La banque Pasche ? Petite, visiblement utile

On ne peut pas dire que les fondateurs et animateurs de MetaMorphosis abusent du site pour faire l’histoire de leur propre alerte sauf bien évidemment comme il en fut le cas récemment pour Nicolas Forissier et UBS, quand une information judiciaire de premier rang se fait jour. MetaMorphosis étant le site de l’alerte avant celui de ses lanceurs co-fondateurs, nous avons toujours cherché à éviter cet écueil que nous croisons malheureusement par ailleurs, de sites se transformant en une longue litanie d’affaires et d’état personnel, quand ça n’est pas pire, un site de vente de livre.

Pour une fois, nous ferons exception, bientôt six années après l’ouverture de la première enquête judiciaire, nous pouvons nous permettre de vous parler à nouveau de la banque Pasche, ex filiale du Crédit-Mutuel. Nous aurions pu le faire à de multiples reprises, le nom de cet établissement bancaire étant apparu au cours de ces longues années, dans plusieurs affaires de premier plan et dans de nombreux pays.

Une nouvelle actualité nous est fournie ce jour, on tenait à vous la partager: « Investigação na Suíça mostra que a empreiteira Odebrecht é suspeita de pagar um banqueiro para distribuir propina »

Traduction : « Des recherches en Suisse montrent qu’ Odebrecht est soupçonné d’avoir payé un banquier pour distribuer des commissions »

Ledit article d’un site Brésilien, évoque des informations qui sembleraient avoir été obtenues auprès du Tribunal Fédéral Suisse.

Ces informations concernent la tentaculaire affaire de corruption Sud-Américaine du Géant de BTP….Odebrecht, plus connue sous l’affaire « lava-jato » (blanchiment d’argent, en portugais).

Pour résumer, cette entreprise afin d’obtenir différents marchés, aurait mis en place dans pratiquement tous les pays du Continent Sud-Américain, un système de corruption généralisée dont politiciens locaux, chefs d’entreprises, Présidents … ont été les bénéficiaires.

Qui dit corruption dit argent sonnant et trébuchant que tous ces acteurs ont pris soin de ne pas maintenir dans leur pays d’origine et d’exiler dans des contrées moins risquées, comme en Suisse, en Andorre… Pour exiler de telles sommes, il faut bien évidemment des complices dans le système bancaire. C’est là qu’interviennent les grandes enseignes de banques privées à l’image de PKB Private Bank (dans l’exemple qui nous occupe).

Avoir de l’argent tombé du ciel c’est bien, pouvoir s’en servir c’est mieux.

A ce niveau, un banquier que l’on va commissionner pour sa prise de risque, est toujours nécessaire; ainsi, on entre dans la phase blanchiment, c’est-à-dire l’utilisation de canaux officiels pour transformer de l’argent occulte ou non déclaré en argent légal.

A notre grande surprise, selon des informations qui proviendraient du Tribunal Fédéral Suisse, « ce qui a également attiré l’attention (des enquêteurs), c’est la forme trouvée pour permettre le transfert d’argent. Le compte utilisé provenait de Genesis 7, à la banque Pasche Nassau (Bahamas). Pour les juges, il s’agit d’une construction typique d’un contexte de blanchiment d’argent. »

Pour ceux qui ont suivi cette affaire banque Pasche Monaco (filiale Crédit Mutuel) notamment au travers des nombreux articles que Médiapart lui a consacrée (ici) et du Pièces à conviction () réalisé par Nicolas Vescovacci et Geoffrey Livolsi, ce type de fonctionnement ne devrait pas leur être étranger. On citera le cas de l’ancien Président de la Fédération Brésilienne de football (FIFA) (ici), sous instructions judiciaires dans de nombreux pays pour des soupçons de corruption lors de l’attribution de la coupe du monde au Qatar.

Dans les deux cas, reconnaissons que si la banque Pasche n’est pas impliquée dans le mécanisme de la corruption lui-même, elle pourrait apporter « un savoir-faire » dans ce « tour de passe-passe » qui consiste à blanchir de l’argent provenant d’activités illégales…Tiens donc.

Cette « révélation » n’en est pas une pour les lanceurs d’alerte du dossier Pasche Monaco. Six années plus tôt, auprès des autorités judiciaires monégasques, ils ont réalisé une dénonciation conformément à leurs obligations professionnelles (et après avoir pris soin d’alerter préalablement en interne), portant sur de nombreux cas mettant en évidence qu’ils pouvaient raisonnablement avoir des soupçons sur l’origine des fonds, la légalité des opérations, et leur finalité.

Si vous avez suivi jusqu’ici, vous vous dîtes que tout ceci n’est pas très compliqué et que la répétition des alertes devrait permettre à la justice de travailler rapidement et efficacement.

Nous vous avions prévenus : six ans d’attente pour zéro lueur.

Une première instruction à Monaco, apparemment toujours ouverte mais qui est pour ainsi dire mort- née au bout de six mois avec le remplacement brutal de l’officier de police judiciaire en charge du dossier depuis l’origine. Lui non plus, n’aura pas fait long feu.

Sur la justice à Monaco, on ne dira rien mais on n’en pense pas moins.

Une seconde instruction au PNF (Pôle National Financier), ouverte depuis cinq années en France…dont nous ne connaissons rien de l’état d’avancement. C’est le petit plus du lanceur d’alerte, ne jamais être au courant de rien, puisqu’il n’est pas partie civile des faits qu’il a dénoncés.

On entend bien les problèmes de budget et de personnels qu’a la justice française; on entend bien que l’on peut s’interroger pour la justice monégasque sur sa réelle volonté d’aller de l’avant sur ce type d’affaire; il n’en demeure pas moins que certains faits sont ténus.

Certains clients aux opérations dénoncées sont soit sous instruction et prochainement jugés, soit déjà jugés dans d’autres pays. Nous voulions insister sur le fait que pour le lanceur, très rapidement le problème principal dans la gestion de l’alerte n’est plus la partie dénoncée mais bien la lenteur de la justice qui bloque lourdement ses capacités à se reconstruire.

Puis le noir intégral.

Le seul fil d’ariane du lanceur reste la presse mais là aussi malheureusement, dans un pays où l’investigation est réduite à peau de chagrin, où l’auto-censure sur les affaires sensibles est devenue la norme, il lui est bien difficile de rester dans le jeu. Les informations, elles, se pêchent au fil de l’eau et selon les affaires, surtout dans la presse étrangère.

MM.

Corruption: avec Transparency France on positive !

Tout a démarré avec un article du journal Le Monde :Transparency International fustige les atteintes aux contre-pouvoirs dans l’Amérique de Trump.
Dans son nouveau rapport annuel, publié mardi 29 janvier, l’organisation non gouvernementale Transparency International, dénonce les atteintes portées aux contre-pouvoirs dans les États-Unis du président Donald Trump.
Précisons que cette année, pour la première fois depuis 2011, les États-Unis glissent hors du top 20 des pays où la perception de la corruption est la moins aigüe avec un score de 71 sur 100, ce qui lui a valu dans le classement une baisse de 4 points…

Ceci étant posé, qu’en est – il de la France ?

Elle est mal classée, mais progresse, de deux points.

Selon Elsa Foucraut de Transparency France :
✅ «la France gagne 2 points, elle est classée 21 contre 23 les deux années précédentes. C’est le reflet d’une dynamique engagée en 2013 avec la loi transparence de la vie publique, la haute autorité pour la transparence de la vie, la loi Sapin 2 sur la transparence et contre la corruption : on en récolte les fruits dans ce classement».
✅ «Même si le lien entre corruption et perception de la corruption est complexe, on peut penser que les avancées législatives commencent à produire leurs effets aux yeux des citoyens»,
✅ «Pour autant, il reste une marge de progression, la défiance des citoyens est encore importante».

Peut-on encore rappeler à Mme Foucraut de TI que:

➡️ En France il ne suffit de créer quelques lois pour dire que le problème est réglé . Dans les faits, par exemple sur la transparence de la vie publique, 90% des députés n’ont pas mis à jour leur déclaration d’intérêts
➡️ la loi Sapin2 existe, mais….grâce aux « secrets des affaires », nul doute que les affaires sensibles auront encore de beaux jours devant elles !

➡️ Le Pôle National Financier a certes été créé mais la réalité est aussi celle-ci :

➡️ Si la défiance reste importante, c’est sans doute parce que dans les faits, il se passe peu voire rien de significatif.
➡️ Si dans le classement la France semble progresser c’est aussi sans doute, non par les effets de tout ce que l’on met en place mais par le simple fait que les autres pays reculent ?

Avec Transparency, on positive ! L’important comme avec les politiques c’est de s’auto-convaincre, s’auto-persuader qu’on a pris les bonnes décisions et que l’on est donc quelque part, utile, même si au passage comme avec la Convention Judiciaire d’Intérêt public (CJIP), on défend un droit à corrompre!
Être constructif, c’est bien…pourvu que ça fonctionne. En attendant, peu importe le classement, notre billet d’humeur « Aux corrompus (et autres), la Patrie reconnaissante ! » a, lui toujours sa place.

Bonne journée !

MM.

Macron – L’éthique de réciprocité.

L’éthique de réciprocité est une règle morale dont le principe fondamental est énoncé dans presque toutes les grandes religions et cultures. Elle est présente dans les trois religions du Livre mais également dans toutes les pensées d’Asie et constitue l’un des fondements de la philosophie grecque. On la connaît en occident sous les aphorismes «traite les autres comme tu voudrais être traité» ou «ne fais pas aux autres ce que tu ne voudrais pas qu’on te fasse».
Cette préoccupation est intimement liée au développement de l’humanité depuis ses origines et constitue, ce que l’on oublie souvent, une source d’inspiration essentielle du concept moderne des droits de l’Homme.

Si l’on ne doit pas faire aux autres ce que l’on ne voudrait pas que l’on nous fasse, il faut aussi entendre de cette éthique de réciprocité que celui qui a quelques responsabilités dans la cité ne peut exiger des autres ce qu’il ne serait en mesure de faire lui-même.

À l’occasion de l’un des spectacles one-man show, Macron nous a une nouvelle fois servi gracieusement la soupe.

Comme le faisait justement remarquer Desproges, on peut très bien vivre sans aucune espèce de culture. On ne sait jamais trop où est la limite chez Macron entre inculture, provocation, et mauvaise foi. Ce qui apparaît clair c’est que ce concept de réciprocité ne fait pas partie de son logiciel, quant à l’éthique pas vraiment plus. D’un autre côté, comme toujours avec Macron, il y a dans chacun de ses commentaires de bistrot du commerce, une vérité qui le dépasse.

Résumons : une injonction, un lapsus involontaire et un déni de réalité.

Le Président enjoint les français à être des acteurs de la lutte contre la corruption. Comme si beaucoup d’entre eux l’avaient attendu. Il est vrai, on suppose, que ce n’est pas la même chose d’en être victime que bénéficiaire ou complice.
Celui qui parle est-il un exemple en la matière ? On ne va pas s’aventurer dans un catalogue à la Prévert, mais prenons un exemple, au hasard : Benalla, eh oui, encore lui. Soyons des citoyens exemplaires et dénonçons la corruption, les possibles délits, les manquements aux obligations légales et professionnelles… nous intime Macron. Chiche ! Quand il aura commencé à montrer l’exemple, quand il commencera à dénoncer les faits délictueux dont il a connaissance et ne cherchera plus à protéger un ami (peut-être trop proche!) pendant de longs mois.
La crédibilité d’une parole ne vaut que pour autant que l’on soit soi-même irréprochable sur l’injonction que l’on formule, que pour autant que l’on fasse sienne l’éthique de réciprocité.

Avec le temps, nous avons compris qu’il fallait prendre en fait Macron au mot. Que ce qui pourrait paraître comme une contradiction n’en est pas une.
On retrouve ici toute sa conception du « nouveau monde », divisé en deux catégories : ceux qui ont des droits et des obligations et ceux qui n’ont que des droits et tous les avantages. C’est dire dans son esprit qu’il y a corruption et corruption, l’une qui est un agissement délictueux, l’autre le prolongement naturel des affaires.
Si l’éthique a disparu depuis longtemps, même la réciprocité est à géométrie variable.

Enfin le constat, et l’on balance une fois de plus entre méconnaissance des faits, déni de réalités ou mauvaise foi. La France serait une grande démocratie. Tout est question de comparaison et de raison. Par rapport à des nations que Macron affectionne tant, comme l’Arabie Saoudite ou l’Égypte, il est sûr qu’il serait malvenu de nous plaindre. En référence à l’idéal que l’on peut se faire de la démocratie et l’exigence d’idéal est une vertu, il y aurait beaucoup à dire.

En quoi, dans leur exercice, les trois pouvoirs reflètent l’exercice d’une démocratie juste et équilibrée : un pouvoir exécutif de plus en plus monarchique, un pouvoir législatif réduit à une chambre d’enregistrement des volontés du premier, et un pouvoir judiciaire sous considéré et sous-doté, ne sont pas les apparats d’une grande démocratie, et par certains aspects d’une simple démocratie.
N’oublions pas le quatrième pouvoir dont Macron nous dit qu’il est libre. Libre de se taire, sûrement. Une liberté, celle d’informer dans le cas présent, ne vaut que pour autant que l’on s’en serve, ce que la très grande majorité de la profession journalistique semble avoir oublié. Les lanceurs d’alerte en sont sans doute les meilleurs témoins car ils viennent auprès des journalistes par des chemins de traverse. Et le constat est accablant. L’auto-censure et les intérêts commerciaux et publicitaires sont les nouveaux principes d’exercice de ce « nouveau monde » de la presse. Alors, certes, ils restent comme partout quelques îlots de résistance, mais ne nous satisfaisons pas en croyant que quelques lueurs au loin, nous assurent d’un chemin sans risques.
Accepterions-nous dans d’autres professions que 80 à 90% de ses acteurs aient démissionné de leurs obligations et renié leur éthique ?

Finissons sur la justice puisque Macron nous en donne l’occasion. L’injonction est tombée, la justice en France est indépendante. C’est factuellement faux, et ce n’est pas nous qui le disons mais la CEDH qui a rappelé à plusieurs reprises à la France que la non indépendance institutionnelle et de faits du Parquet n’étaient pas compatibles avec l’exercice d’une justice indépendante. On pourrait avoir les juges du siège les plus indépendants au monde, les plus compétents, les mieux lotis en moyens, cela ne changerait rien à l’affaire. Seul le parquet, dépendant hiérarchiquement du politique est en mesure d’ouvrir ou non des instructions. Combien de dénonciations réalisées par des lanceurs d’alerte ne dépassent pas l’horizon de la poubelle des services des procureurs ? La très grande majorité. Donc de quelle indépendance nous parle Macron ? Elle ne l’est pas constitutionnellement, le serait-elle dans les faits ? Pour le dire encore faudrait-il répondre à deux questions. Celle des moyens alloués pour lui permette de réaliser ses missions, hors de ce point de vue, toutes les statistiques comparatives européennes le démontrent, la justice française est très largement sous dotée. Et, a-t-on fait une sociologie de cette corporation ? Qui sont les juges ? Comment se réalise leur avancement de carrière ? Peuvent-ils et comment pourraient-ils être sanctionnés? Dans quel environnement sociologique vivent-ils ? Sont-ils surreprésentés dans des clubs privés, les loges maçons ? Comment peut-on penser que l’indépendance de toute une profession puisse être proclamée ainsi, alors qu’elle ne l’est pas dans les textes, et que l’on en a qu’une très approximative vision dans les faits ?

Enfant gâté, n’ayant jamais rien fait de lui-même, Macron ne connaît rien aux réalités du monde. C’est sans doute pour cela qu’il tient absolument à nous vendre son « nouveau monde ». Il est une nouvelle fois dans l’invective, la surenchère et la désinformation. Ne lui jetons pas la pierre, la plupart de ses comparses, -dont peu importe en définitive la couleur, d’un extrême à l’autre la même défense d’intérêts partisans est à l’œuvre,- sont animés par une matrice identique.
La phrase reprise de Macron n’était pas bien longue. Et pourtant, tant de choses.

Les lanceurs d’alerte ont au final deux choses à lui dire. Ils n’ont pas attendu qu’on leur dise qu’il pouvaient respecter leurs obligations professionnelles et légales. Pour eux c’est un devoir. Et quand ils ont eu à le faire, malgré la destruction de leurs situations professionnelle et personnelle qui s’ensuivit, ils ont pleinement assumé leurs responsabilités, avec leur article 40 ils ne se sont pas essuyés les pieds dessus.
Par ailleurs, il ne suffit pas de mettre de jolis adjectifs sur une profession « libre » ou un corps institué « indépendant » pour faire sens. Une telle vision simpliste des choses est confondante de médiocrité et de bêtise. La presse et la justice sont des corps vivants et agissants qui ne se résument pas à un mot mais à un exercice quotidien, animé de difficultés et parfois de contradictions. Et là encore, les lanceurs d’alerte ont une expérience cruelle bien éloignée, mais nécessairement plus vivante, du monde merveilleux du petit Président.

MM.

Alstom: un (autre) cas d’école.

Le Parquet de Paris vient d’être saisi -sur les conditions de la vente du Groupe français Alstom à l’américain Général Electric- par le député LR Olivier Marleix, ancien président de la commission d’enquête parlementaire ayant travaillé sur ce sujet. Il intervient, ce n’est pas inutile de le souligner, au titre de l’article 40 du Code de Procédure Pénale, si souvent évoqué ces derniers temps, si peu utilisé par ceux qui en ont l’obligation.
Cette plainte vise directement, sans le nommer, Emmanuel Macron pour le rôle qu’il a joué dans cette transaction en sa qualité de Secrétaire Général Adjoint de l’Élysée puis de Ministre de l’économie.
Le parquet de Paris est saisi de l’affaire Alstom

Rappelons que ce n’est pas la première fois que l’on parle de cette affaire, aussi bien au travers d’articles d’investigation que d’une Commission Parlementaire qui avait auditionné nombre des acteurs de l’époque dont Emmanuel Macron. Les suites n’aboutirent à aucune décision concrète… Sans doute est-ce le fonctionnement normal de ce type de Commission ?

Outre cette saisie du Parquet ce jour, l’affaire Alstom revient sur le devant de la scène suite à la parution du livre « Le piège américain » co-écrit par le journaliste Matthieu Aron et Frédéric Pierucci, ancien dirigeant du Groupe Alstom.

Rappelons que Frédéric Pierucci aura passé plus de deux années en prison aux États-Unis, les autorités américaines l’ayant de toute évidence utilisé comme moyen de pression dans leur attaque contre le groupe français et plus spécifiquement contre son PDG de l’époque Patrick Kron.

Souhaitons que le Parquet, à la différence de la Commission d’enquête parlementaire, aille plus au fond dans son enquête et mette enfin à jour le rôle de chacun des protagonistes qui semblent avoir concouru les uns les autres au bradage de cet ex fleuron industriel français. De l’aveu de tous ceux ayant enquêté sur les conditions de la vente, seul l’ex ministre Arnaud Montebourg semble avoir cherché à défendre l’intérêt général, ce qui l’a conduit à être mis hors course par la haute administration de Bercy soutenue par Emmanuel Macron. Souhaitons aussi que par son instruction, le Parquet mette à jour si elles existent, d’éventuelles collusions entre certains des acteurs de ce dossier ce qui pourrait aussi expliquer la façon dont le gouvernement français a abandonné le contrôle aux Américains, d’un groupe rappelons le, dont certaines de ses activités (turbines destinées aux centrales nucléaires) assuraient l’indépendance du pays vis à vis de puissances étrangères.

Ceci étant dit, nous souhaiterions en tant que lanceurs d’alerte, réagir à l’interview dont il est fait référence ci-avant.

➡️ Alors que la corruption d’agents étrangers est formellement interdite par la loi, tout le monde semblerait l’avoir intégrée comme « normale » tant sa pratique est usuelle.
➡️ Plus étrange et ceci étant dit, ces mêmes interlocuteurs semblent s’étonner de devoir être poursuivis pour avoir sciemment contrevenu à leurs obligations. Nous sommes dans un schéma que connaissent bien les lanceurs d’alerte qui, eux, par obligation mais aussi par peur, préfèrent dénoncer que de penser comme beaucoup par facilité ou lâcheté, que les lois et les règlementations sont indispensables lorsqu’elles ne s’appliquent qu’aux autres.
➡️ Monsieur Pierucci qui, et nous le comprenons, n’a pas nécessairement vécu une partie de plaisir lors de son incarcération aux États-Unis, semble reporter essentiellement ce qu’il a enduré sur le dos de la justice américaine. S’il n’y a pas de doute que les autorités américaines utilisent l’extra territorialité de la justice pour faits de corruption afin de mener également une guerre commerciale contre les grands groupes européens, force est de constater d’une part que ces derniers connaissent la règle du jeu , qu’ils pourraient d’autre part se tourner contre l’Union Européenne qui ne s’est pas donné les moyens, elle, de pouvoir agir de la même façon, et qu’au final, agissements douteux ou non des autorités américaines, il n’en demeure pas moins que les faits eux-mêmes de corruption semblent avérés et même reconnus dans certains cas.
Les lanceurs connaissent bien ce type d’attitude, qui consiste pour l’entreprise et ses dirigeants fautifs, à essayer de maquiller les faits dénoncés derrière de pseudos dysfonctionnements ou volonté hypothétique de nuire.
➡️ Enfin nous marquerons notre étonnement sur le peu d’enclin de monsieur Pierucci à accuser directement son ancien employeur dans les malheurs qui ont été les siens.

Rappelons tout d’abord deux éléments pour poser le décor :

Ayant refusé dès le début de sa garde à vue de collaborer avec le FBI, choisissant ainsi d’être loyal vis à vis de son employeur de l’époque Alstom (cette histoire l’a quand même conduit à deux ans de prison en plaidant coupable pour s’en épargner entre 15 et 19 années), ceci n’a pas empêché ce dernier de le licencier rapidement pour abandon de poste! Comme quoi, et cela est une constante chez les lanceurs d’alerte, la loyauté ne paie pas et les lampistes sont bien utiles. Sans doute était-ce pour cette raison qu’il vaut mieux dénoncer.
Nous rappellerons ensuite que, lors de l’audition de Patrick Kron à la commission d’enquête parlementaire, Natalia Pouzyreff, vice-présidente LREM de la commission d’enquête, s’était étonnée auprès de lui qu’il n’avait pas jugé bon de recevoir l’épouse de Monsieur Pierucci ou à minima de communiquer avec elle alors que son époux était emprisonné aux US. « La personne de M. Pierucci ne bénéficie de plus aucun soutien, il n’a reçu aucune visite de la part de représentants de la société Alstom, il est emprisonné pour trente mois, vous n’avez pas reçu la famille et il a plus d’une centaine de milliers d’euros de frais d’avocat non payés… »
Non, Monsieur Pierucci n’est pas Carlos Ghosn.
Nouvelle illustration pour les non-encore lanceurs d’alerte, on passe très facilement du jour au lendemain de cadre méritant à paria mais après tout comme nous l’explique l’un des principaux acteurs de ce dossier Emmanuel Macron, « il y a des gens qui réussissent et ceux qui ne sont rien ». Dans la pratique faudrait-il encore préciser comment devient-on, ou comment fabrique-t-on, « un rien » ?

Revenons donc à notre étonnement quand Monsieur Pierucci charge quasi exclusivement la justice américaine, source de ses ennuis. Il convient de rappeler que l’enquête sur Alstom par cette dernière remonte à 2010 soit 3 ans avant son arrestation et période pendant laquelle monsieur Kron aurait sciemment menti aux autorités américaines, leur faisant croire qu’il menait en interne dans le groupe Alstom une enquête afin d’établir les responsabilités sur les faits de corruption présumés, prêt avec le Groupe à collaborer pleinement avec le FBI. Il n’en fut rien, aux dires de l’ex cadre.
De ce fait, Monsieur Kron semblerait avoir pris le risque d’exposer ses employés lors de leur déplacement à une justice américaine qui ne plaisante pas… ce qui est arrivé à Monsieur Pierucci. On a beau être cadre, il n’en demeure pas moins qu’en cas de pépin, on devient très vite un « rien ».

Si la justice américaine fait son travail, quand bien même elle instruirait avec des arrières pensées, il semblerait que l’attitude du Groupe Alstom et de son dirigeant aurait fait courir un risque plus important à ses propres cadres, quitte à les lâcher.

« Frédéric Pierucci paye pour des pratiques qui ont été favorisées, connues et généralisées au sein de l’entreprise. Il a été sacrifié par ses patrons pour qu’ils puissent, eux, rester en liberté. »
Pierre Laporte, ancien cadre d’Alstom à France info.

MM.

Billet d’humeur – Aux corrompus (et autres), la Patrie reconnaissante !

Changeons notre fusil d’épaule. La défense des lanceurs d’alerte c’est bien. Relater, décrire, analyser les alertes, c’est bien. Pointer du doigt les dysfonctionnements, le non respect ou le travestissement des règlements et lois, c’est bien aussi. Est-ce que ça aide les lanceurs, tous ceux soucieux du respect du droit commun, tous ceux qui pensent qu’une société soumise à certaines règles s’appliquant à tous est une société plus équilibrée et pacifiée? Sans doute, on l’espère en tous les cas. Car la plupart des alertes s’immiscent dans ces espaces, ceux où règles et lois sont oubliées, volontairement ignorées ou carrément violées. On pourrait donc penser, qu’à force d’efforts, d’explications et d’un peu de justice, ces espaces diminuent, rendant inutiles alertes et lanceurs.

Changeons notre fusil d’épaule.

N’y aurait-il pas plus simple ? S’il n’y avait plus de dysfonctionnements, si les libertés prises avec les règles, si le fait d’oublier ou d’ignorer la loi,..si tout ceci n’était plus si grave que ça, il n’y aurait plus besoin d’alertes, de lanceurs… Admettons.
➡️ Rêve, cauchemar ? Qui sait…
Cette hypothèse n’est pas si loufoque que ça. Nous sommes quand même entrés et progressons à grande vitesse dans un nouvel univers juridique, celui de la dépénalisation d’un nombre toujours plus important d’infractions.
Nous ne ferons ici la liste des « avancées » en la matière, destinées à « simplifier la vie de ceux qui entreprennent », à « redonner de la flexi-sécurité » (sic), à reconnaître un « droit à l’erreur » et ne pas pénaliser « celui qui prend des risques », et, Graal parmi les Graal, à « permettre aux entreprises d’embaucher ».
Qu’est ce qu’on ne ferait pas pour quelques « bullshit jobs » payés au lance-pierres…
On vend bien des armes à des dictateurs assoiffés de sang parce que c’est bon pour l’emploi, on peut bien aider des cartels de la drogue à blanchir leur argent si c’est bon pour le business et que ça permet de dégager de beaux bonus …on sait vous motiver!
Tout ceci va « redynamiser » la demande intérieure. Pensez-y !

Alors arrêtons de nous prendre la tête.

A MetaMorphosis nous avons décidé de militer pour que l’on mette nos règles et lois en conformité avec les pratiques communément admises.
Si l’employeur a le droit de se tromper sur le motif du licenciement et de le changer en fonction de ses besoins, pourquoi continuer à le motiver ? Mais qu’il licencie, sans motif et sur le champ !
Certaines activités sont considérées comme illégales, le trafic de drogue, le trafic d’êtres humains, le proxénétisme… mais pitié que l’on n’empêche pas les banques de faire leur travail. Qu’elles blanchissent, de toute façon, à part une petite amende, il ne leur arrive déjà rien. Une petite envie de se servir dans une caisse d’argent public ? Arrêtons de nous offusquer et donnons systématiquement le chéquier, de toute façon même si ces salauds de journalistes découvrent le pot au roses, d’une belle promotion ils -les protagonistes visés- seront récompensés. Que de temps et d’argent perdus à mobiliser autorités de contrôles, cours des comptes, policiers ou juges alors que le résultat est quasi toujours le même.

Le nouveau monde sera « efficace » ou ne sera pas.

Dérégulons, réformons, dépénalisons… Le nouveau monde sera corrompu ou ne sera pas. Et voilà comment régler le problème des lanceurs d’alerte et des journalistes d’investigation : ça n’était vraiment pas la peine de s’embêter à faire voter une loi secret des affaires ou racheter toute la presse pour mieux la contrôler.
Si voler n’est plus un crime, il n’y a plus de voleur, il n’y a plus de victime, circulez il n’y a plus rien à voir !

Nos amis helvétiques ont tout compris.

UBS va être condamnée, on l’espère et c’est bien. Il le faut en tous les cas.
Profitons-en, car avec des dispositifs comme la CJIP (Convention Judiciaire d’Intérêt Public) et avec l’air du temps, nous ne sommes sans doute pas près de revoir un tel procès!
Outre que d’un seul point de vue financier, la banque doit bien rigoler en voyant le montant de l’amende réclamé par le fisc français (après tout on ne va pas reprocher à une banque de faire de bonnes affaires, surtout quand la partie adverse est si peu exigeante), une bonne nouvelle l’attend à la fin du procès : le droit suisse lui permet de déduire de son impôt le montant de l’amende payée.
Un beau crédit d’impôt en perspective. Gagnant à tous les coups…
C’est quand même beau le nouveau monde !

MM.

La corruption dans tous (s)ces (é)États

Il y a encore une génération, la corruption n’intéressait pas grand monde.
Dans les pays riches, elle était considérée comme un phénomène du passé ; dans les pays pauvres, on faisait comme si elle n’existait pas.
Les temps ont changé. Désormais, elle se dispute la une des journaux avec le terrorisme. Serait-ce parce qu’elle a augmenté ? Parce que nous sommes devenus plus puritains ? Parce que nous sommes mieux informés ?
La présente tribune « La corruption dans tous (c)ses (é)États » est établie à partir de notes de lectures reprises en fin d’article ou directement citées dans le texte.

Scandales et opinions publiques

Les scandales de corruption sont devenus des questions politiques majeures. L’affaire brésilienne, qui a abouti à la destitution de la présidente Dilma Rousseff et pourrait aboutir à celle de son successeur, Michel Temer, a fait le tour du monde. La Corée du Sud a connu le même processus. L’Afrique du Sud également, avec la démission du président Jacob Zuma. En Chine, la corruption généralisée de l’élite dirigeante met en péril la légitimité de l’État ; en réponse, le président Xi Jinping a entrepris la plus grande purge depuis l’ère Mao. Le Premier ministre indien Narendra Modi a pris des mesures pour lutter contre le phénomène. Même en Europe, la corruption est devenue un sujet central dans les pays du sud du continent. En France, Emmanuel Macron doit son élection au scandale de corruption dans lequel était impliqué le favori, François Fillon. La montée du Mouvement 5 étoiles en Italie est le signe d’une révolte contre la corruption des partis traditionnels.

Cet intérêt de l’opinion publique a été favorisé par le progrès des connaissances et le travail de journalistes d’investigation et d’ONG spécialisées.
Fillon a été coulé par Le Canard enchaîné, mais le trophée doit à coup sûr revenir à Transparency International [on ne parle pas ici de la branche française qui semble ne pas avoir la même approche, sa défense de la CJIP par exemple conduisant au final à un encouragement des faits de corruption], qui, en mesurant et en médiatisant la corruption, a eu un impact assez stupéfiant au regard de son modeste budget. Cela a eu pour effet majeur de briser le tabou concernant la corruption dans les pays pauvres, que l’on jugeait jusque-là embarrassante mais trop répandue pour qu’on y prête attention. Enhardi, James Wolfensohn, le président de la Banque mondiale, déclare officiellement la guerre au « mot en C ». Mais la corruption n’est pas l’apanage des pays pauvres. Dans leur livre « Démasqués », Laurence Cockcroft, l’un des fondateurs de Transparency international, et Anne-Christine Wegener, ancienne directrice adjointe de l’organisation, font une description captivante de la corruption en Occident. Aux États-Unis, le talon d’Achille est le financement des campagnes électorales. Les règles ayant été rendues moins strictes et les enjeux financiers étant plus importants, l’argent s’est mis à couler à flots. Pour se faire une idée de la corruption en Europe du Nord, on peut lire le passage qu’ils consacrent au Dieselgate et à la réaction très peu audible des autorités.

De l’impulsion des politiques publiques

Transparency International a donné l’impulsion, les politiques publiques ont suivi. La Banque mondiale a consacré d’immenses efforts à juguler la corruption. Résultat, de nombreux pays se sont dotés d’offices anti-corruption et de nouvelles législations. Dans les pays riches, l’OCDE a orchestré le vote de lois faisant par exemple de la corruption de fonctionnaires étrangers un délit pénal. Cela peut sembler modeste, mais en France ces pots-de-vin étaient jusqu’alors considérés comme des dépenses déductibles de l’impôt sur les sociétés. Au sommet du G8 de 2013, le Premier ministre anglais David Cameron engagea le fer contre les sociétés-écrans et les paradis fiscaux où se dissimule l’argent de la corruption, en instaurant un registre officiel des vrais propriétaires de toutes les sociétés immatriculées en Grande-Bretagne. Animé par une forte conviction, il organisa le premier « Sommet mondial contre la corruption », en mai 2016 qui fut sa dernière action sur la scène internationale. Et il pilota avec le FMI l’édition d’un recueil de textes, « Against Corruption ».

Ces nouvelles politiques publiques ont été élaborées sans apport significatif des économistes professionnels. Il n’y avait pas grand-chose à tirer des publications scientifiques. De nouveaux travaux ont été publiés, et nous en savons aujourd’hui un peu plus, mais le résultat reste étonnamment limité. Et beaucoup de ce que nous savons n’est pas très encourageant.

Méthodes et luttes

➡️ Constat

Dans « The Corruption Cure », Robert Rotberg fait une description exhaustive de l’état actuel du sujet. Il passe en revue les nombreuses initiatives visant à lutter contre la corruption et les cas assez rares où elle a été effectivement endiguée. Sa conclusion est que la pièce maîtresse, dans tous les pays, est le dirigeant politique qui doit avoir la volonté de s’attaquer vraiment au problème.

Trop souvent ces initiatives sont purement décoratives et visent à satisfaire les donateurs internationaux. Pas étonnant qu’elles échouent. C’est seulement quand un dirigeant veut vraiment changer les choses que la question se pose de savoir quelles sont les stratégies les plus efficaces. Rotberg tire des cas de réussite un plan précis en quatorze points. C’est la force de son travail : se concentrer sur ce qui peut mener au changement. Il faut résister à la tentation de comparer les sociétés intègres et les sociétés corrompues et de conclure que les secondes doivent s’inspirer des premières. Cela conduit à dire que tout le monde devrait ressembler au Danemark, avec sa panoplie de droits démocratiques. Le problème de ce raisonnement, c’est que, à l’époque où le Danemark est parvenu à endiguer la corruption, son système politique n’avait rien à voir avec celui d’aujourd’hui. Cela se passait à la fin du XVIIe siècle. À la suite d’une défaite militaire, le pouvoir fut centralisé au sein de la monarchie, qui mit en place une fonction publique loyale et compétente. L’intégrité a été insufflée du haut vers le bas, afin de renforcer l’État.

➡️ Comprendre la corruption

Si l’ouvrage de Rotberg vaut par l’ampleur de ses descriptions historiques, Bo Rothstein apporte, lui, la rigueur des méthodes modernes d’analyse universitaire dans « Comprendre la corruption », écrit avec Aiysha Varraich. Cet ouvrage, essentiellement conceptuel, cherche à identifier ce qui caractérise le comportement corrompu en se demandant quel type de gouvernance en constitue l’antithèse. Les auteurs évitent les termes normatifs tels que « bonne gouvernance » ou « abus de pouvoir ». Leur réponse est d’une surprenante précision : c’est l’« impartialité procédurale ». Comme l’illustre Tom Tyler, un professeur de l’université Yale qui travaille sur la psychologie du respect de la loi, les interactions entre les fonctionnaires et les citoyens sont riches d’enseignements. En se fondant sur des enquêtes détaillées, il montre que l’on se conforme plus volontiers aux règles quand on est traité de façon impartiale et respectueuse.

La Chine est devenue le cimetière de bon nombre de travaux sur la « bonne gouvernance ». Non seulement l’État est parvenu à réduire la pauvreté à un rythme sans précédent historique, mais, comme le constatent Rothstein et Varraich, les enquêtes d’opinion dénotent une confiance exceptionnelle des citoyens envers la fonction publique. Et pourtant, l’État chinois ne se caractérise ni par la « bonne gouvernance » ni par l’« impartialité procédurale ». Rothstein et Varraich proposent une explication intéressante et sans doute plus pertinente encore qu’ils ne l’imaginent : l’existence d’un modèle alternatif à celui de la bureaucratie wébérienne, le corps de fonctionnaires animé par le sens de sa mission.

Grâce à Rotberg et à quantité de travaux de recherche « évaluative », nous savons à présent que les efforts considérables de la Banque mondiale n’ont toujours pas d’effet perceptible. Plus préoccupant encore, il y a de bonnes raisons de penser que l’on fait fausse route en privilégiant l’action législative et la mise en place d’instances anti-corruption. Un bon exemple de l’impuissance des lois et des institutions est fourni par l’Italie. Le Nord et le Sud ont beau avoir les mêmes lois et institutions depuis plus de cent cinquante ans, l’écart de niveau de corruption reste stupéfiant. L’Italie du Nord se situe parmi les régions les plus intègres d’Europe, non loin derrière la Scandinavie. L’Italie du Sud, elle, est comparable aux régions les plus corrompues de l’Europe du Sud-Est. Si faire partie du même pays depuis un siècle et demi ne suffit pas à produire une convergence des pratiques, ce ne sont pas de nouvelles institutions nationales qui y parviendront. On peut s’interroger aussi sur l’intérêt de la stratégie économique classique qui consiste à introduire des incitations et des sanctions, ce qui implique un système d’évaluation : dans la fonction publique, la performance est très souvent le fait d’une équipe ; l’assortir d’une récompense risque de nuire à la motivation au lieu de la stimuler.

Des enraiements difficiles

Quel est le problème alors ? Pour Rothstein et Varraich, la persistance de la corruption résulte de ce qu’on appelle un piège de coordination : dans certaines organisations, et parfois dans des sociétés entières, les gens n’ont pas d’autre choix que de pratiquer la corruption parce que c’est devenu le « mode de fonctionnement habituel ».

Les deux auteurs démontrent, preuves à l’appui, que presque partout la corruption est considérée comme moralement condamnable ; mais on continue d’y avoir recours parce que tout le monde fait pareil et que ce serait idiot de ne pas le faire. Comme l’écrit Carlo Alberto Brioschi dans « Brève histoire de la corruption », une synthèse qui puise largement dans l’expérience italienne, « cosi fan tutti » (« tout le monde le fait »). Si les gens sont pris dans l’engrenage, reste à savoir comment en sortir.
La corruption est un problème de coordination, mais n’est-elle que cela ? Il faut se méfier des propositions du genre : « Les gens ont un bon fond, mais certains ne peuvent pas faire autrement. » Voilà du politiquement correct un peu facile. Devons nous évacuer la morale de l’équation ? On conçoit qu’au Royaume-Uni, par exemple, l’indignation morale prédomine dans la réaction aux affaires de corruption. Dans son livre « Insatiables », Stuart Sim se complaît dans l’indignation morale et prêche contre la cupidité. Sa cible est la mentalité qui érige la cupidité en vertu. Sim voit la cupidité partout, dans les marchés financiers, l’alimentation, le sport, la médecine, les entreprises. Il verse parfois dans la colère d’un prophète de l’Ancien Testament. Que la plupart des humains soient bons ou non, en règle générale ils ne sont pas grossièrement cupides. Ils mettent en balance désir et devoir et ne méritent pas ce déchaînement moralisateur. Une bonne part de la corruption ne provient pas de la cupidité personnelle mais du fait que des fonctionnaires mal payés font passer leurs obligations familiales avant le bien public.

Si la corruption est rare dans une société, ce n’est pas seulement parce que l’honnêteté est le « mode de fonctionnement habituel », c’est que nous partageons tous avec Sim le sentiment qu’elle est moralement condamnable. Si nous pratiquions la corruption, nous serions sans doute rongés par la honte. Il y a de nombreuses sociétés où ce n’est pas le cas. Bien sûr, dans les enquêtes d’opinion réalisées un peu partout dans le monde, les sondés disent être d’accord avec la proposition « La corruption c’est mal » ; mais cela ne reflète sans doute guère plus qu’un biais de conformité : le désir de donner la « bonne » réponse. Le comportement électoral fournit un bien meilleur indicateur. En France, un parfum de corruption a suffi pour priver Fillon d’un tiers de ses électeurs. En revanche, au Kenya, pour prendre un exemple représentatif de nombreuses sociétés, les électeurs réélisent régulièrement des politiciens corrompus. Le plus connu des dessinateurs de presse kenyans, Gado, a épinglé à la fois le phénomène et son explication. Dans son dessin le plus célèbre, « Ce sont les nôtres », composé d’une série de vignettes, des partisans de candidats véreux assurent tour à tour à une journaliste estomaquée : « C’est notre repris de justice », « C’est notre escroc à nous », « C’est notre voleuse attitrée », « C’est notre baron de la drogue ». Ce que Gado cristallise dans son dessin, Michela Wrong le met à nu dans son enquête au scalpel, « À notre tour de manger : l’histoire d’un lanceur d’alerte kenyan ».

Autres sources de dysfonctionnements

➡️ Identité nationale, morale et corps social

Un acte de corruption déclenche indignation collective et regret intime – honte et culpabilité – quand il y a manquement à un devoir. Pour comprendre la corruption, il faut donc comprendre dans quelles conditions il y a manquement. Gado est un Tanzanien qui vit au Kenya, et il a remarqué une différence frappante entre les deux sociétés voisines. Le premier président de la Tanzanie, Julius Nyerere, avait mis beaucoup d’énergie à forger un sentiment d’identité nationale partagé par les nombreuses ethnies du pays. Au Kenya, le président Jomo-Kenyatta fit le contraire, exploitant les divisions tribales pour asseoir son pouvoir. Cinquante ans plus tard, les Tanzaniens ont un sentiment d’identité nationale dont les Kényans manquent à l’évidence. C’est ce que souligne Gado : au Kenya, si piller l’argent public bénéficie à la fois au pilleur et à son groupe, l’action a plus de chances d’être vue comme honorant un devoir que l’enfreignant. Comme le souligne Brioschi, la corruption possède son propre code moral : la réciprocité de l’acte. Un pot-de-vin est la rétribution d’un service. Ce qui est immoral, c’est de manquer à cette obligation : soit en n’honorant pas le pot-de-vin payé, soit en réclamant un avantage sans avoir payé. Dans les îles Salomon, un politicien peu ordinaire qui avait tenté d’échapper au système de clientélisme en distribuant des subsides à chacun après son élection s’est fait rembarrer : un électeur a repoussé son cadeau au motif qu’il avait voté pour quelqu’un d’autre.

Il est plus facile d’ériger le respect des deniers publics en devoir quand il existe une identité commune, mais cela ne suffit pas, puisque la Tanzanie affiche un niveau de corruption élevé malgré une identité partagée. Il faut aussi qu’il existe un lien tangible entre la corruption du pilleur et le préjudice qu’il inflige aux autres membres du groupe. En Tanzanie, comme dans bien d’autres sociétés, ce lien n’est pas évident. Nyerere mena une politique économique désastreuse qui se traduisit par des pénuries fréquentes et une baisse du niveau de vie. Le gouffre entre sa rhétorique du bien commun et la réalité était trop profond pour rendre acceptable le discours selon lequel l’intégrité personnelle des fonctionnaires est dans l’intérêt de tous.

Les souverains danois ont pu endiguer la corruption parce qu’une menace extérieure a favorisé la cohésion nationale. En utilisant les deniers publics pour renforcer l’armée et professionnaliser l’administration, ils sont parvenus à créer un lien entre intégrité personnelle et intérêt général. Un acte de corruption commis par un fonctionnaire serait donc un manquement à un devoir moral. Cela fait penser au corps de fonctionnaires chinois animé par le sens de sa mission : l’impartialité procédurale n’est pas une fin en soi mais un moyen d’y parvenir.

L’identité partagée n’est cependant pas non plus une condition nécessaire. En témoignent les exemples de Lee Kuan Yew à Singapour et de Paul Kagame au Rwanda, qui sont parvenus l’un et l’autre à venir à bout de la corruption organisée alors que leurs sociétés n’avaient pas ce sentiment d’identité partagée. Les deux dirigeants ont adopté la même stratégie, jetant en prison tous les corrompus, ennemis et amis. Le Prix Nobel d’économie Michael Spence a établi la raison de son efficacité : elle tient à ce que les spécialistes appellent le « signal ». Même un escroc s’appuyant sur un système clientéliste a intérêt à emprisonner ses ennemis, mais il jugerait trop coûteux d’emprisonner ses amis. Faire incarcérer ses ennemis n’impressionne pas grand monde, alors que jeter ses amis en prison dénote de l’intégrité. Les deux dirigeants sont ainsi devenus des modèles pour les fonctionnaires. D’autant qu’ils ont expliqué clairement le motif de leur conduite : une fonction publique intègre est essentielle à la prospérité générale. Comme au Danemark, mais par un chemin différent, nombre d’agents de la fonction publique au Rwanda et à Singapour se sont mis en devoir d’être de « bons fonctionnaires ».

D’une manière ou d’une autre, un lien visible doit être établi entre un acte de corruption et la mise en danger d’un objectif que le fonctionnaire a fait sien. La théorie actuelle, formulée par George Akerlof et Rachel Kranton dans leur livre « Économie de l’identité », veut que ce lien découle de la notion d’acte identitaire. Un fonctionnaire qui se considère comme un « bon fonctionnaire » se donne forcément pour objectif de posséder les caractéristiques qui font cette identité. Cela dit, même dans ce cas, la société reste confrontée au problème de coordination souligné à juste titre par Rothstein et Varraich : il est idiot de bien se conduire si les autres n’en font pas autant. La solution d’un problème de coordination réside généralement dans la création d’un nouveau savoir partagé : non seulement nous savons tous qu’un acte de corruption va mettre en danger une chose à laquelle nous tenons, mais nous savons tous que nous le savons tous. Objectif atteint par la communication de masse mise en place par Lee et Kagame.

Des limites des luttes

En fin de compte, dans quelles circonstances tout cela a-t-il vraiment de l’importance ? Autrement dit, à quel moment la corruption est-elle réellement invalidante, et non pas seulement pernicieuse, et que se passe-t-il dans ce cas ? Pour cela, il faut revenir aux institutions. Comme nous le savons à présent, pour qu’une société puisse s’extirper de la pauvreté absolue, elle doit bâtir trois institutions fondamentales : la fiscalité, le droit et la sécurité. Le reste, système de santé, éducation, protection sociale, est éminemment souhaitable, mais sans les trois premiers piliers rien ne peut tenir debout. Sans capacité de lever l’impôt, il n’y a pas d’État digne de ce nom. Fait crucial, dès que l’État commence à engranger des recettes fiscales, il dispose d’un levier pour développer l’économie. Sans même y penser, les dirigeants politiques qui ne se soucient guère du bien-être des citoyens se trouvent alors amenés à les servir. Sans État de droit, pas d’intangibilité des contrats et de la propriété. Sans sécurité, les bandits rôdent : on s’en protège en n’accumulant pas de biens ou en pratiquant la violence préventive. Sans ces trois piliers, la vie est pénible, brutale et brève. Tel fut en effet le sort de l’humanité durant la majeure partie de son histoire.
Il faut à ces trois institutions des fonctionnaires qui fassent passer leur intérêt personnel derrière celui de l’État. Pour obtenir ce comportement, un dirigeant a deux options possibles : inculquer le modèle wébérien d’impartialité procédurale ou les valeurs d’un groupe sont animées par le sens de sa mission. Il se peut que le résultat soit optimal quand les deux modèles se succèdent dans le temps, comme cela s’est sans doute produit au Danemark. Il se peut aussi que l’une des deux approches soit préférable selon le contexte.

Pourquoi le président Mobutu n’a-t-il jamais créé d’administration fiscale au Zaïre ? Ce n’était pas par manque de cupidité : Stuart Sim aurait pu en faire sa pièce à conviction numéro un. Mais Mobutu savait que c’était impossible dans son pays : les inspecteurs des impôts auraient mis l’argent dans leur poche.

En 2012, quand le FMI fit pression pour que le Zaïre, devenu entre temps la République démocratique du Congo (RDC), instaure une taxe sur la valeur ajoutée (TVA), les recettes fiscales, au lieu de progresser, ont diminué. La TVA a deux composantes : les entreprises la paient quand elles vendent des produits, puis la récupèrent sur leurs intrants. Au Zaïre, les inspecteurs firent en sorte que les entreprises en tirent un bénéfice. Si la TVA fonctionne en Grande-Bretagne mais pas en RDC, c’est sans doute parce que les inspecteurs des impôts ont intériorisé la norme professionnelle de l’impartialité procédurale. L’enfreindre reviendrait à perdre l’estime de soi. Et revanche, quand un inspecteur congolais touche un pot-de-vin, il gagne en estime de soi. Le bénéfice qu’il en tire pour sa famille l’emporte largement sur son sentiment de culpabilité. Le fonctionnaire animé par le sens de sa mission est sans doute plus à même de changer cela que le bureaucrate wébérien.

L’État de droit passe par des juges intègres. Dans leur livre, Laurence Cockcroft et Anne-Christine Wegener montrent que même les États-Unis peinent parfois à le garantir, mais le problème est sans commune mesure dans beaucoup de pays pauvres. Même au Ghana, l’un des pays modèles d’Afrique, un journaliste se faisant passer pour un homme d’affaires a filmé récemment à leur insu vingt-sept magistrats en train d’accepter des pots-de-vin en échange d’un jugement favorable. S’il semble juste de dire que l’impartialité procédurale est enracinée chez les juges britanniques, au Ghana, où les juges forment une petite élite, l’idéal wébérien est peut-être l’objectif à viser.

La sécurité est assurée par des soldats prêts à risquer leur vie pour défendre les civils. En 2013, l’armée kenyane est intervenue pour maîtriser des terroristes qui s’étaient emparés d’un centre commercial. Les combats durèrent plusieurs jours parce que les soldats en profitèrent pour piller. Mais, dans de nombreuses pays, l’armée recrute des jeunes peu instruits et en fait rapidement des soldats hypermotivés. Sur l’échelle sociale, les simples soldats se situent à l’extrême opposé des juges. Difficile de les motiver en vantant les vertus de l’impartialité procédurale. Les armées motivées sont des entités animées par le sens de leur mission.
La construction de ces trois piliers relève de l’échelon national : un nouveau dirigeant qui entend lutter contre la corruption, comme Xi en Chine, Modi en Inde ou Buhari au Nigeria, dispose d’une occasion pour envoyer un signal d’intégrité et expliquer qu’il agit au nom de l’intérêt général.

✅ Internationalisation et coordination

Que pouvons-nous faire, nous qui vivons dans des sociétés où ces tâches ont déjà été accomplies, pour favoriser une telle évolution dans les sociétés prises au piège de la corruption et de la pauvreté ? Il est clair que les remontrances et les discours moralisateurs n’ont aucun effet. Mais comme le suggère Rotberg, quand un nouveau dirigeant a vraiment envie de changer les choses, l’action internationale peut aider. L’internationalisation des normes dans des secteurs tels l’audit et le droit peut offrir aux fonctionnaires des pays corrompus une identité valorisante de professionnel de niveau mondial et faire ainsi évoluer les pratiques. Dans des domaines tels que la fiscalité ou les marchés publics, l’adoption de nouvelles technologies permet d’automatiser les procédures et de limiter le pouvoir discrétionnaire des fonctionnaires. Internet et les réseaux sociaux peuvent permettre aux citoyens de diffuser des exemples de corruption et de mettre les responsables dans l’embarras, à condition que les citoyens aient compris pourquoi la corruption leur fait du tort. La transparence internationale en matière de transactions bancaires et d’identité des véritables propriétaires des entreprises peut rendre plus difficile de dissimuler la corruption. Puisque celle-ci est un problème de coordination, une action coordonnée sur divers fronts a toutes les chances de faire sortir une société de son équilibre néfaste.

✅ Des discours aux actes

En définitive, pour en finir avec la corruption, il faut forger un nouveau sens partagé du devoir. Mais le prêche ne doit pas venir de l’étranger. Il doit être le fait d’un dirigeant national, dont les actes rendent le discours crédible.

MM.

& Laurence Cockcroft et Anne-Christine Wegener, « Unmasked : Corruption in the West » (Tauris, 2017).
& Bo Rothstein : « Making Sense of Corruption » (Cambridge University Press, 2017).

«Là où il y a de la gêne, il n’y a pas de plaisir»

Aujourd’hui voici une information passée inaperçue dans la presse française, qui a peu de chance d’être reprise et pourtant à bien y réfléchir, elle vaut son pesant d’or.

Nous sommes en plein dans le répertoire «faut pas se gêner» et tout ceci est très révélateur d’une forme de «libération de la parole».
Nous vous rassurons tout de suite, non pas une libération du type «me too» ou «balance ton porc»; mais de celle que l’on entend par ailleurs, sur les migrants par exemple, où l’on peut dire à présent toute sorte d’horreurs sous couvert de la liberté d’expression jusqu’à envahissement des réseaux sociaux de paroles «libérées» avant tout de toute retenue et de toute morale, de toute décence et bien souvent de toute intelligence.
Ce grand déballage de ressentiments et de haines qui veut que « si on le pense c’est que ça doit être vrai », en somme du Descartes recyclé «je pense, donc je dis la vérité»!
Nous l’avons encore entendu ce jour de la bouche du Président le petit qui (selon lui) ne peut être taxé de méprisant puisque ce qu’il dit est «la» vérité, même si, une fois de plus, son inculture et son penchant maladif pour le slogan commercial, lui fait raconter des contre-vérités historiques.
S’il n’y a pas longtemps encore «toutes les vérités n’étaient pas bonnes à dire», force est de constater que le nouvel adage est à présent «là où il y a de la gêne, il n’y a pas de plaisir».

➡️ Le New York Times nous informe dans son édition d’hier sous le titre «Giuliani Criticizes Crackdown on Corruption in Romania», ici, que Rudolph W. Giuliani, avocat personnel du President Trump s’est fendu d’une lettre au Président roumain, Klaus Iohannis, pour critiquer les efforts entrepris par son pays dans la lutte contre la corruption…

Reconnaissons à M. Giuliani des talents indéniables d’imagination en sa qualité d’avocat de Trump sur l’enquête d’ingérence dans les dernières élections présidentielles, avec cette capacité de dire tout et son contraire dans la même phrase et d’inventer des justifications et des motivations que même le plus farfelu des auteurs de science-fiction n’aurait pas osé penser.
Bien évidemment, il s’est empressé – l’administration Trump avec lui – de préciser qu’au travers de ce courrier, son intervention était personnelle et en aucun cas liée à ses fonctions auprès du Président.

➡️ Rappelons que la Roumanie a rejoint l’Union européenne en 2007 et dans ce cadre devait prendre un certain nombre de mesures afin d’enrayer une corruption endémique, ce qui a conduit à des milliers d’inculpations y compris d’anciens et actuels politiciens nationaux.
Dans sa missive, «M. Giuliani wrote that an amnesty should be given to those who had been convicted in the crackdown, citing the “excesses” of the country’s anticorruption agency».
En cherchant bien, le New York Times a découvert que le Giuliani avocat était lié d’affaires avec la Freeh Company, représentant un certain nombre d’hommes d’affaire roumains poursuivis, notamment Gabriel Popoviciu qui a été condamné en Août 2017 à sept ans de prisons pour corruption dans un projet immobilier au nord de Bucharest.
Certains semblent s’intéresser aux liens éventuels avec l’homme d’affaires Trump, investisseur en Roumanie…

➡️ Au-delà de l’affaire elle-même, la démarche a quand même de quoi étonner : s’offusquer publiquement auprès d’un Président en exercice de ses efforts de lutte contre la corruption conformément aux engagements que son pays a pu prendre!
Nous l’aurons compris, tout ça pour protéger soit les intérêts de quelques uns, soit d’un client spécial ou les deux.

Quoi qu’il en soit, nous pouvons observer deux phénomènes récurrents: d’une part, comme déjà évoqué, une absence totale de scrupule à demander d’autoriser ce qui devrait être interdit, d’autre part, une volonté de servir quelques intérêts particuliers au détriment de l’intérêt général de tout un pays.

En France et de façon plus subtile, ces phénomènes se déroulent à travers certaines dispositions ou lois permettant à quelques uns de déroger au droit commun; mais peu importe la manière, le résultat est le même.

Si «là où il y de la gêne, il n’y a pas de plaisir», alors pourquoi se gêner ?

MM.

Dieu reconnaîtra les siens…

«Faute avouée est à moitié pardonnée», tel est l’adage populaire. Avec le temps c’est plutôt devenu «faute avouée, faute pardonnée», ou l’art de s’offrir une virginité contre un petit mea-culpa. Cela semble même être devenu le mode de communication préféré des responsables publics ou privés. On ne se situe pas dans la tradition japonaise de l’excuse qui a pour vertu d’exposer publiquement le dirigeant de l’entreprise ou de l’administration même s’il n’est pas le responsable direct des faits incriminés, et de le conduire le plus souvent à sa démission. On a affaire chez nous à une excuse expiatoire, valant rédemption des péchés, même, comme on va le voir, quand l’entreprise est sise au Japon mais contrôlée par des capitaux étrangers. Pour faire court c’est un peu sur le mode «voilà ça c’est fait, passons à autre chose».

Trois exemples dans l’actualité récente, illustrent ce propos.

➡️ Le New York Times du 09 Juillet 2018 propose un article intitulé «Nissan Workers in Japan Falsified Emissions Tests, Review Says», ici.
Le constructeur d’automobiles Nissan, contrôlé et partenaire du français Renault, a reconnu que la plupart de ses usines avaient employé des méthodes de contrôle de pollution de véhicules inappropriées. Les mesures des performances concernant les émissions de gaz d’échappement et des tests d’économie de carburant n’ont pas été effectuées conformément au protocole prescrit et les rapports d’inspection ont été basés sur des valeurs de mesure altérées, a expliqué le constructeur dans un communiqué. Nissan n’a pas précisé dans ce document le nombre de véhicules concernés ni la durée, en mois ou années, pendant laquelle ces méthodes illégales ont été employées.

Il convient de rappeler, alors que ce scandale touchant la plupart des constructeurs automobiles mondiaux a été initié depuis deux ans, que ce n’est qu’à la demande des autorités, que Nissan a été forcé depuis septembre de réaliser des inspections sur la façon dont sont ou ont été contrôlés ses véhicules, après avoir dû reconnaître que des personnes non certifiées apposaient leur signature sur des documents de tests.
Au cours de cette enquête interne sont apparues les autres pratiques répréhensibles dont le groupe a fait état lundi au ministère des transports japonais avant de prévenir la presse. «Des investigations exhaustives sur les faits décrits ci-dessus, y compris sur les causes et les antécédents de ce type de mauvaise conduite, sont en cours», a assuré le constructeur.
On parle bien de falsification c’est-à-dire une altération frauduleuse d’un produit ou d’un processus. C’est bon de le rappeler, car tel que présenté, on dirait que cela fait partie des usages de toute entreprise qui se respecte. On vous laisse imaginer l’opprobre qui pourrait s’abattre sur un employé ou un particulier qui s’amuserait à falsifier ne serait-ce qu’un document ou une réponse. Ici, on passe le cap supérieur, à grande échelle, mais ce n’est que contraint et forcé, qu’on vous annonce sans rire avoir industrialisé la fraude…
C’est pour ça qu’on a inventé les excuses de circonstance, une auto-justice de bénitier.

➡️ Interview ce jour dans Le Monde sous le titre «Olivier Blanchard : Les élites ne se sont pas assez préoccupées de la montée des inégalités», ici.
Face à la montée du populisme, les gouvernements doivent s’attaquer d’urgence aux inégalités, prévient Olivier Blanchard, économiste au Peterson Institute de Washington. Présent aux Rencontres économiques d’Aix-en-Provence vendredi 6 juillet, l’ancien chef économiste du Fonds monétaire international (FMI) s’inquiète également des fragilités de la monnaie unique. Pas beaucoup de monde sans doute pour ne pas reconnaître le bien fondé d’un tel constat. Ce monsieur Blanchard y va de son plaidoyer d’homme «sage» : «c’est un immense défi, et si l’on ne fait rien, il est très probable qu’elles continueront d’augmenter (les inégalités). Il faut travailler en amont, sur l’éducation, sur la formation professionnelle. Il faut augmenter le rôle de l’impôt négatif (une forme d’allocation publique intégrée à l’impôt sur le revenu) pour les travailleurs les plus pauvres, et travailler en aval, avec des impôts plus élevés sur la succession des plus riches. Mais comme pour le réchauffement climatique, j’ai peur que les politiques réagissent trop tard».
C’est beau et émouvant tout ça !
Mais qui parle ? Ne serait-ce pas le même monsieur Blanchard qui pendant des années en occupant l’un des postes les plus importants du FMI, a orienté, validé, encouragé, voir imposé, des politiques aux États qui sont la cause première du constat qu’il fait aujourd’hui ?

Ne lui jetons pas la pierre, et gageons de sa bonne foi : de deux choses l’une, soit il lui a fallu attendre de quitter le Fond pour se rendre compte des conséquences désastreuses de ces politiques, et alors on peut s’interroger sur ses capacités de jugement, soit il en avait conscience mais a préféré se taire et continuer le job. Il aurait pu faire, comme les lanceurs d’alerte, quand ils refusent de cautionner des pratiques illégales ou contraires à l’intérêt général, de ne pas y participer, de les dénoncer et accessoirement de démissionner.
En fait nous craignons d’avoir à faire avec ce monsieur Blanchard et tant d’autres, à des personnalités extrêmement troublées, pour être gentil. Nous y voilà, le rachat pour tout ce qui n’a pas été fait, pour tout ce que l’on a fait sans jamais se soucier des conséquences, une forme d’excuses par l’opposé, par l’absurde.
Monsieur Blanchard a participé avec beaucoup d’autres à créer un monde d’inégalités au point de se rendre compte que tout ceci mène aux populismes, aux extrêmes, à l’exclusion, à la révolte demain peut-être… Et il nous sort son joker: «je le savais bien, mais comme je m’excuse, je suis pardonné !».

➡️ Rapidement, une dernière «news» dont on ne sait pas vraiment s’il faut en rire ou en pleurer, toujours dans la même logique.
La Tribune du 06 Juillet 2018, parmi d’autres, nous informe : «François Hollande se lance dans la lutte contre la corruption», ici.
Ça fait peur…

L’association Stop Corruption, co-présidée par l’ancien ministre des Finances Michel Sapin et l’ex-député de Loire-Atlantique Michel Hunault, veut organiser une grande conférence internationale le 11 décembre prochain à Sciences-Po. Le président d’honneur de l’organisation François Hollande devrait faire le discours d’ouverture. «Au printemps dernier, François Hollande (président d’honneur), Michel Sapin (co-président), Michel Hunault (co-président), Daniel Lebègue (ancien président de l’association Transparency International France) et Gérard Rameix (ancien président de l’autorité des marchés financiers) ont crée l’association #Stopcorruption qui veut notamment assurer « la transmission et la sensibilisation aux valeurs de l’éthique. » Les membres fondateurs veulent également promouvoir « la défense de la transparence et de la régulation des mouvements financiers ».
La conférence en question qui «se veut être un lieu d’échanges et de réflexion de haut niveau» prévoit d’inviter des représentants des institutions internationales (FMI, Banque mondiale, OCDE), des responsables politiques et des dirigeants d’entreprise.
Soit, pourquoi pas, faut aussi savoir s’occuper, et rien de tel qu’une association, de grands principes, des débats avec des gens fréquentables. On sait bien que quelques petites pierres ont été posées à l’édifice de la lutte contre la corruption pendant le quinquennat Hollande. Enfin des pierres, des «cailloux» plutôt, le moins que l’on puisse dire, c’est que sur ce sujet aussi, l’insuffisance a été cruellement au rendez-vous.
De la finance «ennemie-amie» aux ridicules réactions successives des Moscovici et Sapin aux différents leaks, aux multiples affaires ayant touché des membres de son gouvernement, ce quinquennat n’entrera sûrement pas dans les annales de la lutte anti-corruption.
C’est vrai, on nous a gratifiés d’une loi, la nommée Sapin 2 : outre son peu d’ambition, on peut s’offusquer de certaines de ses dispositions (le processus de dénonciation à la hiérarchie, la CJIP) et demeurer très circonspects sur son efficacité réelle dans la protection des lanceurs d’alertes. C’est vrai, le quinquennat Hollande aura donné naissance au Pôle Financier mais sans que jamais ne soient tenus les engagements de la présidence en matière de moyens alloués.
Des lois, des textes pourquoi pas, si encore ils pouvaient être judicieux et opérants, mais dans les faits, comment cela se passe t-il ?
C’est sans doute parce que Hollande et ses amis n’en savent rien, ou n’en savent que trop bien, que l’on en arrive à vouloir se donner encore une fois conscience pour soi.
La belle association pour se faire pardonner de ne pas avoir voulu prendre le taureau par les cornes quand tous les moyens étaient donnés… L’excuse réparatrice.

On y croit, « Dieu reconnaîtra les siens… »

MM.

Des mondes parallèles


Promis, ensuite on arrête. Non pas que nous fassions une fixation sur les «us et coutumes» judiciaires français, sur certains fonctionnements de nos politiques, mais à notre corps défendant, l’actualité nous donne quand même matière à nous émerveiller! Trois brèves du jour qui en plus de nous étonner, appellent à la réflexion.

➡️ Nous avons déjà parlé dans MetaMorphosis (ici), du beau scandale planétaire, l’affaire 1MDB.
Quoi de neuf sous le soleil malaisien ? Le New York Times s’en fait l’écho dans son édition du jour («Najib Razak, Malaysia’s Ex-Prime Minister, Is Arrested Amid Corruption Inquiry»), ici, information reprise par l’ensemble de la presse internationale : «Najib Razak, the former prime minister of Malaysia who was ousted in an election two months ago, was arrested by anticorruption officials on Tuesday, amid an investigation involving billions of dollars diverted from a state investment fund».
L’instruction de cette gigantesque affaire de corruption, un bon 4 milliards de dollars, sous l’impulsion du nouveau gouvernement malaisien, entre dans une nouvelle phase avec la mise en cause directe des anciens responsables politiques. «His successor as prime minister, Mahathir Mohamad, campaigned on bringing Mr. Najib to justice, and after his inauguration, officials moved to block Mr. Najib and his wife, Rosmah Mansor, from leaving the country. American prosecutors have accused Mr. Najib, 64, of diverting into his personal bank account $731 million from the state investment fund, which he supervised for years. Money siphoned from the fund, known as 1MDB, was then spent on luxury goods, such as a $27.3 million pink diamond necklace that was worn by Mr. Najib’s wife, American investigators said».
Pour nous qui vivons «au pays des droits de l’homme», il y a matière à s’étonner. Pas de connivence de castes comme chez nos politiciens toutes couleurs confondues, pas de levée d’immunité de toute sorte, pas de cours de justice de la république qui prendra soin de ne condamner personne. Dans ce pays exotique qu’est la Malaisie, un ancien chef de gouvernement suspecté est mis en examen, ses comptes bancaires sont bloqués et il est arrêté sans qu’il soit nécessaire d’obtenir l’accord de ses camarades de caste. Certes, les faits reprochés sont très sérieux, mais la Malaisie n’a pas le monopole d’anciens responsables de haut rang sur lesquels pèsent des accusations d’une extrême gravité.
En notre belle République, dans une telle situation nous pouvons encore nous permettre de pavaner devant le Panthéon en professant des discours sur la morale et l’honneur! Le système politique est en fait construit autour de l’absence totale de responsabilités qui permet que se diffuse ce poison, le sentiment d’impunité généralisé.
Nous vous avions promis que nous n’y reviendrions pas, pas si sûr. Car l’affaire 1MDB recèle d’autres informations, passées quasiment inaperçues dans la presse française.
Nous avions appris que Leonardo Di Caprio aurait été gratifié et le film «Les Loups de Wall-Street» financé l’un et l’autre par de l’argent détourné du fond malaisien, mais voilà que nous découvrons également dans cette affaire 1Mdb, la présence directe ou indirecte de quelques personnalités françaises.
En effet, certains hommes d’affaires ou politiques français auraient des liens avec les personnalités citées dans cette affaire : Nicolas Sarkozy est un proche de Khadem al-Qubaisi, ce dernier ayant financé les conférences du premier à Abu Dhabi, rémunérées chacune 100 000 euros.
Le milliardaire français Bernard Arnault, propriétaire de LVMH, a siégé au conseil consultatif de ce fond souverain malaisien durant 3 ans. Et Bernard Squarcini, ancien directeur du renseignement intérieur français sous Nicolas Sarkozy, a travaillé pour Khadem al-Qubaisi. Il a été approché par l’Émirati pour enquêter sur des témoins qui pourraient être gênants dans cette histoire…
Le Parquet National Financier, comme beaucoup d’autres juridictions internationales, enquête sur cette affaire. Donc à suivre… MetaMorphosis aimerait bien en fait pouvoir en reparler!

➡️ Sans doute aujourd’hui, avec celle de la FIFA l’autre grande affaire de corruption internationale dont MetaMorphosis s’est également fait le messager (ici), celle dite du «Lava Jato» («lavage express»).
Petit rappel : l’opération «Lava Jato» (ou scandale Petrobras) est une enquête de la police fédérale du Brésil qui a commencé en mars 2014, concernant une affaire de corruption et de blanchiment d’argent impliquant notamment la société pétrolière publique Petrobras. Elle est dirigée par le juge Sergio Moro qui a ensuite relié l’enquête à l’affaire Odebrecht. Les faits reprochés incluent des commissions pour des personnalités politiques de toutes affiliations en échange de leur implication dans des contrats publics surfacturés. L’affaire concernerait un volume de près de 3,5 milliards de dollars au Brésil seul.

Scandale de corruption d’ampleur inédite, le petrolão a, dans ses premières phases, mené à l’emprisonnement des directeurs des entreprises OAS, IESA Óleo e Gás, Camargo Corrêa Construções, UTC et Construtora Queiroz e Galvão ainsi qu’un des ex-directeurs de Petrobras, Paulo Roberto Costa.
Les partis les plus concernés sont le Parti progressiste (droite), le Parti du mouvement démocratique brésilien (centre) et le Parti des travailleurs (gauche). Par la suite cette affaire a pris au Brésil une ampleur inédite conduisant à la destitution d’une Présidente et à l’emprisonnement d’un ancien chef d’État, avant de s’étendre à tout le continent sud-américain en touchant la quasi-totalité des pays, y compris ceux se proclamant anti-capitalistes comme le Vénézuéla (implication de personnes proches de Maduro) ou la Bolivie.
Une belle affaire, de grande ampleur ayant conduit à l’implication et même l’incarcération de politiques et chefs d’entreprises de premier plan. Voilà qui est fait.
Cependant pour tout lanceur d’alerte, il y a un trou béant que quasi seul le Jornal Do Brasil va tenter de combler: «Enfim, bancos na Lava Jato» (ici) («Finalement, des banques dans Lava Jato»).
Les juges brésiliens, non supposés plus intelligents que leurs confrères français, semblent avoir fait une découverte extraordinaire : un système tel que «Lava Jato» (on doit se poser la même question pour 1MDB) ne peut fonctionner et même exister sans la passivité au mieux, voire la complaisance ou pire la collaboration du système bancaire.
«O jornal “O Estado de S. Paulo” revelou, em 8 de junho, que a Receita Federal encontrou indícios que apontam para a responsabilidade dos bancos nesses contratos de câmbio fraudulentos usados para lavagem de dinheiro. A informação consta em balanço produzido pelo Fisco sobre sua atuação na operação Lava Jato. O documento cita cinco tipos de omissões por parte de bancos e corretoras de valores. O Bradesco hospedou 39 contas dessas empresas de fachada mantidas pelo grupo de Youssef. O Itaú Unibanco 18 e o Santander, 13. Além deles, o Banco do Brasil hospedou 11 contas, Caixa, 13 e o Citibank outras 15».
En France, sauf à ce qu’elles soient mises directement en cause, il est très rare dans les affaires de corruption que la justice aille au bout du processus jusqu’à devoir rechercher les responsabilités des institutions financières.

➡️ Enfin, une dernière brève, et un détour dans le monde parallèle de nos élites. Les Échos nous l’annonce : «Les ministres évalués mais sans sanction à la clef» (ici). «Le Premier ministre entame ce mardi une série d’entretiens d’évaluation avec ses ministres, comme le lui avait demandé, lors du dernier séminaire gouvernemental , le chef de l’État. Une opération qui durera tout le mois de juillet. Durant sa campagne présidentielle, Emmanuel Macron l’avait assuré, s’il était élu, «l’efficacité» de ses futurs ministres serait «évaluée régulièrement». Et, poursuivait-il dans cet entretien au «Journal du dimanche», «je déciderai une fois par an, en lien avec le Premier ministre, de les reconduire ou pas». Mais là, pas question de «reconduire ou pas».
À quoi sert une évaluation si elle n’est pas suivie d’une réévaluation de la situation et la prise de sanction quand il y a insuffisance ? Décidément, ces gens vivent dans un autre monde; ils ont une méconnaissance totale de celui de l’entreprise dont ils nous rabâchent pourtant en permanence l’exemplarité…
Ce gouvernement est la parfaite illustration qu’il fonctionne tel un conseil d’administration, endroit où les sanctions sont rarement prises même en cas de carences graves ou de malversations criantes.

Des mondes parallèles!

MM.

L’intérêt général, une notion en crise

Vaste débat que nous souhaiterions mener, avec toute la conscience de sa difficulté.

La question est : la satisfaction des revendications (on ne se pose pas ici la question de leur légitimité) de certains, l’amélioration de leurs conditions de travail et d’existence, contribuent-elles à l’amélioration des conditions de tous ?
S’il est vaste, ce questionnement est très concret puisqu’il nous interroge quelque part sur la notion d’intérêt général.
Les intérêts de certains font-ils l’intérêt de tous ? Est-on dans une approche moderne de l’intérêt général ou dans sa conception d’ancien régime, celle du bien commun ?
Par nature, ce qui relève de l’intérêt général doit être en mesure d’impacter la vie de chacun. Défendre la cause de la déforestation où qu’elle soit, procède de l’intérêt général car nous savons aujourd’hui, scientifiquement, que chaque espace déforesté a une incidence négative et peut-être irréversible sur la planète entière et sur chaque individu, où qu’il soit et quel qu’il soit.
Par contre, quand des politiques défendent l’idée de privilégier une catégorie sociale sous prétexte que l’amélioration de sa propre condition impactera positivement tous les membres de la société, font-ils œuvre d’action en faveur de l’intérêt général ?
Assurément non, l’amélioration de la santé des uns ne fait pas nécessairement le bonheur de tous. L’argument tenu par les défenseurs de ce type de postulat repose en réalité sur la notion de bien commun. Certains biens seraient donc considérés faire parti d’un patrimoine commun (par exemple la santé des entreprises pour certains, la santé tout court pour d’autres) ce qui justifierait que la satisfaction de leur bien-être soit indiscutable car répondant à un besoin commun. C’est une vision en fait très «entrepreneuriale» de l’intérêt général où celui qui possède du capital, un savoir, une pratique, une technique… serait aussi le détenteur d’une vérité commune à laquelle l’ensemble de la société devrait adhérer. Nous sommes très loin de l’intérêt général des Lumières qui est la négation même de la propriété individuelle, professionnelle, sectorielles ou corporatiste.

Faisons un petit détour par l’actualité pour essayer de comprendre comment cela s’enchaîne dans les discours et dans les faits.

El Mundo du 11 Juin 2018, sous le titre « 18 condenados por la financiación ilegal del PP valenciano », ici, nous informe de la condamnation de 18 politiciens espagnols dans l’affaire du financement illégal du Parti Populaire de Valence en Espagne, notamment au travers du blanchiment d’argent d’activités illégales. Cette affaire et d’autres ayant touché le parti de la droite espagnole expliquent la destitution récente du gouvernement par une motion de défiance du parlement. «El Partido Popular de la Comunidad Valenciana financió ilegalmente las campañas para las elecciones municipales y autonómicas de 2007 y las generales del 2008 a través de la tramaGürtel. Así lo da por probado el Juzgado Central de lo Penal de la Audiencia Nacional, que este lunes ha impuesto penas de prisión que van desde los cuatro meses a los seis años y nueve meses a 18 de los 20 acusados en el juicio a la rama valenciana de la trama corrupta. La sentencia condena por tres delitos electorales (municipales, autonómicas y generales), así como por falsedad documental continuada y por fraude fiscal».
L’argumentaire des juges est pour le moins intéressant: ce n’est parce qu’un parti politique défend, par son existence même, la possibilité d’un droit fondamental, d’un véritable intérêt général en démocratie, celui de pouvoir voter pour des forces diverses, qu’il est en droit de s’exonérer des obligations qui s’imposent à tous. Le parti défend ainsi un bien commun à tous mais dans son seul intérêt.
Une fois de plus, la santé des uns, ne fait pas le bonheur de tous, pire elle peut violer ce qui fait que l’intérêt général existe, la loi.

Ce n’est pas la même musique au Mexique. Le New-York Times, dans son édition du 11 Juin 2018 titre «Mexico Could Press Bribery Charges. It Just Hasn’t.», ici.
Nous parlons ici du plus grand scandale de corruption de l’histoire de l’Amérique du sud, du nom du géant brésilien de la construction Odebrecht, qui a déjà déstabilisé bon nombre de pays du continent et envoyé en prison de multiples protagonistes, hommes d’affaires et politiques. «Mexico’s government has enough evidence to charge officials connected to one of the biggest corruption scandals in Latin American history. But it is refusing to bring charges because they might hurt the governing party ahead of presidential elections, according to three people with direct knowledge of the case».

Il ne se passera donc rien au Mexique, seule exception continentale avec le Vénézuéla.
La justification, pour scandaleuse qu’elle soit, nous ramène à notre sujet. À la vieille d’élections présidentielles importantes, dans un contexte de relations tendues avec le puissant voisin américain, et au regard de l’instabilité que connaissent d’autres pays touchés par le même scandale, les politiques locaux nous expliquent sans sourciller que, dans l’intérêt de la démocratie mexicaine, il est préférable de ne pas mener les investigations à leur terme.
Elle a bon dos la démocratie, mais en tant que français, il semble difficile de faire la morale, nous ne sommes parfois pas très loin en matière de justifications. On arrive là à un parfait mélange de l’intérêt général et du bien commun, une symbiose parfaite entre ce qui est bon pour les détenteurs d’un pouvoir (ce pourrait être les détenteurs d’un savoir, d’un capital, d’une pratique professionnelle…), disposé à s’auto-absoudre pour le bien de la défense de l’intérêt général par excellence, la démocratie.

Même si ces deux exemples sont de prime abord « extrêmes », ils nous semblent mettre en perspective le questionnement de l’intérêt général qui reste central à l’exercice de la res publica. Notre démocratie est sans doute malade de la perte de sens de cette notion fondamentale, les intérêts catégoriels multiples prenant de plus en plus le pas, pour des motivations sans doute légitimes, sur le général, transformant chacun de ces intérêts en autant de biens communs, décrétés ainsi par celui ou ceux qui en sont les possédants.
L’intérêt général ne peut en aucun cas s’exercer, s’exprimer ou se résoudre comptablement faute de quoi il perd l’un de ses attributs principaux, le désintéressement. C’est bien pour cela que toutes les définitions touchant les lanceurs d’alerte s’attachent à conditionner ce type d’action à la défense de l’intérêt général et, en même temps, au caractère désintéressé de la démarche. Là où la comptabilité cherche à catégoriser, l’intérêt général décloisonne, casse les barrières. Ils sont donc incompatibles.

MM.