Lanceurs d’alerte, échouez, la reconnaissance est à ce prix !

Vincent Crouzet, l’un des meilleurs connaisseurs des affaires Areva / Uramin, nous rappelle dans un billet publié ce jour sur le blog de Médiapart (ici), les anciennes fonctions (Président du Conseil de Surveillance) dans ce Groupe au moment de la folle et catastrophique aventure Uramin, de Jean-Cyril Spinetta, auteur d’un rapport sur « l’avenir du transport ferroviaire ».
Nous pourrons également consulter l’article de Martine Orange « le Rapport téléguidé pour justifier le démantèlement de la SNCF » du 15 Février dans Médiapart (ici). Pour faire simple, on est en face d’un Rapport très français, marqué du sceau de la complaisance des réseaux incestueux privés-publics. Un rapport du style : « donne-moi les réponses, je t’écris les bonnes questions »…

Le moins que l’on puisse dire c’est que ce Jean-Cyril Spinetta n’a pas fait l’objet d’une grande clairvoyance lors de ses fonctions chez Areva. Plus étonnant, mais très révélateur surtout avec le recul, il défend la gestion du Groupe, y compris l’acquisition d’Uramin, quand il en était le Président. Même devant l’évidence, il y a une incapacité à reconnaître ses erreurs, attitude tellement répandue dans la haute administration, publique ou privée, qu’elle n’est sans doute pas étrangère à la multiplication de scandales et d’échecs industriels. S’il ne s’agissait que de Jean-Cyril Spinetta… mais la liste de ces grands commis / gestionnaires titulaires de casseroles (quand ce n’est de batteries entières) qui continuent à donner leurs conseils de « bonne gestion », et vous dire ce que l’on doit « impérativement faire », est longue. Ce que l’on oublie souvent c’est que derrière ces rapports et conseils, il y a certes de l’argent public, mais surtout des salariés et leurs familles, des sous-traitants, des fournisseurs et tant d’autres qui deviennent victimes de l’incompétence de certains. Nous n’en ferons pas la liste ici, arrêtons nous juste sur le plus emblématique d’entre eux, Conseil depuis des dizaines d’années de la plupart des leaders politiques et des propriétaires ou dirigeants de grands groupes, Alain Minc.
L’hebdomadaire Marianne du 25 Août 2015 résume parfaitement son aura visionnaire : « On l’aime bien, Alain Minc. Il y a chez lui une mystérieuse force d’inertie face aux signes avant-coureurs d’une catastrophe ». En janvier 2008 déjà, alors que tous les indicateurs viraient au rouge foncé, notre Pythie libérale expliquait que «le système financier» est «régulé avec un doigté tel qu’on éviterait une crise, qui aurait pu être quand même de l’ampleur des très grandes crises financières qu’on a connues dans le passé !» Et d’ajouter : «C’est quand même un univers au fond qui est très résilient, qui est très bien régulé». Il concluait ainsi : «L’économie mondiale est plutôt bien gérée». Puis, en juin 2008, trois mois avant un crash qui allait mettre à terre l’économie mondiale : «Le risque de grand dérapage est a priori passé».

D’un côté, il y a la parole officielle, donc labellisée vraie, tenue par des personnes n’ayant aucune ou une faible légitimité à la tenir. Mais leur appartenance à un système de cooptation consanguin public-privé valide sans autre contrôle ou contradiction leurs propos et propositions. D’un autre côté il y a ceux, et au premier rang les lanceurs d’alertes, au fait des réalités de la gestion quotidienne des organisations, de leur insuffisance et parfois de leurs errements et fautes, qui peinent à se faire entendre. Mais que vaut cette parole ? Rien, on l’aura compris. Mais avant d’en arriver là, cette parole va passer par toutes les couleurs de l’ignominie : mensonge, chantage, vengeance… folie même… Surtout ne posez pas la question de savoir si le Sir Jean-Cyril Spinetta est le mieux avisé et désintéressé pour parler du statut des cheminots, surtout n’osez pas la question de savoir si ses liens économiques, politiques et sociologiques en font le meilleur observateur de « l’avenir du transport ferroviaire », surtout ne pensez pas même à demander si sa cruelle absence de clairvoyance lors de son passage chez Areva ne serait pas de nature à le disqualifier d’entrée pour une telle réflexion.
Nous avons tous connu dans nos carrières professionnelles des gens, honnêtes et impliqués, définitivement disqualifiés à l’accession à certains postes hiérarchiques plus élevés, pour des petites erreurs aux conséquences sans comparaison avec l’affaire Uramin. Et ne parlons même pas des lanceurs d’alerte disqualifiés à jamais moralement et professionnellement, pour… avoir simplement fait leur travail et respecté leurs obligations.
Beaucoup de nos donneurs de leçons ne peuvent pas en dire autant…

MM.

Éthique de l’entreprise: le Crédit Mutuel vous fait la leçon

« Le droit de l’Union Européenne permet-il une éthique de l’entreprise ? » C’est ce à quoi essayera de répondre Nicolas Théry, président du Crédit Mutuel, lors d’une conférence au Parlement Européen devant les étudiants de Sciences Po Strasbourg ».

Les classiques distinguaient à juste titre les valeurs des vertus.
Les valeurs sont des normes établies conventionnellement par la Société pour faciliter le «vivre ensemble».
Les vertus sont du domaine de l’individu, ce qu’il estime devoir être juste de penser et de faire dans une situation donnée. Un citoyen peut être emprunt de valeurs (que n’entend-on nous pas aujourd’hui sur les fameuses «valeurs de la République») sans être pour autant vertueux. Il y a dans ces notions anciennes quelque chose de nos légalités et légitimités modernes.
Revenons à cette conférence au Parlement Européen qui a tout d’un poème. Le sujet de la conférence est à lui seul un exemple de la schizophrénie de nos dirigeants. Beaucoup de questions pour une si courte phrase : Une entreprise peut-elle avoir une éthique, et si oui, laquelle ?
En quoi le droit, de l’Union Européenne a fortiori, définit-il l’éthique des organisations ?
Qu’est ce que le droit vient faire avec l’éthique qui relève des vertus de chacun ?
Si cela était le cas, pourquoi une forme interrogative alors que le droit s’impose à tous ?
Les «inventeurs» de cette conférence ne doivent pas être dupes, puisqu’ils demandent à l’orateur «d’essayer d’y répondre»…
On aurait pu faire beaucoup plus simple, mais l’intervenant se serait-il prêté au jeu ? Les entreprises et plus particulièrement le Crédit Mutuel, respectent-ils le droit Européen ?
C’est sûr, cela aurait pu être embarrassant !! Parce qu’au final, avant de demander à Mr Théry de disserter avec Platon et Socrate, ce que nous attendions de ses prédécesseurs, et ce que nous attendons aujourd’hui de la justice, c’est qu’ils respectent et fassent respecter la loi.
Quoiqu’il en soit, ça n’était pas les sujets qui manquaient. Le Bavard nous en fait un petit résumé ici:

Après, de quoi parle t -on? Ou plutôt de quoi allons nous (tout faire pour) ne pas parler? Et enfin, qui parle ?
Mr Théry, digne successeur coopté du grand manitou du Crédit Mutuel Mr Lucas, pur produit d’un système qui ne brille guère (au regard des affaires en cours) par son éthique, mais pourquoi pas, il a droit aussi à la parole.
Les organisateurs se sont donné déjà tellement de mal pour formuler le thème du débat qu’ils ont courageusement choisi le format d’une conférence, laissant la parole au seul intervenant principal, sans contradicteur. Et ce qui était prévu est arrivé : vérités assénées à l’emporte pièce, raccourcis pour faibles d’esprit, leçons en veux-tu en voilà, quelques pures fake news confirmant une nouvelle fois que politique et chefs d’entreprises en sont les premiers divulgateurs.
On en vient pour finir à savoir: d’où parle t-on? Et là, nous n’avons pas fait économie de symboles…
Le lieu d’abord, le Parlement Européen, législateur supra-national, qui dit ce qui doit être fait et ce qui est moral pour toute l’Europe.
Quelle belle tribune pour un capitaine venant nous vanter que son armée agit par éthique !
Quelle belle tribune pour y dire naturellement ce qui est bien, pour y déposer une couronne de lauriers sur la tête du Sénateur ! Et enfin l’auditoire, des étudiants de Sciences Po futures élites de la Nation au service de l’éthique de l’Etat et des Entreprises, en un mot une belle mascarade où le Prince est assuré avant même d’avoir commencé, d’obtenir les louanges de ses sujets.
Pour qui a fait Sciences Po, quelle tristesse! Que sont devenus ce qui faisait la noblesse de son enseignement, le sens critique et la recherche des réalités cachées derrière les discours?
Nous avons envie de dire au Crédit Mutuel : « Arrêtez de vous ennuyer avec la gestion d’un empire de presse régionale, on vous fait de la publicité gratuite sans que vous ayez besoin de la demander… Alors Bolloré avec ses censures de reportages, il nous fait bien rire !! »

MM.

La méritocratie, la belle affaire !

Grâce à Médiapart « La belle carrière de Valérie Hortefeux dans les affaires » ( ici) nous apprenons que malgré les affaires, le business continue.
L’une des promesses du libéralisme pourrait être résumée ainsi : « aide-toi, le marché t’aidera… ». Les pères fondateurs de l’économie néo-classique nous ont répété à l’envie que la nouvelle hiérarchie sociale, à naître sur les cendres de l’Ancien Régime, serait basée sur la méritocratie. Finis les liens du sang, les copinages et autres favoritismes… Celui qui se dévouera au travail, se formera pour acquérir des compétences et s’adapter à un monde en changement (« les premiers de cordée » macroniens), celui qui ne comptera pas ses heures (les « ceux qui se lèvent tôt » sarkoziens), celui qui épargnera pour les générations futures (toute la doxa du FMI)… celui-ci sera justement récompensé par un système qui pose comme valeurs principales le travail et les compétences.
Nous savons depuis longtemps que tout ceci est baliverne. Nous savons depuis les travaux de Piketty et consorts, chiffres sur longue période à l’appui, que tout ceci est… faux. Depuis les premiers jours de la révolution industrielle, mieux vaut être rentier ou bien naît que travailler. Depuis les premiers pas de l’industrialisation, mieux vaut ne pas travailler si l’on veut, pour soi-même et pour ses descendants, des jours heureux.
Les chiffres recensés dans le «Capital au XXI siècle » sont accablants. Depuis les premiers soubresauts de la mondialisation, la situation n’a fait que se confirmer et empirer, le creusement inexorable des inégalités étant la démonstration indiscutable de l’échec de cette promesse du libéralisme.
Mais il y a Mme Hortefeux. Et Mr Bolloré. Et tous les autres cités dans l’article de Médiapart qui finissent par faire des Conseil d’Administration des multinationales de grands conseils de famille…
Peu importe les compétences, l’expérience, les diplômes, les éventuelles réussites à des postes similaires, la capacité du postulant à prouver qu’il est le meilleur choix à ce poste… a-t-il, tout simplement, même plus les relations, mais les affinités, les connivences ?
On ne parlera même pas des salariés « qui ne sont rien » (Macron), hors course depuis longtemps. Mais comment obtenir dans un tel système l’adhésion des cadres et cadres dirigeants qui s’opposent tous les jours à des grilles d’évaluation incompatibles entre elles car reposant sur des critères par essence biaisés.
A MetaMorphosis, après avoir entendu nombre de lanceurs d’alertes, nous sommes marqués par une litanie qui revient en boucle : tous ont été confrontés à une hiérarchie de façade, sans compétences ni charisme, sans réussite probante à son actif… sans légitimité. Des gens placés là, pour faire ça. La rémunération et les avantages sont proportionnels à la gravité du ça… Ces gens ne sont que des petits soldats, en charge des sales besognes des Conseils familiaux.

MM.

Carte blanche à Lara Miskhor, ex-clerc de notaire, lanceuse d’alerte

Les visiteurs du soir

Nous sommes dans une petite ville de province, où les rues sont en pente et « pissent dans les deux langues » (Jacques Brel)
Ils sont arrivés discrètement le soir, dans les berlines germaniques un peu trop imposantes, des chaînettes d’or aux poignets un peu trop brillantes, et un je-ne-sais-quoi de manières mauvais genre qui me mettait mal à l’aise.
Que venaient-ils se perdre sur les pavés du nord ?
Y commettre tout d’abord un péché véniel. Pour ce faire, il leur faut un notaire, efficace, discret, et peu regardant.
Ils sont marchands de biens (mal acquis) acquis, en effet, ils ne le sont pas très bien.
Lorsque l’on achète un immeuble, on se doit d’en payer le prix au notaire. L’opération porte sur une ancienne maison, devant être divisée par lots après acquisition et revendus comme « investissement dans le logement social » avec les avantages fiscaux correspondants. Rien de bien illégal, sauf que, le prix de l’immeuble n’a pas été payé de suite au notaire, mais perçu « hors comptabilité » une fois seulement que les lots aient été revendus avec une très confortable plus-value. Les notaires n’ont pas le droit de faire cela, mais ils en ont le pouvoir. Le dit pouvoir étant un peu « huilé » par une dîme perçue en dessous de table par le notaire, avec une gratification « au noir » au comptable notarial.
Le notaire était engrené… fatal engrenage.
Le marchand de bien revint, quelques mois plus tard, accompagné un promoteur, qui lui, roule sur le bitume avec un 4×4 Coréen. Lui n’a pas de chaînettes en or, mais des bureaux près du château de Versailles.
Il ne s’agit plus cette fois d’une opération de même nature, mais à plus grande échelle, d’où le renforcement des effectifs de la funeste équipe.
Il ne s’agit plus de 4 logements, mais d’une barre d’immeuble de 140 appartements, qu’il convient d’acheter, toujours sans en payer le prix, puis revendre en VEFA (Vente en Etat Futur d’Achèvement), après rénovation à des familles aux revenus modestes, après avoir nommé un syndic de propriété qui n’est autre que la compagne du promoteur… on n’est jamais mieux servi que par soi-même. Cette fois ce n’est plus le marchand de bien qui « porte » l’affaire », il ne joue qu’un second rôle : celui d’apporteur d’affaire : c’est à lui que revient la mission de faire prendre aux pauvres bougres d’acquéreurs des vessies pour des lanternes, et c’est aussi lui qui a indiqué au promoteur cet office notarial au notaire si bienveillant.
Le va et vient des berlines se multiplie, et la petite ville s’enorgueillit de voir du si beau monde sur sa grande place pavée.
Nous sommes deux employés à ne pas vouloir marcher dans la combine. Comme le préconisera plus tard la « loi sapin II » nous « alertons » notre hiérarchie, rassurées par le fait, que suite à nos recherches, nous nous apercevons que le marchand de bien est interdit de gérer, qu’il a fait plusieurs séjours en prison, et qu’il agit au nom d’une société britannique fantôme, puisque clôturée depuis plusieurs années.
Nous écopons d’une sérieuse engueulade de la part du « boss ».
J’exhorte les jeunes clercs de partir, s’ils veulent sauver leur carrière, si l’affaire tourne mal, ça va « claquer », et inutile de claquer à plusieurs : un jour, je ne pourrais plus me taire, tout simplement parce que je ne veux pas être complice escroquerie… parce que justement, l’immeuble est en ruine, le promoteur n’a pas les moyens de payer les travaux, ni même les charges de copropriété, et cette VEFA n’est que du vent.
Un jour, n’en pouvant plus, je me rends chez les hommes en bleu ; ils m’écoutent mais ils ne comprennent pas. Je sors de là avec un bouclier de papier : je ne risque pas d’être poursuivie par « les autorités » parce que je me suis présentée spontanément.
Ni complice, ni victime, le mot n’existe pas encore. Aujourd’hui on dit LANCEUR D’ALERTE.
La suite du chemin ressemble à ce qu’ont vécu presque tous les lanceurs : le Procureur qui poursuit, le juge qui juge que « le notaire ne pouvait pas le savoir », seul le marchand de biens fût embastillé, il fallait bien un mouton noir dans l’équipe.
Mais la personne qui fût traitée comme une pestiférée ce fût bien moi, coupable d’avoir parlé, coupable d’avoir sali la réputation de toute une « province », coupable d’avoir dit que les notaires confondent parfois Droit et Pouvoir.
Je ne vous parlerai pas de la nonchalance de la PQR (la Presse Quotidienne Régionale) qui ne veut pas embarrasser l’un de ces principaux annonceurs (la chambre des notaires), je ne vous parlerai pas des élus locaux qui ne veulent pas entendre qu’il y a un « scandale chez eux », je ne vous parlerai pas de ces familles provinciales qui ne veulent pas voir que l’ordre et le respectable ne sont pas toujours du côté des notables.

Lara Miskhor

La justice par l’exemple

S’ouvre le procès en appel de Jérôme Cahuzac.
Médiapart, à l’origine et un des acteurs principaux de cette affaire, revient ici sur cette actualité.
L’enjeu principal semble être la confirmation ou non de la peine de prison de trois ans infligée en première instance. Nous ne reviendrons pas sur les détails de l’affaire, bien connue et largement documentée par Médiapart, si ce n’est pour rappeler quelques caractéristiques bien souvent communes à la plupart des affaires dénoncées.
Outre l’habituel « c’est celui qui dit qui est », on retrouve le plus souvent chez les personnes incriminées un sentiment d’impunité dont Fabrice Arfi se fait l’écho ce jour dans une interview donnée à Brut ici.

Ces deux éléments, confirmation d’une peine de prison ferme et sentiment d’impunité, sont loin d’être isolés l’un de l’autre, bien au contraire, il nous apparaît qu’il existe une corrélation forte.
Beaucoup de lanceurs et au premier chef parmi les fondateurs de MM. pourront attester que ce sentiment d’impunité est bien plus que partagé dans le monde politique et le monde des affaires, qu’ils constituent même l’un des paramètres de la réalisation d’opérations illégales.
Quel lanceur n’a pas entendu dire de la bouche de sa propre hiérarchie que de toute façon « on ne s’en prend jamais aux banques », (ou autre grosse entité), « nous sommes intouchables » ?
C’est bien parce que ce sentiment d’impunité fait partie intégrante à certains niveaux de hiérarchie, de l’exercice même du métier, c’est bien parce que ce sentiment d’impunité est intégré par les personnels en situation d’autorité ou de pouvoir, que la banalisation d’agissements contraires aux règles ou à la loi est devenue courante dans certains métiers. En un mot, « pourquoi se priver » quand on sait qu’il est intégré au sein de la profession et pire au sein des entités chargées de la contrôler, voire même de la justice, que la probabilité d’être poursuivi ou pire condamné pour agissements illicites est extrêmement faible. La hiérarchisation des entreprises joue également dans cette situation où l’on constate souvent que ceux qui sont à la manœuvre prennent soin de mêler ou d’exposer les hiérarchies en amont ou en aval pour s’assurer leur propre protection. Et tant qu’à faire dans l’illégalité, tout le monde a intégré le « plus c’est gros plus ça passe ».
Au-delà de cette constatation, il importe de comprendre que si ce sentiment semble si largement répandu au sein des organisations, c’est sans doute parce que la justice aurait échoué dans l’une de ses missions, à savoir l’exemplarité.
Il ne peut y avoir de justice sans peine, il ne peut y avoir de justice rendue au bénéfice de la collectivité si elle n’a pas pour fonction de montrer l’exemple.
Nous en revenons au cas de Monsieur Cahuzac. Même s’ils condamnent ses agissements, certains nous expliquent aujourd’hui qu’ils ne souhaitent à personne d’être condamné à une peine de prison ferme. Au-delà du fait que beaucoup de lanceurs vous diront qu’il peut y avoir des peines bien pires que celle de la prison, ce type de réflexion nous semble hors sujet car il faut bien voir que la peine ne sanctionne pas l’homme mais ses agissements dont il est à tout moment pleinement responsable.
Nous pensons au contraire que la justice serait bien éclairée à retrouver sa fonction d’éducation qui passe aussi par des peines conformes aux faits reprochés, évitant ainsi que se propage ce sentiment bien réel d’une justice à deux vitesses, celle des petits délits et celle des « cols blancs ».
Au-delà de ce constat et on l’aura compris, l’objectif est de refouler ce sentiment d’impunité et ce cercle vicieux où l’absence de peine exemplaire conduit à la reproduction d’actes délictueux qui eux-mêmes ne sont pas ou peu sanctionnés.
Il n’est pas inutile de rappeler comme le fait Fabrice ARFI dans l’interview, qu’il s’agit encore une fois d’une spécificité bien française, des cas similaires à l’affaire Cahuzac en France, pouvant être documentés dans des pays démocratiques comparables, donnant lieu le plus souvent à des condamnations fortes agrémentées de peines de prison fermes.
Ceci expliquant sans doute cela, le nombre d’affaires dans ces pays, est sensiblement inférieures…

MM.

Carte blanche à Gilles Mendes, lanceur d’alerte sur le détournement de la loi handicap

Les lanceurs d’alerte en France sont souvent assimilés à ceux ayant dénoncé des affaires de fraude fiscale ou de blanchiment d’argent. Un sujet qui parle à tout le monde: de l’argent tout le monde en a, ou en manque. Et la complexité des mécanismes n’empêche pas le commun des mortels d’être sensible à la problématique : moins d’argent pour l’État implique moins de moyens pour le maintien de l’État providence, du moins tel que nous l’avons connu depuis l’après-guerre.

Il est d’autres sujets bien plus difficiles à faire connaître quand ils touchent à l’humain, comme la maltraitance. Dans les IME, les EHPAD, parfois les hôpitaux.
Il est des tabous qui ont la peau dure, surtout quand on touche à l’humain et au domaine social.
Et il existe des alertes qui mêlent l’humain et l’argent, dont on n’entend jamais parler, bien que certaines situations soient connues des milieux concernés. (ici)

En 2014 j’ai tenté d’alerter les autorités quant à des pratiques que j’avais constatées en tant que responsable informatique, au sein d’un groupe de PME de la Manche spécialisé dans l’imprimerie, et possédant une Entreprise Adaptée. Preuves à l’appui, je démontrais que le groupe utilisait son entité adaptée pour reverser des compensations à de grands et petits clients, en facturant au travers de celle-ci des travaux réalisés par les sociétés ordinaires du groupe. Permettant ainsi aux clients de s’affranchir de tout ou partie de leur contribution à l’AGEFIPH ou au FIPHFP en cas de non respect du « quota » de salarié en situation de handicap. Voire au-delà utiliser la collaboration avec le milieu adapté pour embellir leur image.

J’ai eu beau échanger avec les directeurs de la DIRECCTE de Normandie et de la Manche, de l’AGEFIPH, rencontrer les députés de la Manche, le ministre de l’Intérieur, une conseillère technique de la Ministre du Travail (ministère de tutelle de l’AGEFIPH), le directeur de cabinet du Préfet de la Manche : rien n’a abouti. Au mieux une petite tape condescendante sur l’épaule : « c’est bien petit », au pire un rapport d’audit oral et fallacieux : « on voit bien que ça n’est pas clair mais c’est trop compliqué à prouver ».

Sans médiatisation, la poussière est condamnée à rester sous le tapis. Les différents journalistes avec qui j’ai été mis en relation, par un grand nom du journalisme et de l’alerte, Denis Robert, m’ont laissé tomber après avoir pourtant montré un grand intérêt pour l’affaire, et m’avoir assuré de la publication d’un article. À ce jour, seul Antoine Dreyfus et son rédacteur en chef Raphael Ruffier ont accepté de publier mon témoignage sur le site « Le Lanceur », (ici), malgré des menaces d’attaques en diffamation, qui naturellement n’ont pas été menées à exécution.

Mon cas est loin d’être isolé, et il met l’accent sur deux grands obstacles rencontrés par tous les lanceurs d’alerte : l’abdication des organismes de contrôle, et l’abandon de la presse (particulièrement locale).

Quand un directeur de cabinet du préfet vous dit que vous pouvez déposer une plainte au Parquet – alors qu’au titre de l’article 40 du code de procédure pénale, lui, est en devoir de le faire – et après plusieurs années de démarches infructueuses, vous savez pertinemment que seul, vous n’avez aucune chance. Quand le directeur général de l’AGEFIPH – la première a être lésée par ces pratiques, voyant ses cotisations fondre chaque année, sans que pour autant le taux d’emploi global de salariés handicapés ne progresse en conséquence – vous remercie pour votre travail, et fait appel à l’entreprise dénoncée pour imprimer le programme des festivités de ses 30 ans d’existence, vous comprenez que les organismes de contrôles n’en ont que le nom, et surtout pas la vocation.
Et quand un haut fonctionnaire du ministère du travail vous déclare « prendre très au sérieux » le dossier soumis, pour se voir quelques mois plus tard muté dans une ambassade aux USA, idem pour une directrice départementale de la DIRECCTE de la Manche mutée à la direction-adjointe de la DRAC dans le sud de la France, la confiance dans le pouvoir politique s’effrite à juste titre.
Il y a des coïncidences étonnantes : « le hasard fait bien les choses ». Ou pas, ça dépend pour qui.

Et le politique dans tout ça? A part protéger ses administrés notables, « ses amis » comme l’a très clairement dit l’attachée de l’ex députée de Cherbourg Geneviève GOSSELIN, ou s’indignant à demi-mot en regardant ses chaussures sans rien faire, tel le député Stéphane TRAVERT aujourd’hui ministre de l’Agriculture.
Face à l’échec de la loi de 2005, Sophie Cluzel, la secrétaire d’État au handicap envisage de revoir le quota de 6% de salariés handicapés (dans le privé, contre 4% dans le secteur public) à la hausse (ici). En l’état, c’est élargir le marché des fausses compensations. Étant donné que son cabinet épingle la gestion de l’AGEFIPH, il réside un espoir de changement. Encore faudrait-il dresser un bilan « sans tabou » (pour citer la secrétaire d’État) et regarder en face ce qui se pratique aujourd’hui.

Gilles Mendes, lanceur d’alerte, Membre fondateur de MetaMorphosis.

En audio, sur France-Inter, émission « Le téléphone sonne » du 16/11/2016 – « Emploi et Handicap »



Mise à jour :

Après l’intervention de l’association ANTICOR, qui a envoyé un signalement au Parquet de Cherbourg en décembre 2018, une enquête a été ouverte, confiée au SRPJ de Caen. Mais les enquêteurs, sans jamais daigner me convoquer pour ne serait-ce que comprendre de quoi il s’agissait, ou a minima recueillir mes pièces, ont décrété qu’il n’y avait « rien d’anormal« , et le signalement a été classé sans suite.
En revanche, la société que j’avais dénoncé a déposé une plainte contre moi en dénonciation calomnieuse, et là sans surprise les gendarmes ont su me trouver.
Pour autant, lors de mon audition en avril 2019, assisté d’un avocat du cabinet Bourdon et associés, j’ai pu m’expliquer et prouver ma bonne foi, tant et si bien que la plainte a été également classée… Mais ce n’est qu’en juin de cette année 2020, après de nombreuses relances du cabinet d’avocats, que le Parquet lui a fait part de cette décision, pourtant prise un mois après mon audition.
J’ai passé plus d’un an sans savoir si j’allais devoir une fois de plus faire subir à ma compagne et mon fils une nouvelle galère, je crois que le message est bien passé, et il est très clair : « ferme ta gueule ».

À ce jour, la société que j’ai dénoncé continue d’exercer sans la moindre inquiétude, et pire le système que j’ai dénoncé n’a jamais été remis en cause et perdure allègrement. Je sais que d’autres lanceurs d’alerte ont dénoncé les mêmes procédés, et qu’ils se sont heurtés exactement aux mêmes murs infranchissables, au même désintérêt ou à la même gêne. Tant de la part des élus, des organismes de contrôle, et de la justice (si tant est que cela veuille encore dire quelque chose)…

Quand gouverner c’est dépenser

Areva, les prêts toxiques aux Collectivités, l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes (NDDL), et tant d’autres projets ou investissements…toujours les mêmes causes, toujours les mêmes symptômes.
La publication mercredi dans Mediapart d’un article au titre évocateur « Lyon-Turin: un tunnel d’aberrations économiques » (ici), faisant suite au dépôt de trois recours contre le projet ferroviaire, nous donne l’occasion de rajouter une pierre à la litanie des grands projets publics.
Dans le cas présent, ce n’est pas vraiment d’une pierre que l’on doit parler mais plutôt d’un rocher au bord d’une montagne, le coût dudit projet s’élevant à 26 milliards d’euros.
Une fois de plus et c’est l’objet des recours déposés, le politique porte une responsabilité écrasante comme ce qui s’annonce un nouvel échec des politiques publiques d’investissements et ceci pour trois raisons principales:
– Absence ou défaut de calibrage des financements nécessaires conduisant à une information déficiente du public
– Impossibilité de déterminer les coûts réels du projet du fait de l’absence d’études sérieuses d’alternatives
– Vision totalement biaisée de l’intérêt général du projet par la non prise en compte de la part des Pouvoirs publics de la réalité des besoins et des alternatives viables possibles.

Nous ne nous attarderons pas sur les aspects techniques et financiers du projet dont on peut trouver de nombreuses sources (entre autre le site ici), mais nous nous attacherons plutôt à un point qui nous semble récurrent dans ce type de projet, à savoir l’aveuglement des politiques pour des raisons sans doute électoralistes même si cette explication n’est pas totalement suffisante. Sauf à en déduire qu’ils ont un goût prononcé pour des projets dits inutiles et coûteux…
Dans le cas du projet Lyon-Turin et à la différence d’autres cas déjà évoqués dans MetaMorphosis, il convient de préciser que la Haute Administration de l’Etat, depuis l’origine en 1988, émet des réserves sur la nécessité, le calibrage et l’intérêt public dudit projet relevant notamment l’absence de saturation des rails existants et la possibilité d’en renforcer les flux.
Malgré ceci, et malgré une forte mobilisation d’Associations et de particuliers contre le projet, les Gouvernements successifs ont toujours ignoré ces remarques, et ont fait la sourde oreille aux expertises contradictoires.
Comme le rappelle Daniel Ibanez, l’un des opposants au projet: « …pour le Lyon Turin, depuis le premier jour la Haute Administration a dit que les lignes actuelles n’étaient pas saturées et répondaient aux besoins ».
Dans ce contexte, nous sommes en droit de s’interroger comme le fait Médiapart, sur les raisons pour lesquelles les Gouvernements successifs envisagent de dépenser autant d’argent public alors que les voies de transports environnantes ne sont pas saturées.
Plus généralement, et tous ces cas devraient nous faire réfléchir sur cette notion et sur sa définition juridique, la question principale est de savoir qui définit l’intérêt général et en fonction de quel critère. Les gouvernants successifs ayant fait preuve dans de nombreuses affaires de leur incapacité à gérer l’argent public efficacement, il semble évident qu’on ne peut se satisfaire qu’il soit également en charge de la définition même de l’intérêt général.
De ce point de vue, Manuel Valls a fait preuve d’un acharnement à défendre ce projet contre vents et marées, les détracteurs se faisant nombreux du côté italien.
Pourtant d’autres exemples devraient alerter les décideurs comme la LGV (Ligne Grande Vitesse) Perpignan Figueras qui a été placée en liquidation judiciaire en 2015 à cause de ses pertes financières, les prévisions de fret et de transports de personnes sur lesquelles était bâti le modèle économique d’origine ayant été très largement sur- estimé. On retrouve ce même type d’anomalie dans le projet Lyon / Turin.
Pour finir nous citerons la conclusion de l’article de Médiapart: « toutes les failles démocratiques mises en exergue par les médiateurs au sujet de l’aéroport de Notre-Dame-Des-Landes ( mauvaise information du public, absence d’étude sérieuse d’alternatives, vision biaisée de l’intérêt général) se retrouvent dans le dossier du Lyon / Turin ».
Il n’y a plus qu’à espérer que ce dernier projet ait la même fin que celui de l’aéroport NDDL.

MM.

Wildleaks: la plateforme contre les actes écocides

Le trafic illégal d’espèces sauvages est une activité relevant du crime organisé et du terrorisme, menaçant certaines espèces d’extinction et mettant en danger l’écosystème et l’équilibre mondial.
Les crimes contre l’environnement représentent près de 190 milliards d’euros par an. Un marché juteux et peu risqué pour les trafiquants.

WildLeaks,(ici), né en février 2014 de l’Elephant Action League (EAL), une organisation californienne de lutte contre le braconnage, est une plateforme collaborative qui propose aux citoyens de dénoncer anonymement les crimes environnementaux commis contre la faune sauvage et les forêts.
« Les crimes contre la faune sauvage sont très souvent inaperçus, contestés, et les personnes n’en parlent pas. Avec cette plateforme, les témoins civils de ces crimes peuvent jouer un rôle crucial dans la lutte, sensibiliser et soutenir la justice » soutient Andrea Crosta, fondateur de WildLeaks.
La mission de WildLeaks consiste à recevoir et évaluer des informations (aux données cryptées) reçues anonymement, concernant la criminalité liée aux espèces sauvages et aux forêts, pour les transformer en opérations réalisables.
Ainsi, identifier et poursuivre les criminels et trafiquants qui bafouent les lois environnementales: voilà le but affiché. Plus encore, la plateforme a l’ambition de dénicher les hommes d’affaire et responsables politiques corrompus qui sont à la tête de ces réseaux.
Témoigner n’étant pas sans danger, la plateforme s’imposait : selon un rapport de l’ONG Global Witness, 185 personnes luttant pour sauvegarder leurs terres ou leurs forêts ont été assassinées en 2015 dans le monde.

Depuis sa création, la plateforme a déjà recueilli près d’une trentaine d’alertes susceptibles d’induire un recours en justice. Des actions dont le réel coût environnemental et humain n’est pas toujours mesuré. “Derrière un simple bibelot en ivoire en vente à Shanghai ou à Hong Kong, une personne se fait tuer en Afrique, une épouse perd son mari, un enfant devient orphelin ou soldat.” dénonce WildLeaks.

L’écocide, un concept-clé pour protéger la nature
Partout dans le monde, les initiatives pour la reconnaissance du crime d’écocide se multiplient. L’enjeu : que la justice internationale puisse sanctionner les atteintes à l’environnement. Faut-il une autre catastrophe pour faire bouger les lignes ?
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https://media.giphy.com/media/l0HFkA6omUyjVYqw8/giphy.gifQuand la toxicité a bon dos

La Cour des comptes vient de rendre public son habituel rapport annuel. Comme à chaque fois, il y aurait beaucoup à dire mais concentrons-nous aujourd’hui sur le chapitre qu’elle consacre aux coûts de sortie des emprunts toxiques contractés par les Collectivités locales au début des années 2000.
Rappelons que 579 Collectivités (départements, villes, syndicats intercommunaux…) ont contracté dans ces années là des emprunts dits « toxiques » à savoir pour l’essentiel, des emprunts à taux variables indexés sur certaines devises (notamment le franc suisse).
Suite à la crise financière de 2008, et à la forte variation des monnaies ou des cours de marché sur lesquels ces prêts s’appuyaient, beaucoup de collectivités se sont retrouvées en situation difficile, contraignant l’Etat à intervenir et à supporter en grande partie les coûts de sortie.
Dans son dernier rapport, la Cour des comptes chiffre le coût pour le fond dédié créé à cet effet, à 2.6 milliards d’euros, ici.
La Cour des comptes souligne les « risques inconsidérés » pris par certaines collectivités de taille importante: « les dix plus gros bénéficiaires du fond disposaient d’une capacité d’expertise liée à leur taille qui aurait dû leur permettre des choix plus éclairés en matière d’emprunt ». On soulignera pour la petite histoire, que la métropole de Lyon et le Conseil Départemental du Rhône, ont été parmi les plus exposés.

Tout banquier privé ou d’affaires ayant travaillé dans les années 2000, a eu affaire d’une façon ou d’une autre, à ce type de prêt indexé essentiellement sur le franc suisse ou le yen.
Il n’y a sur le fond, rien de répréhensible à proposer ce type de produit ou pour être plus précis de montage car ces prêts étaient souvent adossés à des actifs.
Ceci étant dit, il convient de rappeler que si le banquier peut vendre tout ce qui est autorisé, un certain nombre de règles professionnelles voire réglementaires encadrent l’exercice de son métier.
Parmi ces règles, il s’impose aux banquiers de s’assurer que le contractant a une connaissance suffisante du risque, qu’il est en mesure d’apprécier et de comprendre les risques directs et indirects liés au produit vendu.
Autre règle, et nous ne serons pas exhaustifs dans leur énoncé, le banquier doit s’assurer que le produit souscrit s’inscrit dans la stratégie patrimoniale du souscripteur, qu’il doit être conforme à un certain équilibre au sein du patrimoine et répondre aux objectifs de gestion retenus.
Dans le cas des prêts toxiques, et puisque la Cour des comptes souligne qu’aussi bien l’Etat, les élus et les banques sont coupables de cette situation, nous sommes en droit de nous poser quelques questions.
Par définition, la gestion des finances d’une Collectivité ne peut être court-termiste. Elle s’inscrit bien au contraire, dans une vision parfois sur plusieurs générations, compte tenu du coût unitaire important des investissements collectifs et d’un retour sur investissements à long terme.
Comment dans ce contexte les établissements financiers dont certains étaient publics ou para publics (DEXIA et consorts), ont pu proposer des montages à base de taux variables qui présentent par définition même un risque dépassant l’horizon temporel de quelques années ?
Pire, il semble que les outils de couverture ont été peu ou mal utilisés.
Comment des élus et à fortiori les Cours régionales des comptes ont-elles pu accepter que soient souscrits de tels prêts sans exiger que toutes les garanties soient prises pour préserver les finances publiques ?
Le rapport de Cour des comptes est très clair à ce sujet puisqu’il souligne la responsabilité conjointe des élus locaux « qui ont pris des risques inconsidérés sans en informer correctement leur Assemblée délibérante », des banques qui « ont conçu ces produits structurés et encouragé leur souscription », enfin celle de l’Etat « qui n’a pas pris la mesure des risques encourus ».

Une fois de plus, le trop grand pouvoir laissé à certains élus sans qu’ils bénéficient pour autant des compétences nécessaires, l’absence ou la défaillance du contrôle de l’Etat et la facilité déconcertante avec laquelle les banques ont pu sur-vendre ces produits très rentables pour elles, placent la Collectivité devant le fait de devoir subir une situation et in fine contraignent le contribuable à payer les errements de décideurs irresponsables.

Loin de nous de tomber dans quelques théories du complot, mais force est de constater une fois de plus avec cette affaire, après Areva, Alstom… et tant d’autres, que le problème semble être toujours le même: des décisions en petit comité, des partenaires de l’entre-soi, des autorités de contrôles inefficaces, des alertes dont on ne tient jamais compte.
En un mot, les donneurs de leçon de bonne gestion sont bien souvent de mauvais gouvernants.

MM.

Il y a délit et délit !

Qui a dit « Informer n’est pas un délit » ?
Si vous êtes un habitué de MetaMorphosis, vous avez sûrement la réponse.
Plus difficile. Qui a dit : « Dénoncer un délit, ce n’est pas de la délation » ?
L’auteur de cette maxime, au demeurant d’une grande vérité et pour ainsi dire à la base de toute action des lanceurs d’alerte, n’est autre que Christian Estrosi. Le bien nommé « motodidacte » nous gratifie de cette pensée profonde à l’occasion de la défense de sa nouvelle trouvaille niçoise en cours de test au joli nom de « reporty », ici, une application sécuritaire devant permettre à tout citoyen de dénoncer un délit ou une incivilité en temps réel à la police.
Nous ne discuterons pas ici de l’intérêt de cette initiative du maire de Nice, ayant trop peur d’arriver à la même conclusion que pour les caméras de surveillance dont l’efficacité n’est plus à démontrer depuis un certain soir de 14 juillet…
Reconnaissons que nous serons pour une fois d’accord avec l’énoncé de Monsieur Estrosi quand il dit « Dénoncer un délit, ce n’est pas de la délation ».
Sauf qu’il doit bien y avoir un loup quelque part…
Au fait, de quel délit parle t-on?
En droit un délit est toujours un délit quelle qu’en soit la gravité appréciée par le degré de la peine encourue ou par la réprobation morale qu’il peut engendrer.
Etant nécessairement rationnel, le maire de Nice doit considérer que tout délit vaut dénonciation et qu’il ne pourra en aucun cas être reproché à celui qui la réalise, un quelconque acte de délation. Sans faire un catalogue des positions et votes politiques de ce personnage, remontons seulement deux années en arrière à l’occasion du vote de la Loi Sapin2 qui visait à donner un cadre juridique aux personnes qui dans l’exercice de leur fonction sont amenées à dénoncer des délits. Quelle a bien pu être la position de Monsieur Estrosi sur ce texte qui prévoyait également quelques dispositions de moralisation de la vie politique?
Il a, une fois de plus, comme à l’occasion de proposition de lois sur la fraude fiscale et sur le verrou de Bercy, voté contre ces textes.
Nous ne discuterons pas de la cohérence des positions qu’il partage avec la plupart de ses collègues parlementaires, les votes étant le plus souvent conditionnés à des décisions partisanes et/ ou de défense de son électorat, il n’en demeure pas moins que ce type de position met en évidence que le corps politique et de façon générale la Société, ont une appréciation très sélective des délits. Système au combien pernicieux car il nous semble rejaillir dans le fonctionnement même de la justice.
Sans juger de leurs utilités, quelques affaires récentes (qui rappelons-le encore une fois, méritent une justice exemplaire) ont mis en évidence les moyens extraordinaires mis en oeuvre par les services de police et de la justice, sur une seule affaire – un cas récent de féminicide a mobilisé jusqu’à 500 personnes pendant plusieurs semaines, de l’aveu même de la Procureure en charge du dossier – en écho à la litanie des affaires politico-financières pour lesquelles l’Etat est incapable de mobiliser plus d’un fonctionnaire à temps plein.
En quoi consiste l’application niçoise estrosienne? Dénonciation d’un vol à l’étalage, d’un vol à l’arrachée? D’une dégradation de véhicule? D’un comportement suspect?…Autant de petits délits qui ont à faire quelque part à une atteinte aux biens privés. Les questions politico-financières et c’est bien en cela que réside tout le problème, sont des atteintes à la propriété collective dans lesquelles chaque citoyen a individuellement du mal à se retrouver et donc à en comprendre les enjeux, tant pour la Société que pour lui-même.
Pour ceux qui naviguent depuis de longues années dans ce type d’affaire, à l’image des lanceurs d’alerte, il est évident qu’il n’existe ni au sein des services de police ni au sein de la justice elle-même et encore moins de la part du corps politique, de volonté et souvent de capacité à mettre en oeuvre les moyens nécessaires pour traiter convenablement ces affaires.
Sous une pression électorale et médiatique, notre justice et notre police sont devenues des services de proximité visant à contenir quand ça n’est pas entretenir, le fameux « sentiment d’insécurité » au détriment d’une insécurité plus insidieuse mais tout autant pernicieuse pour la cohésion du corps social. Ne pas s’attaquer à la corruption au sein des corps institués c’est hypothéquer l’avenir.

MM.