Le choc frontal en perspective

Sur le papier c’est beau. Dans son édition du jour «La Commission européenne veut mieux protéger les lanceurs d’alerte» (ici), Le Monde nous informe qu’un «projet de directive vise à encourager les témoins d’infractions à sortir du silence».
Ce texte fait suite à une proposition du Parlement européen: «Pressée par le Parlement de Strasbourg, la Commission européenne devrait enfin proposer, d’ici au lundi 23 avril, une directive pour mieux protéger les lanceurs d’alerte partout dans l’Union européenne (UE). Ce texte prend un relief particulier, six mois après l’assassinat de la journaliste d’investigation maltaise Daphne Caruana Galizia, qui n’a toujours pas été élucidé».

Les lanceurs d’alerte ne peuvent que se féliciter de ce projet de directive qui pose effectivement les bases d’une réelle protection. La Commission européenne a en effet retenu une définition très large du lanceur d’alerte : peut-être considéré comme tel et doit donc bénéficier d’une protection spéciale, tout «travailleur» pour une entreprise privée ou une administration. Sont également concernés les travailleurs à temps partiel dans des sociétés d’intérim, mais aussi les cadres qui peuvent être victimes d’intimidations ou de harcèlement.

Les infractions retenues sont les violations ou violations potentielles à la loi européenne dans à peu près tous les domaines : appels d’offres, services financiers, blanchiment d’argent et financement du terrorisme, sécurité alimentaire, protection de l’environnement, sécurité nucléaire, protection des données privées…
Il est également prévu que «chaque entreprise ou entité de plus de 50 salariés ou plus de 10 millions d’euros de chiffre d’affaires doit mettre en place une structure interne chargée de recueillir les témoignages, assurant la confidentialité la plus stricte. Le recueil des signalements à une structure externe à l’entreprise ou à l’administration doit aussi être possible».
Le projet de directive interdit toute forme de rétorsion : «licenciement, refus d’une promotion, blâme, harcèlement, ostracisme sur le lieu de travail, etc. Les pays doivent par ailleurs appliquer des sanctions « effectives, proportionnées et dissuasives » à l’encontre des entreprises ou des administrations qui pénalisent quand même les lanceurs d’alerte».

«Ce texte représente une réelle percée pour la protection des lanceurs d’alerte dans l’Union», s’est félicité le député européen Sven Giegold, très actif dans la lutte contre l’évasion et la fraude fiscales.
Par rapport à la Loi Sapin2, la directive européenne apportera des garanties supplémentaires puisqu’elle doit couvrir toutes les infractions, non seulement au droit hexagonal, mais aussi au droit européen.

Saluons donc à la fois le beau travail du Parlement (notamment de la députée française Virginie Rozière) dans le cadre de sa proposition de loi et son sain lobbying auprès de la Commission qui permettent aujourd’hui de déboucher sur ce projet de directive de la Commission.
Restons néanmoins prudent car pour voir le jour, cette directive doit encore passer la barre du Parlement Européen (où les groupes de droite feront sans aucun doute barrage à son adoption), mais surtout du Conseil (les États membres), ce qui n’a rien d’évident dans le contexte politique actuel.

Mais attention au choc frontal. Si la voiture «lanceurs d’alerte» avance, doucement mais sûrement, non sans éviter quelques obstacles, en face, arrive à tambour battant le camion «secret des affaires». Et le choc risque d’être violent et sanglant… La lecture des principales dispositions de la loi secret des affaires en cours de vote au Parlement français donne l’impression d’une anti-thèse du projet de directive évoqué précédemment.

En premier lieu, la notion de « secret des affaires » est très étendue. Le secret protège toute information, dès lors qu’elle a une valeur commerciale, effective ou potentielle, parce qu’elle est secrète.
D’un côté le lanceur peut dénoncer pratiquement toute infraction en tous domaines, d’un autre côté ce «tout» est considéré comme secret donc protégé par la nouvelle loi !

En deuxième lieu, dans le texte en cours d’adoption, journalistes et lanceurs d’alerte pourront être poursuivis devant les juridictions civiles. Ils devront démontrer au juge qu’ils ont agi dans l’intérêt général, c’est-à-dire pour la protection d’un intérêt légitime reconnu par le droit de l’Union européenne ou le droit national. Bonne chance… Ce ne sera pas toujours évident : par exemple, le risque de menaces pour la santé et l’environnement peut faire l’objet de longues controverses scientifiques avant d’être reconnu.
D’un côté le lanceur d’alerte est considéré à priori de bonne foi, de l’autre il a la charge de la preuve (ce qui sous-entend que sa bonne foi doit être mise en doute par principe) dans des conditions qui conduiront nécessairement à de nombreuses et longues contestations devant les tribunaux.

En troisième lieu, la sanction est potentiellement disproportionnée. Car si le journaliste ou le lanceur d’alerte perd son recours, il devra réparer intégralement le préjudice causé par la divulgation de l’information. Certes, il n’ira pas en prison, mais il sera ruiné. Car la sanction civile n’a d’autre limite que l’importance du dommage causé.
D’un côté, le projet de directive lanceur d’alerte met en place des gardes-fou pour que celui qui dénonce soit protégé d’une judiciarisation de son action, d’un autre côté la loi secret des affaires fait tout pour qu’il soit poursuivi et si possible ruiné !!

Cette loi secret des affaires va bien au-delà de la seule question des lanceurs d’alerte et pose le problème d’un droit fondamental, celui de la liberté d’expression. Dans le droit commun, la charge de la preuve incombe au demandeur. C’est à celui qui se prétend lésé, l’entreprise faisant l’objet d’une dénonciation, de démontrer que l’information a été divulguée dans un but lucratif. Cette inversion de la charge de la preuve est une atteinte à une liberté fondamentale dont on comprend bien que l’objectif est d’intimider et de dissuader d’éventuels lanceurs d’alerte ou journalistes trop entreprenants.

Car derrière tout ceci il y a bien évidemment l’objectif de faire taire journalistes d’investigation et lanceurs d’alerte. Rappelons que la transposition d’une directive européenne dans le droit national n’est pas un exercice de «copier-coller». Les États ont une marge d’appréciation non négligeable qui aurait pu permettre d’éviter les dispositions décriées de la loi en cours d’examen.

On le voit, télescopage en perspective. Ne nous faisons pas de faux espoirs. La voiture «lanceurs d’alerte» risque d’être pulvérisée par le camion «secret des affaires», à moins qu’elle ne l’évite au dernier moment…

MM.

Secret des affaires: mobilisez-vous!

Nous avons à plusieurs reprises parlé du secret des affaires dans MetaMorphosis.
Une première tribune avait fait état de la dangerosité d’un tel texte de loi (ici), une seconde (ici) avait traité de sa relecture par le Sénat qui bien entendu, a souhaité porter en commission quelques touches finales telles une cerise sur le gâteau express rudement beurré.
Demain mercredi 18 avril, cette proposition de loi sera examinée par le Sénat, avec une adoption prévue dans la foulée.

Lourd de menaces pour la liberté d’expression et d’information, ce texte en l’état a fait l’objet d’une mobilisation ce jour à Paris place de la République, de journalistes, associations et lanceurs d’alerte, réclamant son amendement au mieux son retrait.

Dans la foulée, une lettre ouverte fut envoyée au chef de l’État lui demandant de « défendre le droit à l’information ». (Lettre à Emmanuel Macron) Sans doute restera t-elle lettre morte? Nous verrons bien…

L’appel des lanceurs d’alerte

Comme tout lanceur conscient des enjeux qui se jouent, Céline Boussié insiste: « La loi sur le secret des affaires est une attaque contre nos libertés » ici.
Il est prévu demain une mobilisation à Agen (informations ici)
Venez nombreux.

Le Collectif MetaMorphosis, se joint à tous ceux qui revendiquent la liberté d’informer indispensable aux lanceurs d’alerte et à l’intérêt général.

MM.

Attrape-moi si tu peux !

Nous en parlions hier sur MetaMorphosis: Haro sur les contrôles ! Vive la confiance ! (ici)
Le garant de l’ordre républicain, le Président, nous le rappelait récemment : «ne respectez jamais les règles !». Faisons fi des lois, règlements, autorités de contrôle et autres principes de précaution ; faisons-nous confiance les uns les autres et tout ira bien… Enfin, même si cela n’est pas dit explicitement, faut pas non plus exagérer, nous n’allons pas faire confiance à tout le monde, aux chômeurs qui ne cherchent qu’à frauder Pôle Emploi, aux migrants qui viennent en France pour toucher les allocations, aux personnes assujetties aux minimum sociaux qui ne cherchent qu’à en avoir plus, aux cheminots qui font grève pour protéger leurs acquis sociaux honteux…

Par contre, faisons confiance aux entreprises, à leurs dirigeants, aux politiques, à tous ceux qui travaillent sans se plaindre pour l’intérêt supérieur de la Nation ! Après tout la main invisible est nécessairement bienveillante (mais pourquoi se cache t-elle ?) et aux dernières nouvelles elle risque d’être remplacée par la main de Dieu, le Nôtre bien sûr !

Le Monde nous donne l’occasion aujourd’hui d’illustrer ce propos. Profitons-en, car ces informations résultent du travail de journalistes dans le cadre des Panama et Paradis Papers, activité amenée à disparaître au temps de la confiance retrouvée dans « le secret des affaires ».
Nous n’allons pas nous amuser à lever une liste à la Prévert, la place risque de nous manquer…
Nous voulions bien faire confiance à Lafarge, malgré un passé déjà bien chargé, manque de pot, ses dirigeants n’ont rien trouvé de mieux que de financer l’État Islamique.
A une époque, nous voulions bien faire confiance à Goldman Sachs, et hop, ils aident la Grèce à cacher à l’Europe la réalité de son endettement national. Pas si grave apparemment, le banquier à l’œuvre à l’époque, est aujourd’hui Président de la BCE. Pas bien grave pour l’instant pour Lafarge mais surtout que personne ne s’amuse à voler un paquet de pâtes, sinon c’est la taule, direct!
Tiens, nous aurions bien voulu aussi faire confiance à HSBC, une référence du capitalisme mondial… mais la banque semble avoir un appétit féroce pour l’argent des cartels mexicains de la drogue.
La liste est longue où notre confiance a été trahie…

A priori, on aimerait bien aussi faire confiance à Total. L’un des leaders mondiaux de son secteur, français de surcroît! De quoi être fier !
Bon, nous connaissons son activité, nous nous doutons que les questions environnementales ne sont pas forcément sa tasse de thé, mais nous ne savions pas que c’était un as de l’arnaque! C’est bien d’aider les amis surtout quand ils regorgent de pétrole, mais de là à berner le si respectueux FMI… Oui, la boîte dirigée par une autre française (on est encore fier!), Lagarde, Madame négligence à 400 millions (on ne prête qu’aux riches !) dispensée de peine (ça ne s’invente pas !)…
Bon, revenons à nos hydrocarbures; mais qu’a bien pu faire ce respectable Total, si digne de confiance?
Nous lirons avec intérêt l’article du Monde «Comment le groupe Total a aidé le Congo à berner le FMI» (ici) qui raconte avec précision le montage congolais, les interventions de Total. «Avec l’aide de la banque BNP Paribas, la multinationale et le Congo ont cherché à contourner des engagements pris par Brazzaville envers le Fonds monétaire international (FMI). Ce dernier joue un rôle décisif dans l’allégement des dettes souveraines et ne doit en aucun cas être mis au courant de ce qui se trame : contre des promesses de transparence comptable, le FMI doit annoncer l’accession du Congo au statut très convoité de «pays pauvre très endetté», qui garantirait une annulation substantielle de la dette d’État».
Nous n’allons pas nous arrêter à si peu. Nous n’allons pas non plus jeter la confiance aux orties et revenir à ces sales contrôles de fonctionnaires. Et puis, si nous commençons à contrôler (sérieusement), à appliquer les lois et les règles, où allons-nous ?
Ce n’est pas faute d’avoir mis des garde-fous. Une belle fusée à plusieurs étages.
D’abord le fameux «verrou de Bercy» dont on ne louera jamais assez l’efficacité, pas celle revendiquée par le gouvernement pour le maintenir, mais celle de la « justice fiscale de l’entre-soi gens de confiance » : en 2017 sur 15.065 cas de fraudes détectées, 830 dossiers ont été transmis à la justice soit un petit 5%, les chiffres parlent d’eux-mêmes…
Ensuite un bon secret des affaires; après tout, si nous « faisons confiance », nous n’allons pas commencer à soupçonner nos entreprises d’avoir quelque chose à cacher!
Enfin, pour ceux qui seraient vraiment mauvais, ils auront droit au petit plaider-coupable, histoire de ne pas avoir à juger sur la place publique la confiance.

Bel arsenal de dépénalisation des infractions. Alors oui, pourquoi des contrôles ?

MM.

La cerise sur le gâteau

Le gâteau surprise est en voix de fignolage. Il sera servi au Sénat le 18 avril à 14h30.
L’assemblée macroniste avait déjà mis la barre haut avec le gâteau préparé façon express et c’était sans compter sur l’aide de la droite sénatoriale qui prête à tout pour exister, se charge néanmoins d’y coller dessus, la cerise.

Il n’y a plus qu’à prier (ça tombe bien) que le gâteau ne nous étouffe pas (définitivement), une fois retourné à l’Assemblée !

Quelques florilèges de leur recette ci-après:

MM.

Les affaires au secret

Le Parlement français doit avant le 09 juin 2018, transposer dans le droit national la Directive Européenne sur le secret des affaires. Lors de son adoption en 2016, celle-ci avait été décrite comme une éventuelle menace pour la liberté d’information et comme une possible restriction au travail des journalistes et à l’action des lanceurs d’alerte.
L’article du journal « le Monde » intitulé « La loi sur le secret des affaires menace-t-elle la liberté d’informer? » (ici), revient sur cette question.
Nous nous attacherons plus particulièrement aux conséquences de ce projet de loi pour les lanceurs d’alerte.
Le texte déposé par les députés de LREM le 19/02/2018, ne recèle aucune surprise : il suit celui de la Directive Européenne qui rend illégales l’obtention, l’utilisation ou la divulgation d’une information qui répondrait aux trois critères suivants:
– elle n’est pas connue ou aisément accessible à des personnes extérieures à l’entreprise;
– elle revêt une valeur commerciale parce qu’elle est secrète;
– elle a fait l’objet de mesures de protection « raisonnables » de la part de l’entreprise.

A la lecture de ces trois critères nous voyons bien, comme cela était le cas pour la loi Sapin 2, que l’application effective d’un tel texte va être largement conditionné à l’interprétation que va en faire la justice.
Comment en effet va-t-on apprécier le caractère « raisonnable » des mesures de protection, comment estime-t-on le niveau de secret donnant une valeur commerciale à une information, quelle est la mesure de la facilité d’accession à une information ?
Autant de sujets dont on peut se douter qu’ils feront l’objet d’âpres combats judiciaires.
Comme déjà souligné sur ce site, il nous semble qu’un des critères essentiels d’une loi est d’être écrite de la sorte qu’elle rééquilibre les situations intrinsèques de déséquilibres des parties.
Nous avions déjà souligné lors de l’adoption de la loi Sapin 2 que l’indétermination de certains termes ou dénominations conduirait nécessairement à des problèmes d’interprétation. Or, le lanceurs d’alerte est face à des groupes multinationaux dans une situation d’infériorité quant aux moyens qu’il peut déployer pour assurer sa défense. Là aussi, les questionnements évoqués précédemment conduiront nécessairement le lanceur dans des discussions longues pour lesquelles il n’a pas les mêmes moyens d’action que la partie adverse.

Comme le rappelle « le Monde » dans l’article en référence « la situation est plus compliquée » pour les lanceurs d’alerte, avec ce projet de loi sur le secret des affaires.
En effet, la loi prévoit que ce secret ne saurait être opposé aux personnes qui révèlent « de bonne foi une faute, un acte répréhensible, ou une activité illégale dans le but de protéger l’intérêt public général ».
Le projet de loi prend soin de faire référence à la loi Sapin 2 qui dans son texte a défini et protégé le statut de lanceurs d’alerte.
Outre le fait que nous n’avons pas à cette heure-ci de recul suffisant pour apprécier l’efficacité du dispositif Sapin 2 (il peut paraître étrange qu’on nous vende la protection des lanceurs au regard du secret des affaires au travers d’un dispositif non encore évalué), le principal problème réside dans la définition même du lanceur, puisque si dans les textes en tous les cas cela semble clair pour la dénonciation de faits illégaux, qu’en est-il des faits légaux mais contraires à l’intérêt général ?
L’exemple le plus connu est l’affaire LuxLeaks, dans laquelle se télescoperaient les notions de protection des lanceurs version Sapin 2 et de protection du secret des affaires version Directive Européenne. Le juge devra statuer, l’expérience ne préjugeant rien de positif pour les lanceurs, l’institution judiciaire ayant une fâcheuse tendance à reproduire les discours dominants comme l’a démontré dans cette même affaire LuxLeaks l’autorisation de saisie d’échanges entre un lanceur et un journaliste.
Le démontre également, et MetaMorphosis s’en était fait l’écho, une récente décision opposant l’hebdomadaire « Challenges » à l’enseigne « Conforama » où en substance la justice interdit la presse d’informer le public des problèmes financiers rencontrés par cette chaîne et son actionnaire.

Derrière les belles paroles des Associations et des politiques selon lesquelles « la transparence doit devenir la règle et le secret l’exception », force est de constater qu’avec le secret des affaires, c’est la logique inverse qui s’appliquera aux lanceurs d’alerte. En effet, malgré la multiplication des textes, malgré la multiplication ces dernières années des affaires transnationales, les lanceurs d’alerte doivent continuer à faire la preuve de leur bonne foi pour être protégés.
Dans la pratique, nombreux vous diront que même de bonne foi, les protections sont inexistantes. Pas de doute que cette incertitude juridique va encore une fois dissuader les velléités de dénonciation.

Mais au final, n’est-ce pas le but recherché ?

MM.

Vous reprendrez bien un peu de secret…

Nous y voilà ! La machine à se taire, à faire taire, est donc en marche.
Première décision importante relative au secret des affaires, le cas du magazine économique Challenges (expliqué dans le détail dans l’article paru dans Médiapart ce jour, ici) nous laisse augurer des jours tourmentés pour la liberté de la presse et, accessoirement et concomitamment, pour la liberté d’alerter.
Rappelons-nous à l’époque de la présentation du projet de loi sur le secret des affaires, des alertes qui avaient été portées par des journalistes et des Associations sur le risque que pouvait représenter cette disposition, notamment au regard du flou de sa définition, pour la liberté de la presse et pour la liberté de l’alerte citoyenne.
Rappelons-nous que ses défenseurs faisaient fi de ces remarques arguant – toujours sur le terrain de l’efficacité économique – que cette loi avait pour objectif unique de protéger les secrets des entreprises face à la concurrence.
Que nous sommes loin de ces vœux pieux dans le cas de l’affaire Challenge vs Conforama. Même si la décision n’est pas encore définitive puisque le Directeur de la publication a décidé de faire appel, l’arrêt du Tribunal du Commerce dit en substance, en motivant sa décision sur des arguments pour le moins fragiles comme l’a rappelé Médiapart dans son article, qu’au titre du secret des affaires, Challenges n’est pas autorisé à révéler que la chaîne de distribution Conforama connait de graves difficultés suite aux procédures contre les malversations réalisées par son actionnaire Sud-africain, dans lesquelles on retrouve pour la petite histoire et à l’image d’Enron, un grand cabinet d’audit international qui a allègrement certifié les comptes!
Bizarrement, le Tribunal du Commerce prend une décision pour soi-disant protéger l’entreprise qui va à l’encontre de l’un des sacro-saints piliers de l’économie de marché à savoir leur transparence et une information égale pour tous.
Il y aurait comme le fait remarquer le journal économique, des acteurs de marché qui pourraient bénéficier d’une information de première importance et d’autres qui en seraient interdits. Nous ne parlons même pas, mais qui s’en soucierait, des salariés du Groupe qui pourraient être intéressés quant à l’état de santé de leur employeur.
Au final de quoi parle-t-on ? De quel secret parle-t-on ? Dans le cas présent, vu les faits qui sont reprochés à l’actionnaire, on pourrait se demander si l’on ne protège pas en fait le secret de malversation…
Il semble malheureusement qu’il y ait une logique à ça, qui s’initie peu à peu dans le droit, visant à décriminaliser toute action répréhensible des entreprises. Il n’y a pas d’autre logique par exemple dans la CJIP (Convention Judiciaire d’Intérêt Public) où toute condamnation formelle est abandonnée. Il n’y a pas d’autre logique dans le cas nous occupant, que de préserver les intérêts d’une société au détriment de l’information des marchés.
On voit à présent, et on suivra avec beaucoup d’attention les prochaines décisions s’appuyant sur le secret des affaires, que l’on cherche effectivement à limiter le droit d’information de la presse mais que l’on cherche aussi à ôter aux différents acteurs l’information nécessaire à des prises de positions financières sur telle ou telle société.
Plus loin, même s’il n’y a pas à cette heure-ci à notre connaissance de décisions relatives à des sujets d’alerte prises sous couvert du secret des affaires, le cas Challenges vs Conforama ne laisse rien présager de bon. En théorie on voit bien qu’à toute alerte, il pourrait se voir opposer le secret d’affaire puisqu’il s’agit dans la majorité des cas, de mettre en évidence des dysfonctionnements ou des malversations, qui, par définition, dès qu’elles sont connues du public, sont de nature à altérer la confiance en elle de ses partenaires et des marchés.
CQFD !

MM.