Évasion fiscale: le bon sens loin de chez nous

Nous n’avons pas fait l’ENA, mais quand même… Nous n’avons pas la prétention d’être forts en math, mais au moins d’avoir du bon sens. Et le bon sens, c’est comme l’argent de l’évasion fiscale, il semble pour certains, être loin de chez nous.

Au-delà des chiffres, il y a quand même certaines réalités qui en disent long sur le fait que nos dirigeants en sont eux, totalement dépourvus. Et que quelque part, ils font la démonstration de leurs piètres compétences de gestionnaires.
Alors oui, nos calculs sont peut-être travaillés à la louche, il n’en demeure pas moins que les grandeurs restent pertinentes.

«La fraude fiscale explose et atteint les 100 milliards d’euros !» pour reprendre le titre de l’article de Marianne qui se fait l’écho du dernier rapport établi par le syndicat Solidaires-Finances publiques.

«La dernière livraison de cette étude quinquennale estime dans sa fourchette haute à 100 milliards d’euros le manque à gagner pour les caisses de l’État, sans compter donc les fraudes aux prélèvements sociaux qui grèvent, elles, celles de la Sécu. Vingt milliards supplémentaires par rapport à l’estimation réalisée il y a cinq ans».
Comme le rappelle le magazine, «de quoi assurer à L’État un budget en équilibre, puisque les 100 milliards viendraient financer non seulement les 82 milliards du déficit budgétaire, mais également toute la politique publique en faveur de l’écologie – 7 autres milliards – et celle de la transition écologique – 11 milliards d’euros».
«En même temps», soyons branchés, le syndicat auteur de l’étude rappelle que l’État a procédé à la suppression de 3 100 postes de contrôleurs.
En somme, l’État vise d’un côté à faire des économies par les suppressions de poste, de l’autre il feint d’ignorer un manque à gagner car nous l’aurons bien compris, ce sont ces agents -de surcroît « en voie de disparition »- qui sont les mieux placés pour recouvrir les sommes de l’évasion fiscale.
Pourquoi pas, si les finances publiques en sont gagnantes!

➡️ Alors sortons notre belle calculette, celle avec les grosses touches!
Nous avons:
🔴 3 100 agents représentant en moyenne un coût annuel, salaires, charges sociales, frais fixes de euros 100.000 (soyons généreux), cela nous fait une économie annuelle de euros 310 millions.
🔴 D’un autre côté, le manque à gagner supplémentaire pour les recettes de l’État est estimé par cette nouvelle étude à euros 20 milliards par an (et ce, sans parler du «stock» de euros 80 milliards).
Donc, nous faisons 310 millions d’économies pour ne pas se donner les moyens de ne pas perdre 20 milliards!
✅ Autrement dit, nous préférons 310 millions d’économies faits sur le dos de 3.100 agents à 20 milliards d’euros des plus riches.

➡️ On est d’accord, le fait de maintenir ces 3 100 fonctionnaires n’aurait sans doute pas assuré d’éviter l’intégralité du manque à gagner. Il n’en demeure pas moins que d’une part, alors que la lutte contre la fraude fiscale ne semble pas montrer de grand progrès depuis des décennies et que d’autre part, elle ne fait au final que s’accroître, la meilleure façon de la combattre semble encore de développer les moyens de lutte au lieu de les diminuer.
Et c’est à ce niveau que l’on peut sérieusement se poser des questions sur les capacités de gestionnaires des gouvernants et autres hauts fonctionnaires.
✅ Plus on multiplie le nombre d’agents contrôleurs, plus on multiplie le nombre de contrôle et statistiquement plus on multiplie les chances de débusquer la fraude fiscale.
Il y a peu, les pontes de Bercy nous expliquaient que l’on pouvait aisément dégraisser l’administration du fisc tout en maintenant le même service grâce à l’informatisation des processus et des contrôles. Désolé, mais ces chiffres montrent que l’informatique n’est pas encore au point ou qu’elle ne regarde pas au bon endroit.

➡️ Ou alors tout ceci ne serait que démagogie…et là nos dirigeants excelleraient en mauvaise foi.
Parce qu’enfin, tout gestionnaire un tant soit peu soucieux de productivité, se dirait qu’un investissement de euros 310 millions pour espérer récolter euros 20 milliards, ça reste un investissement très rentable. Il suffit en effet de réaliser 1,55% (!) de l’objectif pour rentrer dans ses frais, une misère…
Dans un tel schéma, un gouvernement soucieux de l’intérêt général et d’efficacité prendrait même le pari d’embaucher massivement des contrôleurs fiscaux, 5 000, 10 000, 20 000… étant quasiment assuré d’avoir très rapidement un retour sur investissement. Parce qu’avec une masse de euros 100 milliards d’évasion, il serait quand même malheureux de ne pas rentrer rapidement dans ses frais. La probabilité de ne pas y parvenir est quasiment nulle !

Même si c’est sans doute vrai, l’excuse de l’incompétence de nos dirigeants est un peu facile, toute volonté comme bon sens ayant définitivement disparu.
Cette façon de faire rappelera à certains lanceurs d’alerte leurs déboires avec la justice. A présent, Bercy fait sienne la nouvelle maxime de gouvernance : «qui ne cherche pas, ne trouve pas»!
Et pendant ce temps, rien ne se règle.

MM.

«Un pognon de dingue»

D’accord, le titre de cette tribune est un peu facile, d’un autre côté nous ne pouvions que l’utiliser…

MetaMorphosis parlait récemment (ici) budget et dette publics à l’occasion d’un énième rapport de la Cour des Comptes sur les finances de L’État. On s’étonnait à cette occasion, de cette obsession de nos politiques (non exempte d’arrière-pensées les concernant) mais également de l’Institution de la rue Cambon, de réduire le budget de la Nation aux seules dépenses. Si déficit il y a, c’est que les dépenses sont soit mal employées, soit trop importantes. Il est étonnant et sans doute très révélateur que l’autre composante essentielle pour ne pas dire première (sans elles, pas de dépenses) du budget, les recettes, ne soit jamais, ou seulement à la marge, évoquée. On pourrait en effet tenir le même type de réflexion ou de remarque, en s’interrogeant sur la nature même de ces recettes et de leur efficace ou non collecte. C’est un exercice qui n’est quasiment jamais effectué par nos politiques et instances en charge du suivi des comptes de la Nation.

Quelques informations dans l’actualité viennent agrémenter ce questionnement.

Une brève du Monde du 17 Juillet sous le titre «La lutte contre la fraude fiscale a moins rapporté en 2017» (ici) :
«La lutte contre la fraude fiscale a moins rapporté aux finances publiques en 2017, selon le rapport annuel de la direction générale des finances publiques (DGFiP) rendu public mardi 17 juillet. Sur l’ensemble de l’année, les redressements fiscaux ont atteint 17,9 milliards d’euros, soit un repli de 1,6 milliard par rapport à 2016 (19,5 milliards), et de 3,3 milliards par rapport à 2015, année marquée par un niveau de redressements record (21,2 milliards)».
En soi, ce n’est pas une baisse très importante. Mais l’interrogation nous semble être ailleurs, dans le fait qu’une baisse puisse être enregistrée. Dans ce type d’action, dont on nous dit depuis plusieurs années qu’elle est une préoccupation essentielle des différents gouvernements, l’expérience devrait conduire, par la connaissance des mécanismes de fraude et d’évasion qu’elle apporte aux services concernés, à un genre d’effet multiplicateur des redressements. Que certaines années comme 2015 puissent être exceptionnelles est compréhensible, il est par contre clair que la tendance sur trois ans est à la baisse.
Il y a d’autant plus matière à être très étonné d’un tel «trend» quand on se rappelle l’emphase avec laquelle le Ministre des comptes publics nous avait vendu l’impérieuse nécessité de maintenir le «verrou de Bercy» au nom de l’incommensurable efficacité de ce dispositif par rapport à la justice.
Nous ne savons pas si les juges seraient plus efficaces (et pour cause), par contre l’efficacité vantée par le gouvernement n’est pas, dans les chiffres, au rendez-vous.

Redonnons la parole aux Services fiscaux : «…le directeur général des finances publiques, Bruno Parent, explique les fluctuations de ces deux dernières années par deux facteurs. Le premier concerne la baisse du régime du service de traitement des déclarations rectificatives (STDR), mis en place en 2013 pour favoriser la régularisation des évadés fiscaux, et qui a officiellement fermé ses portes le 31 décembre 2017».
«L’autre explication tient à la baisse des dossiers dits « exceptionnels ». En 2015, plusieurs gros redressements liés à des multinationales avaient été notifiés par Bercy».

Résumons : la politique de lutte contre la fraude fiscale du gouvernement français repose sur deux axes, l’auto-dénonciation et les bons coups, en un mot une politique du type «sur un malentendu, ça peut le faire !».

Bien évidemment, si on parle lutte contre la fraude fiscale, on parle recettes. Selon des statistiques et estimations aujourd’hui communément admises, le manque à gagner en recettes fiscales serait pour la France au bas mot de 60 milliards d’euros par an (estimation basse). Une fois que l’on a fait ce constat, la seule chose qui importe est la politique et les moyens mis en œuvre pour recouvrir une telle somme. Quand on entend les discours précédents, on se dit qu’il n’y a guère de volonté politique pour tenter de remplir l’objectif.
Sans doute, volonté et efficacité sont intimement liées et passent par une soumission de tous au régime de droit commun, à une judiciarisation intégrale et sans exception des délits fiscaux, modèle le plus démocratique et efficace, comme on le voit en d’autres domaines, pour l’État de recouvrir tant de recettes perdues et ainsi s’éloigner des comportements de petits comptables des dépenses.
Il y a «le pognon de dingue» qui n’est pas encaissé sous forme de recettes fiscales, mais il y a également «le pognon de dingue» que certains coûtent à la collectivité. Non, nous ne parlons pas des «honteuses» dépenses de quelques centaines de millions d’euros (qui au passage remplissent pour la plupart très bien leur rôle), mais des dizaines de milliards que coûtent à la collectivité ceux qui sont «les seuls à créer de la richesse».
Sans doute, mais avec quel «pognon» et sur le dos de qui ?

Le 09 Juillet 2018, Bastamag (ici) s’est fait l’écho d’une étude originale publiée par l’Observatoire des multinationales (l’étude en question au format PDF : ici) sous le titre «Le véritable bilan annuel des grandes entreprises françaises».
L’objectif de l’étude y est décrit ainsi : «L’Observatoire des multinationales publie le premier «véritable bilan annuel» des multinationales françaises. Cet exercice inédit permet à tout un chacun d’aller au-delà de la comm’ et du jargon financier pour examiner ce que font réellement les grandes entreprises françaises dans des domaines aussi divers que le partage des richesses, la protection du climat, les droits des travailleurs, le lobbying ou la santé».

Bastamag en a fait une lecture critique : «Les vrais assistés de la société française ne sont pas forcément ceux qui sont le plus souvent montrés du doigt. Les gouvernements successifs ont fait de la préservation de la «compétitivité» des entreprises françaises leur mantra. «Compétitivité» qui s’est traduite par des allègements de cotisations sociales, par une précarisation de l’emploi, par des cadeaux fiscaux toujours plus importants, et qui a également servi à justifier l’absence d’action ambitieuse pour s’attaquer à la pollution de l’air ou réduire nos émissions de gaz à effet de serre».

L’étude de l’Observatoire des multinationales examine les «coûts sociétaux» imposés à la collectivité (l’État, les collectivités locales et la sécurité sociale) par cinq grandes multinationales françaises : Total, Michelin, Renault, EDF et Sanofi, du fait de mesures de moins-disant social, fiscal et environnemental destinées à préserver leur «compétitivité».
Résultat : le fardeau financier imposé chaque année aux budgets publics par ces entreprises s’échelonne entre 165 et 460 millions d’euros par an (soit une moyenne de 300 millions d’euros par entreprise). C’est davantage que le montant des impôts que ces entreprises versent chaque année en France. Or, l’impôt sur les sociétés n’est pas tant destiné à compenser les «coûts sociétaux» qu’à financer les infrastructures, le système éducatif ou judiciaire, dont ces entreprises ont aussi besoin pour fonctionner.
On pourrait encore aller plus loin dans le raisonnement comme le rappelle le site d’information : «Et encore, cette estimation ne prend en compte que les coûts réels et tangibles déjà encourus par la collectivité. Si l’on incluait les coûts subis par les particuliers sur le long terme, ou des coûts intangibles calculés par certains économistes, comme le prix d’une vie humaine en bonne santé, le fardeau imposé par ces multinationales à la société atteindrait rapidement des hauteurs stratosphériques, effaçant les bénéfices qu’elles réalisent chaque année».

Comme pour la fraude fiscale, nous serons tous d’accord pour dire que les politiques de soutien à la «compétitivité» de nos entreprises sont coûteuses. Ici aussi, au-delà du constat, ce qui importe est de pouvoir répondre à la question «sont-elles au moins efficaces?».
Les chiffres collectés par l’Observatoire des multinationales suggèrent que non. Toutes les entreprises étudiées, à l’exception d’EDF, ont vu leur effectif en France diminuer depuis 2010, alors même que leur effectif mondial et leur chiffre d’affaires cumulé croissaient de plus de 10 % sur la même période. Une tendance que l’on retrouve à l’échelle de tout le CAC40 qui a vu ses effectifs en France baisser de 20 % depuis 2010, malgré un chiffre d’affaires en hausse. Sur la même période, les dividendes ont bondi de 44 %.

Que ce soit une privatisation des bénéfices et/ou une mutualisation des coûts… dans les deux cas c’est «un pognon de dingue», mais pour qui ?

MM.

Société Générale, ça bulle ?!

Elle n’existerait pas, qu’il faudrait l’inventer, la Société Générale. On n’entend plus parler d’elle, que déjà elle nous manque. Mais on sait qu’elle va revenir, très vite….
Pour les journalistes, ce qui est bien avec elle, c’est qu’au premier janvier on est déjà sûr d’écrire un article dans l’année. Et c’est tous les ans comme ça : une fois ça concerne une méga-perte, une autre des sociétés offshores partout dans des leaks, une fois encore sur des liens incestueux avec la justice, et puis une légèreté coupable dans une grosse faillite… Et à chaque fois, la même chanson : on n’a rien vu, ce n’est pas de notre faute, on ne travaille plus dans les paradis fiscaux, ce sont les autres les méchants… Eh oui, ça passe comme ça à la Société Générale.

L’histoire du jour ne déroge pas à la grande histoire de la Société Générale. C’est l’Express, sous le titre «L’empereur de l’eau coule la banque» (ici) qui y revient.

Préalablement et quitte à y revenir -cette question est tellement symptomatique de l’état de notre démocratie- rappelons le contexte.

Que se passerait-il si, demain, événement inconcevable, le ministre du Budget apparaissait comme le détenteur d’un compte bancaire caché dans un paradis fiscal et non déclaré à sa propre administration ? Le procureur aurait-il les mains libres pour enquêter ? Il ne s’agit pas de politique-fiction. La France a déjà eu son Jérôme Cahuzac. Eh bien, peu s’en souviennent, mais, au moment de lancer ses investigations, le parquet de Paris n’avait pas pu déclencher une procédure pour «fraude fiscale». S’il avait voulu le faire, il lui aurait fallu demander le feu vert du ministre du Budget. Un certain Jérôme Cahuzac, lui même. Il a donc fallu que le procureur de la République use d’un subterfuge : faute de pouvoir s’intéresser directement à la fraude fiscale, il a ouvert une enquête pour un motif annexe, celui de «blanchiment de fraude fiscale». Un processus plus compliqué – et donc plus hasardeux -, puisqu’il lui faut donc enquêter sur deux délits au lieu d’un seul.
Tout cela est technique, mais tellement significatif. C’est ainsi que l’administration et elle seule, décide si la justice peut lancer des investigations à l’encontre des fraudeurs du fisc – c’est le «verrou de Bercy».
Le seul pays au monde où les juges sont ainsi bridés, c’est en France que cela se passe. Et si, demain, la situation se répétait, si la fortune cachée aux Bahamas (ou ailleurs) du ministre de l’Action et des Comptes publics, Gérald Darmanin (l’avenir nous dira si on est vraiment dans de la politique-fiction), était révélée ? Il en serait de même. Le ministre Darmanin serait le seul à décider de transmettre – ou non – son propre dossier au procureur.

Comme ce «verrou de Bercy» semble là pour durer, imaginons un instant l’appliquer par ailleurs. Par exemple, dans son principe, que chaque amende de chaque contrevenant au code de la route ne puisse être adressée au trésor public que si le conducteur, auteur de l’infraction, le décide ! Pas sûr que l’État reçoive d’une part le règlement intégral, pas sûr non plus que ce principe soit très dissuasif quant au respect des limitations de vitesse.

Revenons à la Société Générale et ses histoires de fuites d’eau.
«On se souvient de ce monsieur âgé se mettant en scène à la télé, assurant au public que son eau était gazeuse grâce à ses bulles na-tu-relles ! Pendant des années, le milliardaire Pierre Papillaud a payé de sa personne pour vanter les bienfaits de sa marque Rozana. Mais Cristaline, Chateldon ou Vichy Célestins, c’était lui aussi. Patron d’un empire – numéro 3 de l’eau en bouteille derrière Nestlé et Danone -, il était connu pour son accent chantant, son franc-parler, ses coups de gueule, ses méthodes de management décriées – au point qu’un cadre qui avait tenté de se suicider avait porté plainte contre lui et, surtout, avait réussi à déclencher contre lui une information judiciaire pour harcèlement moral…».
«Mais l’industriel, décédé en 2017, était moins connu pour sa manie de mettre son bas de laine – ou plutôt son énorme magot – à l’abri des regards du fisc. Hélas pour lui, les « Panama Papers » ont révélé en 2016 qu’il recourait aux services du fameux cabinet panaméen Mossack Fonseca, la société qui se chargeait de créer des montages offshore pour des centaines de milliers de clients. Pierre Papillaud détenait notamment dans un sympathique confetti des Antilles, les îles Vierges britanniques, une société, Krewitt, dans laquelle dormaient quelque 400 000 euros. Cela n’a pas manqué : une enquête préliminaire a été ouverte par le Parquet national financier (PNF). Et les enquêteurs ont vite découvert que, en réalité, ce n’est pas au soleil des Caraïbes que la fortune avait été déménagée, mais au Luxembourg: une holding familiale, Rox Invest, y sert de réceptacle à une grosse partie de ses économies, notamment les dividendes versés chaque année par son groupe»
.

Le business de l’eau minérale, ça marche bien. Au final les enquêteurs auraient découvert que les montants éludés à l’ISF se monteraient à euros 7,6 millions. Puis, poursuivant leurs investigations, c’est le jackpot : une assurance vie luxembourgeoise de euros 52 millions… dont le bénéficiaire ne serait autre que Pierre Papillaud.

Face aux preuves apportées par le PNF, notre «premier de cordée», qui à notre avis aurait dû sortir son joker «droit à l’erreur», aurait vite retrouvé ses réflexes de publicitaire et se serait mis à charger son banquier historique, notre bien aimée Société Générale.
Florilège de l’industriel : «Mon fils m’a dit de virer la Société générale, mais vous n’avez pas idée de la difficulté de changer de compte. C’est qu’il y a 300 millions sur ces comptes ! Vous vous imaginez, s’étonne-t-il à haute voix devant les policiers, que la banque m’a proposé d’ouvrir un compte à Gibraltar ?».
Et la longue litanie sur ses sociétés dans l’État du Delaware (États-Unis), aux Seychelles, aux îles Vierges ou à Guernesey, dédiées à la gestion d’un avion ou d’un manoir en Écosse, ainsi que sur le rôle de la filiale de la SocGen à Luxembourg, la Société générale Bank & Trust (SGBT), dont les documents publiés par les Panama Papers montrent le rôle clef joué.

«Le PNF aurait donc en toute logique orienté son enquête vers les pratiques de ce discret établissement du Grand-Duché».
Perquisitions, saisie d’ordinateurs, de correspondances et bien sûr de tous les relevés d’opérations et de comptes de la famille Papillaud, la Société générale Bank & Trust faisant classiquement office de poste restante. La justice aurait également pu retracer les visites de conseillers de la Société Générale Luxembourg à son domicile français, plusieurs fois par an.
«L’assistante de Pierre Papillaud, auditionnée en garde à vue ne s’est pas gênée pour déclarer que la SGBT avait «beaucoup participé à la création des montages». Elle a raconté qu’elle tenait la comptabilité et gérait les problèmes juridiques de la holding familiale de son patron, se rendant deux fois par an avec lui à Luxembourg pour des rendez-vous au siège de la banque».

Dans cette histoire à euros 60 millions au bas mot, le rôle de la Société Générale apparaitrait pour le moins pro-actif, comme l’avait confirmé en son temps les Panama Papers. Rappelons qu’en mai 2016, devant la commission d’enquête sénatoriale sur l’évasion de capitaux, le patron de la Société Générale, Frédéric Oudéa, avait assuré que sa banque avait fermé ses filiales dans les paradis fiscaux; manque de pot, ce cas semble démontrer que, en 2017, des sociétés offshore montées à l’aide de Mossack Fonseca étaient toujours gérées dans les locaux mêmes de la banque à Luxembourg. Si nous n’en voulons pas à l’Express d’avoir fait son travail contradictoire de journaliste en interrogeant la Banque, ne nous étonnons pas de la réponse de SocGen : Société Générale respecte «strictement toutes les réglementations, y compris fiscales, des pays dans lesquels elle est implantée», et mène «depuis de nombreuses années une action proactive en matière de lutte contre la fraude et l’évasion fiscales» auprès de ses clients… Proactifs, nous sommes d’accord, surtout avec la famille Papillaud!

Après, pourquoi devraient-ils se gêner à nous sortir de telles fadaises quand même proférées devant la représentation nationale et alors que les Panama Papers infirment ces affirmations, les dirigeants ne sont même pas inquiétés ?!

Le «verrou de Bercy» n’est pas qu’une histoire de gros sous, c’est aussi le symbole d’une cécité volontaire de l’ensemble de la classe politique et de la haute administration.
Ne nous trompons pas de combat, on nous l’a répété aujourd’hui encore : les aides sociales coûtent « un pognon de dingue »! -sachant qu’il n’y a pas d’argent magique- Et ce sont eux, les « pauvres » qu’il faut éduquer!

MM.

De quel intérêt général parle-t-on ?

Dans la tradition française, l’intérêt général peut être regardé comme la pierre angulaire de l’action publique, dont il détermine la finalité et fonde la légitimité. En fait, ce n’est qu’au XVIIIème siècle que l’idée d’intérêt général a progressivement supplanté la notion de bien commun aux fortes connotations morales et religieuses, qui jusque-là constituait la fin ultime de la vie sociale. L’intérêt général, qui exige le dépassement des intérêts particuliers, est d’abord, dans cette perspective, l’expression de la volonté générale, ce qui confère à l’État la mission de poursuivre des fins qui s’imposent à l’ensemble des individus, par delà leurs intérêts particuliers.

Le débat traditionnel entre deux conceptions, l’une utilitariste, l’autre volontariste, n’a guère perdu de son actualité et de sa pertinence. Il illustre, au fond, le clivage qui sépare deux visions de la démocratie : d’un côté, celle d’une démocratie de l’individu qui tend à réduire l’espace public à la garantie de la coexistence entre les intérêts distincts et parfois conflictuels des diverses composantes de la société ; de l’autre, une conception plus proche de la tradition républicaine française qui fait appel à la capacité des individus à transcender leurs appartenances et leurs intérêts pour exercer la suprême liberté de former ensemble une société politique.
Nul doute que la tradition française, telle qu’elle s’exprime dans la législation et la jurisprudence, a clairement pris jusqu’à présent le parti de promouvoir un intérêt général qui aille au-delà d’un simple arbitrage entre intérêts particuliers. Elle s’inscrit sans conteste, dans la filiation volontariste de l’intérêt général.

Cette conception volontariste de la démocratie a ainsi profondément marqué l’ensemble de notre système juridique et institutionnel. En vertu des principes qu’elle a inspirés, il revient à la loi, expression de la volonté générale, de définir l’intérêt général, au nom duquel les services de l’État sous le contrôle du juge, édictent les normes réglementaires, prennent les décisions individuelles et gèrent les services publics. Le juge administratif a été tout naturellement amené à jouer un rôle central de garant de l’intérêt général et à accompagner les évolutions d’une notion dont le contenu est éminemment mouvant. Toutefois la notion d’intérêt général n’est pas seulement à la base de ces grandes notions de droit public qui confèrent à l’autorité publique des prérogatives exorbitantes du droit commun. La découverte par le juge d’une finalité d’intérêt général peut aussi justifier, sous certaines conditions, qu’il soit dérogé à certains principes fondamentaux. C’est précisément à la conciliation entre le respect de ces principes et la finalité de l’intérêt général que doit procéder le juge. L’une des fonctions les plus importantes de la notion d’intérêt général dans la jurisprudence administrative est de limiter, au nom des finalités supérieures qu’elle représente, l’exercice de certains droits et libertés individuelles, au nombre desquels on peut ranger notamment le droit de propriété et la liberté d’entreprendre, ainsi que certains principes fondamentaux, tels ceux d’égalité et/ou de sécurité juridique.

Ne serions-nous pas, à l’aune d’un certain nombre de dispositions et décisions récentes, en train de basculer vers une conception utilitariste de l’intérêt général, c’est-à-dire la recherche d’une simple coexistence d’intérêts distincts ? Certains n’auraient-ils pas même la volonté de revenir à une notion de bien commun ? Postuler comme le font des politiques de tout horizon que la France peut renier ses principes démocratiques fondamentaux pour assurer la vente de matériels militaires à des régimes dictatoriaux et sanguinaires sous prétexte que cette activité est génératrice d’emploi en France, ne revient-il pas à justifier la coexistence d’intérêts catégoriels sur le cadavre de principes premiers ?

Portons notre réflexion sur les lanceurs d’alerte où la notion d’intérêt général est centrale. Elle apparaît dans tous les textes faisant référence à leur définition ou à leur protection, même si elle est rarement clairement définie dans les lois en question. Des quelques décisions de justice rendues sur ces affaires, nous comprenons que l’approche retenue est celle d’une conception volontariste, c’est-à-dire une définition de l’intérêt général qui exige le dépassement des intérêts particuliers. Cela ne va bien évidemment pas de soi, et ce n’est qu’au prix d’une longue bataille judiciaire que le lanceur parvient à faire valoir que les faits dénoncés sont bien l’expression d’une volonté générale qui s’impose à l’ensemble des individus.
Plusieurs dispositions viennent néanmoins nous interroger sur la permanence d’un intérêt général volontariste.

Prenons trois exemples.

1/ Le «verrou de Bercy» dont la disparition sous cette législature semble maintenant relever du fantasme, n’est autre que la volonté de l’État de régler une question d’intérêt général (l’égale soumission de chacun à l’impôt) par une discussion à huit clos avec des intérêts privés. Il s’agit de faire coexister des intérêts particuliers avec un principe fondamental sans que l’assujettissement soit pour autant conforme à l’intérêt général.

2/ Le droit à l’erreur et toute disposition tendant à substituer des délits par des amendes financières, sont une nouvelle fois des dérogations au principe d’intérêt général, le sous-entendu étant que la viabilité de certains (donc le maintien d’un intérêt particulier) peut justifier un abandon partiel de principes d’intérêt général.

3/ Le plus marquant et c’est sans doute un basculement dans la tradition républicaine, est le projet de loi secret des affaires. On franchit sans doute la frontière entre intérêt général et bien commun, soit un retour à une notion de l’Ancien Régime. Car au final de quoi le secret des affaires est-il le nom ? Il est celui de donner le droit à des intérêts particuliers de définir eux-mêmes ce qui peut relever ou non de l’intérêt général. Nous basculons bien dans le meilleur des cas dans une vision utilitariste de l’intérêt général, dans une coexistence d’intérêts particuliers qui définissent par avance ce qui est donné à voir, à charge pour celui qui représente l’intérêt général d’aller convaincre le juge de bien fondé de son action.

Dans une telle situation, le lanceur d’alerte peut-il encore ou doit-il même se parer de la défense de l’intérêt général ? Car si aujourd’hui, le prix à payer, ne serait-ce que financièrement parlant, est déjà exorbitant, qu’en sera-t-il dans un système où la charge de la preuve est inversée, dans un système où la somme d’intérêts particuliers prévaut à l’intérêt général ?

MM.

L’œil du lanceur

Il n’est pas question de revenir sur le débat politique d’hier soir, l’interview du président de la république Emmanuel Macron menée par Edwy Plenel et Jean-Jacques Bourdin.
Il y a abondance ce jour, de remarques, commentaires, analyses et autres, de tout genre, tout niveau et pour tous les goûts. Il n’y avait pas grand chose à attendre de ce débat et le résultat nous donne raison.
A cet exercice debout qui nous change des Pernault ou Delahousse assis, reconnaissons aux interviewers d’avoir fait le travail même si cela a manqué parfois de persévérance dans le questionnement; reconnaissons enfin à l’interviewé une certaine combativité même si l’on reste sur notre faim sur le fond.
Cela reste au final un exercice de communication politique pour les deux parties, qui – chacune dans leur rôle- présentent une facture assez lisse et sans surprise.

Regardons plutôt du côté des moments qui sortent de cette continuité, de cette permanence de la communication. Laissons les interviewers à leur travail : nous regretterons que Plenel ait été si facilement déstabilisé par la basse attaque sur le redressement fiscal de Médiapart (cf. plus loin) et ait mis un temps certain avant de revenir dans le débat sans vraiment pousser l’interviewé dans ses retranchements; nous pouvons regretter que Bourdin ait parfois trop facilement lâché prise ou n’ait pas su choisir les arguments et exemples les plus appropriés…

Mais celui qui nous intéresse c’est l’autre. Une prestation combative mais au final assez convenue, conforme au personnage sans vision de l’avenir, arqué sur des positions idéologiques et emmuré dans ses certitudes de classe. D’accord ou pas, on ne lui en veut pas, il fait le job de ceux qui l’on fait élire et auxquels il doit rendre des comptes ce qui était sans doute la finalité première de l’exercice d’hier soir (le choix des contradicteurs et il ne manquait plus que Lucet, semble aller dans ce sens), genre «regardez, je n’ai pas peur de ces ennemis de notre classe, je confirme devant tout le monde que je ferai ce pour quoi vous m’avez fait élire»
Après, nous ne chipoterons pas sur les inexactitudes, approximations, affirmations fausses, réponses à côté de la plaque… de toute façon «votre bon peuple» veut voir un gendre parfait avec des couilles… Pardon pour l’expression, mais chez les lanceurs, c’est sans langue de bois!

Revenons à ces fameux moments, à ces cassures dans le discours. Ce qui est bien avec Macron, et ce n’est pas la première fois que nous le remarquons (cf. sa dernière visite en milieu hospitalier), c’est qu’il perd vite pied dès qu’il y a un petit accroc dans la machine ; autre avantage c’est que ça se voit tout de suite dans le discours lui-même mais aussi dans le ton de la voix et ses expressions. On peut donc difficilement se tromper, à sa décharge ses amis ne lui demandent pas d’être un bon comédien, juste un bon serviteur.
Nous avons décelé trois moments, fort intéressants car ils relèvent du même sujet qui se trouve être l’un des chevaux de bataille de MetaMorphosis.

A trois reprises Macron a dévié de son plan de communication. A trois reprises, il est sorti de son rôle de président gendre idéal pour redevenir le réactionnaire oligarque qu’il est. A chaque fois cela avait affaire à l’argent, comme si en parler était déjà un péché : Arnault, Pinault et Parly.

Temps 1, sur le premier personnage, Arnault – il n’est secret pour personne qu’il demeure son obligé – sa réaction fut virulente et haineuse comme en témoigne l’attaque par le redressement fiscal de Médiapart. Outre le fait que Macron connaît très bien la réalité de cette affaire et le bien fondé de la position du site journalistique, il est quand même étonnant, pour quelqu’un qui nous rabâche pratiquement à chacune de ses sorties l’importance de la révolution numérique, de le voir se perdre dans une telle attaque, un coup bas, petit mais blessant. Laissons ça de côté, Médiapart est assez grand pour se défendre. Alors pourquoi blesser ? Rendre coup pour coup parce qu’on est soi-même blessé?
Dire et affirmer qu’Arnault pratique l’optimisation fiscale à outrance atteint donc directement Macron. Pourquoi pas! Nous avons eu droit alors à ce magnifique flou artistique du chat noir qui n’est pas tout noir, de la fraude qui n’est pas totalement de la fraude, de l’optimisation qui n’est pas encore de la fraude, de la fraude que ce n’est pas la mienne de faute… Tout ça pour nous dire qu’on ne fera pas grand chose.

Temps deux, Pinault…décidément ils commencent à m’ennuyer mes patrons! Alors, là oui, bien sûr que l’on fait quelque chose, mais on ne vous dira pas quoi ; et puis comme on n’a rien à cacher, on va le faire sous le couvert du verrou de Bercy mais là aussi on ne vous dira pas quoi… Si Pinault ça gêne moins qu’Arnault, que l’un et l’autre ne s’en n’inquiètent pas, on va juste dire qu’on va faire des choses… De toute évidence, sur la séquence fraude fiscale, Macron n’était pas à l’aise et assez vindicatif. Dommage que les interviewers n’aient pas plus profité de ce moment. Si d’un côté on peut comprendre que l’inaction est difficilement défendable pour l’homme d’action qu’il cherche à vendre, la réaction est apparue tout à fait disproportionnée comme si certains sujets ne pouvaient être débattus sur la place publique. Concernant la fraude fiscale, la re-publica (la chose publique) s’arrête aux portes des ministères.

Temps 3, la dernière séquence concernant Parly, est la plus révélatrice. Comme pour Arnault, voilà Macron qui attaque sous la ceinture lorsque Plenel évoque le salaire de Parly quand elle était en charge de la stratégie (sic) à la SNCF. Entreprise publique, argent public, salaires rendus publics, c’est quoi le problème Macron ? D’accord, 50.000 euros par mois pour une responsable de la stratégie de l’entreprise c’est un peu cher payé quand on voit le tableau catastrophique que nous tire aujourd’hui le gouvernement de ce service public! Mais pire, et c’est là que nous voulions en venir car cette séquence résume pour nous ce qui devait être retenu du débat, Plenel a eu l’indécence de mettre en parallèle pouvoir et responsabilité. Comme pour les deux cas précédents, Macron a joué la carte de l’attaque pour repousser la question et bien évidemment ne jamais y répondre. Mieux, il est apparu dédouaner de toute responsabilité ceux en charge de la stratégie, au motif qu’ils ne sont pas directement responsables des choix stratégiques de l’entreprise. Dit autrement, la responsable de la stratégie de la SNCF n’est pas responsable des échecs stratégiques de la SNCF qui relèvent de choix stratégiques de la SNCF !!! Comprendra qui pourra, là on a dépassé de loin la séquence sur la fraude fiscale.

Le moment est en fait assez délicieux pour ceux qui, comme les lanceurs d’alerte, ont vécu directement et dans leur chair parfois, cette démission générale des structures dirigeante et de contrôle, ce basculement bien réel vers l’irresponsabilité que même la justice aujourd’hui semble reconnaître, cette déconnexion totale entre l’exercice du pouvoir et la responsabilité. Mais nous comprenons mieux la logique : si la responsable de la stratégie n’est pas responsable des échecs stratégiques, les salariés, eux, en paieront quoi qu’il en soit, le plein tarif.

MM.

Attrape-moi si tu peux !

Nous en parlions hier sur MetaMorphosis: Haro sur les contrôles ! Vive la confiance ! (ici)
Le garant de l’ordre républicain, le Président, nous le rappelait récemment : «ne respectez jamais les règles !». Faisons fi des lois, règlements, autorités de contrôle et autres principes de précaution ; faisons-nous confiance les uns les autres et tout ira bien… Enfin, même si cela n’est pas dit explicitement, faut pas non plus exagérer, nous n’allons pas faire confiance à tout le monde, aux chômeurs qui ne cherchent qu’à frauder Pôle Emploi, aux migrants qui viennent en France pour toucher les allocations, aux personnes assujetties aux minimum sociaux qui ne cherchent qu’à en avoir plus, aux cheminots qui font grève pour protéger leurs acquis sociaux honteux…

Par contre, faisons confiance aux entreprises, à leurs dirigeants, aux politiques, à tous ceux qui travaillent sans se plaindre pour l’intérêt supérieur de la Nation ! Après tout la main invisible est nécessairement bienveillante (mais pourquoi se cache t-elle ?) et aux dernières nouvelles elle risque d’être remplacée par la main de Dieu, le Nôtre bien sûr !

Le Monde nous donne l’occasion aujourd’hui d’illustrer ce propos. Profitons-en, car ces informations résultent du travail de journalistes dans le cadre des Panama et Paradis Papers, activité amenée à disparaître au temps de la confiance retrouvée dans « le secret des affaires ».
Nous n’allons pas nous amuser à lever une liste à la Prévert, la place risque de nous manquer…
Nous voulions bien faire confiance à Lafarge, malgré un passé déjà bien chargé, manque de pot, ses dirigeants n’ont rien trouvé de mieux que de financer l’État Islamique.
A une époque, nous voulions bien faire confiance à Goldman Sachs, et hop, ils aident la Grèce à cacher à l’Europe la réalité de son endettement national. Pas si grave apparemment, le banquier à l’œuvre à l’époque, est aujourd’hui Président de la BCE. Pas bien grave pour l’instant pour Lafarge mais surtout que personne ne s’amuse à voler un paquet de pâtes, sinon c’est la taule, direct!
Tiens, nous aurions bien voulu aussi faire confiance à HSBC, une référence du capitalisme mondial… mais la banque semble avoir un appétit féroce pour l’argent des cartels mexicains de la drogue.
La liste est longue où notre confiance a été trahie…

A priori, on aimerait bien aussi faire confiance à Total. L’un des leaders mondiaux de son secteur, français de surcroît! De quoi être fier !
Bon, nous connaissons son activité, nous nous doutons que les questions environnementales ne sont pas forcément sa tasse de thé, mais nous ne savions pas que c’était un as de l’arnaque! C’est bien d’aider les amis surtout quand ils regorgent de pétrole, mais de là à berner le si respectueux FMI… Oui, la boîte dirigée par une autre française (on est encore fier!), Lagarde, Madame négligence à 400 millions (on ne prête qu’aux riches !) dispensée de peine (ça ne s’invente pas !)…
Bon, revenons à nos hydrocarbures; mais qu’a bien pu faire ce respectable Total, si digne de confiance?
Nous lirons avec intérêt l’article du Monde «Comment le groupe Total a aidé le Congo à berner le FMI» (ici) qui raconte avec précision le montage congolais, les interventions de Total. «Avec l’aide de la banque BNP Paribas, la multinationale et le Congo ont cherché à contourner des engagements pris par Brazzaville envers le Fonds monétaire international (FMI). Ce dernier joue un rôle décisif dans l’allégement des dettes souveraines et ne doit en aucun cas être mis au courant de ce qui se trame : contre des promesses de transparence comptable, le FMI doit annoncer l’accession du Congo au statut très convoité de «pays pauvre très endetté», qui garantirait une annulation substantielle de la dette d’État».
Nous n’allons pas nous arrêter à si peu. Nous n’allons pas non plus jeter la confiance aux orties et revenir à ces sales contrôles de fonctionnaires. Et puis, si nous commençons à contrôler (sérieusement), à appliquer les lois et les règles, où allons-nous ?
Ce n’est pas faute d’avoir mis des garde-fous. Une belle fusée à plusieurs étages.
D’abord le fameux «verrou de Bercy» dont on ne louera jamais assez l’efficacité, pas celle revendiquée par le gouvernement pour le maintenir, mais celle de la « justice fiscale de l’entre-soi gens de confiance » : en 2017 sur 15.065 cas de fraudes détectées, 830 dossiers ont été transmis à la justice soit un petit 5%, les chiffres parlent d’eux-mêmes…
Ensuite un bon secret des affaires; après tout, si nous « faisons confiance », nous n’allons pas commencer à soupçonner nos entreprises d’avoir quelque chose à cacher!
Enfin, pour ceux qui seraient vraiment mauvais, ils auront droit au petit plaider-coupable, histoire de ne pas avoir à juger sur la place publique la confiance.

Bel arsenal de dépénalisation des infractions. Alors oui, pourquoi des contrôles ?

MM.

Lutte contre la fraude fiscale… une autre fois, peut être !

En référence à l’article de Médiapart du 28 Mars 2018 « Fraude fiscale : les demi-mesures de Bercy » par Romaric
Godin, (ici).

Pour avoir déjà à plusieurs reprises traité cette question de la lutte contre la fraude fiscale dans MetaMorphosis, nous ne reviendrons pas ici sur le détail des «demi-mesures» annoncées par Bercy. D’autant plus que l’article de Romaric Godin dans Médiapart suffit à cette mission et justifie une lecture attentive, notamment au sujet du «verrou de Bercy» dont l’abolition est la condition sine qua none à toute politique censée de lutte contre la fraude fiscale.

Sans surprise sur cette absence évidente de volonté du gouvernement à vouloir lutter efficacement contre la «grande» fraude fiscale, nous souhaiterions juste revenir sur les présupposés d’une telle attitude qui résident comme nous l’avons déjà évoqué, sur des postures proprement idéologiques totalement déconnectées de la rationalité économique et leur servant pour autant, de justification.

Deux points méritent d’être soulignés :
Tout d’abord, comme nous l’explique Médiapart : «Le projet de loi contre la fraude fiscale présenté ce mercredi 28 mars en conseil des ministres est l’occasion de montrer que le gouvernement n’entend pas plaisanter avec ceux qui refusent d’apporter leur contribution pleine et entière aux ressources de la collectivité. C’est surtout l’occasion de prouver que l’exécutif sait se montrer sévère avec les entreprises et les plus riches. La lutte contre la fraude fiscale serait alors le pendant des baisses d’impôts sur le capital, ses revenus et les bénéfices, mises en place dès le 1er janvier et qui ont tant de mal à passer dans l’opinion. Le taux d’imposition baisse, certes, mais l’État affirme qu’il va désormais s’assurer que chacun paie son dû».

Pourquoi pas ! Il n’est pas du tout absurde – si les présupposés économiques qui prévalaient à un tel énoncé étaient effectivement «rationnels» – de développer d’un côté un plan de baisses fiscales en vue de dynamiser l’économie, d’un autre côté de s’assurer que les bénéficiaires de ces mesures paient effectivement leur contribution à la société.
Une fois de plus avec ce gouvernement c’est la méthode qui choque, une fois de plus nous nous demandons de quelle «planète économique» ils viennent.
Pour quiconque travaillant en entreprise, de surcroît dans des secteurs commerciaux soumis à la réalisation d’objectifs, une telle méthode de travail est une ineptie. Nos Macron, Le Maire ou Darmanin, si friands d’argent public, n’ont pas dû être souvent confrontés à ce type de contraintes ; sinon ils sauraient qu’une telle articulation ne peut être au mieux que concomitante, normalement consécutive.
C’est un peu comme si on offrait à un commercial sa prime sur résultats avant même de les avoir effectivement réalisés. Ça se passe peut-être comme ça dans le monde rêvé de notre trio, mais pas dans la vraie vie. Dans la vie de la rationalité économique, on s’assure préalablement que l’assujetti fiscal remplit intégralement ses obligations avant de lui accorder des déductions ou avantages qui ne viendront que compliquer un peu plus la surveillance de la réalisation du premier objectif. Ou alors, on ne s’y prendrait pas autrement si nous avions pour idée de ne pas trop chercher de poux aux fraudeurs fiscaux.

Ensuite, et nous en revenons à un grand classique avec cette nouvelle majorité, c’est cette faculté de vivre dans un monde de bisounours et de croire aveuglément en ses propres certitudes, loin de toute efficacité et rationalité économique qui pourtant semblent fonder son action même.

Revenons à l’article de Romaric Godin : «La réalité, c’est que le gouvernement n’a pas la fraude fiscale comme priorité, mais ce qu’il estime être la compétitivité. Et cette compétitivité passe, à son sens, par une complaisance envers les plus fortunés et les entreprises. C’est ici le sens du « plaider-coupable » et du maintien du verrou de Bercy : garder le contact avec les entreprises, maintenir la possibilité de négocier, ne jamais s’opposer ouvertement à elles. C’est aussi pour cette raison que cette loi évite le sujet autrement plus brûlant de l’optimisation fiscale légale et que, à Bruxelles, Paris freine pour que soit instaurée la présentation de résultats pays par pays. Le cœur de la politique économique du gouvernement est de protéger les entreprises et de leur donner plus de capacité de faire des profits. Toute la politique du gouvernement est contenue dans cet espoir un peu naïf que les entreprises, et surtout les plus grosses, rendront en emplois un peu de cette bienveillance gouvernementale».

Vivons d’espoir, c’est un peu le seul horizon de cette politique fiscale.
Que le fisc soit bienveillant – et on se donne tous les moyens avec le «verrou de Bercy» et le «plaider-coupable» – avec les entreprises et les fraudeurs fiscaux, que le gouvernement les caressent dans le sens du poil en leur octroyant baisses et avantages divers, et prions pour qu’ils nous le rendent bien! Là aussi, pourquoi pas ? Sauf que nous savons depuis longtemps que ça ne fonctionne pas ainsi, qu’aucune expérience ne vient confirmer la véracité d’une telle affirmation, que les expériences passées ont au contraire démontré l’inanité de telles politiques.

Lutter contre la fraude fiscale c’est donc vivre, plein d’espoir, dans un monde imaginaire… Bon courage !

MM.

Brèves du front

➡️Pas de ça chez nous !

Le verrou de Bercy, nous en parlions ces derniers jours.
Médiapart publie une longue enquête sur le système d’évasion fiscale Pinault (Médiapart, 18 Mars 2018 – Le système Pinault : une évasion à 2,5 milliards d’euros, ici).
Le groupe Kering, propriété de la famille Pinault, est initialement connu pour être l’un des principaux acteurs mondiaux du luxe. Bientôt, il risque d’être reconnu comme l’un des leaders français de l’industrie de l’évasion fiscale. Médiapart l’indique en tête d’article : «C’est la plus grosse affaire d’évasion fiscale présumée mise au jour pour une entreprise française». On prendra plaisir à lire l’enquête qui relate le processus mis en œuvre et décrit «l’organisation» d’évasion fiscale.
Au demeurant, le système Pinault n’est pas très original: superposition de techniques basiques d’évasion, agencées ici en une véritable industrie de la fraude. Un vent de panique non étranger à cette situation, semble s’emparer des dirigeants. Soulignons aussi qu’il n’y aurait aucune fausse nécessité économique à procéder de la sorte au regard des résultats très confortables du groupe de luxe et de ses implantations… Mener un tel système à un tel niveau de fraude (2,5 milliards d’euros) relève, ici aussi, d’un principe idéologique; l’oligarchie se situant au-dessus des contingences communes, elle a le droit de dicter les règles qui régissent la société tout en étant exempte de ses plus contraignantes. Médiapart nous le rappelle : la principale victime de ce système d’évasion fiscale de grande envergure est le fisc italien, l’importance de la marque Gucci dans les résultats de Kering expliquant cela. La France n’est toutefois pas en reste. Décidément, nos amis italiens ne sont pas très sérieux ! Au lieu de régler ça entre gens de bonne compagnie, ils ont levé une armada de juges et de policiers financiers pour traquer les fonds perdus… de Gucci. Convocations, auditions, perquisitions, mises en examen, procès demain… tout ce qui relève d’une justice « normale ». Longue histoire politique aidante, ils se souviennent que l’acceptation et l’assujettissement à l’impôt sont l’un des fondements de nos républiques démocratiques, contrairement aux français révolutionnaires de 1789 qui semblent avoir la mémoire courte.
Faisons un peu de politique fiscale fiction à la française au cas où l’essentiel de la fraude toucherait notre pays. Pas de juge, hors course et pour plus « d’efficacité », Darmanin devrait s’en occuper. On demande à M. Pinault ou à l’un de ses sbires, s’il veut bien avoir l’obligeance de se rendre à Bercy pour discuter d’une «affaire le concernant». Rien de pressé, de toute façon c’est un homme très occupé, et puis, lui, il créé des emplois! Il est reçu en grande pompe par un Directeur de haut vol (qui pense peut-être à une future reconversion), par un chef de cabinet, par le Ministre lui-même! Bon, un peu sérieux, nous n’allons pas l’embêter plus longtemps avec des histoires d’argent, c’est vulgaire… Une fraude de 2,5 milliards (!), soyons «efficace», 100 millions et on n’en parle plus !

➡️ Quand les policiers se font lanceurs !

Où l’on reparle (encore) d’Interpol (Médiapart, 19 Mars 2018 – Après la FIFA, Interpol se fait financer par le Qatar et le CIO, ici).
Il y a quelques semaines nous apprenions qu’Interpol avait reçu des financements de la part de la FIFA. Le partenariat signé entre les deux organisations en 2011 était destiné -ça ne s’invente pas- à promouvoir «l’intégrité dans le sport». Nous savons ce qu’il est advenu de cette collaboration suite aux différents scandales FIFA. Une fois de plus, entreprises et organisations n’apprennent rien de leurs erreurs : plus de FIFA, Interpol se tourne vers le Qatar et le CIO, choix pour le moins judicieux… Il faudra un jour que nous leur fassions un scanner pour savoir ce qu’il se passe dans la tête de ces gens là !
Cerise sur le gâteau dans cette affaire, il y a eu quand même des alertes! En l’occurrence des policiers qui alertent d’autres policiers, on croit rêver… Pourtant le message était clair : «La coopération d’Interpol avec la Fifa est regardée avec beaucoup de scepticisme dans de nombreux pays européens, dû aux nombreuses allégations de corruption qui ont été portées contre les dirigeants de la Fifa».
On rassure les (vrais) lanceurs, ces alertes n’ont servi à rien, la Direction d’Interpol a continué à faire ce que bon lui semblait, comme si de rien n’était. Au final, rien de bien anormal.

➡️ Justice privée ou justice pour tous ?

Importante décision de la Cour européenne de Justice, l’un des derniers bastions de défenses des libertés collectives et personnelles. Le site «bastamag» nous informe dans son édition du 19 Mars 2018 : « La Cour de justice européenne invalide le principe des tribunaux privés d’arbitrage », ici.
«Est-ce le début de la fin pour les tribunaux privés d’arbitrage, ces fameux « ISDS » (Investor State Dispute Settlement), qui permettent à des investisseurs d’attaquer des États auprès de juridictions privées composés d’avocats d’affaires ? La Cour européenne de justice, la plus haute juridiction de l’Union européenne, vient de rendre un jugement décisif au sujet des ces mécanismes. Ce jugement porte sur un cas opposant un assureur privé néerlandais à l’État slovaque, et invalide le principe même de ces mécanismes d’arbitrage s’ils concernent des acteurs de l’Union européenne».
Rappelons que ces arbitrages privés sont au cœur des très controversés accords de libre-échange comme le Ceta, entre l’UE et le Canada, ou le TTIP, entre l’UE et les Etats-Unis. Ils permettent à des investisseurs privés de faire condamner des États s’ils jugent leurs politiques défavorables à leur rentabilité.
Ainsi, «le groupe énergétique suédois Vattenfall réclame plus de 4 milliards d’euros à l’Allemagne pour avoir décidé en 2011 de sortir du nucléaire… Et a attaqué la région allemande de Hambourg pour avoir renforcé les normes environnementales d’une centrale à charbon».
«Puisque la Cour européenne de Justice juge les traités d’investissement intra-européen incompatibles avec le droit européen, ce sont environ 200 autres traités d’investissement qui contiennent des clauses d’ISDS qui pourraient être remis en cause», a réagi l’ONG Client Earth. «La décision marque la fin des ISDS en Europe. L’ISDS n’est pas seulement un outil qui permet aux multinationales de faire pression sur les prises de décision d’intérêt général. C’est aussi, on le voit avec ce jugement, incompatible avec le droit européen».
Sage et saine décision. Pour les multinationales, la justice reste l’un des derniers secteurs à «ouvrir à la concurrence». Privatisation des aéroports ou de la justice, remise en cause du statut de telle profession ou des juges, tout ceci relève de la même logique.

MM.

Rame toujours tu m’intéresses

Le verrou de Bercy, vous connaissez ! Nous devrions plutôt appeler ça le «serpent de Bercy» en référence à la légende maritime. Les voix en faveur de sa suppression sont tellement nombreuses que nous pourrions créer la plus grande chorale au monde. Mais il est toujours en place, et sans doute pour un bon moment.
En voilà un qui est contre son abrogation: c’est notre sémillant ministre des comptes publics Gérard Darmanin. Il faut dire qu’il rame en eaux troubles depuis quelques temps…
(Le Monde – Fiscalité : Gérald Darmanin se dit défavorable à une levée du « verrou de Bercy » ici).
Enfin… il est contre aujourd’hui parce qu’il est ministre, mais aurait pu très bien être pour, s’il avait été dans l’opposition; on en a vu d’autres. Et puis, vu la succession des affaires et des départs forcés qui touche ce nouveau gouvernement, mieux vaut être prudent, car si pour l’instant on tape en dessous de la ceinture, demain ce sera peut être au porte-monnaie.

Comme nous le rappelle Le Monde : « Le « verrou de Bercy », mis en place dans les années 1920, donne à l’administration fiscale le monopole des poursuites pénales en cas de fraude – un procureur ou une partie civile ne pouvant pas le faire… Ce dispositif, qui permet à Bercy de faire pression sur les fraudeurs en les menaçant de poursuites s’ils n’acceptent pas le redressement qui leur est adressé, fait l’objet de vives critiques, notamment dans le monde associatif et judiciaire. Ses détracteurs lui reprochent d’entraver la liberté d’action des juges et de favoriser une certaine forme d’opacité, qui nuit à la lutte contre la fraude fiscale ».
En somme des dispositions extraordinaires dans le droit ordinaire. Les affaires fiscales ont un siècle d’avance sur les affaires de terrorisme ; assez révélateur, mais c’est un autre débat.
Revenons à notre serpent. Le ministre est donc contre. Quelle est la fulgurante argumentation à l’appui de cette position ? On cite : « La question, c’est de savoir «ce qui est le plus efficace pour récupérer de l’argent », a poursuivi le ministre, sans plus de précisions ». Même Le Monde est resté sur sa faim…
Une fois de plus, nous avons un peu de mal à comprendre. «Le plus efficace» n’est-il pas l’application de la loi ?
Et dans un État de droit, qui est donc en charge de l’appliquer et la faire respecter ?
En matière criminelle, se pose-t-on la question de ce qui est le plus efficace ? Que le criminel passe devant une cour d’assise ou qu’il négocie directement sa peine avec le ministre de la justice ?!
Décidément Darmanin, dans cette affaire comme dans d’autres, nous avons du mal à le suivre et à le croire…
Il faudrait rappeler à notre ministre que si la loi est égale pour tous, chacun doit être soumis aux mêmes règles de son application. Que vient faire cette question d’efficacité si ce n’est ouvrir une brèche béante à tous les soupçons d’une justice fiscale à la carte? En démocratie, une fraude reste une fraude, un crime reste un crime. Quant à l’efficacité de la loi, elle se mesure dans son application pleine et entière. Tout simplement.
Nous avons bien fait de parler de serpent de mer car Darmanin comme tous les défenseurs du verrou de Bercy, n’ont pas d’autre choix que de ramer à contre courant!

Il y en a un autre, aussi, qui rame… mais là nous avons affaire à un champion du monde : Jean-Claude Juncker, Président de la Commission Européenne (Le Monde – Affaires Selmayr et Barroso : les nuages s’accumulent sur la Commission Juncker, ici).
Le journal du soir nous informe : «Après les eurodéputés, qui ont sérieusement remis en cause la nomination express du directeur de cabinet de Jean-Claude Juncker, Martin Selmayr, au poste de secrétaire général de la Commission, c’est au tour de la médiatrice de l’Union, Emily O’Reilly, d’entrer dans la danse, jeudi 15 mars. L’Irlandaise, réputée pugnace, reproche à la Commission son laxisme dans l’«affaire Barroso». En cause : une rencontre fortuite, en octobre 2017, entre l’un des vice-présidents de la Commission, le Finlandais Jyrki Katainen, et l’ex-président de l’institution pendant dix ans, le Portugais José Manuel Barroso, parti « pantoufler » chez Goldman Sachs. Ce transfert vers une banque d’affaires tenue en partie responsable de la crise financière avait provoqué des remous y compris dans les rangs des fonctionnaires européens, d’ordinaire plutôt disciplinés. M. Barroso s’était engagé à ne pas faire de lobbying auprès de son ancienne maison ».
D’un autre côté, qui peut encore croire à la parole d’un Barroso ou d’un Juncker, qui eux, rament pour nous convaincre…
Là aussi, nous avons droit à une défense de haut vol : sortant de son silence sur Twitter, Manuel Barroso s’est dit victime d’une «attaque politique».
Dans l’affaire Selmayr, Jean-Claude Juncker ne dévie pas de sa ligne de défense : «La procédure a été respectée dans les moindres détails et à tout moment». Ah, les procédures, quand elles vous arrangent…

Prenons tout de même la peine de revenir avec Jean Quatremer, auteur de l’article (paru dans Libération: Selmayrgate : petit guide à l’usage des bureaucrates ambitieux (ici)) sur la saga de cette nomination controversée, aux problèmes juridiques indéniables, car au final la Commission Juncker aura déployé un épais rideau de fumée quand elle n’aura pas tout simplement menti pour tenter de dissimuler ses agissements.

Le résultat est accablant.

Darmanin, Juncker, Barroso… cette élite qui rame …défenderesse de l’indéfendable à coup d’arguments nauséeux.

MM.

Actualité judiciaire: l’indépendance du Parquet attendra

Deux décisions récentes sur des sujets qui nous intéressent tous et notamment les lanceurs d’alerte (en premier lieu ceux dont les dossiers touchent la finance), méritent d’être brièvement rappelés. Nous comprenons qu’une justice totalement indépendante du pouvoir politique et égale pour tous n’est pas à l’ordre du jour de ce quinquennat. Il est à regretter qu’elle ne soit pas non plus à l’ordre du jour de la plupart des politiques ou partis, autant d’éléments qui malheureusement compliquent la tache des lanceurs d’alerte.

1/ L’indépendance du parquet
L’arrêt de la CEDH (Cour Européenne des Droits de l’Homme) du 27 juin 2013 rappelle que le parquet français, en raison de son statut, ne présente pas la garantie d’indépendance vis à vis de l’exécutif qui caractérise, comme l’impartialité, une autorité judiciaire au sens de l’article 5 § 3 de la Convention européenne des droits de l’homme. A cette occasion, le syndicat de la magistrature soulignait dans un communiqué que la CEDH avait rappelé aux autorités françaises que les magistrats du parquet ne présentaient pas les garanties d’indépendance leur permettant d’être considérés comme des autorités judiciaires au sens de la Convention, que de modifier à la marge la composition du CSM (Conseil Supérieur de la Magistrature) était insuffisante, mais qu’il convenait de conférer au ministère public les garanties statutaires lui permettant d’exercer ses missions avec toute l’indépendance nécessaire au bon fonctionnement de notre démocratie.
La France condamnée par la CEDH… à une réforme constitutionnelle !
Il n’est pas inutile de rappeler que la France représente à ce titre une exception parmi les grands pays démocratiques européens, le Parquet n’ayant pas comme en Italie par exemple l’obligation d’instruire, sa mise sous tutelle politique peut conduire dans certains cas à « une gestion » des instructions ce dont certains lanceurs d’alerte pourraient témoigner.
Lors de l’audience solennelle de rentrée de la Cour de Cassation, lundi 15 janvier, le chef de l’Etat s’est prononcé en faveur du maintien d’une « chaîne hiérarchique » entre les magistrats du parquet et le ministre de la Justice. il refuse d’accorder au parquet son indépendance totale.
Macron refuse d’accorder au parquet son indépendance totale
Suite à cette annonce, le syndicat de la magistrature a communiqué:


Malgré les promesses, cette situation semble devoir perdurer quelle que soit la couleur politique affichée et au-delà des beaux discours nous ne pouvons que constater qu’il y a une maladie bien française du politique consistant à toujours s’assurer d’avoir la main, en cas de besoin, sur les affaires judiciaires.

2/ Le verrou de Bercy
Auditionnée ce mardi 15 Janvier à l’Assemblée, La procureur du PNF (Parquet National Financier), Eliane Houlette, a estimé que le « verrou » de Bercy « bloque toute la chaîne pénale ».


Rappelons que le privilège revenant à Bercy en matière de poursuite pénale pour fraude fiscale n’a pu être supprimé.
Adopté par le Sénat, l’amendement suggérant la suppression partielle du «verrou de Bercy», étudié dans le cadre du projet de loi sur la moralisation de la vie politique, avait été rejeté le 25 juillet 2017 à l’Assemblée nationale.
Notons néanmoins que la question du verrou de Bercy fait l’objet aujourd’hui d’une mission: dix-neuf députés, de tous bords politiques, vont enquêter et auditionner jusqu’en avril au sujet des procédures de poursuites contre la fraude, l’évasion et l’optimisation fiscales. Ils se prononceront alors, pour ou contre le monopole de Bercy.
Fraude fiscale. L’Assemblée nationale lance une mission sur le verrou de Bercy

Ce sujet, comme le souligne la Procureure Madame Houlette, conduit à une inégalité de traitement des français devant la loi fiscale. Soulignons aussi que peu de politiques sembleraient enclin à se priver d’un tel levier de pouvoir.
Avec l’indépendance du Parquet, le verrou de Bercy est devenu le serpent de mer de la vie politique française qui constitue, parmi d’autres, des entraves à l’action des lanceurs d’alerte.