La kleptocratie des nations

«Recherches sur la nature et les causes de la richesse des nations» (en anglais, «An Inquiry into the Nature and Causes of the Wealth of Nations»), ou plus simplement la «Richesse des nations», est le plus célèbre ouvrage d’Adam Smith. Publié en 1776, c’est le premier livre moderne d’économie.
Adam Smith y expose son analyse sur l’origine de la prospérité récente de certains pays, comme l’Angleterre ou les Pays-Bas. Il y développe des théories économiques sur la division du travail, le marché, la monnaie, la nature de la richesse, le «prix des marchandises en travail», les salaires, les profits et l’accumulation du capital. Il examine différents systèmes d’économie politique, en particulier le mercantilisme et la physiocratie. Il développe aussi l’idée d’un ordre naturel, le «système de liberté naturelle», résultant de l’intérêt individuel se résolvant en intérêt général par le jeu de la libre entreprise, de la libre concurrence et de la liberté des échanges. «La Richesse des nations» reste à ce jour un des ouvrages les plus importants de la discipline, il est le document fondateur de la théorie classique en économie et, selon certains, du libéralisme économique.

1776, bientôt 250 ans. En théorie, les choses semblent claires : l’ordre naturel résultant de l’intérêt individuel doit grâce aux libertés d’entreprendre et de commercer, se muer en un intérêt général qui permet en retour, à la nation entière de s’enrichir. En un mot, l’enrichissement de certains profite au final à tous.
Un rouage manque dans cette belle articulation, inhérent à la constitution de cette nouvelle discipline qui, dès l’origine – et le mécanisme s’est fortement développé par la suite – a voulu se revendiquer des sciences dures. Une société ne se résume pas à des agrégats monétaires.

Deux contributions récentes viennent nous rappeler que la «richesse des nations» n’est pas qu’une question d’accumulation mais également de répartition. Parce qu’un corps social est avant tout constitué et mû par des affects, l’existence et la perception de trop fortes inégalités de richesses peuvent aussi être sujets d’appauvrissement.

Dans sa chronique au Monde du 07 Avril 2018 sous le titre évocateur «La Russie poutinienne se caractérise par une dérive kleptocratique sans limites» (ici), l’économiste Thomas Piketty explique que le désastre soviétique a conduit à l’abandon de toute ambition de redistribution dans la Russie poutinienne.

Reprenons, compte tenu de son intérêt, un large extrait de cette chronique : «Le démantèlement de l’Union soviétique (URSS) et de son appareil productif conduit à une chute du niveau de vie en 1992-1995. Le revenu par habitant remonte à partir de 2000 et se situe en 2018 à environ 70 % du niveau ouest-européen en parité de pouvoir d’achat (mais deux fois plus bas si l’on utilise le taux de change courant, compte tenu de la faiblesse du rouble). Malheureusement, les inégalités ont progressé beaucoup plus vite que ne le prétendent les statistiques officielles, comme l’a montré une étude récente réalisée avec Filip Novokmet et Gabriel Zucman (disponible sur Wid.world).
Plus généralement, le désastre soviétique a conduit à l’abandon de toute ambition de redistribution. Depuis 2001, l’impôt sur le revenu est de 13 %, que votre revenu soit de 1 000 roubles ou de 100 milliards de roubles.
Même Reagan et Trump n’ont pas été aussi loin dans la démolition de l’impôt progressif. Il n’existe aucun impôt sur les successions en Russie, ni d’ailleurs en Chine populaire. Si vous voulez transmettre votre fortune en paix en Asie, mieux vaut mourir dans les anciens pays communistes, et surtout pas dans les pays capitalistes, Taïwan, Corée du Sud ou Japon. Mais là où la Chine a su préserver un certain contrôle sur les sorties de capitaux et les accumulations privées, la Russie poutinienne se caractérise par une dérive kleptocratique sans limites. Entre 1993 et 2018, elle a réalisé des excédents commerciaux gigantesques : environ 10 % du produit intérieur brut (PIB) par an en moyenne pendant vingt-cinq ans, soit au total de l’ordre de 250 % du PIB (deux années et demie de production nationale). En principe, cela aurait dû permettre l’accumulation de réserves financières du même ordre : c’est d’ailleurs à peu près la taille du fonds souverain public accumulé par la Norvège, sous le regard des électeurs. Mais les réserves officielles russes sont dix fois plus faibles : à peine 25 % du PIB.
Où est passé l’argent ? Selon nos estimations, les actifs offshore détenus par de riches Russes dépassent à eux seuls une année de PIB, soit l’équivalent de la totalité des actifs financiers officiels détenus par les ménages russes. Autrement dit, les richesses naturelles du pays (qui, soit dit en passant, auraient mieux fait de rester dans le sol pour limiter le réchauffement climatique) ont été massivement exportées pour alimenter des structures opaques permettant à une minorité de détenir d’énormes actifs financiers russes et internationaux.
Ces riches Russes vivent entre Londres, Monaco et Moscou ; certains n’ont jamais quitté la Russie et détiennent leur pays via des entités offshore ; de nombreux intermédiaires et des sociétés occidentales ont également récupéré au passage de grosses miettes, et continuent de le faire aujourd’hui dans le sport ou les médias (on appelle parfois cela de la philanthropie). L’ampleur du détournement est sans équivalent dans l’histoire».

Le système poutinien est sans doute un modèle pour beaucoup de dirigeants occidentaux mais surtout un démenti du vœu pieux d’Adam Smith. Si la Russie s’enrichit, la nation et donc le peuple s’appauvrit. A sa décharge, il ne pouvait prévoir la mondialisation à outrance des économies et sa sur-financiarisation.
Pour brutale qu’elle puisse être, la dérive kleptocratique du système russe est déjà rampante dans nos sociétés et prend d’autres formes plus insidieuses : corruption, marchés truqués, règles de la concurrence tronqués, entente sur les prix, décriminalisation des délits financiers…

Sous la plume de Michael Savage, The Guardian publie ce jour un article intitulé : «Richest 1% on target to own two-thirds of all wealth by 2030» (ici).
Ce travail fait référence aux projections alarmistes réalisées par The House of Commons library qui suggère que sur la base des évolutions constatées depuis la crise financière de 2008, le «top 1%» devrait détenir 64% de la fortune mondiale en 2030.
Le quotidien britannique précise : «Since 2008, the wealth of the richest 1% has been growing at an average of 6% a year – much faster than the 3% growth in wealth of the remaining 99% of the world’s population. Should that continue, the top 1% would hold wealth equating to $305tn (£216.5tn) – up from $140tn today.
Analysts suggest wealth has become concentrated at the top because of recent income inequality, higher rates of saving among the wealthy, and the accumulation of assets. The wealthy also invested a large amount of equity in businesses, stocks and other financial assets, which have handed them disproportionate benefits».

La même question se pose : est-ce que les nations s’enrichissent pour autant ?
L’abandon progressif dans les pays occidentaux du principal levier à la disposition de l’Etat, la politique fiscale, pour réguler ces accroissements de richesse et assurer une répartition des gains de la croissance profitable à l’ensemble de la nation et la persistance quand ce n’est le développement sous d’autres formes de places de non droit fiscal, les paradis fiscaux avec la complicité des mêmes États, nous donnent malheureusement la réponse et valide les projections précédentes.

MM.

C’est magique !

Deux brèves, dans l’actualité, pour finir la semaine ; deux seulement, même si ce n’est pas ce qui manque, pour reparler de l’un des thèmes chers à MetaMorphosis : la responsabilité.

Tout d’abord, revenons sur le fiasco industriel Alstom à l’occasion de l’audition de son ancien PDG, Patrick Kron, devant une commission d’enquête parlementaire (Le Monde du 05 Avril 2018 «Rachat d’Alstom par GE : Patrick Kron ne convainc pas les députés», ici).
Nous ne reviendrons pas sur les conditions très critiquées de la vente d’Alstom à l’américain General Electric, déjà largement documentées et justifiant quatre ans après qu’une commission parlementaire s’y intéresse encore.
Rappelons juste, au-delà des pures conditions financières et contractuelles de l’opération, que cette vente place des pans entiers de l’industrie française, considérés comme stratégiques, en situation de totale dépendance vis-à-vis des Etats-Unis. On ne s’étonnera plus de la permanente déconnexion entre discours politique et réalité économique, entre la soi-disante nécessité absolue de défendre l’indépendance de la France et la vente d’entreprises telle Alstom essentielles à la filière nucléaire.
Pourquoi nous bassiner avec le « secret des affaires » si c’est pour vendre les affaires stratégiques?
Nous ne reviendrons pas non plus sur les primes extrêmement généreuses dont a été gratifié Patrick Kron pour avoir vendu (bradé?) l’entreprise qu’il dirigeait.

Le Monde nous rappelle l’un des motifs de l’audition de Patrick Kron devant les parlementaires : «Et d’abord de sa probité. Des élus de droite et de gauche, mais aussi Arnaud Montebourg, ministre de l’économie au moment du rachat, et même Emmanuel Macron, son successeur, ont accusé M. Kron d’avoir vendu Alstom à GE pour s’éviter des poursuites de la justice américaine dans une affaire de corruption. L’un de ses ex-cadres dirigeants, Frédéric Pierucci, purge encore une peine de prison aux Etats-Unis et le groupe a finalement transigé et payé fin 2014 une amende de 772 millions de dollars au Trésor américain».

Pour la petite histoire, s’agissant de ce cadre d’Alstom emprisonné aux Etats-Unis, Frédéric Pierucci, la vice-présidente de la commission d’enquête a précisé lors des auditions, s’adressant à Patrick Kron : «La personne de M. Pierucci ne bénéficie de plus aucun soutien, il n’a reçu aucune visite de la part de représentants de la société Alstom, il est emprisonné pour trente mois, vous n’avez pas reçu la famille et il a plus d’une centaine de milliers d’euros de frais d’avocat non payés…». Avec ces gens-là, on devient vite un paria…

Ce qui nous intéresse ici, ce sont les arguments avancés par Patrick Kron.
Tout d’abord un grand classique pour justifier les conditions de la vente d’Alstom : «Sans la vente à GE, cela aurait été un bain de sang social».
Sommes-nous bêtes, pourquoi ne pas y avoir pensé plus tôt ! Dans toute cette affaire, le seul voyant rouge qui a dicté l’attitude de la direction d’Alstom, c’est bien évidemment la défense des salariés et de l’emploi. Ne soyons pas médisants, quand Patrick Kron part avec plusieurs millions de primes, retraite chapeau et tout l’attirail qui va bien avec, c’est pour protéger l’emploi des salariés… On attends qu’il nous dise qu’il n’a pas voulu se livrer à la justice américaine pour protéger l’emploi!
Sur son action en tant que dirigeant exécutif d’Alstom, Patrick Kron nous sert encore du classique : «je ne suis coupable de rien, si ce n’est d’avoir vendu l’entreprise pour sauver des milliers d’emplois en France et dans le monde». Pourquoi «coupable»? Est-ce une obsession ou un aveu? La commission enquête seulement sur les responsabilités des différents acteurs du dossier. Responsabilité est un mot qui ne lui viendra par contre jamais à la bouche. En politique ou à la tête de grandes entreprises, certains se sont définitivement exonérés de toutes responsabilités propres à leur fonction ou leur action. La marche aujourd’hui est une exonération de toute forme de culpabilité.

Ensuite, et plus rapidement, la seconde actualité: une vidéo de Macron en visite à l’hôpital, largement reprise sur les réseaux sociaux (France Bleu le 05 Avril 2018 «Échange tendu entre Emmanuel Macron et des infirmières de l’hôpital de Rouen», ici).
Sur l’échange lui-même que nous n’avons pas trouvé spécialement «tendu» comme l’a indiqué l’ensemble de la presse, nous devons reconnaître que Macron a pris des cours, non pas de communication (c’est toujours aussi laborieux et creux), mais de self-control, toute irritation se traduisant rapidement en un comportement suffisant et arrogant… habituelle réponse aux gens qui ne sont pas de sa classe sociale, «ceux qui ne sont rien» et qui de surcroît sembleraient ne rien comprendre! Tenez-vous le pour dit, nul n’a le droit de faire ni leçon, ni remarque au Maître!

Revenons simplement sur cette embardée «magique» assénée d’un ton méprisant: « Il n’y a pas d’argent magique ! ». Vive la loi sur les fake-news, il va prendre cher notre président !!
Il n’existe donc pas d’argent magique… et pourtant, depuis 2015 la Banque Centrale Européenne a créé plus de 2.500 milliards d’euros dans le cadre de ses politiques (inutiles et néfastes car trop tardives) de quantitative easing, qui n’ont au final, de l’aveu même de la BCE, en très grande partie pas profité à l’économie réelle mais essentiellement à l’économie financière (rachats d’actions, versements de dividendes, reconstitution des trésoreries…).
Par définition, ces 2.500 milliards d’euros sont de l’argent magique qui ne repose sur rien et ne servent à pas grand chose.

L’argent magique existe, mais pas pour tout le monde…

Photo de Positive Money Europe- (ici)

MM.

«Être un mouton» n’est ni un métier, ni une vocation

Le mouvement prend de l’ampleur chez Google.
Le journal Le Monde du 05 Avril nous informe qu’environ 3 100 employés de Google ont réclamé, dans une lettre dévoilée jeudi par le New York Times, que l’entreprise mette un terme à son partenariat avec le Pentagone. Début mars, Google avait en effet admis dans les colonnes du magazine Gizmodo qu’il mettait à la disposition du Ministère Américain de la Défense, certaines technologies d’intelligence artificielle (IA).
«Ce partenariat s’inscrit dans le projet Maven, un programme lancé en avril 2017 avec l’objectif, expliquait le Pentagone dans une note, de «rendre rapidement intelligible l’énorme volume de données accessibles au ministère de la défense ».
Dans un communiqué transmis en mars à la presse américaine, Google avait expliqué fournir au Pentagone des accès à son logiciel ouvert d’apprentissage automatique TensorFlow. L’objectif : l’aider à analyser des images de drones, à des fins de renseignement. L’outil peut par exemple être utilisé pour identifier de manière automatisée des bâtiments, véhicules ou humains figurant sur des photos ou vidéos. Cela permet de surveiller des lieux, ou d’identifier des cibles».

Les employés signataires ont ainsi invité Sundar Pichai, le PDG de la firme, à «annuler immédiatement» le partenariat établi avec le Pentagone.
«Nous estimons que Google ne devrait pas être impliqué dans le business de la guerre. C’est pourquoi nous demandons à ce que le projet Maven soit annulé, et à ce que Google dessine, publie et mette en place une politique claire, qui précise que ni l’entreprise ni ses partenaires ne fabriqueront jamais de technologies de combat».

Le partenariat aurait, estiment les signataires, «causé des dommages irréparables à la marque Google».
«L’argument selon lequel d’autres entreprises comme Microsoft et Amazon participent également ne rendent pas l’opération moins risquée pour Google, est-il écrit dans la lettre. (…) Nous ne pouvons pas [non plus] nous dédouaner de la responsabilité de nos technologies et la laisser peser sur les tiers».

Plusieurs employés ont été indignés du fait que leur entreprise puisse offrir des ressources à l’armée.
En effet, Maven soulève des questions éthiques sur le développement et l’utilisation de l’apprentissage automatique (machine learning). Eric Schmidt, collaborateur de chez Google, s’est exprimé à ce sujet : «Il y a une inquiétude générale dans la communauté de la technologie sur la façon dont le complexe militaro-industriel utilise leurs «trucs» pour tuer les gens de manière incorrecte».

Certains services de renseignements des États-Unis sont bien connus pour l’espionnage massif de la population. L’intelligence artificielle leur permettra d’aller beaucoup plus loin dans leurs démarches. En effet avec Maven, il serait possible de suivre une personne à la trace d’un point A vers un point B sans intervention humaine. C’est l’un des aspects du projet qui inquiète particulièrement chez Google. Google est un élément clé dans la stratégie du gouvernement. «Avant Maven, personne dans le département n’avait la moindre idée de comment acheter, aligner et mettre en œuvre correctement l’IA», écrit Greg Allen, un spécialiste de l’utilisation de l’IA par les militaires.

Reconnaissons que cette «mobilisation éthique» des salariés de Google fait plaisir et c’est bien parce qu’elle est rare, qu’il fallait la souligner.
Là où bien souvent, même devant les évidences, les salariés acceptent soit une cécité spontanée, soit un lâche détournement du regard, soit un désintérêt total y compris moral devant les malversations ou manquements graves à la loi dont ils peuvent être les témoins directs ou alertés par des lanceurs, reconnaissons que la réaction rapide et forte des employés du géant américain de l’Internet laisse de l’espoir.

Il n’est pas inutile de rappeler à certains que «être un mouton» n’est ni un métier, ni une vocation. Ce n’est qu’un comportement lâche qui conduit souvent le lanceur d’alerte à se battre seul là où une action collective -le cas de Google nous le démontre- permettrait de peser à la fois sur l’employeur, les structures de contrôle et de sanction du métier, et la justice.
Combien de lanceurs d’alerte, seuls dans leur combat pendant de longues années, auraient apprécié que leur dénonciation soit appuyée et relayée par plusieurs milliers de collègues de travail?
Beaucoup d’alertes n’auraient sans doute même pas eu besoin de sortir des murs de l’entreprise si les salariés s’étaient détachés de leur peur et de leur lâcheté.
Quoi qu’il arrive, les lanceurs n’oublieront pas de sitôt le nom des moutons qui firent partie de leur troupeau, ceux restés au bord de la route…

MM.

En référence à l’article du journal Le Monde du 05 Avril 2018 «Intelligence artificielle : 3 100 employés pressent Google d’arrêter d’aider le Pentagone», ici.

In fine, mieux vaut arnaquer que dénoncer

Petite histoire du jour : «comment le crime paie».

Prenons un exemple : vous voulez faire protéger votre maison ou votre commerce par une société privée de protection. Vous signez avec cette entreprise un contrat qui prévoit notamment l’installation de certains outils de télésurveillance, reliés à son centre de contrôle, et des visites régulières et programmées par ses équipes sur les lieux à protéger. La société vous adresse chaque mois un relevé de ses activités. Au bout de quelque temps vous vous rendez compte que les outils installés ne sont reliés à rien et que les visites sur site ne sont réalisées qu’aléatoirement, en tous les cas pas aux jours et heures attestées, quand elles ne le sont pas du tout.
Manque de pot, vous faites l’objet d’un cambriolage dans l’un de vos locaux.
Logiquement, vous vous retournez, devant les tribunaux, contre la société qui était censée assurer la surveillance, d’autant plus que votre assurance rechigne à vous indemniser estimant que l’obligation de protection prévue à son propre contrat n’a pas été respectée.
En attendant la justice, vous ne pouvez cesser toute activité et avez besoin de continuer la surveillance de vos locaux. A qui vous adressez-vous?
Et bien à la société qui vous a menti, qui n’a pas rempli ses obligations contractuelles, et que vous poursuivez en justice ! CQFD…

Dans la vraie vie, sauf troubles psychologiques profonds, ça ne devrait pas se passer ainsi.
Pour nos politiques et élus, les choses ne sont pas aussi claires !!

Le Monde nous explique dans son édition du 03 Avril : «Le sujet est derrière nous», assurait l’entourage de la maire Anne Hidalgo au début du mois de mars. La tempête soulevée par les révélations dans la presse sur la fraude au contrôle du stationnement payant dans la capitale est pourtant loin d’être retombée.
Selon les informations du Monde, il ne s’agit pas de la dérive de quelques agents de la société privée Streeteo, comme expliqué dans un premier temps. La direction de cette entreprise reconnaît qu’au moins un «manageur haut placé» était impliqué dans l’arnaque.
Par ailleurs, l’ampleur de la fraude paraît plus importante que prévue, avec «près de 5 000» amendes infligées par des agents non assermentés, selon Christophe Najdovski, adjoint aux transports à la mairie de Paris.
Début mars, le parquet de Paris avait diligenté une enquête préliminaire pour«faux, usage de faux et escroqueries» sur l’entreprise Streeteo, société privée, filiale du groupe Indigo (anciennement Vinci Park), à qui la mairie a confié le contrôle du stationnement dans quatorze arrondissements. De son côté, la municipalité vient de déposer une plainte pour les mêmes griefs. Elle ne vise pas directement la direction de l’entreprise mais une «personne non dénommée».
Alors que le dossier rebondit sur le terrain judiciaire, la mairie doit aussi faire face aux attaques de l’opposition parisienne qui surfe sur la grogne des automobilistes, grogne entretenue par les rumeurs sur l’illégalité des «prunes» qui leur seraient infligées.
Dès le début de janvier, la machine déraille. Pour remplir les quotas, le système est dévoyé à Streeteo : une partie des contrôles étaient réalisés par des agents dans les bureaux de l’entreprise et non sur le terrain».

Il se passe alors un «truc énorme» : un salarié va décider d’une part, qu’il n’a nullement été embauché pour faire des choses illégales, et va estimer d’autre part, en citoyen responsable, que le respect de la loi passe avant les ordres de sa hiérarchie… Vivement le secret des affaires !!

« Ces «contrôles en chambre» ont duré «quelques semaines», reconnaît Streeteo, jusqu’à ce que la ville fasse un premier rappel à l’ordre, puis qu’un salarié, Hamidou Sall, décide de dénoncer le système et diffuse, le 17 février, une vidéo sur YouTube. On y voit des agents qui enregistrent des listes de numéros de plaques d’immatriculation dans leurs mini ordinateurs dans des bureaux.
Chef d’équipe, M. Sall raconte au Monde qu’il avait une petite vingtaine d’agents sous son autorité. « Chacun avait une feuille A4 recto verso avec 1 000 plaques à rentrer dans sa machine, raconte-t-il. A la fin de la journée, nous étions censés avoir enregistré 20 000 plaques. Les agents devaient indiquer pour chacune d’elle un motif de non-délivrance de FPS : voiture appartenant à une personne handicapée, véhicule occupé, personne agressive ou “autres”. » Quelques semaines avant de poster cette vidéo, M. Sall avait décidé de démissionner. «Je n’avais pas postulé pour faire des choses illégales, les conditions de travail étaient malhonnêtes», confie-t-il .
Bintou Guirassy faisait partie des agents qui se retrouvaient au siège pour «taper des plaques». «On savait que c’était une arnaque et qu’on faisait quelque chose d’illégal pour remplir les quotas, mais on était convoqués au siège par nos chefs pour le faire», dit-elle »
.

On ne sait pas très bien ce que sont devenus ces salariés et ce que leur réserve l’avenir avec ce poids infamant de l’honnêteté qui pèse désormais sur leurs épaules.

L’histoire aurait pu s’arrêter là. C’était sans compter sur nos élus qui nous ont réservé une suite et fin heureuse.

L’hebdomadaire Marianne nous raconte cet épilogue dans un article du 03 Avril : «Après avoir constaté des dysfonctionnements dans le nouveau contrôle du stationnement payant, la mairie de Paris annonce s’apprêter à porter plainte pour faux, usage de faux et escroquerie contre Streeteo… qui va toutefois continuer à s’occuper des PV parisiens.
Une tape sur les doigts en public… et c’est tout. Par la voix de l’adjoint chargé des Transports, Christophe Najdovski, la mairie de Paris annonce dans Le Parisien qu’elle va déposer une plainte contre la société Streeteo pour faux, usage de faux et escroquerie. En cause, les différents dysfonctionnements constatés depuis le 1er janvier, date à laquelle Streeteo a été chargé, avec une autre société, du contrôle du stationnement dans la ville de Paris via une délégation de service public. Contrôles fictifs, amendes distribuées à tort, agents non assermentés… L’entreprise va devoir « rendre des comptes » assure l’élu.
Paradoxalement, cette plainte ne va rien changer au contrat qui lie la ville et l’entreprise. « Nous nous réservons le droit de résilier ce contrat si de nouveaux problèmes surgissent », indique simplement Najdovski, ajoutant que « Streeteo a déjà pris des mesures en interne avec des mises à pied ». Lorsque le Parisien lui demande avec bon sens si le choix de cette entreprise n’est « tout simplement pas le bon », l’adjoint répond à côté : « Ces sociétés travaillent également à l’étranger. Elles ont l’habitude de ce genre de marché »
.

Au final, un grand classique. Des excuses, quelques têtes qui volent et on oublie tout… « Elles ont l’habitude de ce genre de marché » nous dit l’adjoint aux transports de la ville de Paris.
C’est une remarque ou un lapsus ?

Nous dédicaçons cette petite histoire à l’attention de tous les lanceurs d’alerte qui, pour avoir rempli leurs obligations professionnelles et/ou légales, se retrouvent marginalisés ou exclus professionnellement, totalement déclassés à titre personnel, poursuivis judiciairement et épuisés financièrement.
On vous l’a dit : l’incompétence, la magouille, la malhonnêteté paient. Au pire votre employeur magouilleur n’aura que quelques petites excuses à faire, alors choisissez bien votre camp…

MM.

En référence à l’article du journal Le Monde du 03 Avril 2018 : Arnaque aux amendes à Paris : Streeteo reconnaît «des erreurs inexcusables», ici.

Intelligence artificielle : tu auras les honneurs mon fils

Nous en parlions sur MetaMorphosis dans une récente tribune : parmi les grands défis de la société française, le développement de l’intelligence artificielle tient une place fondamentale, aux côtés des problématiques liées au réchauffement climatique.
Nous rappelions également que sur des sujets d’avenir importants, le nouveau gouvernement ne répondait pour l’instant que par d’anciennes solutions surannées, marque de son incompréhension des enjeux qui viennent confronter son avenir, celui du pays et ses propres certitudes. A l’occasion de la présentation des axes de sa politique en matière d’intelligence artificielle, suite au rapport Villani (un grand mathématicien, fait-il pour autant malgré toute la bonne volonté, un grand politique et un visionnaire?), Médiapart porte sous la plume de Romaric Godin (ici) un regard critique mais lucide.

Débarrassons-nous tout de suite de l’habillage promotionnel de la chose, pratique désormais courante de la politique macronienne, mais nécessaire pour replacer le débat dans toute sa dimension.
«Comme souvent, l’exécutif fait de bons constats. Mais ces bons constats sont souvent le paravent communicationnel d’une action au bout du compte décevante et fondamentalement classique de l’État français. Jeudi 29 mars, le chef de l’État, Emmanuel Macron, a prononcé un discours ampoulé sur le sujet. Un seul chiffre en est ressorti : 1,5 milliard d’euros supplémentaires d’ici à 2022, tous dispositifs confondus. En moyenne, c’est 3,75 % d’augmentation de l’ensemble des dépenses publiques d’innovation. Cet argent était déjà promis par François Hollande. En réalité, il n’y a rien de nouveau. Il est difficile de voir là les moyens d’une véritable percée dans un domaine où l’on gagne du terrain à coups de milliards. Les investissements de recherche d’Amazon, à lui seul, s’élèvent à 16 milliards d’euros par an».

Effet d’annonce, vide de toute réalité, mais rien d’étonnant. Faisons un petit détour : à sa décharge comme ses prédécesseurs depuis une vingtaine d’années, ce gouvernement n’a qu’un seul mot à la bouche, «réforme», «réformer». Un petit détour par l’épistémologie grâce au Littré. «1625 : rétablissement de l’ancienne discipline dans une maison religieuse» ; «1690 : suppression des abus» ; «1762 : fait d’écarter de l’armée un homme… reconnu inapte au service» ; «1837 : mettre à la réforme, au rebut (Balzac )».
Nous en sommes bien là : réformer c’est mettre au rebut tout ce que l’on considère inapte, pour revenir aux anciennes disciplines et pratiques. A-t-on vraiment besoin de réformer, ne doit-on pas plutôt adapter?
Reformer donc c’est faire table rase de ce qui existe, de ce qui a été lentement construit, et regarder vers le passé (une bonne définition en somme de la politique actuelle du gouvernement), alors qu’adapter c’est prendre en compte l’existant et chercher à le faire coïncider à l’avenir avec les nouveaux enjeux.
Au final, en matière d’intelligence artificielle, tout ceci ne semble pas si éloigné de la politique gouvernementale actuelle.

Continuons la lecture de l’article de Médiapart, après le renoncement français que traduit l’inexistence d’un budget digne de ce nom : «Dans la chaîne de valeur de l’IA, la France n’a pas d’autres ambitions que de devenir un lieu de sous-traitance de certaines fonctions. En soi, pourquoi pas. Sauf que le pouvoir de décision ne sera pas maîtrisable par la France ou l’UE, mais par les géants privés. Or les conséquences de cette absence de pouvoir ne sont pas maîtrisables : les grands groupes privés feront leurs choix d’implantation en fonction de leurs intérêts. La place de la France dépendra ainsi de trois critères : le coût du travail, un niveau d’imposition faible et un flux de subventions publiques déguisées. Pour conserver les si précieux investissements, la France devra accepter ces trois conditions».
Puis «Mais il y a davantage. L’IA est aussi un enjeu éthique. C’est aussi pour cela que les représentants de l’intérêt général sont hautement concernés et devraient s’interroger sur la nécessité d’un développement autonome de la recherche publique dans l’IA. Là encore, Emmanuel Macron n’a pas manqué de recourir dans son discours à ses habituels termes ronflants sur le sujet. «Quand la technique sert le bien commun, tout va bien. Mais le jour où une start-up ne se référera pas à la préférence collective, nous aurons un problème», a-t-il affirmé … «La stratégie du gouvernement n’est pas étonnante : elle traduit cette confiance fondamentale de l’exécutif dans les mécanismes du marché et sa défiance envers l’action de l’État. Mais dans le cadre de l’IA, cette vision est à très haut risque : elle place la France dans un état de dépendance vis-à-vis des géants privés du secteur, conduit au renoncement sur la question de l’éthique, et risque de placer le pays sur un créneau de moyen de gamme qui a déjà prouvé ses limites dans d’autres secteurs ».

Comme en matière d’écologie, ce gouvernement est-il à la hauteur des enjeux? Ce gouvernement prend-t-il en compte les expériences passées et actuelles, a-t-il tiré les conséquences des échecs, des insuffisances des politiques d’aide à la recherche et développement ? Assurément non.

Ce gouvernement est-il toujours aussi obsédé par cette nécessité de casser, de réformer pour parler «start-up France», sans voir que les acquis actuels nécessitent d’être adaptés aux nouveaux enjeux ? Assurément oui.
La France débloque déjà, tous dispositifs confondus, 10 milliards d’euros par an dans l’innovation, sans que cette politique ait permis à la France de se hisser sur la scène mondiale du numérique.
Plus que miser sur une politique de subventions à l’ancienne, le chef de l’État dit vouloir solliciter l’investissement privé avec tous les risques que cela représente. M. Macron s’est démené pour pousser des fleurons de la technologie tels que Deepmind, Google, Samsung, Fujitsu, Microsoft ou IBM à annoncer ces deux derniers jours un centre de recherche, une chaire ou un plan de formation, mais à quel prix…

Également au cœur du plan présidentiel, la recherche. Elle constitue, en France comme ailleurs, le nerf de la guerre. Pour retenir les chercheurs français attirés comme des aimants par la Silicon Valley, Emmanuel Macron lance un «programme national», coordonné par l’Institut national de recherche en informatique et en automatique. L’objectif est de faire émerger «un réseau d’instituts dédiés localisés dans quatre ou cinq endroits en France», accompagné par un programme de chaires individuelles, afin «d’attirer les meilleurs chercheurs mondiaux et de doubler les capacités de formation en IA».

En revanche, le président de la République n’a pas voulu doubler les salaires des chercheurs du secteur public en France, alors que la faiblesse des rémunérations doublée de la difficulté de faire carrière en tant que doctorant dans l’Hexagone, décourage les vocations et pousse les meilleurs hors de nos frontières.

Chers doctorants, Chers chercheurs,
Vous avez le choix entre:
Des Honneurs Académiques, si vous travaillez pour la «start-up France» – avec peu voire pas de salaires et sans conditions de travail valorisantes.
ou la totale (salaire, conditions, honneurs…) si vous décidez d’aller travailler pour Google ou Microsoft…

Espérons qu’à terme, l’Intelligence artificielle puisse remédier au manque de bon sens qu’a perdu la France.
Les seuls honneurs pour seule motivation, ont très rarement nourri et incité l’homme à rester pour peu qu’il soit un minimum ambitieux.

Mais vu ainsi, nul doute que la France sera gagnante… ou pas.

MM.

En référence à l’article de Romaric Godin paru dans Médiapart, 30 Mars 2018- «Intelligence artificielle : la stratégie perdante du gouvernement» ici

L’opération Guéant doit servir d’exemple

L’opération Guéant en exemple…

A l’occasion de la journée mondiale de la lutte contre la corruption, le 09 décembre, Crim’HALT comme Alternative représentée par son Président Fabrice Rizzoli, avec l’Association Anticor, ont souhaité sensibiliser la population, sur la nécessité d’instaurer en France et à l’image de ce qui se fait déjà en Italie, le principe de l’usage social des biens confisqués par la justice.

Se sont joints à cette initiative, devant l’appartement de l’ancien Ministre Claude Guéant, les Associations DeputyWatch, Paradis fiscaux et judiciaires, le Collectif MetaMorphosis et Voltuan.

Communiqué de presse du 09/12/2017

« L’affaire Guéant doit servir d’exemple pour toutes les procédures de saisie de biens mal acquis en cours ou à venir, ainsi que le recommandent la Commission du Parlement européen CRIM, le Conseil de l’Europe et le Comité économique et social européen depuis 1999 »

Nous remercions la coopérative Valle del Marro en Italie, qui nous a transmis la plupart des photos qui apparaissent dans la présente vidéo. Valle del Marro – Libera Terra

MM.

Vous en rêviez ? le Portugal l’a fait !

Au pouvoir depuis fin 2015, le gouvernement du socialiste Antonio Costa a rompu avec les politiques d’austérité, tout en poursuivant le redressement des comptes publics. Manuel Caldeira Cabral, son ministre de l’économie, détaille pour le journal Le Monde, les efforts entrepris par le Portugal pour relancer son économie. Le ministre souligne que la reprise de l’emploi profite à tous.
Extraits : «Il est vrai qu’en 2017, notre produit intérieur brut [PIB] a augmenté de 2,7 %, soit plus que la moyenne européenne, alors qu’il progressait à un rythme inférieur ces dix dernières années. Mais le plus important est que nous avons retrouvé une croissance équilibrée, car elle n’est pas alimentée par une hausse des dépenses publiques. Notre déficit public est tombé de 4,4 % du PIB en 2015, à 0,9 % en 2017 [sans compter la recapitalisation de la banque publique Caixa Geral de Depositos]».
«En outre, cette reprise est inclusive – la proportion de Portugais sous le seuil de pauvreté a été ramenée de 27 % à 23 % de la population, et la reprise de l’emploi profite à tous, notamment aux jeunes. Enfin, nos entreprises ont augmenté leurs parts de marché aux Etats-Unis, en Chine ou au Brésil. Les exportations ont progressé de 11,2 % [en 2017], plus que la moyenne européenne».

Certes, le Portugal partait de loin.

Arrivé au pouvoir sur fond de rejet des politiques d’austérité menées par le gouvernement de centre-droit de Pedro Passos Coelho, la coalition de gauche présidée par le socialiste Antonio Costa mène depuis 2015 une politique originale de réduction des déficits et de relance de la croissance par la demande. La coalition entre socialistes, communistes et anticapitalistes du Bloco de esquerda a voté le 30 novembre dernier un budget 2018 qualifié d’« anti-austérité ». En effet, ce budget prévoit notamment une augmentation des impôts pour les entreprises, une baisse des impôts pour les classes moyennes, ainsi qu’une revalorisation du salaire minimum à 600€ et des pensions de retraite. Parallèlement, le gouvernement s’est engagé à réduire significativement le déficit public. Les politiques de flexibilisation du marché du travail engagée sous le précédent gouvernement ont également été inversées. Le chômage est ainsi passé de 17,5% en 2013 à 9,4% en 2017, tandis que la précarité s’est sensiblement réduite en comparaison aux années de crise et d’austérité.

Comment le Portugal est-il parvenu à un tel succès ?

Il semble effectivement que l’encouragement de la demande porte ses fruits et dynamise la consommation nationale, mais cela n’explique qu’à la marge le retour des investisseurs au Portugal. Les industries exportatrices ont, en effet, fait leur grand retour au Portugal, notamment dans le domaine de l’automobile (VW, Bosch, Continental), des textiles ou de la chaussure. Elles sont attirées par la qualité de la main d’œuvre (plutôt meilleure qu’en Europe orientale) et son coût compétitif.
Le Portugal s’est également lancé dans une politique d’investissement dans l’immobilier haut de gamme, visant à attirer une clientèle européenne aisée, et source d’importants revenus. Ainsi, malgré le scepticisme initial de Bruxelles, force est de reconnaître que le Portugal s’en sort bien mieux que les autres pays touchés par la crise de la dette souveraine en Europe, aussi bien en termes de lutte contre le chômage que de réduction des déficits. De sorte que le succès portugais fait des émules chez Podemos en Espagne ou au Labour de Jeremy Corbyn, tandis que le FMI salue les progrès effectués par le Portugal.
«Nous avons l’occasion d’en finir avec la théorie selon laquelle l’Europe est condamnée à un avenir fait uniquement d’austérité. Le modèle portugais est une recette exportable dans tout le continent», a assuré le ministre des Finances, Mário Centeno.

Si nous résumons : le Portugal n’a presque plus de déficit budgétaire, bénéficie d’une des meilleures croissances de la zone euro, a fait baisser son chômage, diminué la pauvreté, a augmenté le salaire minimum, a stoppé les politiques de flexibilisation du travail, et attire les investisseurs.
Le miracle économique et social portugais s’est réalisé en moins de 2 ans avec une politique pourtant opposée aux demandes de la Commission européenne. Ces succès prennent indéniablement à contre-pied Bruxelles.

On nous rétorquera que ce redressement reste fragile, qu’il repose en partie sur les performances de ses voisins directs, que ces résultats ne sont pas forcément transposables compte tenu de la taille de l’économie portugaise… Cela est sûrement vrai en partie, mais au moins, au Portugal, il se passe quelque chose! Et quelque chose de positif!

D’un côté les tenants de la doxa du tout austérité menée par le FMI, la Commission Européenne, l’Allemagne et la France macronienne. Pour eux pas d’autre politique possible que celle consistant à une réduction massive des dépenses publiques, un transfert massif de richesse des classes pauvres et moyennes vers les entreprises et les classes très aisées, et une abolition de tout type d’avantages sociaux, de l’État providence en somme. Leurs résultats sont soit inexistants (le cas de la France macronienne), soit en trompe l’œil, baisse du chômage et augmentation concomitante de la pauvreté, excédents massifs réalisés sur le dos de ses voisins (cas de l’Allemagne). D’un autre côté, le cas du Portugal avec sans aucun doute ses faiblesses et ses spécificités mais qui a le mérite d’exister et surtout d’être essayé, avec succès : baisses simultanées des déficits publics, des taux de chômage et de pauvreté, gains de productivité importants des entreprises en dépit de l’augmentation de leur taux d’imposition. Les macronistes vont en perdre leur latin…

Cerise sur le gâteau, à l’attention de tous nos excités des cadeaux fiscaux, de la destruction des statuts et des protections, à tous nos adorateurs des «verrou de Bercy» et autres procédures de «plaider coupable», à tous nos pseudo-républicains radicalisés prêts à aller vomir leur haine sur les plateaux de télévision à chaque attentat, le corps social et politique portugais n’est pas gangréné par les mouvements populistes et extrémistes. On ferait bien, en France notamment, de méditer sur cette situation.

Vous en rêviez ? le Portugal l’a fait ! Sans doute en France, nous préférons vivre tranquillement dans notre misère économique et politique…

MM.

En référence à l’article du journal Le Monde du 30 Mars 2018 : Le ministre de l’économie du Portugal affirme que son pays «a retrouvé une croissance équilibrée» (ici)

Lutte contre la fraude fiscale… une autre fois, peut être !

En référence à l’article de Médiapart du 28 Mars 2018 « Fraude fiscale : les demi-mesures de Bercy » par Romaric
Godin, (ici).

Pour avoir déjà à plusieurs reprises traité cette question de la lutte contre la fraude fiscale dans MetaMorphosis, nous ne reviendrons pas ici sur le détail des «demi-mesures» annoncées par Bercy. D’autant plus que l’article de Romaric Godin dans Médiapart suffit à cette mission et justifie une lecture attentive, notamment au sujet du «verrou de Bercy» dont l’abolition est la condition sine qua none à toute politique censée de lutte contre la fraude fiscale.

Sans surprise sur cette absence évidente de volonté du gouvernement à vouloir lutter efficacement contre la «grande» fraude fiscale, nous souhaiterions juste revenir sur les présupposés d’une telle attitude qui résident comme nous l’avons déjà évoqué, sur des postures proprement idéologiques totalement déconnectées de la rationalité économique et leur servant pour autant, de justification.

Deux points méritent d’être soulignés :
Tout d’abord, comme nous l’explique Médiapart : «Le projet de loi contre la fraude fiscale présenté ce mercredi 28 mars en conseil des ministres est l’occasion de montrer que le gouvernement n’entend pas plaisanter avec ceux qui refusent d’apporter leur contribution pleine et entière aux ressources de la collectivité. C’est surtout l’occasion de prouver que l’exécutif sait se montrer sévère avec les entreprises et les plus riches. La lutte contre la fraude fiscale serait alors le pendant des baisses d’impôts sur le capital, ses revenus et les bénéfices, mises en place dès le 1er janvier et qui ont tant de mal à passer dans l’opinion. Le taux d’imposition baisse, certes, mais l’État affirme qu’il va désormais s’assurer que chacun paie son dû».

Pourquoi pas ! Il n’est pas du tout absurde – si les présupposés économiques qui prévalaient à un tel énoncé étaient effectivement «rationnels» – de développer d’un côté un plan de baisses fiscales en vue de dynamiser l’économie, d’un autre côté de s’assurer que les bénéficiaires de ces mesures paient effectivement leur contribution à la société.
Une fois de plus avec ce gouvernement c’est la méthode qui choque, une fois de plus nous nous demandons de quelle «planète économique» ils viennent.
Pour quiconque travaillant en entreprise, de surcroît dans des secteurs commerciaux soumis à la réalisation d’objectifs, une telle méthode de travail est une ineptie. Nos Macron, Le Maire ou Darmanin, si friands d’argent public, n’ont pas dû être souvent confrontés à ce type de contraintes ; sinon ils sauraient qu’une telle articulation ne peut être au mieux que concomitante, normalement consécutive.
C’est un peu comme si on offrait à un commercial sa prime sur résultats avant même de les avoir effectivement réalisés. Ça se passe peut-être comme ça dans le monde rêvé de notre trio, mais pas dans la vraie vie. Dans la vie de la rationalité économique, on s’assure préalablement que l’assujetti fiscal remplit intégralement ses obligations avant de lui accorder des déductions ou avantages qui ne viendront que compliquer un peu plus la surveillance de la réalisation du premier objectif. Ou alors, on ne s’y prendrait pas autrement si nous avions pour idée de ne pas trop chercher de poux aux fraudeurs fiscaux.

Ensuite, et nous en revenons à un grand classique avec cette nouvelle majorité, c’est cette faculté de vivre dans un monde de bisounours et de croire aveuglément en ses propres certitudes, loin de toute efficacité et rationalité économique qui pourtant semblent fonder son action même.

Revenons à l’article de Romaric Godin : «La réalité, c’est que le gouvernement n’a pas la fraude fiscale comme priorité, mais ce qu’il estime être la compétitivité. Et cette compétitivité passe, à son sens, par une complaisance envers les plus fortunés et les entreprises. C’est ici le sens du « plaider-coupable » et du maintien du verrou de Bercy : garder le contact avec les entreprises, maintenir la possibilité de négocier, ne jamais s’opposer ouvertement à elles. C’est aussi pour cette raison que cette loi évite le sujet autrement plus brûlant de l’optimisation fiscale légale et que, à Bruxelles, Paris freine pour que soit instaurée la présentation de résultats pays par pays. Le cœur de la politique économique du gouvernement est de protéger les entreprises et de leur donner plus de capacité de faire des profits. Toute la politique du gouvernement est contenue dans cet espoir un peu naïf que les entreprises, et surtout les plus grosses, rendront en emplois un peu de cette bienveillance gouvernementale».

Vivons d’espoir, c’est un peu le seul horizon de cette politique fiscale.
Que le fisc soit bienveillant – et on se donne tous les moyens avec le «verrou de Bercy» et le «plaider-coupable» – avec les entreprises et les fraudeurs fiscaux, que le gouvernement les caressent dans le sens du poil en leur octroyant baisses et avantages divers, et prions pour qu’ils nous le rendent bien! Là aussi, pourquoi pas ? Sauf que nous savons depuis longtemps que ça ne fonctionne pas ainsi, qu’aucune expérience ne vient confirmer la véracité d’une telle affirmation, que les expériences passées ont au contraire démontré l’inanité de telles politiques.

Lutter contre la fraude fiscale c’est donc vivre, plein d’espoir, dans un monde imaginaire… Bon courage !

MM.

Aux petits hommes, l’Humanité pas reconnaissante !!!

Victor Hugo prenait plaisir à affubler Napoléon III du sobriquet de Napoléon le Petit.
Une façon de dire qu’il n’est pas toujours aisé de se glisser dans un costume trop grand pour soi. Les discours, formules toutes faites et actes politiques marqués du sceau de siècles anciens et révolus du Petit Président nous font penser que les enjeux et la complexité du monde nouveau sont trop grands pour lui.
Il y a comme une résonance de l’histoire que devant l’incompréhension d’un monde complexe et pluriel, le retour aux schémas de pensée anciens est la seule façon que le faible et le peureux sait donner à son action. S’il ne comprend pas -et ne cherche pas à comprendre- ce que sera fait demain, mieux vaut alors retourner aux recettes d’hier qui, même si elles n’ont pas fonctionné, ont le mérite d’avoir été déjà expérimentées.

Un seul exemple pourrait suffire : de quoi sera fait le travail demain avec sa mécanisation à outrance et l’émergence de l’intelligence artificielle? Faut-il réétudier et réévaluer la notion même de travail, économiquement parlant mais surtout d’un point de vue anthropologique et sociologique? Faut-il revoir notre conception de la valeur ajoutée en ne la limitant plus au seul travail humain? Autant de questions et bien d’autres auxquelles il ne sera pas répondu. Pour le Petit Président et ses congénères, pour lesquels la seule loi est de «ne pas respecter les règles», faisant d’eux et de l’État comme le soulignait très bien Pier Paolo Pasolini, de purs anarchistes, la réponse est de revenir à une notion du travail avant l’institutionnalisation du salariat.
L’Histoire avance par sauts de géants dans le passé.

Mais ne soyons pas médisants et positivons… Nicolas Sarkozy (encore un «petit» Président) avait réglé la crise financière de 2008 en quelques semaines. Mieux encore, on s’en souvient tous, il avait mis fin aux paradis fiscaux en deux coups de cuillère à pot.
Quand on entend aujourd’hui le Commissaire européen Moscovici se glorifier d’avoir purgé l’Europe de ses paradis fiscaux, nous avons envie de crier au plagiat !

Le plus grand défi contemporain est sans aucun doute le réchauffement climatique et toutes ses conséquences sur la flore, la faune, les sols, l’eau, les déplacements de populations… Ces dernières semaines nous ont encore apportés des confirmations de l’urgence en la matière, n’en déplaise à Trump, mais à sa décharge, il ne peut pas jouer au golf et s’occuper de la planète; de toute façon il n’a toujours pas compris la différence entre climat et météo.
Ainsi une centaine de chercheurs bénévoles de 45 pays ont publié le 23 Mars une étude montrant une disparition progressive et rapide des terres cultivables, donc à terme des ressources alimentaires. Le 13 Mars une autre étude mettait en évidence que près de la moitié des espèces animales était menacée à court terme. Une autre encore -et l’on pourrait malheureusement multiplier les exemples- de la Banque Mondiale, insiste sur l’accroissement des populations déplacées et l’augmentation inquiétante du processus.

Face à ces enjeux, que fait donc la France ? C’est vrai, le grand Chef auto-proclamé de l’écologie, Nicolas Hulot, réfléchit à réintroduire deux ourses dans les Pyrénées. Il doit bien avoir peur le réchauffement climatique !! En fait non, il doit bien rire car le même Hulot, «en même temps», autorise la construction de milliers de kilomètres d’autoroutes. Nous, à la place des ourses, nous dirions « merci mais sans nous… ».
Petit Président n’est pas en reste et c’est Médiapart sous la plume de Jade Lingaard qui nous conte cette magnifique fable. On se souvient du coup marketing (le climat est avant tout une affaire de communication) après l’annonce de Trump à la sortie de l’accord de Paris «Make Our Planet Great Again».

Cette fois-ci nous avons droit à un film «promotionnel».
Médiapart nous raconte :
«Un esprit frappeur a-t-il détourné le compte YouTube de la présidence de la République ? Depuis le 24 mars, jour de passage à l’heure d’été, une vidéo nous fait entendre la voix d’Emmanuel Macron.
Il parle en anglais, avec son accent légèrement nasillard et explique que «nous perdons notre bataille contre le changement climatique mais aussi contre l’effondrement de la biodiversité». Cette phrase, il l’a déjà prononcée lors du One planet summit, le sommet du business sur le climat qu’il a organisé à Paris en décembre. «Si vous ne voulez pas vous réveiller un matin et qu’il soit trop tard, montrez que vous vous sentez concernés. Que vous êtes prêts à rejoindre le combat pour la nature», poursuit-il, prenant son élan oratoire avant de livrer le cœur de son message : «Éteignez toutes vos lumières. Je suis en train de le faire ici, au palais de l’Élysée.»
De fait, au même moment, défilent des images de l’intérieur de l’Élysée plongeant dans l’obscurité. À la fin du plan, même le bâtiment présidentiel devient invisible.
Éteignez vos lumières ? «Cette action est importante», poursuit la voix. Certes nous devons totalement changer notre manière de consommer, produire, et de nous comporter. Mais «des millions de personnes sont déjà unies dans le monde. Connectez-vous à la terre».

Fallait y penser ! «Éteignez vos lumières»

Et Jade Lingaard de poursuivre : « Demander à chacun d’éteindre ses lumières, c’est la négation de trente ans de politiques environnementales. C’est exactement le contraire de ce qu’il faut faire pour réduire massivement les émissions de CO2 : une politique systémique, de long terme, et de fond. Pire, c’est la caricature du discours écologiste sur le petit geste citoyen que des milliers de militants, chercheurs, acteurs des politiques publiques et chefs d’entreprises combattent depuis des années ».

Un peu d’audace, une vision, des actions à long terme, des engagements suivis et tenus…c’est sans doute trop pour notre couple d’apprentis écologistes. Comme pour l’emploi, les gens qui ne veulent pas comprendre l’avenir, regardent vers le passé et nous resservent de vieilles comptines qui datent des années 70 et du premier choc pétrolier.
«Alors Mister President : atterrissez, rallumez vos lumières et faites-nous un vrai plan d’action pour le climat, avec plein d’indemnités kilométriques vélo et des logements à très basse consommation dedans. Please».

MM.

En référence à l’article de Médiapart, du 27 Mars 2018 : «Syndrome de l’interrupteur à l’Élysée Palace» (ici).

Cachez ce que je ne saurais voir mais surtout faites moi voir ce qui est caché…

86 % des 270 000 demandeurs d’emploi contrôlés remplissent toutes leurs obligations. Et sur les 14% radiés, seuls 40 % étaient indemnisés par l’Unedic (enquête nationale Pôle Emploi 2016).
40 millions d’euros par an : c’est l’estimation du coût des fraudes à Pôle emploi, quand celui de la fraude fiscale représente dans le même temps, entre 60 et 80 milliards (selon les estimations).

Ce n’est donc pas par pure rationalité économique que l’accent est mis sur le contrôle des chômeurs plutôt que sur d’autres types de fraudes. Situation toujours aussi énigmatique où les apôtres de l’efficacité et de la rationalité en économie sont les premiers à hiérarchiser leurs priorités en totale opposition à ces principes.
Alors on nous remet sur la table ce qui est présenté comme l’argument «infaillible», que les pays scandinaves ont depuis longtemps mis en place une obligation pour les chômeurs d’accepter les emplois proposés.
Cette comparaison est peu convaincante. D’une part, le chômage y est beaucoup plus faible et les moyens des services d’accompagnement et de formation pour l’emploi sont plus importants. D’autre part, ces sociétés sont moins inégalitaires; le mépris ou le soupçon envers les pauvres est moins ancré dans leur histoire et les mentalités.
En France, les services de Pôle emploi peinent déjà à assurer un suivi pour chacun, les formations proposées sont de qualités très inégales et c’est souvent l’offre disponible plutôt que les besoins réels des usagers qui détermine les stages suivis.

C’est donc moins la sollicitude envers les chômeurs que la méfiance à leur égard qui motive la (énième) réforme de Pôle Emploi. Après tout, le ton était déjà donné. Notre président n’a-t-il pas reproché aux travailleurs en lutte de «foutre le bordel» au lieu de changer de département pour trouver un emploi ? N’a-t-il pas qualifié les opposants à la loi travail de «fainéants» ? À noter que l’usage du mot «fainéant» a augmenté fortement à la première moitié du XIX siècle, avant de redescendre doucement jusqu’aux années 1970, puis de revenir en fanfare avec la crise de 2008. Cette référence au XIXe siècle n’est pas anodine. C’est de cette période que date la méfiance à l’égard des pauvres.
Comme nous le rappelle Marc Loriol, sociologue et chercheur au CNRS, «de la Révolution française découle un double principe contradictoire : celui du caractère sacré de la vie humaine — d’où un devoir d’assistance pour ceux qui ne peuvent travailler du fait de leur âge ou d’une invalidité —, et celui de la responsabilité individuelle qui fait de chacun l’artisan de son bonheur ou de son malheur. L’idée de chômage comme absence d’emploi n’existe pas encore. Si les révolutionnaires de 1789 avaient posé une distinction entre bons et mauvais pauvres, rendant ces derniers responsables de leur état, ceux de 1848 ont imaginé, avec les ateliers nationaux une autre solution : offrir des emplois d’utilité publique dans les grandes villes. Un projet vite abandonné. Il faut attendre la fin du XIXe, avec les progrès des techniques d’assurance, le développement des grandes entreprises et de la comptabilité nationale, pour que s’impose l’idée de chômage involontaire. Quand une grande entreprise ferme, difficile de nier que le chômage en résultant est involontaire. D’ailleurs, au début, seuls les anciens salariés des grandes entreprises étaient comptabilisés comme chômeurs. «L’invention du chômage», c’est-à-dire sa reconnaissance comme un risque social (et non un choix individuel) s’est faite progressivement entre la fin du XIXe siècle et les années 1950 ».

Aujourd’hui, dans le discours d’Emmanuel Macron et certains ministres ou députés LREM, il semble y avoir un retour de la méfiance envers les pauvres qu’il faudrait pénaliser pour éviter les «abus».
Cette méfiance est non justifiée. Nous le rappelions en introduction, fin 2016 les contrôleurs de Pôle emploi ont épluché 270 000 dossiers. 86 % des personnes contrôlées remplissaient bien leurs obligations de recherche active d’emploi, de formation. Les 14 % restantes pouvaient recouvrir des situations très hétérogènes. Certaines sont découragées par des échecs répétés ou des démarches qu’elles ne comprennent pas ou jugent inutiles. D’autres peuvent refuser des offres pour des raisons rationnelles comme ne pas bloquer ses chances d’obtenir un emploi plus stable ou plus en accord avec leurs compétences. Parfois, les coûts économiques et sociaux d’une mobilité géographique et professionnelle ne sont pas compensés par les avantages en cas d’emploi précaire et mal rémunéré. Parmi ces chômeurs «rationnels», évoquons les cadres qui ont réalisé une belle carrière, avec un bon salaire, mais qui ont perdu leur emploi car «trop coûteux» ou en désaccord avec des politiques de restructuration visant la rentabilité à court terme.
En raison de leur âge, il leur est difficile de retrouver un emploi au même niveau de salaire et de responsabilité. Reste une minorité de chômeurs, ceux qui peuvent considérer que, compte tenu de leur faible niveau de qualification et des salaires faibles des emplois proposés, pénibles et peu épanouissants, les périodes de chômages sont un moyen de développer des projets personnels plus intéressants. Par rapport à ceux qui acceptent ces emplois, leur position peut être jugée moralement comme répréhensible. Mais ils sont peu nombreux, se contentent d’un niveau de vie modeste et parviendront parfois, grâce à leur projet personnel, à réaliser une reconversion vers une activité plus valorisante qui les éloignera du chômage.
Les personnes voulant rester au chômage pour garder un filet minimum de protection sociale tandis qu’elles exercent une activité au noir, voire illégale, sont très peu nombreuses. Pourtant, c’est ce cas peu représentatif qui est généralement brandi pour justifier des mesures contre les chômeurs.

Si nous ne sommes pas sur une posture de rationalité économique quelle est donc la finalité de ces gesticulations ?

La recherche d’un bénéfice politique à moindre coût. Le sociologue Norbert Elias a caractérisé le racisme par le fait d’assimiler ceux de son propre groupe aux meilleurs de leur catégorie et les autres aux pires. Le racisme de classe n’échappe pas à cette logique. Alors que «ceux qui réussissent» (selon les termes de Macron) sont plutôt vus comme des entrepreneurs innovants qui ouvrent des marchés et créent des emplois (et non comme des héritiers adeptes de l’optimisation fiscale), le soupçon est jeté sur les chômeurs en les assimilant aux quelques fraudeurs évoqués précédemment.
Une telle posture reflète sans doute les préjugés liés à l’origine sociale de Macron et des politiciens d’En Marche. Elle permet de déculpabiliser face à la forte remontée des inégalités. Elle est aussi politiquement facile. Car nous sommes paradoxalement plus choqués par le détournement de quelques centaines d’euros par notre voisin, que par celui de millions d’euros par des personnes très éloignées de notre univers quotidien.
Facile également car elle fait passer le chômage pour une question de responsabilité individuelle et non de création d’emplois. Facile enfin car elle possède un avantage pour le gouvernement : décourager plus de personnes à effectuer les démarches pour être indemnisées, radier davantage de demandeurs d’emplois et pousser les autres à accepter des emplois précaires ou mal payés. À chaque nouvelle sanction envisagée, la stigmatisation des chômeurs culpabilise plus encore les demandeurs d’emplois.
Le seul problème français est celui de la création d’emplois qui dépend de la politique macroéconomique du gouvernement. Marc Loriol nous le rappelle : «Il faut insister là-dessus : le gouvernement est dans la diversion permanente ; il détourne l’attention des vrais enjeux. Par ailleurs, ces mesures vont inciter les chômeurs à accepter des emplois précaires. Le projet libéral du gouvernement repose sur l’idée qu’on ne peut plus offrir le plein-emploi, et que la seule chose que la société puisse viser, c’est de contraindre les gens à accepter des miettes de travail. Et en effet, sur le papier, si vous obligez tous les chômeurs à travailler deux ou trois heures par semaine, vous n’avez plus de chômage…».

Tout n’est qu’affaire de statistiques.

Cachez ce que je ne saurais voir mais surtout faites moi voir ce qui est caché…

MM.

En référence à l’article paru dans Le Monde du 19 Mars 2018 : « Unédic, chômage… le gouvernement présente ses arbitrages » (ici).