Billet humeur : les allemands sont devenus fous !

Il n’y pas de quoi être fier, Messieurs les allemands !

Dans son édition du 19 Juin 2018, Le Monde publie un article «Dieselgate : le PDG d’Audi arrêté en Allemagne» (ici) qui a fait les gros titres de la presse européenne.
On y lit: «Rupert Stadler, le président du directoire d’Audi, filiale du constructeur automobile allemand Volkswagen, a été placé en détention provisoire lundi 18 juin, et suspendu de ses fonctions par le groupe quelques heures plus tard.
Il s’agit de la la première incarcération d’un très haut responsable dans l’enquête tentaculaire sur le scandale des moteurs diesel truqués»
.
Dans une déclaration, le porte-parole de Volkswagen a rappelé que M. Stadler bénéficiait de la présomption d’innocence. Voilà une déclaration pleine de bon sens qui replace cette affaire dans la bonne direction…

Parce que si nous voulons bien nous donner la peine d’y regarder d’un peu plus prés, en s’inspirant de la grande histoire de la démocratie française, il y a quelque chose de pourri dans la République germanique:
Voilà donc un pays où la présomption d’innocence ne vaut pas immunité…
Voilà donc un pays où ceux en responsabilité peuvent être reconnus responsables de leur actes ou décisions…
Voilà donc un pays où l’on arrive même à concevoir qu’un «premier de cordée», quelqu’un qui a «réussi», puisse être impliqué dans une fraude à grande échelle, dans une arnaque au détriment de «ceux qui ne sont rien»…

Parce qu’enfin, on ne verra jamais ça chez nous.
À raisonner ainsi, on mettra demain en détention provisoire un président d’une société sous prétexte que cette dernière a financé une organisation terroriste qui a fait des centaines de morts sur le territoire français…
À raisonner ainsi, on trouvera choquant demain qu’un président d’une société qui, sous son autorité, a perdu des parts de marché, a connu une forte détérioration de son cours de bourse et a procédé à des milliers de licenciements, puisse partir avec des dizaines de millions de bonus et retraites divers…
À raisonner ainsi, on trouvera anormal qu’une présidente d’une grande entreprise publique achète plusieurs milliards d’euros « ce qui ne vaut rien » et alors même qu’elle en est informée…
À raisonner ainsi, on enverra des politiciens corrompus en prison…
Un cauchemar, n’est-ce pas ? ! Pas de ça au «pays des droits de l’homme».

Mais le cauchemar de M. Stadler ne s’arrête pas là.
«Le parquet de Munich a confirmé cette arrestation, expliquant qu’elle avait été décidée en raison du risque de le voir supprimer des preuves. Le parquet avait mis en cause fin mai pour «fraude» M. Stadler ainsi qu’un autre membre du directoire».
Les mots ont quand même un sens. Si l’on comprend bien, le parquet munichois s’autorise à penser que ce «grand capitaine d’industrie» pourrait soustraire à la justice des preuves en les détruisant, qu’il pourrait en un mot avoir un comportement de voyou. On croit rêver ! Comme si de telles pratiques pouvaient exister chez ces gens-là.
Pourquoi -puisqu’ qu’on y est- ne pas accuser une grande banque d’avoir instrumentalisé la justice dans l’instruction d’une affaire retentissante post-2008 ?…
Pourquoi -puisqu’on y est- ne pas penser que si un ancien président de la République utilise des téléphones à prête-noms, comme un vulgaire dealer d’une banlieue pleine de racailles, c’est pour soustraire des informations aux services d’enquête judiciaire ?…

Sur ce point aussi l’Allemagne n’a qu’à s’en prendre à elle-même. Elle a beaucoup de retard dans l’adaptation de ses lois aux standards d’un État moderne. Qu’elle prenne exemple sur la France : «droit à l’erreur», «plaider-coupable», «amende contre condamnation», musellement de la presse, criminalisation des lanceurs d’alerte, «verrou de Bercy», «loi secret des affaires»… nous avons su, avec brio, mettre en place tout un arsenal de protection des «premiers de cordée».
Il faut vraiment être mauvais en 2018, si on est patron d’une grande entreprise, pour se faire rattraper par la justice.
Ou alors c’est pas de bol, à quand le «droit à pas de bol» ?

Pire, la justice allemande sous-entend que notre «premier de cordée» du jour qui aurait commis des «fraudes», serait donc un fraudeur. Parce que, il faut quand même le reconnaître, c’est pousser le bouchon un peu loin, franchement abusé.
Une fraude selon le Larousse est un «acte malhonnête fait dans l’intention de tromper en contrevenant à la loi ou aux règlements». Nos amis allemands ne comprennent décidément rien; aucune intention de tromper dans l’action de truquer les moteurs diesel Audi; aucun acte malhonnête dans le fait de frauder, de mentir aux clients, de contrevenir aux lois et règlements. Tout ceci s’inscrit dans un intérêt bien supérieur, dans l’intérêt général des actionnaires et de la sauvegarde des emplois, totem magique qui semble être absent de la culture judiciaire allemande. Ça, les français l’ont, eux, bien compris. Question de bon sens!

C’est bien triste mais ne soyons pas impatients. Bientôt, pourquoi pas une loi postulant que l’intérêt général de «ceux qui ne sont rien» puisse se résoudre tout simplement dans l’intérêt particulier des «premiers de cordée». La boucle sera bouclée, nous serons revenus à l’Ancien Régime, et tous ceux qui gesticulent aujourd’hui pour défendre leur pré carré au motif que la défense de leurs intérêts catégoriels relève de l’intérêt général ne viennent pas se plaindre; ils auront ouvert grand la porte.

MM.

Un autre monde

En cette veille de week-end, rêvons un peu.
C’est un sujet qui nous tient à cœur à MetaMorphosis, la déliquescence du lien entre le pouvoir, son exercice et les responsabilités qui y sont, normalement, rattachées. Nous avons là une spécificité bien française, mais pas uniquement, où systématiquement ceux en situation de pouvoir, aussi bien en politique, dans le public que le privé, ne sont que très rarement mis en face de leurs responsabilités, ne sont qu’exceptionnellement recherchés et poursuivis pour les actions et faits dépendant de l’exercice de leur pouvoir. Il n’est pas inutile à titre d’illustration de rappeler qu’en France, en un siècle, il n’y a eu que six condamnations de hauts fonctionnaires pour prise illégale d’intérêts.
Soit nous bénéficions d’une élite de décisionnaires à la probité dépassant tout entendement, soit notre démocratie connaît un sérieux problème à rechercher, attribuer et condamner les exercices de pouvoir marqués d’incompétence voire de malversations.

Pourtant faire ce lien n’est pas très compliqué. Aux niveaux hiérarchiques inférieurs, chez les gens qui ne sont rien, le système fonctionne parfaitement. Tous ceux qui ont travaillé en entreprise, avec quelques responsabilités à exercer, savent qu’ils sont directement responsables de leurs échecs y compris de ceux dont ils peuvent avoir autorité. Tout en haut, chez les premiers de cordée, ça ne se passe pas de la sorte. Nous l’évoquions encore récemment avec l’affaire Lafarge, le financement présumé d’une organisation terroriste contre laquelle on nous dit être en guerre (oui, il faut le répéter, car on aimerait bien entendre nos politiques se scandaliser autant sur Lafarge que sur ceux qui donnent à manger ou un toit à un migrant !), où Direction et Conseil d’Administration mènent actuellement une politique d’évitement honteuse cherchant à les faire disparaître du processus de décision de la firme. On l’a vu il y a quelques jours avec Bolloré qui, en guise de défense, est venu expliquer qu’il était mis en examen à cause de la mauvaise image de la politique et de la présence française en Afrique… Rien que ça, chapeau l’artiste ! Au passage, on apprend qu’il a embauché une horde d’anciens policiers, magistrats, détectives, enquêteurs en tout genre, pour assurer sa défense. Drôle de comportement pour quelqu’un qui se dit victime et qui n’aurait rien à se reprocher. Les lanceurs d’alerte, parce qu’on les y forcent, se font épauler quand ils y arrivent d’un avocat et c’est tout; ah oui, mais c’est parce que eux n’ont vraiment rien à se reprocher !

Loin de nous l’idée de porter aux nues le capitalisme anglo-saxon, sa violence et ses dysfonctionnements, contre lesquels nous nous sommes à plusieurs reprises levés. Loin de nous l’idée de sur-valoriser le fonctionnement de la justice américaine qui demeure très inégalitaire dans son exercice. Par contre, nous devons reconnaître que dans son effectivité contrainte des entreprises, le monde anglo-saxon privilégie l’expérience faite de réussites mais aussi d’échecs, aux diplômes, réseaux, appartenances de classes ou de corps. On peut être sans diplômes de référence, avoir un parcours parsemé aussi de quelques échecs, cela n’empêchera pas d’obtenir des postes à responsabilités. Mais, il y a alors une contrepartie, la responsabilité directe devant les résultats des choix, arbitrages et décisions prises. Cette mentalité se retrouve jusque dans l’exercice de la justice.
Nous en avons un nouvel exemple, relaté par le New York Times dans son édition du 3 Mai sous le titre « Ex-Volkswagen C.E.O. Charged With Fraud Over Diesel Emissions » (ici).
« The Volkswagen emissions scandal reached the highest echelons of the company on Thursday after its former chief executive was charged with conspiracy in the company’s rigging of diesel vehicles to feign compliance with federal pollution standards (…)
Despite President Trump’s efforts to water down auto emissions standards, the indictment indicates that the Justice Department continues to pursue an investigation of Volkswagen that began during the Obama administration. And it provides a rare spectacle: a chief executive facing criminal charges.
Last year, Volkswagen pleaded guilty to United States charges that included conspiracy to violate the Clean Air Act. But the company blamed lower-level managers for the wrongdoing and maintained that no members of its top management had been involved. (…)
If it is proven that Mr. Winterkorn was a party to the conspiracy, Volkswagen would be significantly more vulnerable to lawsuits brought by shareholders who accuse top managers of shirking their obligation to inform them of the risks the company was taking. The shareholders are seeking some $10 billion in damages, which would be on top of the roughly $26 billion in fines and civil damages that the carmaker has already paid
».

Au départ, un traitement judiciaire classique de la part du constructeur allemand, à la française nous aurions envie de dire. Encore des subalternes, qui, à l’insu de la Direction du Groupe, installent les fameux logiciels de fraude aux émissions polluantes sur les véhicules de la marque. Ils sont forts ces employés indélicats car ils arrivent à «contaminer» près d’un million de véhicules, tous seuls dans leur coin, sans que personne ne se rende compte de rien ! Ensuite, devant l’évidence, l’entreprise décide de plaider coupable devant la justice américaine, espérant que ses dirigeants soient épargnés.
Ils sont aujourd’hui justement poursuivis, au plus haut niveau et sur des charges criminelles. L’argumentaire de la justice est très intéressant car il dit en substance que « pouvoir vaut responsabilité ».
D’une certaine façon, peut importe que le CEO soit un acteur direct de la fraude, qu’il en ait été directement informé, qu’il l’ait encouragée ou non, l’exercice de son pouvoir veut qu’il soit informé et en mesure de faire respecter la réglementation par l’entreprise qu’il dirige.
Rappelons que c’est l’une de ses fonctions essentielles. En fait, rien de bien différent de ce qui se passe chez les « gens d’en bas »…

Nous n’osons imaginer l’application en France de ce principe, chez les Lafarge, Areva et autres !
Un autre monde…

MM.

Monnaie de singe

Reconnaissons le rôle précurseur joué par Transparency France dans l’affaire qui nous occupe aujourd’hui.
Rappelons que cette Association a défendu bec et ongles dans le cadre de la Loi Sapin2, sans jamais vraiment se soucier de ce que pouvaient en penser les principaux intéressés à savoir les lanceurs d’alerte, la fameuse Convention Judiciaire d’intérêt Public (CJIP).
Celle-ci permet à une entreprise coupable de faits relevant des tribunaux pénaux, de ne jamais être condamné contre la simple reconnaissance des faits et le paiement d’une amende. Transparency et le Gouvernement de l’époque ont démontré à cette occasion, le peu d’intérêt qu’ils portaient aux lanceurs d’alerte (tout en feignant le contraire) et leur totale méconnaissance de la nature même de leur action.
Qu’attendent les lanceurs d’alerte si ce n’est la reconnaissance par une décision de justice du bien fondé de leurs dénonciations, seule solution leur permettant d’envisager une reconstruction personnelle et professionnelle ?
Qui peut croire au bout de tant d’années de combat qu’un lanceur d’alerte puisse se résoudre à retrouver devant lui une organisation pouvant clamer haut et fort qu’elle n’a jamais été condamnée?

Marchons dans les pas de Transparency France et allons un peu plus loin dans cette logique, l’actualité récente nous donnant matière à faire une nouvelle proposition: instaurons dans le droit français la peine : « Je m’excuse ».
D’un côté Lactalis qui a en toute connaissance de cause avec la complicité bienveillante de la grande Distribution, mis sur le marché des produits dangereux pour les consommateurs et, ce que beaucoup semblent oublier, interdits à la vente. A ce que nous sachions, quand le cartel de Medellin met sur le marché de la cocaïne, le premier réflexe qui vient, est qu’il s’agit d’un produit interdit à la vente, aux effets également dangereux. Bizarrement, y compris au gouvernement, concernant Lactalis, cela ne semble pas avoir été la première réflexion. Madame Agnès Buzin Ministre des Solidarités et de la Santé, nous explique en effet dans les jours suivant la mise en évidence de ce scandale, « que les excuses de Lactalis: pas sûr que ce soit suffisant  » ici
On serait en droit d’attendre d’une Ministre de la République, qu’elle soit avant tout scandalisée par le fait que cette société ait continué à commercialiser des produits nocifs interdits à la vente. A la place, on la découvre déjà réfléchir à quel degré de « peine » ce manquement déclencherait une sanction, comme s’il y avait quand on enfreint la loi, un plan B autre que celui passant nécessairement par la case justice.
Nouvel exemple tout récent avec l’affaire des essais de Volkswagen sur des êtres humains et des singes. On découvre cette magnifique déclaration du porte-parole de la Chancelière Merkel mais au combien révélatrice qui nous dit que de tels agissements sont injustifiables « d’un point de vue éthique » ici. Comme nous savons tous depuis Platon que l’éthique ou la morale n’ont pas grand chose à faire avec le droit et donc la justice, nous en déduisons que pour le porte-parole de Madame Merkel, les agissements de Volkswagen ne relèvent pas de ladite justice.
Cette société l’a très bien compris puisqu’elle nous a tout de suite livré son analyse de la situation: « Je m’excuse » ici. Un « je m’excuse » du type : « voilà ça c’est dit, passons maintenant à autre chose ». Certes, c’était pour les essais sur les macaques, il ne reste plus qu’à le réitérer pour les hommes.

Nous ne pouvons que conseiller à toutes les sociétés faisant l’objet d’instruction judiciaire, Lafarge par exemple ou telles ou telles banques, de se saisir de ce nouvel argument de défense qui semble imparable et bien compris de la classe politique: des excuses valent pardon et rédemption, inutile d’aller à l’église.

Si les peuples européens montrent un tel désaveu dans leur classe politique, une telle méfiance dans les systèmes judiciaires, un tel sentiment d’impunité pour les grandes sociétés et les puissants, cela vient aussi d’une dénaturation du sens même de l’exercice du droit relayé en cela par ceux qui ont justement la charge de le faire appliquer.

A ne pas y faire attention, ces petites incisions dans le corps de la justice où celui qui est mis en cause finit lui même par décider de sa peine (parce qu’au final dans la CJIP l’inculpé garde la main comme en témoigne la transaction signée avec HSBC), c’est la démocratie qu’on risque d’assassiner.
Finissons sur un exemple qui vient illustrer le propos et qui est d’autant plus inquiétant qu’il sort de la bouche d’un procureur de la République déclarant ainsi: « Ce n’est pas normal qu’il y ait si peu de déclarations de soupçons sur la Côte d’Azur. Les professionnels n’ont pas le courage de lâcher les chiens. » ici
Rappelons que les professionnels en question, Notaires et Agents Immobiliers, ont au titre du blanchiment les mêmes obligations que celles censées encadrer la profession bancaire. S’agissant de leurs responsabilités professionnelle et légale, il est étonnant et symptomatique de la bouche d’un Procureur de confondre Courage et Obligation.

A quand une justice du mea-culpa et des peines appréciées en fonction du niveau de courage de chacun?

MM.