveilleux pays n’est pourtant pas très différent du nôtre. Nous avons la même économie, les mêmes principes de droit, les mêmes Autorités de contrôle, une justice dans les textes totalement indépendante, et sans doute ce pays ne compte pas plus de voyous qu’ailleurs.
Si dans ce pays une telle histoire est une réalité, chez nous, ce n’est qu’un rêve pieux.

Mais quel est ce pays où l’Autorité de contrôle du secteur ne se contente pas de promesses mais interdit toute extension des activités tant que les dysfonctionnements ne sont pas corrigés?
Mais quel est ce pays où le gendarme du secteur impose non pas le licenciement de quelques seconds couteaux mais de quatre membres du Conseil d’Administration?
Mais quel est ce pays où des membres du Parlement agissent pour que les sanctions soient exemplaires et se réjouissent que les Autorités de contrôle puissent faire leur travail en indépendance et avec efficacité ?
Sans doute un Etat communiste qui a dû renier la beauté et la magie de l’économie libérale?
Eh bien non! Il s’agit des Etats-Unis de Trump et de l’une des plus grande banque du secteur…

En tous les cas, vous l’aurez compris, tous les donneurs de leçons habituels le disent en cœur: « pas de ça chez nous, ici on est en France ».

Une sanction sans précédent s’abat sur Wells Fargo
Wells Fargo defrauded the government during financial crisis: suit

MM.

L’alerte au temps de la censure

La sortie demain du livre « Vincent tout-puissant » co-écrit par Messieurs Jean-Pierre Canet et Nicolas Vescovacci fait l’objet ce jour d’une pré-couverture dans Télérama ici.

A ce titre, rappelons que certains membres fondateurs de MetaMorphosis sont bien malgré eux à la genèse de l’enquête menée sur la Banque Pasche – Crédit Mutuel CIC censurée par Canal+ et Bolloré, qui est devenue emblématique du cœur de la réflexion que mène le Collectif sur le vaste sujet de l’alerte.

Messieurs Canet et Vescovacci commencent leur récit par la déprogrammation par Canal+ du documentaire Banque Pasche – Crédit Mutuel CIC. Comme rappelé dans l’interview de Télérama, les lanceurs d’alerte leur avaient fait rapidement part de leur inquiétude de l’effective diffusion de leur travail sur cette chaîne. Certes parce qu’ils bénéficiaient d’une source privilégiée leur permettant d’avoir cette inquiétude avant même les réalisateurs du documentaire… mais pas uniquement. Leur sentiment reposait également sur la relation privilégiée et ancienne entretenue entre les groupes Crédit Mutuel (maison mère de la Pasche) et Bolloré, la banque étant un partenaire financier important de ce dernier. ici
Les lanceurs réagissaient également après deux années de combat en fonction de l’expérience qu’ils avaient de leur relation avec la presse.
Après avoir sollicité tout ce que la France peut compter de presse quotidienne et hebdomadaire, les silences des uns, les refus polis d’autres, voire les refus motivés de certains autres, pouvaient laisser penser, face à l’incapacité de susciter l’attention, que les rapports de pouvoir au sein du monde médiatique avaient très largement basculés au profit des financiers et au détriment de l’investigation (à l’exception notable de Médiapart et de un ou deux journalistes indépendants).

Malgré le professionnalisme, la volonté et la réelle indépendance des auteurs du reportage, les lanceurs ont très rapidement été pour toutes ces raisons, suspicieux dans la capacité d’obtenir une diffusion nationale de l’enquête selon le format qui avait été retenu.

Nous touchons là au second point de ce billet, cet exemple et toute la démonstration que souhaitent réaliser Messieurs Canet et Vescovacci au travers de leur livre, confirment une fois de plus que l’un des enjeux principaux de l’alerte est la capacité pour les lanceurs, déjà exclus du processus judiciaire, de trouver des canaux leur permettant de relayer leur témoignage.
Jeux de pouvoir, liens financiers, liens incestueux avec le politique (l’absence totale de réaction du monde politique -autant sollicité que les médias- étant à ce titre très révélatrice), procédures bâillons dont l’un des auteurs de « Bolloré tout-puissant » en est aujourd’hui la victime, prise de contrôle des rédactions, chantage à l’emploi… autant de situations et de techniques visant à faire taire l’alerte, sans que les lanceurs ne puissent compter sur quelles qu’autres formes de contre pouvoir, si ce n’est comme cherche à le faire MetaMorphosis, de fédérer des expériences et des combats au sein d’une structure totalement indépendante des pouvoirs aussi bien économique que politique.
Nous avons conscience à MetaMorphosis que sur le papier le combat peut apparaître fortement déséquilibré voire perdu d’avance diront certains, il n’en demeure pas moins que pour nous, tant qu’il y aura la liberté de parole, il y a la liberté d’agir et la possibilité de continuer à faire passer les messages.

Alors, rejoignez MetaMorphosis le site et bientôt l’Association.

MM.

Et pour ceux qui n’ont pas vu ledit reportage:

Carte blanche à Yasmine Motarjemi lanceuse d’alerte chez Nestlé

MetaMorphosis est heureux d’accueillir la contribution de Madame Yasmine Motarjemi lanceuse d’alerte chez Nestlé, ex Directrice de la sécurité sanitaire des aliments.
Titulaire d’un doctorat en ingénierie alimentaire de l’Université de Lund en Suède, elle rejoint en 1990, l’Organisation mondiale de la santé à Genève en tant que scientifique senior. De 2000 à 2010, elle a occupé le poste de vice-présidente adjointe chez Nestlé et a travaillé en tant que responsable mondiale de la sécurité des produits Nestlé.

À la suite du scandale de l’épidémie de salmonelle liée à Lactalis, de nombreux réseaux sociaux ont soulevé la question: pourquoi n’y a-t il pas eu de lanceur d’alerte dans cette entreprise?
Yasmine Motarjemi répond à la question, dans la Tribune « L’ère de la dénonciation est arrivée ».

« Le problème est que le harcèlement psychologique et le licenciement abusif, suivis de chômage, menacent ceux qui osent protester contre la négligence. Le harcèlement psychologique est utilisé pour exercer des représailles contre les lanceurs d alerte, mais le harcèlement a également des répercussions sur le travail des employés, leur santé et la sécurité des produits, de multiples façons.

Le dimanche 7 janvier 2018, à l’occasion de la remise des Golden Globe, les vedettes de l’industrie l’industrie cinématographique étaient vêtues de noir pour manifester contre le harcèlement sexuel et montrer leur solidarité avec les victimes.

Certains cas de harcèlement ont eu lieu il y a plusieurs années et les victimes sont restées silencieuses. Certaines victimes ont accepté ce harcèlement dans le but de promouvoir leur carrière. Néanmoins, il est admirable que l’industrie cinématographique soit maintenant mobilisée pour purger le système et apporter un certain degré de moralité à leurs pratiques.

En revanche, dans l’industrie alimentaire, personne ne s’élève contre le harcèlement et le mobbing, que les raisons soient sexuelles, de jalousie, de discrimination, de représailles ou pour réduire au silence les lanceurs d’alerte. Pas plus les collègues que les associations professionnelles ou les autorités ne font preuve de solidarité avec les victimes. Elles ne manifestent aucun intérêt pour mettre fin à de telles pratiques.

Les conséquences du harcèlement moral pour les victimes sont profondes et durables. Leur vie est souvent irrémédiablement détruite. De telles pratiques de management devraient retenir l’attention du public.

Dans l’industrie alimentaire ou dans d’autres industries telles que les produits pharmaceutiques, les transports, les produits chimiques, etc., de tels événements auront une incidence sur la sécurité des biens de consommation et de l’environnement, ainsi que sur la santé et le bien-être des personnes. Je pense que l’industrie alimentaire et les autres secteurs d’activité devraient apprendre de l’industrie cinématographique et mettre un terme à ces pratiques qui peuvent ruiner la vie.

La balle est dans la cour des dirigeants et de la haute direction, en d’autres termes, les vedettes du secteur alimentaire ».

Yasmine Montarjemi

Version originale en anglais: ici

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En savoir plus:

Du journal Le Monde : Une ancienne de Nestlé dénonce la gestion défaillante du groupe en matière de sécurité alimentaire

Article Yasmine Journal -L'Essor- Fév 2015 by France Culture on Scribd

Lettre de Yasmine Motarjemi à M.Schneider by Le Lanceur on Scribd

Natixis: la victoire du lanceur d’alerte

Suite à la décision du tribunal prud’homal lundi 22 janvier 2018, le directeur des risques de la Natixis, qui s’était dressé contre de graves irrégularités au sein de la banque, obtient l’annulation de son licenciement et sa réintégration au sein de la société.
Nous tenions à souligner l’importante victoire de ce lanceur d’alerte, importante car elle confirme le bien fondé à la fois de l’attitude du lanceur et de la nature des faits dénoncés, une victoire qui ne se limite pas, comme bien souvent, à l’unique procès en diffamation, à la seule parole du lanceur d’alerte, qui même relaxé, risque d’attendre longtemps pour que les faits dénoncés soient -s’ils le sont un jour- enfin traités.
Sur ces sujets, il n’est de grande victoire sans condamnation et/ou amendes infligées aux auteurs des infractions et sans régularisation des dysfonctionnements constatés.

Par ailleurs, rappelons que cette histoire est symptomatique de ce que vivent la plupart des lanceurs d’alerte qui même en respectant scrupuleusement la procédure d’alerte, conformément à la loi, sont soumis aux pressions, licenciement express, discrédits, blacklistage…
La réintégration de celui qui n’a fait que son travail peut ainsi être perçue comme une réhabilitation: une réelle victoire.

Enfin, comme souligné par Mediapart dans l’article ci- joint, cette affaire confirme que l’on ne peut décidément se reposer sur l’unique auto-régulation des marchés par les sociétés. Cette croyance dans la capacités des acteurs privés à s’auto-réguler étant l’un des axes de la politique économique du gouvernement français, il y a peu à attendre de ce côté là. Nous voyons bien qu’il existe une forte opposition entre la défense par l’entreprise d’un intérêt privé et la nécessité pour la collectivité, et donc pour l’Etat, de défendre l’intérêt général.
A l’image de ce qui est fait en Angleterre, il apparaît comme essentiel que des employés ayant des postes sensibles ou à fortes responsabilités, ne soient pas uniquement hiérarchiquement soumis à leur entreprise mais également à l’Instance régulatrice de la profession, unique façon d’apporter aux lanceurs un meilleur niveau de protection en cas de dysfonctionnements déclarés, et par conséquent de réguler au mieux ce qui relèverait de l’intérêt général.
Si ceci est un vœu, nous n’oublions pas qu’il convient simultanément de revoir la composition et le fonctionnement desdites instances, trop d’exemples démontrant qu’elles n’agissent, même quand elles sont prévenues en temps et en heure, que trop tardivement et/ou insuffisamment, voire pas du tout. L’exemple dans le présent article, le prouvant encore une fois.
Natixis: après le camouflet de l’AMF, celui de la justice

En ce jour de soutien à la presse et aux journalistes face aux procédures baillons et parce qu’informer n’est pas un délit, soulignons le travail d’investigation d’une certaine presse, malheureusement de plus en plus rare, sans laquelle le dossier Natixis ainsi que celui de défense du lanceur, se seraient sans doute perdus dans les méandres de la justice.

MM.

Actualité judiciaire: l’indépendance du Parquet attendra

Deux décisions récentes sur des sujets qui nous intéressent tous et notamment les lanceurs d’alerte (en premier lieu ceux dont les dossiers touchent la finance), méritent d’être brièvement rappelés. Nous comprenons qu’une justice totalement indépendante du pouvoir politique et égale pour tous n’est pas à l’ordre du jour de ce quinquennat. Il est à regretter qu’elle ne soit pas non plus à l’ordre du jour de la plupart des politiques ou partis, autant d’éléments qui malheureusement compliquent la tache des lanceurs d’alerte.

1/ L’indépendance du parquet
L’arrêt de la CEDH (Cour Européenne des Droits de l’Homme) du 27 juin 2013 rappelle que le parquet français, en raison de son statut, ne présente pas la garantie d’indépendance vis à vis de l’exécutif qui caractérise, comme l’impartialité, une autorité judiciaire au sens de l’article 5 § 3 de la Convention européenne des droits de l’homme. A cette occasion, le syndicat de la magistrature soulignait dans un communiqué que la CEDH avait rappelé aux autorités françaises que les magistrats du parquet ne présentaient pas les garanties d’indépendance leur permettant d’être considérés comme des autorités judiciaires au sens de la Convention, que de modifier à la marge la composition du CSM (Conseil Supérieur de la Magistrature) était insuffisante, mais qu’il convenait de conférer au ministère public les garanties statutaires lui permettant d’exercer ses missions avec toute l’indépendance nécessaire au bon fonctionnement de notre démocratie.
La France condamnée par la CEDH… à une réforme constitutionnelle !
Il n’est pas inutile de rappeler que la France représente à ce titre une exception parmi les grands pays démocratiques européens, le Parquet n’ayant pas comme en Italie par exemple l’obligation d’instruire, sa mise sous tutelle politique peut conduire dans certains cas à « une gestion » des instructions ce dont certains lanceurs d’alerte pourraient témoigner.
Lors de l’audience solennelle de rentrée de la Cour de Cassation, lundi 15 janvier, le chef de l’Etat s’est prononcé en faveur du maintien d’une « chaîne hiérarchique » entre les magistrats du parquet et le ministre de la Justice. il refuse d’accorder au parquet son indépendance totale.
Macron refuse d’accorder au parquet son indépendance totale
Suite à cette annonce, le syndicat de la magistrature a communiqué:


Malgré les promesses, cette situation semble devoir perdurer quelle que soit la couleur politique affichée et au-delà des beaux discours nous ne pouvons que constater qu’il y a une maladie bien française du politique consistant à toujours s’assurer d’avoir la main, en cas de besoin, sur les affaires judiciaires.

2/ Le verrou de Bercy
Auditionnée ce mardi 15 Janvier à l’Assemblée, La procureur du PNF (Parquet National Financier), Eliane Houlette, a estimé que le « verrou » de Bercy « bloque toute la chaîne pénale ».


Rappelons que le privilège revenant à Bercy en matière de poursuite pénale pour fraude fiscale n’a pu être supprimé.
Adopté par le Sénat, l’amendement suggérant la suppression partielle du «verrou de Bercy», étudié dans le cadre du projet de loi sur la moralisation de la vie politique, avait été rejeté le 25 juillet 2017 à l’Assemblée nationale.
Notons néanmoins que la question du verrou de Bercy fait l’objet aujourd’hui d’une mission: dix-neuf députés, de tous bords politiques, vont enquêter et auditionner jusqu’en avril au sujet des procédures de poursuites contre la fraude, l’évasion et l’optimisation fiscales. Ils se prononceront alors, pour ou contre le monopole de Bercy.
Fraude fiscale. L’Assemblée nationale lance une mission sur le verrou de Bercy

Ce sujet, comme le souligne la Procureure Madame Houlette, conduit à une inégalité de traitement des français devant la loi fiscale. Soulignons aussi que peu de politiques sembleraient enclin à se priver d’un tel levier de pouvoir.
Avec l’indépendance du Parquet, le verrou de Bercy est devenu le serpent de mer de la vie politique française qui constitue, parmi d’autres, des entraves à l’action des lanceurs d’alerte.

Lancer l’alerte : est-ce vraiment sérieux et nécessaire ?

L’actualité récente nous permet de mettre en perspective l’action du lanceur d’alerte.
Nous ne nous attacherons pas ici aux seules victoires personnelles, qui n’ont pour effet que l’auto-satisfaction, quand elles ne s’attaquent pas au sujet même de l’alerte.

Cinq années après les déclarations d’Edward Snowden et en dépit de la couverture médiatique et de l’émotion (toujours sincère ?) qu’elles ont pu susciter, nous apprenons que la Chambre des représentants des États-Unis a adopté jeudi dernier un projet de loi visant à renouveler le programme de surveillance d’Internet de la NSA sans mandat, en faisant fi des objections des défenseurs de la vie privée.

Quatre années après les révélations, suite à son heureuse et bienvenue relaxe prononcée par la cours de cassation luxembourgeoise, Antoine Deltour a posté le message suivant:
« …Enfin, maintenant qu’on a presque fini de parler du sort des lanceurs d’alerte, on va peut-être enfin pouvoir se ré-intéresser au fond de l’affaire. Et j’ai justement quelques réflexions à partager.
1) Les révélations « Luxleaks 2 » de décembre 2014 sont tombées dans l’oubli alors qu’elles impliquent TOUS les grands cabinets d’audit, y compris les concurrents de PwC.
2) Le Luxembourg, qui a brillé dans sa communication post-Luxleaks (« ce sont des pratiques du passé, nous avons fait beaucoup de progrès depuis ») continue à s’opposer à l’harmonisation de l’impôt sur les sociétés, contre l’avis même de J.C. Juncker.
3) Malgré quelques avancées en faveur de la justice fiscale, les recettes de l’impôt sur les sociétés continuent de diminuer en Europe comme la banquise au pôle nord. Et les bénéfices des multinationales grimpent comme le niveau de la mer aux Maldives. C’est le résultat de la course verse le bas qui découle de la concurrence fiscale.
4) La succession des scandales, et surtout les Paradise Papers, me font peu à peu douter qu’on arrive un jour à mettre de l’ordre dans tout ça.
5) Enfin, à mon avis, nous ferions mieux de mobiliser notre temps de cerveau disponible pour atténuer l’effondrement et construire l’après. Car l’espèce humaine ne va pas pouvoir continuer longtemps à détruire son propre milieu de vie sans un rappel à l’ordre assez brutal. »

2008 : le premier « Leak » SwissLeaks. Que reste t-il dix ans après, que reste t -il après les PanamaPapers, MaltaFiles, LuxLeaks, ParadisePapers etc ? Sans parler de tous les scandales qui ont touché telles ou telles multinationales ? Rien ou plutôt la bonne parole de Moscovici, Commissaire Européen aux affaires économique et monétaire, à la fiscalité et à l’union douanière: « il n’y a pas de Paradis Fiscaux en Europe. »
Comme le nuage de Tchernobyl qui avait été suffisamment discipliné pour ne pas franchir les frontières européennes, l’argent de la fraude fiscale, du blanchiment ou de la corruption fait de même.
Se faisant, nous comprenons mieux la Commission : il n’y a pas grand chose à faire.

Pourquoi lance t-on l’alerte ?
Pour être célèbre ? Sûrement pas, même si certains semblent y trouver un échappatoire à l’isolement.
Par vocation ? Non plus.
Pour défendre des valeurs ? Sans doute une bonne raison mais non suffisante.
À la question souvent posée « regrettez-vous d’avoir lancé l’alerte ? »
Outre qu’elle n’ait pas de sens, il n’y a jamais de réponse satisfaisante.
Enfin reste la question : « le referiez-vous ? »
On oublie souvent que la motivation première du lanceur est de se conformer à ses obligations professionnelles et ou légales. Dénoncer consiste alors à informer les Autorités de contrôles et ou judiciaires que certaines personnes s’affranchissent des règlements et lois que la Société a posés pour veiller à l’intérêt de tous. Bien souvent cette obligation de dénoncer est également une obligation personnelle qui risque d’exposer judiciairement le salarié en cas de silence.
Tout ceci pour souligner que dans la démarche de l’alerte il y a un lien de cause à effet, et donc un besoin de résultat.
On ne dénonce ni par vocation ni par plaisir mais parce que c’est le plus souvent une obligation ce en quoi nous attendons que les Autorités désignées à cet effet, ou la justice, fassent cesser les risques que représentent pour la Société, les agissements de certains.
Poser la question aux lanceurs « à quoi a servi votre alerte ? » Nombreux vous répondront, après un si long combat et tant d’années, à rien.

La justice est lente et cette lenteur est clairement identifiée : faiblesse des moyens et manque de volonté des juges. Si cet argument nous voulons bien l’entendre, en quoi cela devrait être le problème du justiciable et à fortiori du lanceur ?
Ceci est un choix politique dont on identifiera sans problème les volontés cachées. L’ensemble des affaires précédemment citées dure depuis cinq à dix années et permet de mettre en perspective l’action des lanceurs : in fine (s’il y a un jour une fin) tout ceci, pour quel résultat ? Edward Snowden est toujours à Moscou et la loi de surveillance générale a été renouvelée. Antoine Deltour est innocenté et comme il le souligne lui même, le business fiscal du Luxembourg réalisé au détriment des autres états membres continue… HSBC (l’affaire arrivée à terme après dix années d’instruction) ne sera jamais condamnée après avoir « négocié » avec la justice le prix d’une amende et ironie de l’histoire, ce qui reste un échappatoire à la justice commune a été défendu par une association de « défense » des lanceurs d’alerte.
UBS sera peut être jugée un jour mais encore combien de cartes en main pour éloigner la date fatidique ? Les affaires des cabinets en optimisation fiscales du Panama, des Bahamas et d’ailleurs, ont-elles été sérieusement affectées ? Pendant ce temps on tue une journaliste d’investigation à Malte… et chaque lanceur en charge de son affaire qu’il ne peut laisser faute de quoi sans doute serait-elle enterrée, attend son tour.
Beaucoup d’autres affaires bien qu’ayant connu de fortes médiatisations, sont dans la même situation. Tant d’années après, les résultats ne sont vraiment pas convaincants.

Alors s’il s’agit de lancer l’alerte pour faire du bruit, ce n’est ni la motivation ni le but recherché par les lanceurs. Cela fait sans doute plaisir à une certaine presse, à quelques acteurs auto-proclamés défenseurs de la « cause », et à quelques politiques usant l’alerte à des fins de récupération… Malheureusement il semble qu’il faut être lanceur pour se rendre compte qu’après l’agitation, le calme plat revient très vite, promesses et engagements évaporés.
Lancer l’alerte, c’est avant toute chose mettre fin aux pratiques dénoncées. A défaut, rapidement pour que les instances de contrôles ou le pouvoir judiciaire prennent des mesures conservatoires dans un souci de précaution. Or là aussi, la présomption d’innocence reste la plus forte. Combien de personnes dénoncées, pour certaines mises en examen, et qui demeurent néanmoins en plein exercice de leurs fonctions, nullement inquiétées? Combien de lanceurs d’alerte, dès leur dénonciation, alors même que les instructions ouvertes viennent confirmer le bien fondé de leurs soupçons, alors même que l’avancée des procédures vient confirmer la réalité des infractions, demeurent marginalisés, personnellement et professionnellement, dans l’incapacité de se reconstruire ?

Si le but du système est, au terme de dix années de combat à minima, s’entendre dire que l’on a bien fait de porter l’alerte mais que dans les faits aucune mesure pendant tout ce temps n’a été prise pour mettre un terme aux pratiques délictueuses dénoncées, qu’aucune des personnes responsables n’a été réellement suspendues à minima voire condamnées au mieux, alors nous avons la réponse au titre de cet article : lancer l’alerte n’est pas sérieux, ni à titre personnel pour les conséquences désastreuses que l’on connait, ni même pour l’intérêt général qui n’en récolterait quasiment jamais et que trop tardivement les fruits.
Mieux vaut tard que jamais ? Très certainement si nous prenons le cas d’Irène Frachon et du Médiator qui reste malheureusement le rare exemple qui infirmerait la règle… Mais pour combien de morts ?

MM.

La presse: faut-il lancer l’alerte ?

Nous vous recommandons la lecture suivante Macron décodeur-en-chef de Fréderic Lordon, tribune parue dans le blog du Monde Diplomatique le 08/01/2018.

Cette tribune s’inscrit dans le cadre de la volonté du Président Macron de proposer une loi visant à contrôler les fake-news. Au-delà de ce sujet, Frédéric Lordon met en évidence l’importante responsabilité que porte la presse dans la désaffection du public à son égard et dans sa perte de crédibilité.
Nous, lanceurs d’alerte, considérons que ce sujet nous intéresse directement .
Une fois l’alerte lancée, une fois la justice saisie (quand c’est le cas), et au regard de l’extrême lenteur de cette dernière, le lanceur est lui, pendant ce temps, plongé dans un violent isolement. Seule une presse indépendante et volontaire pourrait assurer le relais. Or, comme le montre très bien Frédéric Lordon, la presse dans son ensemble (même si quelques trop rares exceptions existent), a largement participé à sa propre marginalisation en acceptant ce qu’il appelle « une fusion des pouvoirs ».
Loin de nous l’idée de faire le procès de la presse, certains de ses acteurs ayant montré notamment sur des dossiers d’importance, la prépondérance de leur rôle dans l’éclatement de la vérité. Néanmoins, force est de constater aujourd’hui, que ce rôle qui est en danger, se réduit à peau de chagrin.
Partant de cet état des lieux général et très souvent confirmé par nos expériences, il est de plus décevant de constater que les quelques supports de presse se revendiquant encore de l’investigation, limitent leur travail à des comptes-rendus de Pv d’auditions ou d’ordonnances de renvoi, ce qui concourt également et un peu plus à la marginalisation et l’isolement du lanceur d’alerte préalablement victime des lenteurs des procédures elles-mêmes.
A titre d’exemple nous publions ici un récent échange de messages Facebook entre un « citoyen inquiet », un « lanceur largué » et un « journaliste pressé », le tout volontairement anonymisé pour ne porter préjudice à personne, le « journaliste pressé » faisant partie d’un grand groupe de presse régionale. Au delà de la perceptible pression exercée par le Groupe et son actionnaire sur ses journalistes, il est révélateur d’une réelle dégradation du sens du métier, et de son rôle essentiel qui serait dans toute démocratie, d’informer à minima.
Soumission au lobby, dites-vous? Un journalisme de préfecture?

Le sentiment de cet échange? Il en ressort l’absence d’une réelle volonté d’informer, de questionner et de s’opposer aux pouvoirs. Presque du désintérêt, alors qu’on nous assène que certaines informations à révéler seraient d’intérêt public et « les lanceurs » nécessaires au bon fonctionnement de la démocratie. Quid des lanceurs si les journaux ne suivent pas? De notre démocratie?
Face à une presse pleinement investie dans le marché de la publicité et du buzz, il semble difficile aujourd’hui pour un lanceur de sensibiliser sur son dossier s’il n’est pas en amont pleinement documenté et s’il ne permet pas de faire immédiatement un lien avec un sujet d’actualité. Ne nous leurrons pas, entre les choix de lignes éditoriales servant souvent d’excuse pour ne pas traiter voire relater des faits graves, la presse a aussi son marketing et business! Quant aux quelques lanceurs qui parviennent malgré tout, à témoigner médiatiquement, très vite le sujet traité comme « fait divers » tombera tout comme eux dans les oubliettes…

Si la presse n’est pas tout à fait morte, faudrait-il qu’elle retrouve son indépendance et veuille vraiment s’attacher à son rôle essentiel qui est d’informer (tant que ce n’est pas encore un délit), d’enquêter, de suivre les sujets et de porter un œil critique sur les discours des différents pouvoirs. Quant à devoir lancer l’alerte, en espérant qu’elle puisse encore bénéficier d’un peu d’écho , mieux vaut vous prévenir que face à l’isolement, vous devrez vous armer de patience et persévérance.

MM.

10 conseils pour prévenir les risques de corruption dans votre organisation

Le directeur de l’Agence française anticorruption, Charles Duchaines détaille les mesures anticorruption obligatoires pour les entreprises, dans le cadre de la loi sur la transparence, la lutte contre la corruption et la modernisation de la vie économique, dite « Sapin II ».
Découvrez les 10 conseils de l’Agence française anticorruption (AFA) pour prévenir les risques dans votre organisation.

1. S’approprier la démarche anticorruption
2. Sensibiliser le sommet de la hiérarchie
3. Cartographier les risques
4. Avoir une approche exhaustive
5. S’attacher aux enjeux de corruption et pas seulement aux enjeux financiers
6. Définir un code de conduite obligatoire
7. Mettre en place un contrôle interne
8. Mettre en œuvre un dispositif d’alerte interne et protéger les lanceurs d’alerte
9. Former les personnels et les responsables
10. Solliciter l’Agence française anticorruption

Lancer l’alerte: mythes et réalités

Du côté des « anges » est un film documentaire français de Mathieu Verboud réalisé en 2007 sur les « whistleblowers », les lanceurs d’alerte.
Dénoncer des faits contraires à l’éthique ou à l’intérêt collectif se paie individuellement et le plus souvent au prix fort. C’est ce que montre ce documentaire, à travers une poignée d’exemples, glanés aux Etats-Unis, mais aussi en Europe.
Lancer l’alerte, oui, à condition de ne pas avaler le sifflet.
Dénoncer, oui, encore faut-il être entendu. Autrement c’est « se jeter sous le train, en espérant l’arrêter »…
Cette enquête édifiante pose en creux la question des contre-pouvoirs dans notre société gagnée par l’individualisme. Quels sont-ils, et surtout qui les relaie à l’heure où le journalisme d’investigation jouit de moins en moins de place et de moyens?

De l’alerte à la télé-réalité

Inspiré en cela par la philosophie et l’action des Associations Anglo-Saxonnes de défense des lanceurs d’alertes, MétaMorphosis a été pensée autour de deux forces principales :
– Son caractère non-partisan et à fortiori apolitique, l’alerte transcendant par définition le jeu des partis puisqu’elle s’adresse à l’intérêt général.
– La nécessité d’identifier l’alerte au-delà des revendications catégorielles et de privilégier sa défense à celle, individuelle, du lanceur.

Dans ce contexte :

– Nous nous étonnions récemment de la banalisation du champ de l’alerte à tout type de revendications sectorielles (pour légitimes qu’elles soient) jusqu’au ridicule de l’affectation de ce qualificatif par une certaine presse partisane à des hommes politiques (Macron le Lanceur) ou des activités sectorielles (les banques lanceuses), quand ce n’est pas certains politiques qui proclament ainsi une confrère (Eric Coquerel à Danielle Simonet). Ces démarches n’ont à notre sens pour seules conséquences, une dévalorisation de l’action des réels lanceurs d’alerte et la propagation d’un trouble dans l’esprit de l’opinion publique.

– A la création de MétaMorphosis, nous rappelions que le choix du caractère apolitique et non partisan de l’Association était dicté par la volonté de privilégier l’intérêt général; nous soulignions aussi que l’expérience d’une lanceuse d’alerte dans le domaine bancaire (Stéphanie Gibaud) s’affichant ouvertement depuis plusieurs années avec un parti politique (Debout La France) a nui à la compréhension du combat. D’autres depuis ont suivi le même chemin, tenant quasiment les mêmes discours bien que positionnés différemment sur l’échiquier politique, allant jusque dans l’ hémicycle de l’Assemblée Nationale se faire citer sans vraiment parler de l’alerte. Ici aussi, ces démarches n’ont à notre sens, comme le démontre le cas évoqué précédemment, que l’effet contraire du but recherché à savoir dans l’opinion publique l’assimilation de l’alerte à une démarche partisane, ce qui nous le rappelons, est la négation même de l’alerte qui veille à la défense de l’intérêt général. De même que la Défense des Droits de l’Homme ne peut être partisane car elle s’adresse à l’ensemble de l’humanité quelles que soient les différences de ses composantes, l’alerte s’adresse à tous dans la mesure où elle met en évidence les dysfonctionnements et/ou la non application de lois qui constituent les règles du corps social de l’ensemble de la Nation et non uniquement de certaines de ses fractions.

– Nous pensions avoir tout vu, mais le besoin quasi maladif de certains lanceurs à personnifier leur action nous fait franchir une nouvelle étape dans le ridicule. On connaît maintenant ce qui semble être un jeu pour certains : un petit clic contre un peu de notoriété, une pensée pour une cause contre le gain d’une place dans le monde merveilleux des people… Le lanceur sera t-il mieux classé que la starlette de télé réalité ? Tout un programme…
Si nous ne sommes pas comptables de ce que font les autres, de la perception qu’ils ont du lanceur et des alertes, nous restons responsables de cautionner ce qui ne pourra jamais être une bonne idée : une place sur un podium.
Comme pour les démarches précédentes, cette façon d’agir obscurcit le sens de l’alerte derrière le rôle idolâtré du lanceur; elle a pour conséquence une fois de plus, de substituer la notion d’intérêt général à celle de l’intérêt particulier voire partisan, et de ne créer qu’un peu plus de confusion dans l’esprit d’un public mal informé.

Toutes ces actions conduisent aujourd’hui à un profil type de l’alerte résumé à une personne partisane et/ou médiatisée. Une telle situation arrange à la fois les Associations françaises de pseudo défense de l’alerte et l’essentiel de la presse mainstream, leur permettant, en ne s’attachant qu’à la personne et son parcours, de masquer leur inaction totale sur ces sujets. Il est regrettable que des lanceurs, s’affichant de surcroît en opposition à une telle presse, se prêtent à ce jeu. Il ne faut pas s’étonner ensuite que la défense des sujets d’alerte soit si peu d’actualité et si peu suivi d’effets.

Tous ces éléments confortent MétaMorphosis dans sa stratégie même si elle peut apparaître moins facile d’accès et moins rapidement compréhensible. Nous demeurons convaincus que c’est en plaçant l’alerte au centre de nos démarches et en évitant ces écueils que nous pourrons, pas après pas, faire avancer les vrais combats.

MM.