Peut-on dissoudre la responsabilité dans l’incompétence ?

Du nouveau dans l’affaire Lafarge…
MetaMorphosis s’est déjà exprimé au sujet du financement présumé de L’État Islamique par cette multinationale. Non pas que nous fassions une fixation sur cette entreprise à l’histoire jalonnée de prises de positions pour le moins discutables, mais parce qu’elle nous semble symptomatique d’un fonctionnement hors normes et hors lois, axé quasi-uniquement par la recherche du profit sans aucune considération morale. Elle est également symptomatique d’un affranchissement par la classe dirigeante de toute responsabilité rattachée à l’exercice de son pouvoir.
Les comptes rendus des premières auditions parues dans la presse sont un cas d’école : les uns après les autres, les dirigeants nous ont sorti la vieille rengaine du « c’est pas moi, c’est l’autre ».
Nous pensons, en notre qualité de lanceur d’alertes, et parce qu’au final c’est ce à quoi nous avons tous été confrontés à un moment ou un autre, que cette déconnexion entre pouvoir et responsabilité est non seulement une des causes majeures des dysfonctionnements relatifs aux questions de probité, mais quelque part encouragent les pratiques de corruption ou en marge des règlements et lois.
Du nouveau donc même si on le sent venir depuis un certain temps. Dans les conditions spécifiques qui prévalaient à ce moment, Lafarge a-t- il fait son petit business tout seul dans son coin ? A-t- il pris le soin de consulter et d’informer certains services de L’État français ? A-t- il cherché à couvrir ses activités peu recommandables en obtenant un accord tacite (« qui ne dit mot, consent ») de l’État pour arriver, le jour venu, à se cacher derrière le fameux « c’est pas moi, c’est l’autre » ?
Les lanceurs d’alerte peuvent témoigner que ce n’est pas le courage qui risque d’étouffer les décideurs, contrôleurs et autres donneurs de leçons en position de décider. La hiérarchisation des processus de décision qui structure nos entreprises n’a pas d’autre finalité première que de créer un émiettement des responsabilités. Il convient de jalonner tout le parcours de verrous qui ralentiront le travail de recherche des responsables finaux d’actes illégaux.
Tout ceci doit nous amener à repenser, dans l’exercice de fonctions privées ou publics, la causalité directe en matière de responsabilités.
Sommes-nous responsables uniquement si nous sommes l’auteur direct des faits ? En matière criminelle c’est évident même si cela n’empêche pas de rechercher des complicités.
Un adjoint à la sécurité d’une grande ville française, qui, dans un contexte de risque extrême d’attentat (pour reprendre ses propres mots), ne jugerait pas utile de participer à la réunion préparatoire préfectorale, pour un événement – un 14 juillet à Nice – réunissant de nombreux citoyens, n’a-t- il aucune responsabilité ? Quand, responsable des équipes en charge de surveiller le lieu des festivités au moyen d’un système de vidéosurveillance par
ailleurs sur-vendu, celles-ci ne remarquant rien des agissements répétés du futur terroriste, cet élu, bénéficiant de pouvoirs énormes et d’un train de vie payé par la collectivité, n’est-il pas responsable devant cette même communauté pour au minimum avoir failli à sa mission ?
Certes, il n’est pas responsable direct, mais il existe bien quelque part une responsabilité par omission, par incompétence, par laxisme, dont on voit bien dans le cas évoqué qu’elle peut avoir des conséquences dévastatrices.

Revenons à notre cimentier préféré et à l’article du Monde « Financement du terrorisme par Lafarge : que savait l’Etat ? » (ici)
«Devant la juge d’instruction, début avril, l’ancien directeur sûreté du cimentier s’est montré plus précis sur la nature des «informations» qu’il partageait :
– Vous avez déclaré avoir appris la réalité du financement [de l’EI par Lafarge] en 2014. Avez-vous informé les services de renseignement ? demande la magistrate.
– Je ne faisais aucun tri dans les informations que je donnais aux services de renseignement. Au cours des réunions, j’ai donné toutes les informations, répond M. Veillard.
– Quelle était leur réaction ?
– Ils engrangent les informations, c’est leur métier.
Ces échanges, fréquents avec certaines grandes entreprises établies dans des zones sensibles, n’ont rien d’exceptionnel. «Mon point d’entrée pour la DGSE était le point d’entrée pour toutes les entreprises, qui n’était pas spécialement dédié pour Lafarge en Syrie», souligne M. Veillard. Au regard de l’enquête visant le groupe, cet aveu soulève en revanche deux questions cruciales : à quelle date la DGSE a-t- elle été avertie de ces versements d’argent à l’EI ? Et cette information est-elle remontée au ministère des armées, voire jusqu’à l’Elysée ?»
.

Et plus loin :
«Le directeur sûreté de Lafarge le laisse entendre, puisqu’il dit n’avoir fait « aucun tri » dans les informations qu’il partageait avec les services. Son mail du 17 novembre 2014 à «Gros Marmotte» semble aller en ce sens : en pièce jointe, M. Veillard fait suivre à la DGSE l’intégralité d’un mail envoyé à plusieurs dirigeants de Lafarge par Firas Tlass, dans lequel ce dernier dit avoir « envoyé [s]es émissaires rencontrer les émirs de l’EI ».
Le cimentier ne cache donc rien des activités de ce sulfureux intermédiaire, soupçonné d’avoir touché plus de 5,3 millions de dollars (4,3 millions d’euros) entre juillet 2012 et août 2014 pour monnayer la sécurité des routes auprès de groupes armés, parmi lesquels l’EI et Al-Nosra. Entendu par les enquêteurs en novembre 2017, l’ancien directeur de Lafarge Syrie, Frédéric Jolibois, dévoilait déjà l’ampleur de ces échanges : « Tous les noms [de membres de l’EI] collectés par Tlass ou par ailleurs ont été communiqués à la DGSE. »
L’intérêt de telles informations pour un service de renseignement est indéniable. La question se pose en revanche de savoir jusqu’à quel niveau de détails est allé cet exercice de transparence, et s’il a atteint les cercles du pouvoir».

Nous y voilà donc. Le Monde pose la question comme en forme de réponse : «Et cette information est-elle remontée au ministère des armées, voire jusqu’à l’Elysée ?».
On ne va pas attendre, MetaMorphosis pense déjà connaître la réponse. On entend d’ici, les Hollande, Valls, Fabius et consorts nier la main sur le cœur qu’ils n’étaient informés de rien. Peut-être un obscur subalterne dont on a oublié le nom, mais il ne nous à rien dit. Ou ces salauds du renseignement qui gardent tout pour eux !

Notre conception de la responsabilité chez MetaMorphosis nous fait répondre : «Et bien, c’est encore bien plus grave que ce qu’on pensait». Si effectivement tout ce petit monde est incapable d’assurer les responsabilités pour lesquelles certains sont allés jusqu’à se trahir, se prostituer, se vendre pour les obtenir en se faisant élire, alors le sens même du pouvoir et de son exercice n’ont plus de sens.
Quel autre travail peut-être celui de l’Etat et de ses plus hauts responsables, en période de menace terroriste, que d’assurer la sécurité en obtenant de tous les services à sa disposition les informations lui permettant de prendre les décisions les plus appropriées ? Quel autre travail peut être que celui de maîtriser la chaîne du renseignement pour faire cesser si nécessaire les comportements de certains faisant prendre un risque à l’ensemble de la collectivité ?
Il y a sûrement des raisons à de tels dysfonctionnements : incompétence, laxisme, manque d’autorité, désintérêt pour la chose publique… mais peu importe, la responsabilité est pleine et entière et les conséquences dramatiques. Il ne peut en aucun cas y avoir d’exonération des fautes commises, l’exercice du pouvoir de certains sur tous, exigent une entière responsabilité des actes y compris par omission.
Nos amis italiens, confrontés depuis si longtemps au crime organisé n’ont pas pris le problème par quatre bouts : quiconque aide d’une façon ou d’une autre une organisation mafieuse est lui-même considéré faire partie de ladite organisation.
En France, un banquier recyclant de l’argent d’une organisation criminelle sera poursuivi (quand il l’est !) du chef de blanchiment ; en Italie il sera reconnu être membre de ladite organisation. Ça change beaucoup de chose.

Remettons la responsabilité au centre du pouvoir, dans les entreprises, dans les ministères et les administrations. Ce n’est qu’à ce prix que l’on fera reculer la corruption et les comportements illégaux, il n’y a que celui qui se sait responsable devant la loi pour la défendre. Refusons que la responsabilité soit dissoute dans un exercice incompétent et immoral du pouvoir.

MM.

Attrape-moi si tu peux !

Nous en parlions hier sur MetaMorphosis: Haro sur les contrôles ! Vive la confiance ! (ici)
Le garant de l’ordre républicain, le Président, nous le rappelait récemment : «ne respectez jamais les règles !». Faisons fi des lois, règlements, autorités de contrôle et autres principes de précaution ; faisons-nous confiance les uns les autres et tout ira bien… Enfin, même si cela n’est pas dit explicitement, faut pas non plus exagérer, nous n’allons pas faire confiance à tout le monde, aux chômeurs qui ne cherchent qu’à frauder Pôle Emploi, aux migrants qui viennent en France pour toucher les allocations, aux personnes assujetties aux minimum sociaux qui ne cherchent qu’à en avoir plus, aux cheminots qui font grève pour protéger leurs acquis sociaux honteux…

Par contre, faisons confiance aux entreprises, à leurs dirigeants, aux politiques, à tous ceux qui travaillent sans se plaindre pour l’intérêt supérieur de la Nation ! Après tout la main invisible est nécessairement bienveillante (mais pourquoi se cache t-elle ?) et aux dernières nouvelles elle risque d’être remplacée par la main de Dieu, le Nôtre bien sûr !

Le Monde nous donne l’occasion aujourd’hui d’illustrer ce propos. Profitons-en, car ces informations résultent du travail de journalistes dans le cadre des Panama et Paradis Papers, activité amenée à disparaître au temps de la confiance retrouvée dans « le secret des affaires ».
Nous n’allons pas nous amuser à lever une liste à la Prévert, la place risque de nous manquer…
Nous voulions bien faire confiance à Lafarge, malgré un passé déjà bien chargé, manque de pot, ses dirigeants n’ont rien trouvé de mieux que de financer l’État Islamique.
A une époque, nous voulions bien faire confiance à Goldman Sachs, et hop, ils aident la Grèce à cacher à l’Europe la réalité de son endettement national. Pas si grave apparemment, le banquier à l’œuvre à l’époque, est aujourd’hui Président de la BCE. Pas bien grave pour l’instant pour Lafarge mais surtout que personne ne s’amuse à voler un paquet de pâtes, sinon c’est la taule, direct!
Tiens, nous aurions bien voulu aussi faire confiance à HSBC, une référence du capitalisme mondial… mais la banque semble avoir un appétit féroce pour l’argent des cartels mexicains de la drogue.
La liste est longue où notre confiance a été trahie…

A priori, on aimerait bien aussi faire confiance à Total. L’un des leaders mondiaux de son secteur, français de surcroît! De quoi être fier !
Bon, nous connaissons son activité, nous nous doutons que les questions environnementales ne sont pas forcément sa tasse de thé, mais nous ne savions pas que c’était un as de l’arnaque! C’est bien d’aider les amis surtout quand ils regorgent de pétrole, mais de là à berner le si respectueux FMI… Oui, la boîte dirigée par une autre française (on est encore fier!), Lagarde, Madame négligence à 400 millions (on ne prête qu’aux riches !) dispensée de peine (ça ne s’invente pas !)…
Bon, revenons à nos hydrocarbures; mais qu’a bien pu faire ce respectable Total, si digne de confiance?
Nous lirons avec intérêt l’article du Monde «Comment le groupe Total a aidé le Congo à berner le FMI» (ici) qui raconte avec précision le montage congolais, les interventions de Total. «Avec l’aide de la banque BNP Paribas, la multinationale et le Congo ont cherché à contourner des engagements pris par Brazzaville envers le Fonds monétaire international (FMI). Ce dernier joue un rôle décisif dans l’allégement des dettes souveraines et ne doit en aucun cas être mis au courant de ce qui se trame : contre des promesses de transparence comptable, le FMI doit annoncer l’accession du Congo au statut très convoité de «pays pauvre très endetté», qui garantirait une annulation substantielle de la dette d’État».
Nous n’allons pas nous arrêter à si peu. Nous n’allons pas non plus jeter la confiance aux orties et revenir à ces sales contrôles de fonctionnaires. Et puis, si nous commençons à contrôler (sérieusement), à appliquer les lois et les règles, où allons-nous ?
Ce n’est pas faute d’avoir mis des garde-fous. Une belle fusée à plusieurs étages.
D’abord le fameux «verrou de Bercy» dont on ne louera jamais assez l’efficacité, pas celle revendiquée par le gouvernement pour le maintenir, mais celle de la « justice fiscale de l’entre-soi gens de confiance » : en 2017 sur 15.065 cas de fraudes détectées, 830 dossiers ont été transmis à la justice soit un petit 5%, les chiffres parlent d’eux-mêmes…
Ensuite un bon secret des affaires; après tout, si nous « faisons confiance », nous n’allons pas commencer à soupçonner nos entreprises d’avoir quelque chose à cacher!
Enfin, pour ceux qui seraient vraiment mauvais, ils auront droit au petit plaider-coupable, histoire de ne pas avoir à juger sur la place publique la confiance.

Bel arsenal de dépénalisation des infractions. Alors oui, pourquoi des contrôles ?

MM.

C’est magique !

Deux brèves, dans l’actualité, pour finir la semaine ; deux seulement, même si ce n’est pas ce qui manque, pour reparler de l’un des thèmes chers à MetaMorphosis : la responsabilité.

Tout d’abord, revenons sur le fiasco industriel Alstom à l’occasion de l’audition de son ancien PDG, Patrick Kron, devant une commission d’enquête parlementaire (Le Monde du 05 Avril 2018 «Rachat d’Alstom par GE : Patrick Kron ne convainc pas les députés», ici).
Nous ne reviendrons pas sur les conditions très critiquées de la vente d’Alstom à l’américain General Electric, déjà largement documentées et justifiant quatre ans après qu’une commission parlementaire s’y intéresse encore.
Rappelons juste, au-delà des pures conditions financières et contractuelles de l’opération, que cette vente place des pans entiers de l’industrie française, considérés comme stratégiques, en situation de totale dépendance vis-à-vis des Etats-Unis. On ne s’étonnera plus de la permanente déconnexion entre discours politique et réalité économique, entre la soi-disante nécessité absolue de défendre l’indépendance de la France et la vente d’entreprises telle Alstom essentielles à la filière nucléaire.
Pourquoi nous bassiner avec le « secret des affaires » si c’est pour vendre les affaires stratégiques?
Nous ne reviendrons pas non plus sur les primes extrêmement généreuses dont a été gratifié Patrick Kron pour avoir vendu (bradé?) l’entreprise qu’il dirigeait.

Le Monde nous rappelle l’un des motifs de l’audition de Patrick Kron devant les parlementaires : «Et d’abord de sa probité. Des élus de droite et de gauche, mais aussi Arnaud Montebourg, ministre de l’économie au moment du rachat, et même Emmanuel Macron, son successeur, ont accusé M. Kron d’avoir vendu Alstom à GE pour s’éviter des poursuites de la justice américaine dans une affaire de corruption. L’un de ses ex-cadres dirigeants, Frédéric Pierucci, purge encore une peine de prison aux Etats-Unis et le groupe a finalement transigé et payé fin 2014 une amende de 772 millions de dollars au Trésor américain».

Pour la petite histoire, s’agissant de ce cadre d’Alstom emprisonné aux Etats-Unis, Frédéric Pierucci, la vice-présidente de la commission d’enquête a précisé lors des auditions, s’adressant à Patrick Kron : «La personne de M. Pierucci ne bénéficie de plus aucun soutien, il n’a reçu aucune visite de la part de représentants de la société Alstom, il est emprisonné pour trente mois, vous n’avez pas reçu la famille et il a plus d’une centaine de milliers d’euros de frais d’avocat non payés…». Avec ces gens-là, on devient vite un paria…

Ce qui nous intéresse ici, ce sont les arguments avancés par Patrick Kron.
Tout d’abord un grand classique pour justifier les conditions de la vente d’Alstom : «Sans la vente à GE, cela aurait été un bain de sang social».
Sommes-nous bêtes, pourquoi ne pas y avoir pensé plus tôt ! Dans toute cette affaire, le seul voyant rouge qui a dicté l’attitude de la direction d’Alstom, c’est bien évidemment la défense des salariés et de l’emploi. Ne soyons pas médisants, quand Patrick Kron part avec plusieurs millions de primes, retraite chapeau et tout l’attirail qui va bien avec, c’est pour protéger l’emploi des salariés… On attends qu’il nous dise qu’il n’a pas voulu se livrer à la justice américaine pour protéger l’emploi!
Sur son action en tant que dirigeant exécutif d’Alstom, Patrick Kron nous sert encore du classique : «je ne suis coupable de rien, si ce n’est d’avoir vendu l’entreprise pour sauver des milliers d’emplois en France et dans le monde». Pourquoi «coupable»? Est-ce une obsession ou un aveu? La commission enquête seulement sur les responsabilités des différents acteurs du dossier. Responsabilité est un mot qui ne lui viendra par contre jamais à la bouche. En politique ou à la tête de grandes entreprises, certains se sont définitivement exonérés de toutes responsabilités propres à leur fonction ou leur action. La marche aujourd’hui est une exonération de toute forme de culpabilité.

Ensuite, et plus rapidement, la seconde actualité: une vidéo de Macron en visite à l’hôpital, largement reprise sur les réseaux sociaux (France Bleu le 05 Avril 2018 «Échange tendu entre Emmanuel Macron et des infirmières de l’hôpital de Rouen», ici).
Sur l’échange lui-même que nous n’avons pas trouvé spécialement «tendu» comme l’a indiqué l’ensemble de la presse, nous devons reconnaître que Macron a pris des cours, non pas de communication (c’est toujours aussi laborieux et creux), mais de self-control, toute irritation se traduisant rapidement en un comportement suffisant et arrogant… habituelle réponse aux gens qui ne sont pas de sa classe sociale, «ceux qui ne sont rien» et qui de surcroît sembleraient ne rien comprendre! Tenez-vous le pour dit, nul n’a le droit de faire ni leçon, ni remarque au Maître!

Revenons simplement sur cette embardée «magique» assénée d’un ton méprisant: « Il n’y a pas d’argent magique ! ». Vive la loi sur les fake-news, il va prendre cher notre président !!
Il n’existe donc pas d’argent magique… et pourtant, depuis 2015 la Banque Centrale Européenne a créé plus de 2.500 milliards d’euros dans le cadre de ses politiques (inutiles et néfastes car trop tardives) de quantitative easing, qui n’ont au final, de l’aveu même de la BCE, en très grande partie pas profité à l’économie réelle mais essentiellement à l’économie financière (rachats d’actions, versements de dividendes, reconstitution des trésoreries…).
Par définition, ces 2.500 milliards d’euros sont de l’argent magique qui ne repose sur rien et ne servent à pas grand chose.

L’argent magique existe, mais pas pour tout le monde…

Photo de Positive Money Europe- (ici)

MM.

De l’accident à l’habitude

De l’article du New York Times du 10 Mars 2018, ‘ISIS Is Coming!’ How a French Company Pushed the Limits in War-Torn Syria, ici.
Sous les signatures de Liz Alderman, Élian Peltier et Hwaida Saad, le New York Times publie ce jour une longue enquête sur le « cas » Lafarge. Si la plupart des informations reprises sont déjà parues dans la presse française, ce travail a le mérite de replacer en perspective cette affaire dans l’histoire de cette compagnie et dans la logique de ce type d’entreprise.
Dans l’attente des avancées des procédures judiciaires françaises, et peut-être demain américaines, quelques éléments factuels ne font que nous interroger un peu plus sur la déliquescence de la notion d’éthique dans « la marche des affaires ».

Dans le cochon, tout est bon
La Société Lafarge est une habituée : fondée en 1833, elle a une histoire avec la réalisation de projets « compliqués ». Durant la seconde guerre mondiale elle a participé, en fournissant le ciment, à la construction pour le régime nazi du « Mur de l’Atlantique » qui s’étendait de la Scandinavie à l’Espagne. Récemment, alors que ses agissements en Syrie sous occupation de l’État islamique étaient rendus publics, Lafarge s’est proposée pour participer à la construction du « wall » voulu par le Président Trump à la frontière mexicaine.

L’argent n’a pas d’odeur
L’implantation de Lafarge en Syrie par l’acquisition d’une usine désaffectée en 2007 dans le nord du pays a été rendue possible par la conclusion d’un partenariat avec Firas Tlass, un influent tycoon syrien extrêmement proche de la famille de Bachar al-Assad. Il obtient du gouvernement syrien pour Lafarge, permis et licence d’exploitation. Après trois ans de rénovation, l’unité Lafarge ouvre en octobre 2010. Quelques mois plus tard, en mars 2011, le « Printemps arabe » syrien est férocement réprimé par les forces de sécurité de Bachar. À la fin de l’année 2011, les Nations-Unies déclarent la Syrie en état de guerre civile et l’Union Européenne prend les premières mesures d’embargo à l’encontre du régime syrien. Total, Bel Group, Air Liquide et bien d’autres cessent toute opération sur le territoire syrien. Pas Lafarge.

« Business as usual »
A partir de la mi-2012, alors que la situation devient de plus en plus difficile, Lafarge demande à son partenaire local de payer les groupes armés présents sur le terrain (l’armée syrienne libre) pour s’assurer de pouvoir continuer ses activités. Ironie de l’histoire ou plutôt habitude du business, le partenaire proche de la famille Bachar se charge donc de payer pour Lafarge ceux qui veulent justement la renverser… En 2013 l’Etat islamique prend pied à Raqqa, à 90 kilomètres du centre d’opération syrien de Lafarge, et Al Qaeda, en opposition avec l’E.I. se rabat sur le territoire d’opération du cimentier français. Pas de problèmes, après l’armée syrienne libre, Lafarge va payer des groupes terroristes. On se rassure, les personnels de direction français vont être mis au vert, au Caire.

Responsable mais pas…responsable
Lafarge le jure haut et fort, la société n’avait qu’un seul objectif : la sécurité de ses employés. Le commun des mortels ne peut pas comprendre, il y a sécurité et sécurité, il y a Le Caire ou l’État islamique. Et ce n’est pas un choix… Pourquoi s’en prendre à Lafarge alors qu’elle était animée d’une si noble intention ?!
Elle les aime tellement ses employés locaux qu’après la fermeture de l’usine syrienne elle leur a trouvé une place, pour eux et leur famille, dans les camps de réfugiés de la région où ils apprennent à survivre.
L’un d’eux, Jarir Yahyaalmullaali, réfugié à Urfa en Turquie, témoigne : « If we had waited there, we would be dead by now ». Un autre, Mohamad, dit clairement ce qu’il y a à retenir de cette histoire : « The factory was the only thing they cared about ».

Manque dans cette compilation des horreurs du New York Times, un acteur, peut-être essentiel, l’État français.
Après avoir nié être informé des agissements de Lafarge en Syrie, le Quai d’Orsay vient de retrouver la mémoire.
Le Quai d’Orsay indiquait jusqu’ici n’avoir eu aucune rencontre avec Lafarge de 2011 à 2014.
L’ancien ambassadeur de France en Syrie, Eric Chevallier, reconnaît pour la première fois une rencontre avec des dirigeants du groupe français ce qu’il a indiqué dans une lettre envoyée aux juges d’instruction.

Les pertes de mémoire finiront pas tuer le business…

MM.

Quand gouverner c’est dépenser

Areva, les prêts toxiques aux Collectivités, l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes (NDDL), et tant d’autres projets ou investissements…toujours les mêmes causes, toujours les mêmes symptômes.
La publication mercredi dans Mediapart d’un article au titre évocateur « Lyon-Turin: un tunnel d’aberrations économiques » (ici), faisant suite au dépôt de trois recours contre le projet ferroviaire, nous donne l’occasion de rajouter une pierre à la litanie des grands projets publics.
Dans le cas présent, ce n’est pas vraiment d’une pierre que l’on doit parler mais plutôt d’un rocher au bord d’une montagne, le coût dudit projet s’élevant à 26 milliards d’euros.
Une fois de plus et c’est l’objet des recours déposés, le politique porte une responsabilité écrasante comme ce qui s’annonce un nouvel échec des politiques publiques d’investissements et ceci pour trois raisons principales:
– Absence ou défaut de calibrage des financements nécessaires conduisant à une information déficiente du public
– Impossibilité de déterminer les coûts réels du projet du fait de l’absence d’études sérieuses d’alternatives
– Vision totalement biaisée de l’intérêt général du projet par la non prise en compte de la part des Pouvoirs publics de la réalité des besoins et des alternatives viables possibles.

Nous ne nous attarderons pas sur les aspects techniques et financiers du projet dont on peut trouver de nombreuses sources (entre autre le site ici), mais nous nous attacherons plutôt à un point qui nous semble récurrent dans ce type de projet, à savoir l’aveuglement des politiques pour des raisons sans doute électoralistes même si cette explication n’est pas totalement suffisante. Sauf à en déduire qu’ils ont un goût prononcé pour des projets dits inutiles et coûteux…
Dans le cas du projet Lyon-Turin et à la différence d’autres cas déjà évoqués dans MetaMorphosis, il convient de préciser que la Haute Administration de l’Etat, depuis l’origine en 1988, émet des réserves sur la nécessité, le calibrage et l’intérêt public dudit projet relevant notamment l’absence de saturation des rails existants et la possibilité d’en renforcer les flux.
Malgré ceci, et malgré une forte mobilisation d’Associations et de particuliers contre le projet, les Gouvernements successifs ont toujours ignoré ces remarques, et ont fait la sourde oreille aux expertises contradictoires.
Comme le rappelle Daniel Ibanez, l’un des opposants au projet: « …pour le Lyon Turin, depuis le premier jour la Haute Administration a dit que les lignes actuelles n’étaient pas saturées et répondaient aux besoins ».
Dans ce contexte, nous sommes en droit de s’interroger comme le fait Médiapart, sur les raisons pour lesquelles les Gouvernements successifs envisagent de dépenser autant d’argent public alors que les voies de transports environnantes ne sont pas saturées.
Plus généralement, et tous ces cas devraient nous faire réfléchir sur cette notion et sur sa définition juridique, la question principale est de savoir qui définit l’intérêt général et en fonction de quel critère. Les gouvernants successifs ayant fait preuve dans de nombreuses affaires de leur incapacité à gérer l’argent public efficacement, il semble évident qu’on ne peut se satisfaire qu’il soit également en charge de la définition même de l’intérêt général.
De ce point de vue, Manuel Valls a fait preuve d’un acharnement à défendre ce projet contre vents et marées, les détracteurs se faisant nombreux du côté italien.
Pourtant d’autres exemples devraient alerter les décideurs comme la LGV (Ligne Grande Vitesse) Perpignan Figueras qui a été placée en liquidation judiciaire en 2015 à cause de ses pertes financières, les prévisions de fret et de transports de personnes sur lesquelles était bâti le modèle économique d’origine ayant été très largement sur- estimé. On retrouve ce même type d’anomalie dans le projet Lyon / Turin.
Pour finir nous citerons la conclusion de l’article de Médiapart: « toutes les failles démocratiques mises en exergue par les médiateurs au sujet de l’aéroport de Notre-Dame-Des-Landes ( mauvaise information du public, absence d’étude sérieuse d’alternatives, vision biaisée de l’intérêt général) se retrouvent dans le dossier du Lyon / Turin ».
Il n’y a plus qu’à espérer que ce dernier projet ait la même fin que celui de l’aéroport NDDL.

MM.

Financement du terrorisme : le jeu de dupes des dirigeants de Lafarge

Six cadres ou ex-cadres du cimentier Lafarge ont été mis en examen dans le cadre des soupçons de financement des groupes terroristes en Syrie pour conserver l’activité du groupe sur place dont l’ex-PDG Bruno Lafont et l’ex-directeur général Eric Olsen , une première pour de grands patrons français.
Six cadres ou ex-cadres du cimentier Lafarge – Qui sont- ils?

L’information judiciaire pour « financement du terrorisme », ouverte contre le cimentier en juin 2017, a établi deux faits : sa filiale syrienne Lafarge Cement Syria (LCS) a monnayé auprès de groupes terroristes la sécurité de son usine de Jalabiya, dans le nord du pays, et elle s’est approvisionnée en matières premières sur des zones contrôlées par l’organisation Etat islamique (EI) et le Front Al-Nosra, affilié à Al-Qaida.
Ces deux infractions étant documentées, les juges d’instruction cherchent désormais à en établir les responsabilités individuelles et collectives.

– L’enquête se concentre sur le contenu des réunions qui se sont tenues au siège du cimentier à Paris –
Le jeu de dupes commence au sommet de la pyramide, en Suisse, où le siège de LafargeHolcim dénonce à longueur de communiqués les « erreurs » commises par la « direction locale » de la filiale syrienne. L’ancien directeur de ladite filiale, Bruno Pescheux, affirme pourtant à la justice avoir agi avec l’aval de son responsable à Paris, Christian Herrault. Ce dernier, chargé de faire le lien entre la Syrie et la direction de Lafarge, est catégorique : il a constamment tenu informé le PDG du groupe, Bruno Lafont. Ce dernier assure pour sa part qu’il n’en est rien et qu’on ne lui « a pas tout dit ».

La suite ici.

Ce qui est formidable avec les multinationales, c’est qu’on peut avoir tous les pouvoirs, tous les salaires et avantages, tous les parachutes possibles et …être responsable de rien du tout.
Ainsi commence le « jeu » de la patate chaude…

Lafarge: comment l’Assemblée Nationale a fermé les yeux sur les accusations

Le 20 juillet 2016, l’Assemblée nationale, par l’intermédiaire d’une mission d’information présidée par le député Jean-Frédéric Poisson, blanchissait le groupe Lafarge de toute compromission avec des organisations terroristes. Enquête sur un naufrage parlementaire.

C’est un mercredi tombé un peu dans l’oubli. Le pays pansait ses plaies, six jours après la tuerie de Nice. Ce 20 juillet 2016 au matin, la mission parlementaire d’information « sur les moyens de Daech » remettait, par l’entremise de son président Jean-Frédéric Poisson (LR) et de son rapporteur Kader Arif (PS), le fruit de ses six mois d’enquête au président d’alors de l’Assemblée nationale, le socialiste Claude Bartolone.

Au cours d’une conférence de presse, Jean-Frédéric Poisson tirait les conclusions du rapport et assurait qu’aucune entreprise européenne, a fortiori française, n’avait financé l’organisation terroriste. Au passage, le député en profitait pour dédouaner de manière catégorique le cimentier français Lafarge, suspecté d’avoir renfloué les caisses de l’État islamique (EI) : « Il n’y a pas eu de participation de Lafarge », jurait-il, précisant que rien ne permettait d’établir que le cimentier français ou ses entités locales « ont participé, directement ou indirectement, ni même de façon passive » à ce financement.

La suite sur Médiapart

Article 411-4
Le fait d’entretenir des intelligences avec une puissance étrangère, avec une entreprise ou organisation étrangère ou sous contrôle étranger ou avec leurs agents, en vue de susciter des hostilités ou des actes d’agression contre la France, est puni de trente ans de détention criminelle et de 450 000 euros d’amende.

Est puni des mêmes peines le fait de fournir à une puissance étrangère, à une entreprise ou une organisation étrangère ou sous contrôle étranger ou à leurs agents les moyens d’entreprendre des hostilités ou d’accomplir des actes d’agression contre la France.
Code pénal

Lafarge en Syrie : de l’eau de javel pour « empêcher la justice de travailler » ?

L’ONG Sherpa, partie civile dans l’enquête pour financement du terrorisme qui vise Lafarge, accuse le cimentier de ne pas collaborer avec les enquêteurs et demande au parquet de diligenter une enquête « pour entrave à l’exercice de la justice », a indiqué mardi l’association.
Lafarge, mis en cause pour avoir transmis de l’argent et acheté du pétrole à des groupes djihadistes dont Daech pour continuer à faire tourner sa cimenterie en Syrie, « ment quand il affirme pleinement collaborer avec les enquêteurs », a dénoncé lors d’une conférence de presse, Marie Dosé, avocate de l’ONG qui représente onze anciens employés syriens de l’usine.
Avant la perquisition menée au siège du groupe à Paris les 14 et 15 novembre, « les ordinateurs ont été passés à l’eau de javel pour empêcher la justice de travailler », a-t-elle accusé. La suite ici Le Républicain Lorrain

Lafarge a dépensé 13 millions d’euros pour rester en Syrie
PARIS (Reuters) – Les sommes versées par Lafarge en Syrie pour maintenir en activité sa cimenterie de Jalabiya en zone de conflit s’élèvent à près de 13 millions d’euros, selon l’organisation humanitaire Sherpa, qui cite les juges d’instruction chargés du dossier.

Il ressort des investigations en cours qu’une grande partie de cet argent est allé, indirectement ou directement, dans les poches des djihadistes de l’Etat islamique (Daech), ont déclaré mardi à la presse les avocats de Sherpa.
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Mises en examen pour «financement du terrorisme» de trois cadres du groupe Lafarge

En mars 2011, pendant que la Syrie se soulève contre Bachar Al-Assad, la cimenterie de Lafarge Cement Syria (LCS), filiale du groupe français de matériaux de construction Lafarge, continue de tourner à plein régime à Jalabiya, dans le nord-est du pays. Pendant des mois, rien ne change, malgré la violente répression qui s’abat sur la plupart des grandes villes du pays, parcourues de manifestations contre le régime. A partir de l’automne 2011, en réaction, le mouvement de contestation s’est transformé en rébellion armée. Les combats gagnent peu à peu le pays. Le développement du conflit et l’instabilité croissante poussent les entreprises étrangères, dont les investissements avoisinaient 2,6 milliards de dollars en 2009, à quitter la Syrie. Mais pour la cimenterie Lafarge, rien ne change.
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Selon « le Canard enchaîné », le groupe a versé au total 5,56 millions de dollars à des groupes armés en Syrie d’après un rapport rédigé à la demande du groupe par le cabinet américain Baker McKenzie en avril 2017.
En tout, le groupe a versé 5,56 millions de dollars « au titre de ‘dons’ à de nombreuses factions armées locales en Syrie, y compris l’EI », indique l’hebdomadaire. Précisément, le montant des paiements destinés à l’EI s’élève à « au moins 509.694 dollars ».
Le ministère français de l’Economie a ensuite déposé plainte, déclenchant l’ouverture d’une enquête préliminaire par le parquet de Paris. Les premiers éléments de l’enquête sont accablants pour le cimentier. La direction de Lafarge «avait validé ces remises de fonds en produisant de fausses pièces comptables». Et Bruno Lafont, PDG de Lafarge de 2007 à 2015, semble avoir «couvert ces agissements».
Ce que révèle l’enquête judiciaire sur les agissements du cimentier Lafarge en Syrie: en savoir plus
Le groupe LafargeHolcim a confirmé, mardi 14 novembre, qu’une perquisition de police était en cours à son siège parisien dans le cadre de l’enquête sur sa cimenterie de Djalabiya dans le nord de la Syrie.Une enquête interne a confirmé que des paiements avaient été effectués à des groupes armés en Syrie et a jugé que des mesures visant à maintenir la cimenterie en activité étaient « inacceptables ».Plus d’info
Premières gardes à vue de trois cadres du Groupe Lafarge- ici
Les premières mises en examen:
Trois cadre du cimentier Lafarge ont été mis en examen, vendredi 01 décembre. La filiale syrienne du leader mondial des matériaux de construction est soupçonnée d’avoir versé de l’argent à des organisations terroristes comme l’Etat islamique entre 2012 et 2014.
Bruno Pescheux, directeur de l’usine de 2008 à 2014, et Frédéric Jolibois, éphémère directeur de l’usine à partir de l’été 2014, pour les chefs de « financement d’une entreprise terroriste », « violation de la réglementation relative aux relations financières avec l’étranger » et « mise en danger de la vie d’autrui ».
Jean-Claude Veillard, directeur sûreté chez Lafarge, est lui mis en examen pour « financement d’une entreprise terroriste » et « mise en danger de la vie d’autrui ».
Du journal le Monde: Mises en examen des cadres

Face à ces faits graves, un peu d’humour: selon Monsieur Coquerel de la France Insoumise, tous ces agissements n’auraient pu être mis à jour sans le travail de la « lanceuse d’alerte » Danièle Simonet! A la FI comme ailleurs, la récup à des fins politiciennes a de beaux jours devant elle…