Benalla, les oligarques russes…l’AFP versus Médiapart.

 Nous en convenons, la vie moscovite a ses charmes et n’est pas vraiment désagréable tant qu’on a les moyens d’y vivre.
C’est le cas des expatriés, par exemple quand ils sont détachés d’une grande agence de presse publique comme l’AFP. La condition pour y mener une vie paisible est sans doute de ne pas trop s’y faire remarquer et en tous les cas, de tenir un discours plutôt bienveillant à l’égard de l’homme fort de la Cité.

Selon les affaires, cette bienveillance peut également plaire au petit Président logeant l’Élysée. Alors si l’on mêle cette situation moscovite à l’affaire Benalla, nous sommes sûrs de ne faire que des heureux…
De là, quand on est journaliste de profession pour le compte de l’AFP à Moscou, nier les évidences concernant les deux oligarques russes clients de Benalla, est – et c’est le moins qu’on puisse dire – un peu limite.

✅ Fort à propos, Médiapart répond ce jour indirectement à son confrère, à travers l’article ci-après : Benalla et les contrats russes: qui sont les deux oligarques au cœur de l’enquête
Nous noterons simplement que là où le journaliste de l’AFP, Thibault Marchand, affirme ne connaître aucun lien entre les oligarques en question et la présidence russe, ces mêmes oligarques reconnaissent eux-mêmes être « les soldats de Poutine ».

contrats russes
« Benalla et les contrats russes: qui sont les deux oligarques au cœur de l’enquête »

🔴 Qu’est-ce autre qu’un soldat que celui qui répond même aveuglément aux ordres qu’on lui donne, qui est disposé à monter au front en lieu et place et en assumant tous les risques du donneur d’ordre?
Soit le correspondant moscovite de l’AFP passe plus de temps dans les hauts lieux culturels locaux, et n’a pas le temps de vraiment s’informer, ce qui serait alors de l’incompétence, soit, d’une façon subliminale dira-t-on, il cherche sous couvert de la renommée de l’AFP à faire passer le message qu’il n’y aurait aucun risque d’ingérence au travers des activités de Benalla quand il était encore salarié de l’Élysée puisque ces oligarques seraient de simples citoyens dégagés de toute influence politique.
A qui fera-t-on croire que l’on peut constituer de telles fortunes en Russie sans l’aval du pouvoir politique ?
Même une dépêche AFP ne ferait pas l’affaire!

✅ Si nous ne pouvons que remercier Médiapart pour la qualité et le sérieux de son travail sur l’affaire Benalla sans lequel nous ne saurions sans doute pas grand chose des turpitudes de ce bouffon de la République qu’est Benalla, nous aurions néanmoins, une remarque à leur faire quant à la présentation que fait le journal en ligne de ces oligarques russes comme cela est encore le cas dans l’article évoqué précédemment.

Il s’agit d’une question de vocabulaire qui à notre sens, a toute son importance.

« Benalla et les contrats russes: qui sont les deux oligarques au cœur de l’enquête »

Il est ainsi indiqué que ces oligarques « ont fait fortune » ou « ont construit leur fortune », alors que – pour parler clairement – ces personnes y compris celles plus médiatisées à Londres ou à Monaco ayant investi dans des clubs de foot par exemple, n’ont jamais rien construit de leur vie au sens noble du terme, mais ont tout simplement avec la complicité du pouvoir politique, capté des pans entiers de biens publics. En présentant les choses comme le fait Médiapart, une forme de légitimité est donnée à ces fortunes alors qu’on se situe bien plus tôt dans des systèmes de prévarication ou de détention de bien mal-acquis.

➡️ Nier les liens consanguins entre ces oligarques et le pouvoir politique, est faire preuve de mauvaise foi en ignorant comment Poutine a pu déposséder certains de ses anciens compagnons oligarques déchus en moins de temps qu’il n’en faut pour le dire.

Même si les mécanismes sont sans doute plus subtils, il serait intéressant que les économistes et/ou sociologues se penchent un jour sur les mécanismes à l’œuvre ayant permis à certaines grandes fortunes françaises de se constituer, fortunes représentant pour Macron, le modèle indépassable de sa Start-up Nation.

Il est fort à parier que là aussi, le mythe en prenne un coup.

MM.

Russian Street in London

L’écrivain italien Roberto Saviano aime rappeler que selon lui «le Royaume-Uni est le pays le plus corrompu du monde» et que «Londres est (devenu) le centre mondial du blanchiment du trafic de drogue». Il n’est pas le seul à énoncer un tel constat, mais tout ceci ne semble pas jusqu’ici interpeller plus que ça les autorités anglaises.
The Guardian nous informe dans son édition du 21 Mai 2018 «Russian activity in City of London faces further scrutiny by MPs» (ici) que Londres semble décidé d’aller voir d’un peu plus près la nature exacte des activités des oligarques russes à la City.
Nous ne sommes pas dupes, un tel intérêt soudain n’est pas le fruit d’une volonté d’action, mais une conséquence du refroidissement sensible depuis quelques mois des relations anglo-russes.

Ne boudons pas notre plaisir et comme dit le proverbe «mieux vaut tard que jamais…».
Avec un peu de chance, l’initiative anglaise donnera peut-être l’idée aux autorités françaises d’aller voir d’un peu plus près ce qui se passe à Monaco avec certains oligarques russes, ukrainiens ou bulgares, qui ont pignon sur rue, mais dont certaines des activités justifieraient une attention toute particulière.
Dernier en date à être placé sous les radars des autorités anglaises :«Roman Abramovich, the owner of Chelsea Football Club, could be asked to explain the source of his vast wealth before he is granted a new UK visa» (The Guardian du 21 Mai 2018 «Roman Abramovich may have to explain source of wealth to get UK visa»).
Selon le journal anglais, tous ses voyages ont été décortiqués (pour la petite histoire, deux passages à l’aéroport de Nice en deux mois et demi) pour confirmer une présence effective et suffisante sur le sol britannique.

Mais l’affaire la plus embarrassante concerne aujourd’hui Oleg Deripaska : «A second select committee of MPs is expected to examine how Russian companies use the City of London after the foreign affairs committee singled out the corporate law firm Linklaters for its role in advising on last year’s flotation of Oleg Deripaska’s En+. Parliamentary sources indicated that the Treasury select committee would take up the subject as part of its inquiry into economic crime and that Linklaters could again be asked to appear, potentially creating a confrontation with a law firm that has so far refused to give evidence.
Linklaters turned down more than one request to explain its involvement as the principal lawyers in the £5bn flotation of En+ in November 2017, which has become controversial as Anglo-Russian relations have deteriorated and Deripaska was placed on a US economic sanctions list»
.

La capitale britannique a acquis le surnom de «Londongrad», depuis une vingtaine d’années, en accueillant à bras ouverts les caciques du régime russe comme ses opposants en exil. Les milliardaires sont minoritaires parmi les 60.000 résidents russes enregistrés au Royaume-Uni, bien sûr, mais leur présence, dans le cœur de Londres, est aussi spectaculaire que celle, dans un autre genre, des grandes fortunes du Golfe. Pendant de longues années, le Royaume-Uni a tout fait pour accueillir les russes expatriés.
A partir de 2008, pour un investissement de 2 millions de livres, un étranger pouvait obtenir un «golden visa» qui devenait, cinq ans plus tard, une autorisation de résidence permanente. Avec 10 millions de livres, l’attente pouvait être réduite à deux ans. Avant le renforcement des contrôles sur l’origine des fonds, il y a trois ans, pas moins de 706 Russes ont reçu ce fameux visa, soit 23 % du total des demandes.

Le 27 mars dernier, la commission des Affaires étrangères du Parlement britannique tenait une session sur la corruption russe au Royaume-Uni. Symptôme d’un problème qui devient croissant en Angleterre : première puissance financière mondiale, la rutilante City of London est également devenue la capitale mondiale du blanchiment d’argent et de l’évasion fiscale. De plus en plus conscientes de l’ampleur du problème, les autorités de la capitale britannique multiplient depuis les procédures judiciaires à l’encontre des criminels internationaux installés à Londres.
Parmi eux, on trouve bon nombre d’hommes d’affaires étrangers et plus particulièrement plusieurs oligarques russes. Une fâcheuse situation qui pousse la justice à intervenir, notamment à la demande des entreprises britanniques escroquées ou volées par ces hommes d’affaires voyous.
C’est par exemple le cas de la société de capital-investissement Lehram, dont l’essentiel de l’activité repose sur la gestion d’actifs miniers en Russie. L’entreprise se bat actuellement pour récupérer une mine sibérienne d’une valeur de 250 millions de livres sterling. Celle-ci aurait été transférée illégalement à une autre société russe, dans des circonstances troubles et sans l’accord de la direction londonienne.

Selon les informations de The Guardian, l’affaire, déposée devant le tribunal de commerce de Kemerovo, centre administratif de la ceinture houillère de la Russie, éclate juste après l’envoi en prison, en 2015, d’un certain Igor Rudyk, directeur local de l’entreprise britannique.
Il avait alors cédé pour une bouchée de pain le complexe minier et ferroviaire de Gramoteinskaya à une holding appartenant à Alexander Shchukin, magnat de l’industrie minière russe. Celui-ci, avec ses réseaux et ses hommes de main, aurait menacé le directeur de la mine de le laisser croupir en prison, voire d’attenter à sa vie, s’il ne lui cédait pas cette exploitation minière (dont les réserves de charbon sont estimées à plus de 300 millions de tonnes).
Désormais, Lehram cherche à faire annuler ce transfert et à sanctionner Shchukin.
Autrefois l’un des hommes d’affaires les plus riches de la Russie, avec une fortune estimée à 1,8 milliard de dollars en 2011, Shchukin est depuis un an assigné à résidence en Russie pour corruption. Il nie avoir orchestré la «prise de contrôle hostile» de la mine, mais son passé plaide contre lui. En 2016, il s’était déjà emparé de la mine de charbon Inskoy en utilisant les mêmes méthodes. Depuis, il a investi avec succès dans un réseau de sociétés-écrans basées principalement à Chypre et au Royaume-Uni.
Comme le souligne The Guardian, la famille Shchukin a de nombreux intérêts en Grande-Bretagne. Plusieurs de ses membres ont obtenu la nationalité britannique et mènent un train de vie fastueux. C’est notamment le cas de son gendre, Ildar Uzbekov, véritable «relai» de l’oligarque russe à Londres.
Selon la justice britannique, Uzbekov et son associé Dmitry Tsvetkov seraient à la tête d’une société financière «Bryankee Holdings». D’énormes sommes d’argent seraient ainsi blanchies pour un «fonds de retraite» informel pour Shchukin, les proches de ce dernier s’occupant directement de transférer des sommes astronomiques de la Russie vers le Royaume-Uni.
Jusqu’ici, les amis et les membres de la famille du milliardaire n’ont pas été inquiétés par les autorités britanniques, mais la mise à jour de ce réseau financier et mafieux devrait sonner le glas de leur impunité.

L’exemple de la société Lehram est révélateur. On y retrouve tout ce qui fait le «charme» du capitalisme d’oligarchie, et pas uniquement russe : captation d’actifs industriels, vols avec menaces, corruption, connivences politiques au plus haut niveau, instrumentalisation de la justice… mise en place de réseaux opaques qui servent à blanchir l’argent de tout type d’activités illégales.
Mais là, on n’est pas à Moscou ou à Bogotá. Tout ceci fonctionne à partir de Londres, Chypre, et sans doute ailleurs, qui apportent leurs «expertises» pour servir tout ce petit monde.

Voilà un nouveau «leak» dont on pressentait quand même l’existence depuis longtemps ; que les autorités britanniques se réveillent, tant mieux, en espérant que ce ne sera pas encore qu’un simple coup d’épée dans l’eau. Et une fois de plus, ce qui se passe là, confirme la nécessité, mille fois répétée, d’aller voir ailleurs, au sein même de l’Europe.
Alors quand la Commission européenne nous dit qu’il n’y a rien à voir à Malte, on ne leur demande plus pourquoi, mais dans l’intérêt de qui.

MM.