« Si c’est bon pour l’emploi… »

“Est-il indécent de se battre pour notre économie, nos emplois ?”
Interrogé en 2015 sur les accords commerciaux et les ventes d’armes massives de la France à l’Arabie Saoudite, pays ayant procédé cette année là à l’exécution de près de 200 personnes et menant une guerre sanguinaire au Yémen, l’innommable Manuel Valls nous avait gratifiés de cette «maxime». En un mot, tout est permis… si c’est bon pour le business (l’emploi n’est qu’une excuse, on l’aura compris), petite musique bien connue des lanceurs d’alerte!
Dans la bouche de ce personnage, rien de très choquant au final. De la présidence de François Hollande, marquée du sceau du reniement et de la lâcheté, rien de très étonnant.

Médiapart nous informe ce jour (ici) qu’une étude juridique, rendue publique par les ONG Amnesty International et ACAT France, interroge pour la première fois la légalité des transferts d’armes de la France dans le cadre du conflit yéménite qui aurait déjà fait plus de 10.000 morts civils.
Selon cet avis juridique, fruit d’une année de collaboration entre le cabinet d’avocats Ancile et les deux ONG, précise Laurence Greig, co-auteure avec Joseph Breham du rapport, «il ressort […] un risque juridiquement élevé que les transferts d’armes soient illicites au regard des engagements internationaux de la France […]. Le gouvernement français a autorisé des exportations de matériels militaires, vers l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis (EAU), dans des circonstances où ces armes peuvent être utilisées dans le conflit au Yémen et pourraient servir à la commission de crimes de guerre».
Médiapart résume ainsi la situation : «En d’autres termes, les armes françaises ont peut-être tué des civils au Yémen et l’État français pourrait être complice de crimes de guerre et se voir poursuivi en justice».

Il n’est pas inutile de rappeler qu’en France, la vente et l’exportation d’armes et d’armements sont en principe interdites, toute vente et tout transfert d’armement découlant de dérogations. Selon les chiffres de l’Institut international de recherche pour la paix de Stockholm (Sipri) du 12 mars dernier, l’État français est le troisième vendeur d’armement au monde. De 2006 à 2015, l’Arabie saoudite a été son premier client d’après le ministère de la défense français. Il ne fait plus aucun doute aujourd’hui que des armes françaises ont été utilisées contre les civils yéménites par l’Arabie Saoudite ou les Émirats Arabes Unis.
«L’opacité totale entourant le régime de contrôle français rend difficile le fait de s’assurer que […] les autorisations d’exportation sont bien délivrées conformément aux critères du TCA et de la Position commune […], notamment que les armes exportées ne pourront pas participer à violer le droit international […] ou le droit international humanitaire», souligne l’étude du cabinet d’avocats. Par ailleurs, des années peuvent s’écouler entre la signature des contrats et la livraison.

Mais tout ceci est-il vraiment important ? “Est-il indécent de se battre pour notre économie, nos emplois” sur un tas de cadavres de civils innocents ? Manuel Valls n’a pas la réponse ! Un dirigeant de Nexter (matériels militaires) non plus : il s’était félicité en mars 2016 à l’Assemblée nationale que des chars Leclerc étaient déployés au Yémen : «Leur implication au Yémen a fortement impressionné les militaires de la région».
Sans doute, l’essentiel est de montrer que la France a les plus gros chars…
Et l’ONG ACAT de rappeler que la France tient un double discours : «elle se targue d’être à la pointe du Traité sur le commerce des armes et d’être le pays des droits de l’homme, elle ne cesse d’appeler au processus de paix mais jette de l’huile sur le feu en vendant des armes, apportant ainsi une forme de soutien diplomatique aux pays concernés».

Le business comme seul gouvernail, des procédures d’exportation opaques, des contrôles inexistants ou dépourvus de toute transparence, des ventes illégales et illégitimes, un droit de regard de la représentation nationale absent… autant «d’us et coutumes» auxquels les lanceurs d’alerte sont habitués.

Comme le rappelle Amnesty International : «Le manque de la transparence de la France sur ses transferts d’armes ainsi que sur le processus décisionnel aboutissant ou non à la délivrance d’une autorisation à l’exportation ne permettent pas par ailleurs d’assurer que la France agisse dans le respect de ses engagements. Il n’existe aucune information publique indiquant que la France ait suspendu ou annulé des licences d’exportations depuis le début du conflit».
«Qui pouvait imaginer la survenance de ce conflit au Yémen ?» se justifie la ministre des Armées, Florence Parly, quand un journaliste la questionne sur les ventes d’armes de la France aux participants au conflit au Yémen. Sa ligne de défense semble suggérer que Paris n’a approuvé les exportations militaires vers ces pays qu’avant le conflit. Sans pouvoir se douter qu’en 2017, le Yémen serait devenu l’une des pires crises humanitaires au monde, terrain de potentielles violations graves du droit international. L’affirmation de la ministre de la Défense résiste mal à une vérification des faits. ACAT demande d’ailleurs aujourd’hui la création d’une enquête parlementaire.
En attendant, le business continue notamment avec un nouveau client très prometteur, l’Egypte.

«Le fait de fournir des armes qui vont probablement faciliter la répression interne en Égypte est contraire aux dispositions du Traité sur le commerce des armes dont la France est partie et bafoue la Position commune de 2008 de l’Union européenne», s’indigne Amnesty International.
Denis Jacqmin, chercheur au Grip (Groupe de recherche et d’information sur la paix et la sécurité) à Bruxelles souligne : «La vente d’armes à l’Arabie saoudite, à la fois par la France et le Royaume-Uni, compte tenu de ce qui se passe au Yémen, c’est clairement une violation de la Position commune. Le problème de ce texte, c’est qu’il n’y a pas de juge pour tirer la sonnette d’alarme».

Les lanceurs d’alerte reconnaîtront leurs petits : des lois, des engagements, mais pas de contrôle, aucune transparence, et surtout personne pour juger et s’assurer de leur application et de leur respect.

C’est bien fait quand même…

MM.

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