De quoi les procédures bâillons sont-elles le nom

Dans l’article « Apple ne pourra pas interdire à Attac l’accès à ses magasins » publié ce jour, Le Monde (ici) nous informe que le Tribunal de Grande Instance (TGI) de Paris a débouté la société américaine Apple, qui demandait l’interdiction d’accès à ses magasins français à l’association altermondialiste Attac, sous peine d’une astreinte de 150 000 euros par violation de l’interdiction ainsi que du versement à la marque à la pomme de 3 000 euros.
« La simple pénétration de militants dans l’enceinte du magasin Apple Store Opéra, ou dans d’autres magasins situés en France, sans violence, sans dégradation, et sans blocage de l’accès du magasin à la clientèle, ne suffit pas à caractériser un dommage imminent justifiant de limiter le droit à la liberté d’expression et à la liberté de manifestation », note le TGI de Paris dans son délibéré. Le juge a en outre condamné Apple à payer à Attac (Association pour la Taxation des Transactions financières et pour l’Action Citoyenne) la somme de 2 000 euros en remboursement des frais engagés. Julien Pignon, l’avocat d’Attac France, a salué « le refus du juge de se prêter à une procédure bâillon ».
Le cas Apple / Attac vient se rajouter à la longue liste des conflits opposant des grands groupes industriels (généralement de dimension internationale), parfois des politiques ou des chefs d’entreprise, à des associations de défense, des journalistes et bien souvent des lanceurs d’alerte. Nous devons tout de suite souligner la généralisation de ce type de procédures malgré des différences notables entre ceux qui les instruisent. Si nous prenons le champion français toute catégorie en la matière, Bolloré, et le cas d’Apple, nous voyons tout de suite des différences notables dans l’exercice de leurs métiers respectifs.
Que certaines des conditions dans lesquelles Apple exerce son activité (filières sous-traitantes asiatiques, politique de prix, politique d’optimisation fiscale, politique d’obsolescence programmée…) soient condamnables et doivent être combattues à l’image de ce que fait Attac, cela ne fait aucun doute. On peut néanmoins reconnaître au géant américain, une volonté permanente d’innovation, un souci de répondre aux attentes de ses clients (même si cela se fait à renfort excessif de publicité), une quasi-obsession d’associer ou d’acquérir les meilleures technologies pour les faire grandir dans ses propres produits. Nous ne pouvons bien évidemment pas en dire autant de notre champion français : l’innovation, le souci de ses clients (et de ses salariés), la stratégie industrielle de ses acquisitions, autant de cours de management qu’il a dû manquer !!
Revenons à ces chères procédures bâillons. Ce dont elles ne sont pas le nom, c’est que ce ne sont pas des procédures sur le fond. Apple ne conteste pas le fait d’être accusé de pratiquer l’optimisation fiscale, jusqu’à l’écœurement. Bolloré ne conteste pas en attaquant les auteurs de « Bolloré tout puissant », le fait d’avoir censuré le reportage Crédit Mutuel. Nous pourrions multiplier les exemples, y compris dans les procédures menées à l’encontre de chercheurs et universitaires, nouvelle lubie des grands groupes.
Bien évidemment nous n’oublierons pas les lanceurs d’alerte, les plus chouchoutés des excités de la procédure bâillon, où la partie leur est rendue facile du fait de la vulnérabilité des « accusés ».
Il convient de rappeler que si en France, ces procédures sont relativement récentes, la diffamation, spécificité du droit français, accentue le phénomène. « Nous avons un droit à la diffamation qui frappe avant et qui juge après », explique Sandrine Clavel, avocate. « Dans une plainte pour diffamation, il y a constitution de partie civile et une mise en examen automatique. C’est donc à l’accusé de démontrer qu’il n’y a pas eu diffamation. Il y a donc une présomption que le délit a été commis. »
De quoi les procédures bâillons sont-elles le nom ? Du silence, tout simplement. Pour vivre heureux, vivons cachés… Comme souvent l’affaire est croustillante : se sont ceux qui réclament toujours un peu plus de liberté (on dit déréglementation, dérégulation…) pour exercer leur métier (sous entendu pour le bénéfice de l’intérêt général), qui veulent réduire au silence ceux qui ont un avis contraire, les priver de leur liberté de penser et de dire.
En réalité, ce que cherche à contester Apple c’est le droit de dire d’Attac, avec ses moyens et à sa façon, que le groupe étasunien est devenu meilleur expert en optimisation fiscale qu’en téléphonie mobile. Ce que conteste Bolloré, ce n’est pas la censure, ses méthodes de gestion, ses pratiques managériales, mais qu’on le dise, pire qu’on l’écrive. D’une certaine façon nous pourrions comprendre qu’ils n’aient pas intérêt à attaquer sur le fond. Pour Apple, la plupart des pratiques fiscales mises en œuvres sont légales : attaquer sur le fond c’est reconnaître que quelque chose clocherait. Pour Bolloré, pourquoi attaquer sur le fond puisque même le régulateur, le CSA, n’en a rien à faire. Les lanceurs d’alerte connaissent bien cette situation : quasiment pas d’attaques sur le fond, sur les faits, toujours sur l’accessoire, pour épuiser, discréditer.

Une réforme judiciaire de la diffamation et des procédures bâillons est urgente, en s’inspirant peut être du modèle canadien qui contraint de mener la procédure à son terme. Une nouvelle fois, décidément nous nous répètons beaucoup sur MetaMorphosis, le problème est en amont : quand appellera-t-on un chat un chat, de l’optimisation à grande échelle de la fraude, de la censure de la censure, du blanchiment du blanchiment ?

MM.

L’alerte au temps de la censure

La sortie demain du livre « Vincent tout-puissant » co-écrit par Messieurs Jean-Pierre Canet et Nicolas Vescovacci fait l’objet ce jour d’une pré-couverture dans Télérama ici.

A ce titre, rappelons que certains membres fondateurs de MetaMorphosis sont bien malgré eux à la genèse de l’enquête menée sur la Banque Pasche – Crédit Mutuel CIC censurée par Canal+ et Bolloré, qui est devenue emblématique du cœur de la réflexion que mène le Collectif sur le vaste sujet de l’alerte.

Messieurs Canet et Vescovacci commencent leur récit par la déprogrammation par Canal+ du documentaire Banque Pasche – Crédit Mutuel CIC. Comme rappelé dans l’interview de Télérama, les lanceurs d’alerte leur avaient fait rapidement part de leur inquiétude de l’effective diffusion de leur travail sur cette chaîne. Certes parce qu’ils bénéficiaient d’une source privilégiée leur permettant d’avoir cette inquiétude avant même les réalisateurs du documentaire… mais pas uniquement. Leur sentiment reposait également sur la relation privilégiée et ancienne entretenue entre les groupes Crédit Mutuel (maison mère de la Pasche) et Bolloré, la banque étant un partenaire financier important de ce dernier. ici
Les lanceurs réagissaient également après deux années de combat en fonction de l’expérience qu’ils avaient de leur relation avec la presse.
Après avoir sollicité tout ce que la France peut compter de presse quotidienne et hebdomadaire, les silences des uns, les refus polis d’autres, voire les refus motivés de certains autres, pouvaient laisser penser, face à l’incapacité de susciter l’attention, que les rapports de pouvoir au sein du monde médiatique avaient très largement basculés au profit des financiers et au détriment de l’investigation (à l’exception notable de Médiapart et de un ou deux journalistes indépendants).

Malgré le professionnalisme, la volonté et la réelle indépendance des auteurs du reportage, les lanceurs ont très rapidement été pour toutes ces raisons, suspicieux dans la capacité d’obtenir une diffusion nationale de l’enquête selon le format qui avait été retenu.

Nous touchons là au second point de ce billet, cet exemple et toute la démonstration que souhaitent réaliser Messieurs Canet et Vescovacci au travers de leur livre, confirment une fois de plus que l’un des enjeux principaux de l’alerte est la capacité pour les lanceurs, déjà exclus du processus judiciaire, de trouver des canaux leur permettant de relayer leur témoignage.
Jeux de pouvoir, liens financiers, liens incestueux avec le politique (l’absence totale de réaction du monde politique -autant sollicité que les médias- étant à ce titre très révélatrice), procédures bâillons dont l’un des auteurs de « Bolloré tout-puissant » en est aujourd’hui la victime, prise de contrôle des rédactions, chantage à l’emploi… autant de situations et de techniques visant à faire taire l’alerte, sans que les lanceurs ne puissent compter sur quelles qu’autres formes de contre pouvoir, si ce n’est comme cherche à le faire MetaMorphosis, de fédérer des expériences et des combats au sein d’une structure totalement indépendante des pouvoirs aussi bien économique que politique.
Nous avons conscience à MetaMorphosis que sur le papier le combat peut apparaître fortement déséquilibré voire perdu d’avance diront certains, il n’en demeure pas moins que pour nous, tant qu’il y aura la liberté de parole, il y a la liberté d’agir et la possibilité de continuer à faire passer les messages.

Alors, rejoignez MetaMorphosis le site et bientôt l’Association.

MM.

Et pour ceux qui n’ont pas vu ledit reportage: