Quand le conseilleur n’est pas le payeur…

On ne change pas une équipe qui gagne. Et quelle équipe !
Une multinationale alliée à un État, c’est difficile à battre, même pour un peuple de contribuables.
Donc, énième épisode du désormais classique « ma virginité contre quelques pièces de monnaie ».
C’est The Guardian, dans son édition du jour qui y revient sous le titre «RBS settles US Department of Justice investigation with $4.9bn fine» (ici): «Royal Bank of Scotland has agreed a $4.9bn (£3.6bn) penalty with the US Department of Justice to end an investigation into sales of financial products in the run-up to the financial crisis, clearing the way for the UK government to sell its 71% stake in the bank. The RBS chief executive, Ross McEwan, said the agreement in principle was a milestone moment for the bank. The penalty relates to the sale of financial products linked to risky mortgages in the US between 2005 and 2007».

Les démêlés de RBS avec le département américain de la justice qui reproche à la banque ses agissements dans la crise des subprimes, constituent les dernières poursuites en cours à son encontre aux États-Unis dans cette affaire.
RBS a en effet déjà dû payer en 2017 une amende de 5,5 milliards de dollars à la FHFA (Federal Housing Finance Agency) et en 2016 une pénalité de 1,1 milliard à la National Credit Union Administration (NCUA). Plus récemment, elle a accepté de verser 500 millions de dollars aux autorités judiciaires new-yorkaises.
Il est reproché à la banque, comme à d’autres grands établissements financiers, d’avoir vendu à des investisseurs et à d’autres établissements financiers de petite et moyenne taille, des produits financiers complexes adossés à des prêts immobiliers risqués, accordés en masse à des ménages à la situation financière fragile dans les années 2000, dont les défauts de paiement ont conduit à la crise de 2008.

Il a l’air content le chief executive de RBS! Payer une amende de $4.9bn est un «moment marquant» pour le monsieur, tel un soulagement dira-t-on ! Et on le comprend… L’argent achète aussi la prison!
Rappelons que la banque est encore détenue à 71 % par l’État britannique. Rappelons que RBS n‘est pas une mince affaire pour les contribuables britanniques. Ces derniers, 8 ans après la crise de 2008, sont encore assis sur une créance sur l’établissement de £27bn (auxquels vont venir s’ajouter ces quelques milliards supplémentaires) sur le sauvetage de £45.8bn consenti sur fonds publics pour sauver cette banque privée de la faillite. Comme le fait remarquer une association de contribuables citée par The Guardian : «It was the price we have to pay for the global ambitions pursued by this bank before the crisis».

En l’état actuel de la banque et des marchés, le contribuable anglais ne semble pas prêt de recouvrir son argent. Le système fonctionne là aussi à plein régime : privatisation des profits et mutualisation des dettes. D’évidentes errances dans la stratégie de la banque, des défauts de contrôle, des règles prudentielles non respectées, et au final des dirigeants non poursuivis judiciairement et une seule victime, le contribuable. On ne connaît que trop bien cette musique. Mais à y regarder de plus près, il se passe ici quelque chose d’extraordinaire: on dit au contribuable devenu actionnaire par défaut, qui a déjà énormément investi dans cette affaire, que s’il veut récupérer son argent, il doit encore mettre la main au portefeuille en acquittant cette nouvelle amende.
Pourquoi pas, à deux différences de fond : on ne lui a pas demandé son avis pour assurer en 2008 le sauvetage de la banque (£45.8bn quand même !) et on ne lui laisse pas l’opportunité de choisir l’autre alternative, la liquidation de l’entreprise. Agent économique rationnel comme dirait la «théorie», pourquoi le contribuable ne pourrait-il pas choisir d’arrêter les frais et estimer qu’un choix rationnel serait de couper immédiatement sa perte et ne pas rajouter au pot ?
Au final, le contribuable, prêteur en dernier ressort comme l’a démontré la crise financière de 2008, est beaucoup moins bien traité qu’un conseil d’administration qui n’hésitera pas dans une telle situation à licencier massivement, vendre des branches, se défaire d’activités… avant de remettre au pot, même de couper définitivement ses positions.
Une fois de plus, tout ceci n’est qu’affaire de pouvoir, de décisions entre gens défendant les mêmes intérêts, les détenteurs du capital et l’État, qui mettent en commun leurs intérêts et leur pouvoir contre le peuple qui est au final le seul payeur. Un État gestionnaire avisé et non pas simple relais des marchés financiers aurait dû au moins envisager d’autres alternatives et ce dès la survenance de la crise.

Voilà ce qui se passe quand le conseilleur n’est pas le payeur…

Revenons en France, pour sans doute énerver le « motodidacte » niçois, l’Estrosi azuréen que toute l’Europe ne nous envie pas! Encore un coup de Médiapart qui se permet dans un article du 10 Mai 2018 «La vidéosurveillance ne sert presque à rien» (ici) de rendre compte de l’étude que vient de publier le sociologue Laurent Mucchielli qui ramène l’efficacité de la vidéosurveillance à des proportions très modestes.
L’apport de cette technologie par ailleurs extrêmement coûteuse, est assez négligeable dans les enquêtes judiciaires.

Citons quelques lignes : «Chaque jour ou presque, des petites villes, voire des villages, cèdent à la mode de la vidéosurveillance, censée leur amener un “plus” indiscutable en termes de sécurité. Les élus font campagne sur ce thème, les pouvoirs publics encouragent les communes à s’équiper et un lobby industriel très actif en tire des confortables bénéfices».
« Le sociologue Laurent Mucchielli, directeur de recherche au CNRS et enseignant à l’université d’Aix-Marseille, vient de publier une étude qui ramène l’efficacité de la vidéosurveillance à des proportions très modestes (Vous êtes filmés ! Enquête sur le bluff de la vidéosurveillance, Armand Colin). L’apport de cette technologie dans les enquêtes judiciaires ne serait en effet que de 1 % à 3 %, démontre l’auteur, chiffres à l’appui. Jusqu’ici, pourtant, seules les chambres régionales des comptes ont épinglé le coût excessif de ces équipements (à Saint-Étienne, Lyon et Nice notamment)»
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Ne nous privons pas d’énerver un peu plus notre édile azuréenne : «La grande ville, enfin, est facile à identifier. 860 000 habitants, plus grand port français, ville commerçante et cosmopolite, sur la Méditerranée, elle «fait l’objet d’un imaginaire puissant et de constructions politico-médiatiques intenses, notamment en matière de criminalité», écrit l’auteur. En 2011, la médiatisation des règlements de comptes à la kalachnikov ont amené la mairie à doubler les effectifs de la police municipale en deux ans, et à lancer un plan d’équipement de 1 000 caméras de surveillance.
Un centre de supervision urbaine (CSU) a été créé, qui emploie 47 policiers municipaux et deux techniciens sept jours sur sept. Dans les faits, les images du CSU servent surtout à la vidéoverbalisation des véhicules. Elles n’ont permis d’élucider que de 1 % à 5,5 % des enquêtes policières. L’auteur estime le coût annuel total de la vidéoprotection à 7 millions d’euros pour la ville»
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Rappelons que l’inefficacité de cette lubie idéologique du maire local a malheureusement fait sa démonstration un certain soir de 14 Juillet.

En fait, nous ne sommes pas très éloignés de notre affaire précédente.
Des intérêts apparemment bien compris entre un lobby industriel très actif et des petits caporaux provinciaux, font supporter au contribuable le déploiement de systèmes onéreux non justifiés par leur efficacité réelle.
Voilà des politiques qui nous ressassent en permanence la beauté de la libre entreprise, de son efficacité, de sa rationalité, mais qui sont les premiers à mettre en œuvre et développer des systèmes présentant un rapport budget efficacité désastreux.
Donnons à Estrosi un certificat de bon libéral, d’adepte de la rationalité et de l’efficacité économique : pas de doute qu’il va, dans l’intérêt du contribuable niçois, revoir de fond en comble la politique de la ville en matière de vidéosurveillance. On l’espère, sinon on pourrait finir par avoir de mauvaises idées sur une éventuelle convergence d’intérêts entre politiques et industriels !

MM.

Il y a délit et délit !

Qui a dit « Informer n’est pas un délit » ?
Si vous êtes un habitué de MetaMorphosis, vous avez sûrement la réponse.
Plus difficile. Qui a dit : « Dénoncer un délit, ce n’est pas de la délation » ?
L’auteur de cette maxime, au demeurant d’une grande vérité et pour ainsi dire à la base de toute action des lanceurs d’alerte, n’est autre que Christian Estrosi. Le bien nommé « motodidacte » nous gratifie de cette pensée profonde à l’occasion de la défense de sa nouvelle trouvaille niçoise en cours de test au joli nom de « reporty », ici, une application sécuritaire devant permettre à tout citoyen de dénoncer un délit ou une incivilité en temps réel à la police.
Nous ne discuterons pas ici de l’intérêt de cette initiative du maire de Nice, ayant trop peur d’arriver à la même conclusion que pour les caméras de surveillance dont l’efficacité n’est plus à démontrer depuis un certain soir de 14 juillet…
Reconnaissons que nous serons pour une fois d’accord avec l’énoncé de Monsieur Estrosi quand il dit « Dénoncer un délit, ce n’est pas de la délation ».
Sauf qu’il doit bien y avoir un loup quelque part…
Au fait, de quel délit parle t-on?
En droit un délit est toujours un délit quelle qu’en soit la gravité appréciée par le degré de la peine encourue ou par la réprobation morale qu’il peut engendrer.
Etant nécessairement rationnel, le maire de Nice doit considérer que tout délit vaut dénonciation et qu’il ne pourra en aucun cas être reproché à celui qui la réalise, un quelconque acte de délation. Sans faire un catalogue des positions et votes politiques de ce personnage, remontons seulement deux années en arrière à l’occasion du vote de la Loi Sapin2 qui visait à donner un cadre juridique aux personnes qui dans l’exercice de leur fonction sont amenées à dénoncer des délits. Quelle a bien pu être la position de Monsieur Estrosi sur ce texte qui prévoyait également quelques dispositions de moralisation de la vie politique?
Il a, une fois de plus, comme à l’occasion de proposition de lois sur la fraude fiscale et sur le verrou de Bercy, voté contre ces textes.
Nous ne discuterons pas de la cohérence des positions qu’il partage avec la plupart de ses collègues parlementaires, les votes étant le plus souvent conditionnés à des décisions partisanes et/ ou de défense de son électorat, il n’en demeure pas moins que ce type de position met en évidence que le corps politique et de façon générale la Société, ont une appréciation très sélective des délits. Système au combien pernicieux car il nous semble rejaillir dans le fonctionnement même de la justice.
Sans juger de leurs utilités, quelques affaires récentes (qui rappelons-le encore une fois, méritent une justice exemplaire) ont mis en évidence les moyens extraordinaires mis en oeuvre par les services de police et de la justice, sur une seule affaire – un cas récent de féminicide a mobilisé jusqu’à 500 personnes pendant plusieurs semaines, de l’aveu même de la Procureure en charge du dossier – en écho à la litanie des affaires politico-financières pour lesquelles l’Etat est incapable de mobiliser plus d’un fonctionnaire à temps plein.
En quoi consiste l’application niçoise estrosienne? Dénonciation d’un vol à l’étalage, d’un vol à l’arrachée? D’une dégradation de véhicule? D’un comportement suspect?…Autant de petits délits qui ont à faire quelque part à une atteinte aux biens privés. Les questions politico-financières et c’est bien en cela que réside tout le problème, sont des atteintes à la propriété collective dans lesquelles chaque citoyen a individuellement du mal à se retrouver et donc à en comprendre les enjeux, tant pour la Société que pour lui-même.
Pour ceux qui naviguent depuis de longues années dans ce type d’affaire, à l’image des lanceurs d’alerte, il est évident qu’il n’existe ni au sein des services de police ni au sein de la justice elle-même et encore moins de la part du corps politique, de volonté et souvent de capacité à mettre en oeuvre les moyens nécessaires pour traiter convenablement ces affaires.
Sous une pression électorale et médiatique, notre justice et notre police sont devenues des services de proximité visant à contenir quand ça n’est pas entretenir, le fameux « sentiment d’insécurité » au détriment d’une insécurité plus insidieuse mais tout autant pernicieuse pour la cohésion du corps social. Ne pas s’attaquer à la corruption au sein des corps institués c’est hypothéquer l’avenir.

MM.