L’exemple Sarkozy ou l’irresponsabilité pour seule défense

Les récentes péripéties de l’affaire Sarkozy – Kadhafi et la publication par Médiapart du contenu des auditions du désormais mis en examen, nous donnent l’occasion de revenir brièvement sur une situation bien connue des lanceurs d’alerte. Sarkozy innove peu, prisonnier qu’il est de ses mensonges, recopiant ce qui semble être une stratégie de communication et de défense bien huilée que l’on retrouve dans quasiment toutes les affaires d’alerte. Elle repose sur un principe invariant : «j’ai tous les pouvoirs, mais je ne sais rien».
Nous pourrions en fait la décrire en plusieurs étapes, sans prétention d’être totalement exhaustifs selon les cas  :

➡️ La victime. L’alerte vient d’être lancée, les premières dénonciations deviennent publiques : l’accusé est tout de suite la victime d’une horrible machination qui vise à salir son honneur et sa probité. Tout n’est que mensonges, diffamations, l’accusé n’a pas de doute que « toute la lumière sera faite », il fait totalement confiance dans la justice. Il convient simultanément de renverser l’accusation en insinuant que le lanceur vise un intérêt personnel, une volonté évidente de nuire pour des raisons obscures, non dites, mais nécessairement immorales.

➡️ Droit dans ses bottes. Une instruction judiciaire est ouverte, la presse commence à s’intéresser à l’alerte: la partie incriminée continue sa petite litanie sur « la machination de forces occultes » mais doit tout de même commencer à se justifier. On a alors droit au célèbre «nous avons toujours respecté les lois et les règles des pays dans lesquels la société exerce». Peu importe que cette affirmation soit vraie (elle ne l’est pas souvent), nous en sommes au stade du parole contre parole, et que vaut la parole d’un seul homme contre une société, ses relais et ses médias ?!

➡️ « Rien à déclarer ». De nouvelles informations, une avancée des procédures, viennent infirmer la position officielle de l’accusé : pas de soucis, s’il y a de nouveaux éléments, de nouvelles accusations, ils ne feront que confirmer ce qui est affirmé depuis l’origine c’est à dire que le lanceur d’alerte a « une volonté évidente de nuire »! Il convient alors d’inverser la relation de pouvoir en insinuant que l’accusateur dispose d’une force de frappe énorme (journalistes complices, justice pas totalement impartiale) et que l’accusé est « la victime d’une machination de forces de tout ordre qui vise à lui faire plier le genou ».
Mais, l’accusé-victime est fort, car sûr de sa probité, il n’a rien à cacher mais il ne répondra à aucune question. C’est là aussi un grand classique des affaires d’alerte, celui qui n’a rien à se reprocher ou à cacher, refuse systématiquement d’expliquer pourquoi il n’a rien à se reprocher ou à cacher… Le secret de l’instruction c’est quand même bien sympa.

➡️ « On m’a rien dit ». Certains éléments de l’instruction viennent démontrer que les motivations initiales de la dénonciation sont fondées : il devient difficile maintenant de continuer à affirmer l’inexistence des faits dénoncés. On note alors une première inflexion. Pour celui en position de pouvoir il n’est toujours pas question de reconnaître qu’il aurait pu être informé de l’existence des dysfonctionnements (d’autant plus s’il y a directement participé), sans pour autant continuer à nier qu’ils existent. On en vient alors à ce que l’on pourrait appeler la «défense par hiérarchies» : ceux qui étaient en charge de… ont affirmé que tout allait bien, qu’ils avaient fait le nécessaire, que tout était conforme. «J’ai le pouvoir mais je ne peux pas tout faire, donc je me repose sur des gens de confiance». «M’auraient-ils mentis ?». C’est une excellente défense car elle permet à celui qui a le pouvoir de se repositionner très rapidement en victime de ses propres équipes.

➡️ « C’est pas moi, c’est l’autre ». Cette étape consiste à passer de l’impersonnel à l’identifiable. On transfère alors une responsabilité éventuelle de l’organisation à une ou des responsabilités individuelles. «Ce n’est pas moi, c’est X, lui il savait, pas moi». Cela permet de dédouaner l’organisation même de la société (meilleure façon pour ne rien changer) et donc de la relation de pouvoir en son sein en identifiant des responsabilités individuelles nécessairement sous entendues comme étant intéressées et malhonnêtes.
Lors de son audition devant les policiers, Sarkozy s’est clairement situé à ce niveau -après être passé par les précédentes phases- en chargeant ses ex-fidèles sur le thème «je ne sais pas mais si quelqu’un sait quelque chose c’est forcément eux».

Nier et se défausser, telle est pratiquement toujours la stratégie des accusés en situation de responsabilité. Nous pouvons parler de lâcheté, sans aucun doute, mais nous avons affaire, dans l’organisation du capitalisme d’entreprise français, même en dehors à toutes accusations ou dénonciation, à un système qui déconnecte totalement pouvoir et responsabilité. Le monde politique n’est pas en reste et cette fois-ci encore, fonctionne en symbiose totale avec celui de l’entreprise.

Celui en situation de pouvoir, incapable d’assurer ses responsabilités fonctionnelles, que ce soit par incompétence ou par connivence, doit être traité comme un co-accusé des fautes commises. C’est sans doute une des pistes qui, à notre sens, pourrait redonner légitimité et efficacité aux organisations hiérarchisées.

MM.

En référence aux articles de :
Le Monde du 24 Mars 2018 «Devant les policiers, Nicolas Sarkozy a souvent plaidé l’ignorance», (ici).
Médiapart du 24 Mars 2018 «Sarkozy en difficulté devant les policiers» (ici).

Surveillance de masse : alerter et agir – avec James Dunne

Dans le cadre d’une interview donnée à MetaMorphosis, James Dunne, ex-salarié de la Société Qosmos classée « confidentiel défense », nous relate son parcours de lanceur d’alerte dans ce contexte particulier et nous livre son analyse de ce qu’il appelle une alerte « éthique ».
Il a gagné le 5 mars 2015 aux prud’hommes contre son employeur après avoir été licencié le 13 décembre 2012 pour «faute lourde» et « avoir manqué à ses obligations de loyauté et de confidentialité », en novembre à la Cour d’appel et en janvier 2017, deux procédures en diffamation.

[Qosmos, fournisseur français de solutions logicielles de type DPI (deep packet inspection) qui permettent l’analyse du trafic Internet, fut accusée en 2012 par la Ligue des droits de l’homme (LDH) et la Fédération internationale des droits de l’homme (FIDH) pour avoir fourni des moyens d’espionnage sur internet à des entreprises ayant des contrats avec les dictatures syrienne et libyenne. La société est poursuivie au Pôle Crimes contre l’humanité du TGI de Paris]

MM.

Main basse sur la justice

Dans son édition du jour, «La Cour de cassation exclue du champ de compétence de l’inspection générale de la justice» par Jean-Baptiste Jacquin (ici), Le Monde nous informe d’une décision importante mais pas entièrement satisfaisante : «La plus haute juridiction administrative vient au secours de la plus haute juridiction judiciaire. Le Conseil d’Etat a décidé, vendredi 23 mars, d’exclure la Cour de cassation du champ de compétence de l’inspection générale de la justice (IGJ) créée par la précédente majorité».

Il n’est pas inutile de rappeler d’abord quelques principes qui semblent s’être évaporés de la conscience du personnel politique et sans doute de beaucoup de citoyens. Théorisée par Montesquieu afin de garantir la liberté – «Pour qu’on ne puisse abuser du pouvoir, il faut que, par la disposition des choses, le pouvoir arrête le pouvoir» -, la séparation des pouvoirs a été intégrée dans l’article 16 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen sous la formule «toute société dans laquelle la garantie des droits n’est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n’a point de constitution». Sont alors envisagés les pouvoirs Exécutif, Législatif et Judiciaire.

Faisons ensuite, sur l’affaire qui nous occupe, un petit rappel des faits et du contexte de cette décision politique.
A peine avait-on fini de s’étonner des propos tenus par l’ex Président de la République, François Hollande, qui qualifiait l’institution judiciaire d’«Institution de lâcheté», un nouveau coup était porté à l’autorité judiciaire, cette fois-ci par Manuel Valls, la veille de son départ du gouvernement. Le 5 décembre 2016, par un décret qui a été publié au journal officiel le 6 décembre 2016, il a été subrepticement créé une Inspection Générale de la Justice chargée d’une «mission permanente d’inspection, de contrôle, d’étude, de conseil et d’évaluation des juridictions judiciaires», y compris la Cour de cassation. L’Inspection Générale de Justice est chargée «d’apprécier l’activité, le fonctionnement et la performance des juridictions, établissements, services et organismes soumis à son contrôle ainsi que, dans le cadre d’une mission d’enquête, la manière de servir des personnels. Elle présente toutes recommandations et observations utiles».
Ces dispositions qui auraient pu passer en douce, compte tenu du climat politique de l’époque, n’ont pas manqué d’indigner les membres de la Cour de cassation qui ont immédiatement interpellé le nouveau Premier ministre, Bernard Cazeneuve, dans un courrier en date du 6 décembre 2016, co-signé du Premier Président Bertrand Louvel et du Procureur général Jean-Claude Marin. Ces hautes autorités invoquent alors une atteinte au principe de la séparation des pouvoirs, cher à notre République, et demandent à être reçues immédiatement par le Premier ministre en s’appuyant sur l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 qui, dans des termes clairs, pose le principe de la séparation des pouvoirs : «toute société dans laquelle la garantie des droits n’est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n’a point de constitution».

De prime abord, on aurait pu considérer que la nouvelle Inspection Générale était de bon sens car elle doit centraliser les compétences qui étaient jusque-là dévolues à l’Inspection des Services Judiciaires. Toutefois, celle-ci n’avait pas la compétence d’évaluer le travail de la Cour de cassation, juridiction judiciaire suprême, qui était cependant évaluée d’une part par elle-même et d’autre part par la Cour des comptes. Le problème qui se pose avec ce décret, outre le fait qu’il ait été créé sans consulter les magistrats et sans qu’il fût signé par le Président de la République, garant de l’autorité judiciaire, est que l’Inspection Générale de la Justice reçoit ses ordres de l’Exécutif, ce qui porte vraisemblablement atteinte à la Séparation des Pouvoirs.

Nous pouvons alors penser que sa mission est en dehors de l’activité juridictionnelle, mais le décret n’en dit rien. Même si le ministre de la Justice, Jean-Jacques Urvoas estimait que nul ne compte placer les juridictions du premier ou du second degré sous le contrôle direct ou indirect du gouvernement, nous pouvons légitimement s’inquiéter d’une instrumentalisation car, comme le soulève le Professeur Roseline Letteron, «La formule n’interdit pas un contrôle sur la manière dont les arrêts sont rendus, voire sur leur contenu».
Le 8 décembre 2016, le Garde des sceaux a rencontré le premier président de la Cour de cassation et le Procureur général. Dans un communiqué livré le même jour, ceux-ci ont dénoncé la place dévalorisée donnée à la Cour de cassation, juridiction judiciaire suprême et proposent que l’Inspection Générale de la Justice soit plutôt placée sous l’autorité du Conseil Supérieur de la Magistrature qui est déjà investi d’une mission générale d’information à l’égard des juridictions.
A la manœuvre (c’est le cas de le dire), un Manuel Valls sortant et un Jean-Jacques Urvoas, parfait politicien fait de suffisance, certitudes toutes faites, et donneur permanent de leçons. Il n’est pas inutile de rappeler ce qu’il est advenu de ces deux sinistres personnages : le premier est allé, à son habitude, d’échecs en échecs, humilié à la primaire du Parti socialiste par un ancien (sous)-ministre et au final ridiculisé à la présidentielle par son ancien jeune subalterne ; le second, est sous enquête de la Cour de Justice de la République pour avoir, en qualité de Garde des Sceaux, violé le secret judiciaire (ça ne s’invente pas!), outre une «petite» affaire de détournement de fonds publics. Il n’est pas inutile de rappeler le sombre parcours de ces deux personnes pour mieux comprendre leurs motivations à placer le pouvoir judiciaire sous la coupe de l’exécutif.
La décision du Conseil d’État est donc d’importance. Le Monde nous explique le contexte de cet arrêt : «La section du contentieux du Conseil d’État considère que compte tenu de sa dépendance à l’égard du garde des sceaux et donc du gouvernement, l’inspection générale de la justice ne doit pas avoir de droit de regard sur l’institution du quai de l’Horloge sans porter atteinte à l’indépendance de la justice. «Eu égard tant à la mission ainsi confiée par le législateur à la Cour de cassation, placée au sommet de l’ordre judiciaire, qu’aux rôles confiés par la Constitution à son premier président et à son procureur général, notamment à la tête du Conseil supérieur de la magistrature chargé par la Constitution d’assister le président de la République dans son rôle de garant de l’indépendance de l’autorité judiciaire, le décret attaqué ne pouvait légalement inclure la Cour de cassation dans le champ des missions de l’inspection générale de la justice sans prévoir de garanties supplémentaires relatives, notamment, aux conditions dans lesquelles sont diligentées les inspections et enquêtes portant sur cette juridiction ou l’un de ses membres», peut-on lire dans la décision du Conseil d’État. Il annule en conséquence l’article 2 du décret attaqué».

Néanmoins, cette décision n’est qu’une victoire en demi-teinte : le contrôle par le pouvoir politique de la pratique professionnelle d’un magistrat est une atteinte à l’indépendance de la justice. Le Conseil d’État estime que les garanties sont pourtant suffisantes.
Une nouvelle fois, la France est le seul pays d’Europe dans ce cas de figure. Dans les pays où un service d’inspection existe auprès du ministre, il contrôle l’activité des juridictions, pas celle des magistrats.

Si dans sa décision le Conseil d’État a justifié le bien-fondé de telles inspections puisque le gouvernement doit pouvoir contrôler les dépenses dont il est responsable devant le Parlement, il a aussi relevé que la publication d’un rapport d’inspection par le ministre «pourrait constituer un moyen de déstabiliser une juridiction».

Ce risque persiste. Il semble de plus en plus urgent pour nos politiques de revenir à une lecture approfondie de Montesquieu.

MM.

#DeleteFacebook, adieu mon ami

« […] « Il est temps » : c’est avec ces trois mots que Brian Acton, le cofondateur de WhatsApp, a annoncé quitter le réseau social Facebook. Son message, publié mercredi 21 mars sur Twitter, ressemble à des centaines d’autres : depuis les révélations du Guardian et du New York Times affirmant que Facebook a laissé Cambridge Analytica, une entreprise d’analyses de données proche du président américain Donald Trump, siphonner les données de millions d’utilisateurs, les commentaires d’internautes annonçant avoir supprimé leur compte Facebook se multiplient. Le ralliement de Brian Acton à la campagne #DeleteFacebook (#SupprimeFacebook) peut pourtant surprendre, WhatsApp ayant été rachetée à prix d’or par Facebook en 2014. M. Acton travaille désormais pour Signal, une application de messagerie rivale de WhatsApp. « Effacer et oublier. Il est temps de se soucier de la vie privée », a-t-il aussi écrit » (Le Monde du 21 Mars 2018, ici).
Cambridge Analytica est accusée d’avoir utilisé des données de 30 millions à 70 millions d’utilisateurs de Facebook, recueillies sans leur consentement, en passant par un quiz développé par un universitaire anglais, Aleksandr Kogan, et sa société Global Science Research (GSR).
Samedi 17 mars, le Guardian, The Observer et le New York Times ont révélé que les données récoltées par GSR pour le compte de Cambridge Analytica l’ont été à l’insu des internautes concernés, en présentant le quiz comme un simple exercice académique, alors que celui-ci absorbait les données non seulement des participants, mais aussi de leurs «amis» Facebook. Par ailleurs, la chaîne britannique Channel 4 a révélé lundi dans un reportage en caméra cachée que les pratiques de Cambridge Analytica s’étendent à la diffusion volontaire de fausses informations, à l’espionnage d’adversaires politiques, au recours à des prostituées et à la corruption pour manipuler l’opinion publique à l’étranger, selon les mots de son propre dirigeant, Alexander Nix, filmé à son insu.
Le PDG de Facebook a reconnu «une faille de confiance» à la suite du scandale Cambridge Analytica. Mais, pour les observateurs, c’est le modèle même du réseau social qui est en cause.

«Le magazine américain Wired relève ainsi que le « tour d’excuses » du patron de Facebook « reprend les bons vieux “mea-culpa-mais-pas-trop” » de la firme, en rappelant que Mark Zuckerberg avait en 2016 qualifié «d’idée assez folle» le fait que de fausses informations aient pu influencer les résultats de la présidentielle américaine. Cette fois, il a évoqué des erreurs passées et condamné Cambridge Analytica, tout en soulignant que les règles d’utilisation pour les entreprises tierces avaient été renforcées depuis 2014, à l’époque du siphonnage des données par la société britannique » (Le Monde du 22 Mars 2018, ici).

L’analyse est similaire du côté du Guardian. Dans une chronique, le journaliste John Harris évoque «un scandale que Facebook a construit lui-même» : «Ce bazar était inévitable. Facebook a travaillé sans relâche pour rassembler autant de données que possible sur ses utilisateurs et en tirer profit».
L’influent quotidien britannique reproche notamment au réseau social de ne pas avoir alerté ses utilisateurs de l’important siphonnage de données, et de ne pas être allé assez loin pour les protéger. Le double discours de Facebook, qui se vante de vouloir «rapprocher le monde» mais dont le modèle économique repose quasi exclusivement sur la collecte de données personnelles et leur exploitation à fins publicitaires, est un modèle vicié par essence, estime le journaliste du Guardian.

Souvent présentée comme une véritable officine, spécialisée dans la manipulation des opinions publiques, Cambridge Analytica se vantait elle-même de pouvoir profiler «220 millions d’Américains» afin de leur envoyer des publicités ciblées sur les réseaux sociaux. Mais quelques zones d’ombres subsistaient, notamment quant à la manière dont la société se procurait ses données.
Dimanche dernier, l’hebdomadaire britannique The Observer et le quotidien américain The New York Times ont levé le voile sur ce mystère en publiant le témoignage d’un lanceur d’alerte de poids : Christopher Wylie, un jeune homme de 28 ans qui se trouve être l’homme ayant eu l’idée qui a permis à Cambridge Analytica d’accéder illégalement à plusieurs millions de profils Facebook en 2014.

Comme le racontait Mediapart, Cambridge Analytica est en fait une émanation, née en 2013, d’un groupe de communication britannique, Strategic Communication Laboratories (SCL), à la réputation sulfureuse. Ce groupe dispose notamment d’une branche «SCL Defense» spécialisée dans les «opérations psychologiques». Sa branche «SCL Elections» a, elle, été impliquée dans des élections un peu partout dans le monde : au Kenya, en Afrique du Sud, en Colombie, en Inde, en Roumanie…
SCL a été créée il y a 25 ans par l’homme d’affaires ultraconservateur et climatosceptique Robert Mercer. Le fondateur du site d’extrême droite Breitbart News, Steve Bannon, a fait partie des dirigeants de la branche américaine de SCL, Cambridge Analytica. Christopher Wylie explique qu’il était même son supérieur hiérarchique direct. Et c’est lors des primaires républicaines, au début de l’année 2014, que la société se fait connaître auprès du grand public.
Tout d’abord, Facebook autorise la collecte de données dans un but de recherches académiques, mais interdit dans ce cas leur revente à un tiers. Ce que Kogan a fait en fournissant Cambridge Analytica. Ensuite, l’application développée par GSR collectait non seulement les données de l’utilisateur, mais également celles de ses «amis». Environ 270 000 personnes avaient rempli le test de Kogan. Et chacune l’a diffusé à au moins 160 autres personnes. Au total, environ 50 millions de profils auraient été illégalement collectés par Cambridge Analytica.
La nouvelle est catastrophique pour la société qui est également soupçonnée d’avoir mis ses outils au service des partisans du Brexit lors du référendum de 2016. Elle fait à ce titre l’objet de deux enquêtes, une menée par la commission électorale, l’autre par l’autorité de protection des données. Depuis qu’elle s’est retrouvée sous les projecteurs, Cambridge Analytica a tout fait pour essayer de limiter sa responsabilité, revenant même sur ses affirmations précédentes en affirmant n’avoir joué qu’un rôle mineur dans la campagne de Donald Trump ou n’avoir jamais utilisé de données issues de Facebook.
Avec le témoignage de Christopher Wylie, qui a également fourni aux journalistes de nombreux documents, cette défense est désormais mise à bas. D’autant plus que, au lendemain des révélations de The Observer et du New York Times, le reportage de Channel 4 est venue confirmer ces méthodes.

Il aura donc fallu un lanceur d’alerte, Christopher Wylie, insider par définition, pour mettre sur la place publique ce que tout le monde supposait.
Il aura donc fallu un lanceur pour alerter sur les risques importants d’atteinte aux libertés individuelles que le modèle même de Facebook (et d’une façon générale de tous les réseaux sociaux) porte en lui.
Pourtant, là aussi, les signaux d’alerte ne sont pas nouveaux. En France, en 2015, à la suite de l’annonce par Facebook de la modification de sa politique d’utilisation des données, la CNIL a procédé à des contrôles sur place, sur pièces et en ligne afin de vérifier la conformité du réseau social à la loi Informatique et Libertés. Ces actions s’inscrivaient dans une démarche européenne à laquelle participent cinq autorités de protection ayant également décidé de mener des investigations (France, Belgique, Pays-Bas, Espagne et Land d’Hambourg) sur les pratiques de Facebook. Les contrôles conduits par la CNIL ont permis de relever l’existence de nombreux manquements à la loi Informatique et Libertés. Il a notamment été constaté que Facebook procédait à la combinaison massive des données personnelles des internautes à des fins de ciblage publicitaire. Il a aussi été constaté que Facebook traçait à leur insu les internautes, avec ou sans compte, sur des sites tiers via un cookie.

Au regard des manquements constatés, la Présidente de la CNIL a décidé, le 26 janvier 2016, de mettre en demeure les sociétés Facebook Inc. et Facebook Ireland de se conformer à la loi Informatique et Libertés, dans un délai de trois mois. Les deux sociétés ayant adressé à la CNIL des réponses insatisfaisantes à un certain nombre de manquements de cette mise en demeure, la Présidente de la CNIL a désigné un rapporteur afin que soit engagée une procédure de sanction à leur encontre.

MM.

L’homme politique est un lâche comme les autres (ou un peu plus…)

Lâcheté, dictionnaire Larousse : «Manque de courage, d’énergie morale, de fermeté. Se taire par lâcheté devant une injustice».

Chaque lanceur d’alerte a son lâche préféré. Celui qui vous soutient lundi, vous «lâche» mercredi et vous poignarde vendredi ; celui qui est scandalisé par ce que vous dénoncez mais qui ne fera rien car «ça ne le regarde pas» ; celui qui choisit son camp, celui des « vainqueurs »; celui qui a une femme qui ne travaille pas, des gosses, un crédit sur la maison, des vacances aux sports d’hiver ; celui qui se lance dans «l’aventure» avec vous mais qui sautera sur la première offre de négociation pour quitter le bateau; même celui qui retournera sa veste…
«Manque de courage» c’est sûr, «d’énergie morale» on n’en demandait pas tant, «de fermeté».

A l’occasion du nouveau show judiciaire Sarkozy au sujet de sa lune de miel éphémère mais lucrative avec feu le dictateur Kadhafi, Mediapart nous rappelle (ici) le peu d’enthousiasme de l’ensemble de la classe politique française, pendant ces six premières années d’enquête, à apporter sa pierre à l’édifice de la vérité.
Antton Rouget, auteur de l’article «La France face à l’affaire libyenne : chronique d’une lâcheté politique», nous informe : «La politique de l’autruche. Depuis 2012, malgré le chaos en Libye, malgré les soupçons de financement occultes et les arrangements de la France avec une dictature, le pouvoir politique a constamment détourné le regard de l’affaire Sarkozy-Kadhafi, qui présente les plus graves symptômes d’un scandale d’État»«écartant même l’hypothèse d’une commission d’enquête parlementaire sur l’évolution des relations entre Paris et Tripoli et le déclenchement de la guerre de 2011». Encore une fois, une spécificité française.
À l’étranger, les autres pays occidentaux embarqués dans la guerre en Libye ont affronté leur passé et le constat est saisissant. En Grande-Bretagne, une commission parlementaire des affaires étrangères a enquêté en refusant la version officielle servie par l’ancien premier ministre David Cameron, pour livrer en septembre 2016 des conclusions sans équivoques contre l’opportunisme de l’intervention anglaise. De même aux Etats-Unis en mars 2016 où Barack Obama a reconnu la responsabilité de son pays dans «le chaos libyen».
«Et en France… rien. Ni enquête parlementaire, ni initiative politique visant à interroger, au-delà des éléments couverts par l’enquête judiciaire sur le financement de la campagne de Nicolas Sarkozy en 2007, les possibles compromissions politiques, diplomatiques, commerciales ou militaires au plus haut sommet de l’État».
Que vont nous dire nos hommes politiques, parlementaires, chefs de partis, ministres, premiers ministres, présidents? Qu’ils ne savaient pas? François Hollande, Président de la République, ne semblait pas avoir beaucoup de doute : «Moi, président de la République, je n’ai jamais été mis en examen… Je n’ai jamais espionné un juge, je n’ai jamais rien demandé à un juge, je n’ai jamais été financé par la Libye…».

Un cas isolé ? Pas vraiment.

Prenons, au hasard, le cas Areva-Uramin. Encore un cas de cécité avancée pour la plupart des hommes politiques français. Pourtant, il semblerait que l’on soit dans les «milieux informés», au fait des agissements passés dans cette entreprise publique.
Bruno Le Maire, Ministre de l’Économie et des Finances en exercice : «Véritable scandale républicain, gestion indigente, dissimulation systématique, connivence, connaissance entre les uns et les autres, absence de contrôle de l’État…».
Retournons vers le Larousse.
Dissimulation: «action de cacher ce qui existe» ;
Connivence: «entente secrète, intelligence non avouée en vue d’une action ; complicité» ;
Indigente: «qui manque des choses les plus nécessaires».
En matière de gestion d’une entreprise multinationale, qui plus est publique, on aura compris que pour le ministre, le «véritable scandale républicain» d’Areva est fait de malversations en tout genre, sans doute d’acte de prévarication et de vol de fonds publics.
La classe politique ne pourra pas nous dire cette fois-ci, ne pas être au courant, ce réquisitoire ayant été tenu devant la représentation nationale.
Et puis ? Pas grand-chose à cette heure-ci malgré le suivi très documenté de ce dossier par certains journalistes, fournissant même les noms d’un État et des banques ayant vu transiter d’importantes sommes d’argent soupçonnées venir d’Areva.

Plusieurs lanceurs d’alerte ont pu faire directement l’expérience de cette lâcheté du corps politique qui semble plus préoccupé, toutes couleurs confondues, à se défendre les uns les autres. Sur des questions précises, sur des agissements concrets, combien de regards qui fuient, combien de changements brutaux de discussion, combien de réponses évasives ?

Nous n’avons de cesse sur MetaMorphosis de décrier et nous interroger sur les rôles effectifs des organes de contrôle censés suivre et faire appliquer lois et règlements.
N’oublions pas que dans une démocratie les parlementaires sont la première autorité de contrôle du pouvoir exécutif, de la défense de l’intérêt public, et du respect des lois qu’ils votent eux-mêmes.
L’affligeante passivité de la représentation nationale au regard des deux scandales majeurs cités dans cette tribune, nous interroge sur sa démission.
Face à ses responsabilités éludées, elle fait preuve d’un évident «manque de courage, d’énergie morale et de fermeté». En somme, de lâcheté.
…Le Larousse pourrait à présent compléter:
Parlementaire: « homme politique français passif et lâche »

MM.

« Si c’est bon pour l’emploi… »

“Est-il indécent de se battre pour notre économie, nos emplois ?”
Interrogé en 2015 sur les accords commerciaux et les ventes d’armes massives de la France à l’Arabie Saoudite, pays ayant procédé cette année là à l’exécution de près de 200 personnes et menant une guerre sanguinaire au Yémen, l’innommable Manuel Valls nous avait gratifiés de cette «maxime». En un mot, tout est permis… si c’est bon pour le business (l’emploi n’est qu’une excuse, on l’aura compris), petite musique bien connue des lanceurs d’alerte!
Dans la bouche de ce personnage, rien de très choquant au final. De la présidence de François Hollande, marquée du sceau du reniement et de la lâcheté, rien de très étonnant.

Médiapart nous informe ce jour (ici) qu’une étude juridique, rendue publique par les ONG Amnesty International et ACAT France, interroge pour la première fois la légalité des transferts d’armes de la France dans le cadre du conflit yéménite qui aurait déjà fait plus de 10.000 morts civils.
Selon cet avis juridique, fruit d’une année de collaboration entre le cabinet d’avocats Ancile et les deux ONG, précise Laurence Greig, co-auteure avec Joseph Breham du rapport, «il ressort […] un risque juridiquement élevé que les transferts d’armes soient illicites au regard des engagements internationaux de la France […]. Le gouvernement français a autorisé des exportations de matériels militaires, vers l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis (EAU), dans des circonstances où ces armes peuvent être utilisées dans le conflit au Yémen et pourraient servir à la commission de crimes de guerre».
Médiapart résume ainsi la situation : «En d’autres termes, les armes françaises ont peut-être tué des civils au Yémen et l’État français pourrait être complice de crimes de guerre et se voir poursuivi en justice».

Il n’est pas inutile de rappeler qu’en France, la vente et l’exportation d’armes et d’armements sont en principe interdites, toute vente et tout transfert d’armement découlant de dérogations. Selon les chiffres de l’Institut international de recherche pour la paix de Stockholm (Sipri) du 12 mars dernier, l’État français est le troisième vendeur d’armement au monde. De 2006 à 2015, l’Arabie saoudite a été son premier client d’après le ministère de la défense français. Il ne fait plus aucun doute aujourd’hui que des armes françaises ont été utilisées contre les civils yéménites par l’Arabie Saoudite ou les Émirats Arabes Unis.
«L’opacité totale entourant le régime de contrôle français rend difficile le fait de s’assurer que […] les autorisations d’exportation sont bien délivrées conformément aux critères du TCA et de la Position commune […], notamment que les armes exportées ne pourront pas participer à violer le droit international […] ou le droit international humanitaire», souligne l’étude du cabinet d’avocats. Par ailleurs, des années peuvent s’écouler entre la signature des contrats et la livraison.

Mais tout ceci est-il vraiment important ? “Est-il indécent de se battre pour notre économie, nos emplois” sur un tas de cadavres de civils innocents ? Manuel Valls n’a pas la réponse ! Un dirigeant de Nexter (matériels militaires) non plus : il s’était félicité en mars 2016 à l’Assemblée nationale que des chars Leclerc étaient déployés au Yémen : «Leur implication au Yémen a fortement impressionné les militaires de la région».
Sans doute, l’essentiel est de montrer que la France a les plus gros chars…
Et l’ONG ACAT de rappeler que la France tient un double discours : «elle se targue d’être à la pointe du Traité sur le commerce des armes et d’être le pays des droits de l’homme, elle ne cesse d’appeler au processus de paix mais jette de l’huile sur le feu en vendant des armes, apportant ainsi une forme de soutien diplomatique aux pays concernés».

Le business comme seul gouvernail, des procédures d’exportation opaques, des contrôles inexistants ou dépourvus de toute transparence, des ventes illégales et illégitimes, un droit de regard de la représentation nationale absent… autant «d’us et coutumes» auxquels les lanceurs d’alerte sont habitués.

Comme le rappelle Amnesty International : «Le manque de la transparence de la France sur ses transferts d’armes ainsi que sur le processus décisionnel aboutissant ou non à la délivrance d’une autorisation à l’exportation ne permettent pas par ailleurs d’assurer que la France agisse dans le respect de ses engagements. Il n’existe aucune information publique indiquant que la France ait suspendu ou annulé des licences d’exportations depuis le début du conflit».
«Qui pouvait imaginer la survenance de ce conflit au Yémen ?» se justifie la ministre des Armées, Florence Parly, quand un journaliste la questionne sur les ventes d’armes de la France aux participants au conflit au Yémen. Sa ligne de défense semble suggérer que Paris n’a approuvé les exportations militaires vers ces pays qu’avant le conflit. Sans pouvoir se douter qu’en 2017, le Yémen serait devenu l’une des pires crises humanitaires au monde, terrain de potentielles violations graves du droit international. L’affirmation de la ministre de la Défense résiste mal à une vérification des faits. ACAT demande d’ailleurs aujourd’hui la création d’une enquête parlementaire.
En attendant, le business continue notamment avec un nouveau client très prometteur, l’Egypte.

«Le fait de fournir des armes qui vont probablement faciliter la répression interne en Égypte est contraire aux dispositions du Traité sur le commerce des armes dont la France est partie et bafoue la Position commune de 2008 de l’Union européenne», s’indigne Amnesty International.
Denis Jacqmin, chercheur au Grip (Groupe de recherche et d’information sur la paix et la sécurité) à Bruxelles souligne : «La vente d’armes à l’Arabie saoudite, à la fois par la France et le Royaume-Uni, compte tenu de ce qui se passe au Yémen, c’est clairement une violation de la Position commune. Le problème de ce texte, c’est qu’il n’y a pas de juge pour tirer la sonnette d’alarme».

Les lanceurs d’alerte reconnaîtront leurs petits : des lois, des engagements, mais pas de contrôle, aucune transparence, et surtout personne pour juger et s’assurer de leur application et de leur respect.

C’est bien fait quand même…

MM.

Brèves du front

➡️Pas de ça chez nous !

Le verrou de Bercy, nous en parlions ces derniers jours.
Médiapart publie une longue enquête sur le système d’évasion fiscale Pinault (Médiapart, 18 Mars 2018 – Le système Pinault : une évasion à 2,5 milliards d’euros, ici).
Le groupe Kering, propriété de la famille Pinault, est initialement connu pour être l’un des principaux acteurs mondiaux du luxe. Bientôt, il risque d’être reconnu comme l’un des leaders français de l’industrie de l’évasion fiscale. Médiapart l’indique en tête d’article : «C’est la plus grosse affaire d’évasion fiscale présumée mise au jour pour une entreprise française». On prendra plaisir à lire l’enquête qui relate le processus mis en œuvre et décrit «l’organisation» d’évasion fiscale.
Au demeurant, le système Pinault n’est pas très original: superposition de techniques basiques d’évasion, agencées ici en une véritable industrie de la fraude. Un vent de panique non étranger à cette situation, semble s’emparer des dirigeants. Soulignons aussi qu’il n’y aurait aucune fausse nécessité économique à procéder de la sorte au regard des résultats très confortables du groupe de luxe et de ses implantations… Mener un tel système à un tel niveau de fraude (2,5 milliards d’euros) relève, ici aussi, d’un principe idéologique; l’oligarchie se situant au-dessus des contingences communes, elle a le droit de dicter les règles qui régissent la société tout en étant exempte de ses plus contraignantes. Médiapart nous le rappelle : la principale victime de ce système d’évasion fiscale de grande envergure est le fisc italien, l’importance de la marque Gucci dans les résultats de Kering expliquant cela. La France n’est toutefois pas en reste. Décidément, nos amis italiens ne sont pas très sérieux ! Au lieu de régler ça entre gens de bonne compagnie, ils ont levé une armada de juges et de policiers financiers pour traquer les fonds perdus… de Gucci. Convocations, auditions, perquisitions, mises en examen, procès demain… tout ce qui relève d’une justice « normale ». Longue histoire politique aidante, ils se souviennent que l’acceptation et l’assujettissement à l’impôt sont l’un des fondements de nos républiques démocratiques, contrairement aux français révolutionnaires de 1789 qui semblent avoir la mémoire courte.
Faisons un peu de politique fiscale fiction à la française au cas où l’essentiel de la fraude toucherait notre pays. Pas de juge, hors course et pour plus « d’efficacité », Darmanin devrait s’en occuper. On demande à M. Pinault ou à l’un de ses sbires, s’il veut bien avoir l’obligeance de se rendre à Bercy pour discuter d’une «affaire le concernant». Rien de pressé, de toute façon c’est un homme très occupé, et puis, lui, il créé des emplois! Il est reçu en grande pompe par un Directeur de haut vol (qui pense peut-être à une future reconversion), par un chef de cabinet, par le Ministre lui-même! Bon, un peu sérieux, nous n’allons pas l’embêter plus longtemps avec des histoires d’argent, c’est vulgaire… Une fraude de 2,5 milliards (!), soyons «efficace», 100 millions et on n’en parle plus !

➡️ Quand les policiers se font lanceurs !

Où l’on reparle (encore) d’Interpol (Médiapart, 19 Mars 2018 – Après la FIFA, Interpol se fait financer par le Qatar et le CIO, ici).
Il y a quelques semaines nous apprenions qu’Interpol avait reçu des financements de la part de la FIFA. Le partenariat signé entre les deux organisations en 2011 était destiné -ça ne s’invente pas- à promouvoir «l’intégrité dans le sport». Nous savons ce qu’il est advenu de cette collaboration suite aux différents scandales FIFA. Une fois de plus, entreprises et organisations n’apprennent rien de leurs erreurs : plus de FIFA, Interpol se tourne vers le Qatar et le CIO, choix pour le moins judicieux… Il faudra un jour que nous leur fassions un scanner pour savoir ce qu’il se passe dans la tête de ces gens là !
Cerise sur le gâteau dans cette affaire, il y a eu quand même des alertes! En l’occurrence des policiers qui alertent d’autres policiers, on croit rêver… Pourtant le message était clair : «La coopération d’Interpol avec la Fifa est regardée avec beaucoup de scepticisme dans de nombreux pays européens, dû aux nombreuses allégations de corruption qui ont été portées contre les dirigeants de la Fifa».
On rassure les (vrais) lanceurs, ces alertes n’ont servi à rien, la Direction d’Interpol a continué à faire ce que bon lui semblait, comme si de rien n’était. Au final, rien de bien anormal.

➡️ Justice privée ou justice pour tous ?

Importante décision de la Cour européenne de Justice, l’un des derniers bastions de défenses des libertés collectives et personnelles. Le site «bastamag» nous informe dans son édition du 19 Mars 2018 : « La Cour de justice européenne invalide le principe des tribunaux privés d’arbitrage », ici.
«Est-ce le début de la fin pour les tribunaux privés d’arbitrage, ces fameux « ISDS » (Investor State Dispute Settlement), qui permettent à des investisseurs d’attaquer des États auprès de juridictions privées composés d’avocats d’affaires ? La Cour européenne de justice, la plus haute juridiction de l’Union européenne, vient de rendre un jugement décisif au sujet des ces mécanismes. Ce jugement porte sur un cas opposant un assureur privé néerlandais à l’État slovaque, et invalide le principe même de ces mécanismes d’arbitrage s’ils concernent des acteurs de l’Union européenne».
Rappelons que ces arbitrages privés sont au cœur des très controversés accords de libre-échange comme le Ceta, entre l’UE et le Canada, ou le TTIP, entre l’UE et les Etats-Unis. Ils permettent à des investisseurs privés de faire condamner des États s’ils jugent leurs politiques défavorables à leur rentabilité.
Ainsi, «le groupe énergétique suédois Vattenfall réclame plus de 4 milliards d’euros à l’Allemagne pour avoir décidé en 2011 de sortir du nucléaire… Et a attaqué la région allemande de Hambourg pour avoir renforcé les normes environnementales d’une centrale à charbon».
«Puisque la Cour européenne de Justice juge les traités d’investissement intra-européen incompatibles avec le droit européen, ce sont environ 200 autres traités d’investissement qui contiennent des clauses d’ISDS qui pourraient être remis en cause», a réagi l’ONG Client Earth. «La décision marque la fin des ISDS en Europe. L’ISDS n’est pas seulement un outil qui permet aux multinationales de faire pression sur les prises de décision d’intérêt général. C’est aussi, on le voit avec ce jugement, incompatible avec le droit européen».
Sage et saine décision. Pour les multinationales, la justice reste l’un des derniers secteurs à «ouvrir à la concurrence». Privatisation des aéroports ou de la justice, remise en cause du statut de telle profession ou des juges, tout ceci relève de la même logique.

MM.

Rame toujours tu m’intéresses

Le verrou de Bercy, vous connaissez ! Nous devrions plutôt appeler ça le «serpent de Bercy» en référence à la légende maritime. Les voix en faveur de sa suppression sont tellement nombreuses que nous pourrions créer la plus grande chorale au monde. Mais il est toujours en place, et sans doute pour un bon moment.
En voilà un qui est contre son abrogation: c’est notre sémillant ministre des comptes publics Gérard Darmanin. Il faut dire qu’il rame en eaux troubles depuis quelques temps…
(Le Monde – Fiscalité : Gérald Darmanin se dit défavorable à une levée du « verrou de Bercy » ici).
Enfin… il est contre aujourd’hui parce qu’il est ministre, mais aurait pu très bien être pour, s’il avait été dans l’opposition; on en a vu d’autres. Et puis, vu la succession des affaires et des départs forcés qui touche ce nouveau gouvernement, mieux vaut être prudent, car si pour l’instant on tape en dessous de la ceinture, demain ce sera peut être au porte-monnaie.

Comme nous le rappelle Le Monde : « Le « verrou de Bercy », mis en place dans les années 1920, donne à l’administration fiscale le monopole des poursuites pénales en cas de fraude – un procureur ou une partie civile ne pouvant pas le faire… Ce dispositif, qui permet à Bercy de faire pression sur les fraudeurs en les menaçant de poursuites s’ils n’acceptent pas le redressement qui leur est adressé, fait l’objet de vives critiques, notamment dans le monde associatif et judiciaire. Ses détracteurs lui reprochent d’entraver la liberté d’action des juges et de favoriser une certaine forme d’opacité, qui nuit à la lutte contre la fraude fiscale ».
En somme des dispositions extraordinaires dans le droit ordinaire. Les affaires fiscales ont un siècle d’avance sur les affaires de terrorisme ; assez révélateur, mais c’est un autre débat.
Revenons à notre serpent. Le ministre est donc contre. Quelle est la fulgurante argumentation à l’appui de cette position ? On cite : « La question, c’est de savoir «ce qui est le plus efficace pour récupérer de l’argent », a poursuivi le ministre, sans plus de précisions ». Même Le Monde est resté sur sa faim…
Une fois de plus, nous avons un peu de mal à comprendre. «Le plus efficace» n’est-il pas l’application de la loi ?
Et dans un État de droit, qui est donc en charge de l’appliquer et la faire respecter ?
En matière criminelle, se pose-t-on la question de ce qui est le plus efficace ? Que le criminel passe devant une cour d’assise ou qu’il négocie directement sa peine avec le ministre de la justice ?!
Décidément Darmanin, dans cette affaire comme dans d’autres, nous avons du mal à le suivre et à le croire…
Il faudrait rappeler à notre ministre que si la loi est égale pour tous, chacun doit être soumis aux mêmes règles de son application. Que vient faire cette question d’efficacité si ce n’est ouvrir une brèche béante à tous les soupçons d’une justice fiscale à la carte? En démocratie, une fraude reste une fraude, un crime reste un crime. Quant à l’efficacité de la loi, elle se mesure dans son application pleine et entière. Tout simplement.
Nous avons bien fait de parler de serpent de mer car Darmanin comme tous les défenseurs du verrou de Bercy, n’ont pas d’autre choix que de ramer à contre courant!

Il y en a un autre, aussi, qui rame… mais là nous avons affaire à un champion du monde : Jean-Claude Juncker, Président de la Commission Européenne (Le Monde – Affaires Selmayr et Barroso : les nuages s’accumulent sur la Commission Juncker, ici).
Le journal du soir nous informe : «Après les eurodéputés, qui ont sérieusement remis en cause la nomination express du directeur de cabinet de Jean-Claude Juncker, Martin Selmayr, au poste de secrétaire général de la Commission, c’est au tour de la médiatrice de l’Union, Emily O’Reilly, d’entrer dans la danse, jeudi 15 mars. L’Irlandaise, réputée pugnace, reproche à la Commission son laxisme dans l’«affaire Barroso». En cause : une rencontre fortuite, en octobre 2017, entre l’un des vice-présidents de la Commission, le Finlandais Jyrki Katainen, et l’ex-président de l’institution pendant dix ans, le Portugais José Manuel Barroso, parti « pantoufler » chez Goldman Sachs. Ce transfert vers une banque d’affaires tenue en partie responsable de la crise financière avait provoqué des remous y compris dans les rangs des fonctionnaires européens, d’ordinaire plutôt disciplinés. M. Barroso s’était engagé à ne pas faire de lobbying auprès de son ancienne maison ».
D’un autre côté, qui peut encore croire à la parole d’un Barroso ou d’un Juncker, qui eux, rament pour nous convaincre…
Là aussi, nous avons droit à une défense de haut vol : sortant de son silence sur Twitter, Manuel Barroso s’est dit victime d’une «attaque politique».
Dans l’affaire Selmayr, Jean-Claude Juncker ne dévie pas de sa ligne de défense : «La procédure a été respectée dans les moindres détails et à tout moment». Ah, les procédures, quand elles vous arrangent…

Prenons tout de même la peine de revenir avec Jean Quatremer, auteur de l’article (paru dans Libération: Selmayrgate : petit guide à l’usage des bureaucrates ambitieux (ici)) sur la saga de cette nomination controversée, aux problèmes juridiques indéniables, car au final la Commission Juncker aura déployé un épais rideau de fumée quand elle n’aura pas tout simplement menti pour tenter de dissimuler ses agissements.

Le résultat est accablant.

Darmanin, Juncker, Barroso… cette élite qui rame …défenderesse de l’indéfendable à coup d’arguments nauséeux.

MM.

On voudrait bien y croire, mais…

Il y a des jours comme ça, on se dit que ça va être une bonne journée…

Dans son édition du jour, Le Monde (ici) nous informe du départ du «numéro deux» de la Société Générale : le directeur général délégué, Didier Valet, quitte en effet le groupe vendredi.
Comme l’indique le quotidien : «La justice américaine a le bras long. Très long». On se fait tout de suite plaisir avec «l’explication obscure» de la banque : «à la suite d’une différence d’appréciation dans la gestion d’un dossier juridique spécifique du groupe, antérieur à son mandat de directeur général délégué, Didier Valet, soucieux de préserver l’intérêt général de la banque, a présenté sa démission».
Décidément, le ridicule ne tue pas, sinon la Société Générale serait morte depuis longtemps. Après les «fake-news» made in Société Générale, la vérité : le départ de Didier Valet a été imposé par les autorités judiciaires américaines, à l’image du débarquement de membres de l’état-major de BNP-Paribas suite à l’accord conclu en mai 2014 concernant la violation des embargos américains, qui s’était traduit par une amende pharaonique de 9 milliards de dollars (7,3 milliards d’euros). Outre l’affaire du Libor, la Société générale négocie avec la justice outre-Atlantique pour régler deux autres litiges. «Comme BNP Paribas, Deutsche Bank ou le Crédit agricole avant lui, l’établissement fait d’abord l’objet d’une enquête de l’OFAC, le bureau du Trésor américain qui gère les sanctions financières à l’encontre de ceux ayant contourné les embargos américains à l’encontre de l’Iran, Cuba ou le Soudan. Ensuite, il doit répondre à des accusations de corruption concernant ses opérations avec le fonds souverain libyen Libyan Investment Authority (LIA)».
Pour comprendre ce que les Etats-Unis reprochent désormais à la Société générale, il faut se rappeler comment fonctionne le Libor. Ce thermomètre du marché monétaire est déterminé chaque jour à Londres à partir des déclarations des banques partenaires qui indiquent à quel taux elles empruntent au jour le jour.
Sur le Libor, la Société générale est accusée d’avoir minoré, entre mai 2010 et octobre 2011 ses déclarations quotidiennes de taux, afin de ne pas apparaître fragilisée durant la crise de l’euro en révélant qu’elle empruntait plus cher que ses concurrents, signe d’une défiance de la communauté financière. En août 2017, la justice de l’Etat de New York a inculpé deux salariées de la trésorerie du groupe, Danielle Sindzingre et Muriel Bescond. Ce sont elles qui déterminaient au sein de la banque les estimations transmises à Thomson Reuters, le gestionnaire du Libor. La justice américaine les accuse d’avoir « délibérément » donné des estimations basses concernant le Libor en dollar. «Si la trésorerie dépend de la salle des marchés, elle est copilotée par la direction financière. Or, Didier Valet était directeur financier de la banque entre mai 2008 et décembre 2011. Il a participé à des réunions où ces questions ont été évoquées».
Pour la justice américaine, c’est impardonnable, et la sanction semble logique. Mais c’est là que le bas blesse : tout le monde au siège de la Société Générale loue «l’éthique irréprochable» de Didier Valet… Décidément les banques françaises sont incorrigibles. Parce qu’il faudra quand même nous expliquer quelque chose : comment peut-on (en même temps pour être dans l’air du temps) signer un accord avec la justice américaine valant reconnaissance de culpabilité dont celle de son numéro deux, et ne pas entamer à son encontre et de tous les autres responsables impliqués les procédures adéquates, la première victime de cette affaire étant la banque, ses actionnaires et ses salariés ? Si un gestionnaire de compte vient à voler sur les comptes de ses clients, la banque reconnaissant sa responsabilité en les remboursant, on la voit mal ne pas poursuivre son employé indélicat. Deux poids, deux mesures.
Donc ne nous réjouissons pas trop vite. Si la décision de la justice américaine est un bon signal, elle demeurera vaine si elle n’est pas de nature à modifier en plus des comportements, les mentalités. Et il apparaît malheureusement que le chemin est encore long.
Deuxième bonne nouvelle ? The Guardian (ici) nous annonce la fermeture prochaine du fameux cabinet panaméen Mossack & Fonseca. Comme pour la Société Générale, nous sommes gratifiés d’un communiqué officiel, grand art de la langue de bois : «The reputational deterioration, the media campaign, the financial circus and the unusual actions by certain Panamanian authorities, have occasioned an irreversible damage that necessitates the obligatory ceasing of public operations at the end of the current month». Voilà, bravo messieurs les journalistes, vous avez un mort sur la conscience ! Revenons, là aussi, à la vérité. L’industrie de la fraude fiscale a bon dos, Mossack & Fonseca n’est que l’un des acteurs panaméens de cette activité au demeurant tout à fait légale dans ce pays. Le problème de la fraude fiscale n’est pas une question entre des pays d’un côté, et un cabinet de l’autre, mais entre deux pays. Si certains pays européens souhaitent mettre fin à cette évasion fiscale massive, ce n’est pas avec Mossack & Foncesa qu’ils doivent traiter mais avec le Panama. C’est que l’on oublie un peu vite les autres affaires Mossack & Fonseca, mis à jour ou non lors des révélations du ICIJ, à savoir le blanchiment massif d’argent d’activités illicites (cartels de la drogue) et la fameuse affaire de corruption latino-américaine Odebrecht (groupe de BTP brésilien). Il convient en effet de rappeler que les deux associés du cabinet ont été placés en détention provisoire au Panama dans le cadre de ce scandale de corruption. Le ministère public qui les accuse de blanchiment de capitaux, avait perquisitionné leur cabinet. Selon le procureur Kenia Porcell, Mossack Fonseca est soupçonné d’être «une organisation criminelle qui se chargeait de cacher des actifs et des sommes d’argent à l’origine douteuse». Le cabinet a également pour rôle, selon elle, «d’éliminer les preuves [contre] des personnes impliquées dans les activités illégales liées au cas “Lavage Express”».

Une fois de plus, on voit qu’il y a plus d’un pas entre le discours et la réalité. Mossack & Fonseca nous quitte pour avoir industrialisé, comme tant d’autres, l’évasion fiscale ? On peut en douter… Si l’on doit bien évidemment s’en réjouir, nous sommes toujours dans l’attente d’une action forte des pays européens à l’encontre de ces territoires et de tous les intermédiaires, notamment agissant à partir de leur sol, rendant possible l’évasion fiscale. Or sur ce chapitre et à cette heure-ci, c’est plutôt le calme plat.

Allé, on cherche encore. Une success-story ? De ces histoires qui font rêver toute la macronie heureuse. C’est le Washington Post (ici) qui nous raconte cette merveilleuse histoire. Une femme, Elizabeth Holmes, jeune, blonde, partie de rien, fondatrice et Chief Executive d’une start-up… Et ce n’est pas tout, le cadre est idyllique : la Silicon Valley, les nouvelles technologies, une biotech, Theramos. Ça nous change de nos fonctionnaires qui ne pensent qu’à défendre leur statut, incapables de prendre des risques, de briser les «chaînes de l’assistanat».
Le hic, c’est qu’Elizabeth a un peu trop écouté Emmanuel. Notamment quand il conseille de ne jamais respecter les règles. Notre héroïne, alliée à son associé, n’y est pas allée avec le dos de la cuillère et ça a fini par se voir : «The SEC alleges that Holmes, Balwani and Theranos raised more than $700 million from investors by misrepresenting the capabilities of the proprietary blood-testing technology that was at the core of its business — as well as by making misleading or exaggerated statements about the company’s financial status and relationships with commercial partners and the Department of Defense». Ce qu’on lui reproche : d’avoir menti aux investisseurs, à ses clients, au marché, sur la réalité des activités de Theranos, d’avoir exagéré et trafiqué les comptes de la société… En somme, rien de bien extraordinaire !
Jina Choi, directrice du bureau régional de San Francisco de la SEC trouve les mots justes : «The Theranos story is an important lesson for Silicon Valley. Innovators who seek to revolutionize and disrupt an industry must tell investors the truth about what their technology can do today, not just what they hope it might do someday».

La leçon de l’histoire ne serait-elle pas plutôt que pour faire rêver, il faut vendre du rêve ?

Au final, on aurait bien voulu y croire … mais… Le responsable de la Société Générale, éjecté de son poste sur ordre de la justice, reste pour la banque quelqu’un à «l’éthique irréprochable». Le cabinet Mossack & Fonseca met la clé sous la porte, un autre doit être en train d’ouvrir et les pays européens regardent toujours partir l’argent…

Nos politiques vendent du rêve pour se faire élire, les entreprises aussi.

Au final, c’est une journée comme une autre.

MM.

Un petit avant goût

En référence à l’article de Philippe Riès paru dans Médiapart le 13 Mars 2018:
« Noble Group : une nouvelle affaire Enron, en tout impunité ».

Nous vous annoncions dans un précédent billet (ici) la sortie prochaine sur vos écrans de «Lehman Brothers, le retour».
En avant première, une autre saga, annonciatrice des maux futurs : Enron, saison 2.

Comme dans toutes les bonnes séries de fiction, l’important est de ne pas changer les ingrédients qui ont fait le succès de la première saison. Et avec l’affaire Noble Group, le moins que l’on puisse dire c’est que les scénaristes ne se sont pas beaucoup creusés les méninges. Tout y est, même intrigue, mêmes acteurs, mêmes victimes… et même fin, sans condamnés, histoire de ne pas se fermer la porte à une autre saison. Malheureusement tout ceci n’est pas vraiment de la fiction !

Noble Group est un petit Enron asiatique, le premier négociant en matières premières de la région. Enfin petit, il ne faut pas exagérer, une perte de 4,9 milliards de us dollars au titre de l’exercice 2017, c’est déjà un beau bébé. Comme le relate Médiapart sous le plume de Philippe Riès (ici) : « Après une dégringolade de quelque 98 % de son cours de bourse en trois ans et la vente de ses principaux actifs à prix cassés, Noble Group, baptisé par son fondateur en référence au livre classique de James Clavell sur Hong Kong, n’est plus que l’ombre de lui-même. Mais le ferrailleur britannique Richard Elman, qui créa l’entreprise à Hong Kong en 1986 après avoir fait ses classes dans les scrap yards (casses industrielles) de Newcastle jusqu’au Japon, reste à la tête d’une fortune considérable. Avion privé, mansion luxueuse à Londres et train de vie afférent, il a cédé en temps utile une grande partie de sa participation à des valeurs gonflées par les manipulations comptables mises en évidence par Iceberg (Iceberg Research société d’analyse boursière) ».

Voilà que tous les ingrédients sont présents pour assurer le succès de la saison Enron: un fondateur propriétaire qui mène son affaire à la ruine en ayant bien pris soin préalablement d’assurer très confortablement ses arrières, une folie des grandeurs avec une boulimie d’acquisitions, de la mégalomanie, des manipulations comptables à tout va, des fraudes en veux-tu, en voilà. « Noble est vraiment un nouvel Enron : une manipulation financière massive fondée sur l’exploitation systématique des failles de la réglementation comptable ».
Et c’est bien connu, les bons acteurs savent tout jouer.

Alors, reprenons les mêmes : un cabinet comptable d’audit (Ernst & Young) qui autorise allègrement toutes les acrobaties comptables, qui ne s’alarme d’aucune alerte, une autorité de contrôle (les autorités de surveillance de Singapour) atteinte de cécité avancée, des agences de notations (en particulier la française Fitch) qui ne connaissent que la première lettre de l’alphabet et des banques bien sûr dont, aux premières loges, l’indispensable Société Générale (encore un coup de Kerviel!). On ne perdra pas son temps à parler des quelques 20.000 employés du Group, de tous les porteurs d’obligations devenues monnaie de singe… après tout ce ne sont que des figurants.

Comme pour son illustre prédécesseur, Noble ne s’est pas réveillé un matin en faillite.
L’embarrassant dans ce système, c’est qu’il y a encore des brebis galeuses qui font leur boulot : la traite ici est Iceberg Research, une société d’analyse boursière qui met en ligne sur Internet le 15 février 2015 une première étude intitulée « Noble Group, une répétition d’Enron ».
Dans un avertissement inhabituel, ses auteurs indiquent : « Vous devez prendre en compte que Iceberg Research s’est enregistré ou va le faire comme lanceur d’alerte auprès des autorités de surveillance ».
En un an, trois autres rapports suivront lesquels dissèqueront les différentes méthodes employées par Noble pour fabriquer des bénéfices à partir d’une situation financière de plus en plus compromise. « Nombre d’entreprises ont souvent été comparées à Enron, pas toujours pour de bonnes raisons, écrivait Iceberg. Noble est vraiment un nouvel Enron : une manipulation financière massive fondée sur l’exploitation systématique des failles de la réglementation comptable ».

Pour paraphraser une célèbre chanson de Bob Dylan, Iceberg Research a « soufflé l’alerte dans le vent » et les vents contraires devaient être tellement puissants que personne n’a entendu le message, bien au contraire.
Le bateau avait déjà virtuellement sombré que les banques négociaient le renouvellement de leurs lignes de crédit !

Morale de l’histoire ? Citons l’article de Médiapart : « Morale de la saga Noble : si on regarde en arrière vers la crise financière globale, on constate que pas un seul coupable des innombrables fraudes, manipulations et autres malversations qui y ont conduit, n’aura passé un jour derrière les barreaux. Pour toutes les « institutions » impliquées, y compris les régulateurs qui ont laissé faire, c’est business as usual ».

Gageons que tous les acteurs seront encore là pour la saison 3.

MM.