Lettre à Macron: les lanceurs d’alerte ne vous ont pas attendu

Nous pouvons discuter de la forme de la « Lettre au Français » … mais à notre sens, ceci disqualifierait d’entrée l’exercice.
Par définition, débattre sur la base des sujets autorisés par l’une seule des parties, est la négation d’un débat. Ce n’est pas une lettre qu’il fallait envoyer aux français, mais plutôt un QCM ! Quitte à faire les questions, autant choisir les réponses possibles.

Sur le fond, nous ne savons pas trop ou nous ne savons que trop bien. Parce que tout ceci entraîne la peur, celle qui confirme un peu plus, à chaque affaire, à chaque décision ou mesure, que nous vivons dans deux mondes différents.
Vous dîtes « Le sens des injustices y est plus vif qu’ailleurs »; « Tous voudraient un pays plus prospère et une société plus juste »; « La société que nous voulons est une société dans laquelle pour réussir on ne devrait pas avoir besoin de relations ou de fortune, mais d’effort et de travail », et nous vous en passons d’autres !

Avez-vous pour autant compris que ces sentiments sont nés et ont été exacerbés par des décennies de politiques économiques libérales et injustes? Par une corruption endémique de la classe politique ? Par des corps intermédiaires démissionnaires ? La liste serait longue et ne serait sûrement pas à la hauteur des sujets imposés au « débat ».
Pour preuve, la troisième assertion reprise ci-dessus : Benalla et autres serviteurs, ça vous parle ? Il suffit de se plonger dans les parcours professionnels et les cursus universitaires de certains ministres et députés du « nouveau monde » pour se convaincre que les passes-droits sont devenus des passes partout.
Devenu start-up nation, l’État en copie ses fondements : médiocratie, copinage et corruption gouvernent ce monde. Et le « débat » ne le changera pas : aborder le sujet du budget de l’État reste une discussion sur les seules dépenses et l’utilité des services publics. Quid des recettes ? Peut-on « discuter » de la fiscalité visant certains types de revenus ? Apparemment non, ça n’était pas prévu dans le QCM… La fraude fiscale pareil, elle n’y avait pas sa place.
Nous allons nous arrêter là. Pour le constat nous ne vous avons pas attendu et malgré neuf samedis de mobilisation vous ne semblez toujours pas en avoir pris conscience. Mauvaise volonté ? Comme on dit, poser la question c’est déjà commencer à y répondre.

Si vous vous étiez un jour, ne serait-ce que quelques minutes, intéressé aux lanceurs d’alerte ces dix dernières années, vous auriez pu faire bien avant le constat posé aujourd’hui sur feuille blanche. Vous auriez même eu des débuts de solutions aux questions que vous posez aux français sachant que débattre est une autre affaire.
Mais sans doute pour vous un lanceur d’alerte est une relique du vieux monde : désintéressé, honnête, respectueux des règles et lois, soucieux de justice… autant de comportements qui n’ont pas leur place dans la start-up nation, ce nouveau monde.

En partant de simples constats, fruits de leurs expériences, de la violence subie, du traitement interminable et trop souvent scandaleux de leurs dossiers, confrontés à l’incompétence volontaire des autorités de régulation et de contrôle, à la lâcheté des corps intermédiaires, à une justice quasi absente même quand l’intérêt général est manifestement en jeu, les lanceurs d’alerte ont retenu la leçon depuis bien longtemps.
Alors à quoi bon « débattre » puisque la démocratie en passe d’être vendue est celle du « cause toujours tu m’intéresses » ?
«Dites-nous ce dont vous avez besoin, nous vous dirons comment vous en passer» aurait répondu Coluche s’il avait reçu cette lettre. Les lanceurs l’ont malheureusement bien intégré.
Dès lors, comme vous, nous pouvons continuer à faire semblant de débattre, histoire de maintenir l’illusion d’une démocratie qui fonctionne…

MM.

Principe d’innovation : la victoire des lobbys ?

Dans son édition du jour, Le Monde nous informe ici, de l’entrée dans la loi européenne du principe d’innovation.
«Le «principe d’innovation» a discrètement fait son entrée dans la législation européenne, mercredi 12 décembre, à la suite d’un vote au Parlement. Réunis en en séance plénière, les eurodéputés ont adopté le texte établissant le prochain programme de recherche de l’Union européenne (UE), «Horizon Europe». C’est dans son préambule que figure le concept, inventé par l’European Risk Forum, un think tank des industriels du tabac, des pesticides ou de la chimie, créé dans les années 1990 par British American Tobacco pour intervenir sur la gestion des risques par les pouvoirs publics».

«En des termes vagues, le «principe d’innovation» demande que «l’impact sur l’innovation devrait être pleinement évalué et pris en compte» à chaque initiative législative. Sous son apparence de bon sens, il a en fait été conçu comme un outil de neutralisation d’un autre principe, dont l’existence légale est, elle, bien réelle : le principe de précaution».

La notion de principe d’innovation

Cette notion apparaît en France et en Europe en 2013-2014 simultanément dans plusieurs univers, notamment le rapport de la commission dirigée par Anne Lauvergeon et dans une lettre adressée par l’European Risk Forum au Président de la Commission Européenne. Ce principe est d’abord conçu comme un rééquilibrage du principe de précaution, notamment sur la question de la prise de risque. Il consiste à privilégier les solutions nouvelles qui sont d’une efficacité supérieure en termes de qualité et de coût par rapport aux solutions existantes.

Que se cache-t-il derrière cette volonté d’introduire un principe d’innovation ? Est-il légitime et a-t-on vraiment besoin de le formaliser ainsi ? Faisons un peu d’histoire.

En décembre 2014, le rapport de la «Boite à idées» rédigé sous la direction de Bernard Accoyer, Benoît Apparu et Eric Woerth, est partisan de supprimer le principe de précaution au profit d’un principe d’innovation responsable : «Le principe de précaution reposait à l’origine sur une idée simple: l’absence de certitudes, compte tenu des connaissances scientifiques et techniques du moment, ne doit pas retarder l’adoption de mesures effectives et proportionnées visant à prévenir un risque de dommages graves et irréversibles à l’environnement, le tout à un coût économique acceptable. Dix ans après, nombreuses sont les critiques qui n’y voient qu’un obscurantiste principe de blocage du progrès scientifique, et le reflet d’une incapacité des pouvoirs publics à admettre le risque et l’incertitude, données pourtant consubstantielles d’une société avancée. Si bien que des voix de plus en plus nombreuses, dans le monde scientifique, politique et économique, réclament son abrogation».

Quelques mois auparavant, la commission du développement durable du Sénat et son rapporteur, le Sénateur Bizet sont partisans de modifier le principe de précaution : «C’est précisément l’objet de la présente proposition de loi constitutionnelle, dont votre rapporteur pour avis est également l’auteur, et qui entend rééquilibrer la définition du principe de précaution dans la Charte de l’environnement afin de clarifier les conditions de sa bonne application. Il s’agit ainsi d’exprimer plus clairement que le principe de précaution est aussi un principe d’innovation, puisque sa bonne application repose, en fait, sur le développement des connaissances scientifiques et de l’innovation. Innovation et précaution sont en réalité les deux versants d’une même ambition : celle d’un développement économique responsable face aux grands risques environnementaux».

En octobre 2014, le rapport de la Fabrique de l’Industrie précise dans sa préface sa position de maintien du principe de précaution sous réserve d’une application plus éclairée : «Le principe de précaution est parfois décrié comme constituant un obstacle au développement des innovations voire de l’activité industrielle. Davantage que l’usage juridique de ce principe, c’est son invocation abusive par des groupes qui contestent certaines technologies, nouvelles ou non, ou son application maladroite qui peuvent être source de perturbations pour les entreprises».
La Fabrique de l’Industrie a réuni en 2013, sur ce sujet, un groupe de travail composé notamment d’industriels, de scientifiques, d’experts du développement durable. Il est apparu, au fil des auditions de nombreuses personnalités, que le problème venait moins du principe de précaution lui-même que d’une exigence de sécurité de plus en plus affirmée des consommateurs ou des citoyens ainsi que d’une perte de confiance envers les institutions chargées d’assurer leur protection.
Certaines entreprises ont su bien prendre en compte cette préoccupation et y répondre, afin de restaurer un dialogue plus confiant avec leurs clients ou riverains. Elles ont même su transformer cette capacité en avantage compétitif.

➡️La précaution est une mesure prise à l’avance destinée à prévenir la survenance d’un événement dangereux, déplaisant ou ayant des conséquences négatives.
➡️L’innovation en soi ne saurait être considérée comme un événement dangereux, déplaisant ou ayant des conséquences négatives. Tout au contraire, il existe dans nos sociétés une forte demande pour l’innovation en ce que celle-ci favorise la réduction des dangers, des phénomènes déplaisants et des impacts négatifs des activités humaines ou de la nature.
➡️Le principe de précaution ne saurait à bon droit être interprété comme interdisant l’action. L’inaction n’apporte pas la suppression des dangers, des phénomènes déplaisants et des impacts négatifs. Au contraire, le principe de précaution appelle l’innovation. La sécurité aérienne d’aujourd’hui n’existerait pas sans la valorisation incessantes des innovations. La directive sur la sécurité générale des produits n’est pas pour peu dans la réputation de qualité des produits et la multiplicité des standards que l’Europe a essaimé dans le monde. En tout, une précaution exigeante et intelligente est facteur d’économie, de développement et de succès.

Jean-Yves Le Déaut a précisé dans une contribution personnelle au Compte-Rendu de la journée du 5 juin 2014 : «Nous souhaitons inscrire dans la loi le principe d’innovation, en stipulant que « le principe d’innovation garantit le droit pour tout organisme de recherche et tout opérateur économique de mettre en place et de conduire des activités consistant à développer des produits, services, procédés, modes d’organisation, pratiques sociales ou usages nouveaux ou sensiblement améliorés par rapport à ce qui est disponible sur le marché. Ce principe est facteur de développement des connaissances scientifiques et de progrès technique, social et humain, au service de la société. Il est garanti par les autorités publiques dans l’exercice de leurs compétences et sert notamment de référence dans l’évaluation des bénéfices et des risques, conduite par ces autorités. Les autorités publiques promeuvent ce principe dans le cadre de la détermination et de la mise en œuvre des politiques nationales».

Dans sa séance du 9 février 2015, l’Assemblée Nationale a adoptée l’amendement no 808 à l’article 40 de la Loi Macron, introduisant la notion de principe d’innovation dans notre législation. Ce principe impose aux services publics d’être administrés selon le meilleur état des techniques. Après navette entre l’Assemblée et le Sénat, le texte de la Loi Macron est revenu à sa rédaction d’origine et l’amendement Le Déaut a été éliminé. Aucun principe légal d’innovation n’existe donc aujourd’hui en France.

Innovation, précaution et protection

Le principe d’amélioration continue est par définition favorable au progrès économique. Il consacre en amont le rôle fondamental des créateurs dans la production de richesse. Reste à mettre en œuvre le corollaire du principe d’innovation : la propriété de l’auteur sur sa création. Selon une définition empruntée au droit romain, «la justice est une volonté ferme et perdurable qui attribue à chacun ce qui lui revient». A qui appartient l’innovation, sinon à son créateur.

Ce n’est en effet, le plus souvent, pas le législateur qui protège, même si le pouvoir lui en donne parfois l’illusion. Ce sont les mesures prises pour mettre en application la loi. La loi ne décrète pas l’arrêt des maladies, c’est le progrès technique qui permet leur réduction. Les progrès récents montrent que ce n’est pas tellement la limitation législative et réglementaire qui a réduit les excès de vitesse des véhicules. C’est, on l’a vu, la loi plus les compteurs, les régulateurs de bord, les radars à l’extérieur et les ordinateurs distribuant les pénalités, qui déterminent l’efficacité de la précaution « limite de vitesse ».

➡️ La précaution implique une bonne expression légale de la demande d’innovation. Si le droit du créateur est bien reconnu, ce dernier trouvera aisément des moyens pour financer l’innovation et le développement du principe de précaution.
➡️ De la reconnaissance de la paternité morale et matérielle du créateur sur l’innovation, découle le renforcement de la responsabilité des acteurs économiques et donc la bonne mise en œuvre du principe de précaution. Le créateur responsable peut prendre des engagements sur ses innovations. Il peut notamment contracter des clauses de territorialité et d’emploi avec les collectivités publiques, notamment en échange de financement et d’avantages divers. Tout un droit peut s’édifier en matière de protection de l’environnement autour du rôle du créateur – gardien et responsable de ses innovations.
➡️ À cet égard le principe d’innovation est bien de nature législative. Il touche à l’un des droits les plus fondamentaux de l’être humain : celui que détient le créateur sur l’œuvre produite par son travail. C’est particulièrement vrai pour le travail créateur qu’est l’innovation. C’est pourquoi le droit du créateur sur l’innovation est inscrit dans la déclaration universelle des droits de l’être humain (Article 27). Il fait partie des libertés fondamentales.

On voit bien qu’innovation et précaution sont à la fois des droits fondamentaux et très complémentaires.
Il n’y a rien au demeurant de choquant à ce qu’ils fassent partis l’un et l’autre du corpus législatif national et européen. Mais une fois de plus un droit ne vaut que si on l’utilise, une loi ne vaut que si on l’applique effectivement dans son esprit initial.

Dans cette affaire, car nos politiques sont devenus les sujets des lobbyistes et parce que l’on cherche à hiérarchiser ces deux principes, ce concept tel qu’il nous est proposé, ressemble à une attaque contre le principe de précaution qui nuit manifestement aux profits d’industries polluantes et dangereuses.
Ces dernières cherchent plutôt à utiliser ce principe pour saper les lois communautaires sur les produits chimiques, les nouveaux aliments, les pesticides, les nano-produits et les produits pharmaceutiques, ainsi que les principes juridiques de protection de l’environnement et de la santé humaine inscrits dans le traité de l’Union européenne.

MM.

Crise financière: pour bientôt ?

La prochaine crise financière pointe le bout de son nez. Ne soyons pas impatients, elle viendra plus rapidement qu’on ne le pense, en 2019, en 2020 peut-être. En tous les cas beaucoup plus rapidement que le traitement judiciaire des alertes lancées au lendemain de la précédente crise, celle de 2007-2008, 10 ans, une paille. Et ceci a sans doute à voir avec cela.

Comme nous l’indique The Guardian dans son édition du jour, « IMF warns storm clouds are gathering for next financial crisis », David Lipton, first deputy managing director du FMI, vient de déclarer à Londres que la «prévention des crises est incomplète» plus d’une décennie après la dernière crise du système financier mondial. Selon lui des nuages sombres s’accumulent sur un système n’ayant pas pris la mesure des enjeux et des risques.
L’horizon de l’économie mondiale était en train de s’obscurcir dangereusement nous avertit David Lipton, et les États comme les banques centrales pourraient manquer des moyens nécessaires pour faire face à une éventuelle crise. «Comme beaucoup d’entre vous, je vois les nuages noirs s’accumuler et je crains que le travail de prévention des crises soit incomplet», a-t-il ajouté, estimant que les autorités politiques et monétaires pourraient être prises au dépourvu si on devait s’y confronter.
De nombreux États ne disposeront que de marges de manœuvre limitées en raison de leur niveau d’endettement. «Il ne faut pas s’attendre à ce que les gouvernements disposent de moyens aussi importants qu’il y a dix ans pour répondre à une crise», a-t-il déclaré, ajoutant que tout plan de relance pourrait se heurter à des résistances politiques en raison du fardeau financier qu’il engendre.

Deux enseignements à tirer

Tout d’abord si l’analyse de la précédente crise financière a fait l’objet d’une abondante littérature et de multiples études, force est de constater, une nouvelle fois, que peu d’enseignements en ont été tirés, que peu de mesures de prévention n’ont été mises en œuvre.
Ensuite, la prochaine crise s’exercera dans un contexte tout autre, les États et les banques centrales ne disposant plus des moyens qui étaient les leur en 2008 pour maintenir le système hors de l’eau, venir au secours des banques et créer de la dette pour amortir plus ou moins le choc.

L’analyse du FMI

Le FMI a récemment rendu publique une analyse assez révélatrice de la crise financière de 2008.
Premier constat: parmi les 180 pays étudiés, il convient de distinguer ceux qui ont connu une crise bancaire avec la crise économique et les autres, par effet systémique, uniquement économique.
Ce sont surtout les premiers qui ont été les plus touchés soit 24 pays qui ont connu une crise bancaire et dont 18 ont des économies procurant des revenus élevés.
91 économies représentant les 2/3 de la production mondiale ont connu une baisse de la production en 2009. Soit le pire choc traversé depuis la fin de la dernière guerre. Les autres ne se portent pas forcément mieux : 60 % des pays qui n’ont pas dû encaisser une crise bancaire en plus n’avaient pas encore retrouvé, l’an dernier, leur niveau de production d’avant-crise.

Les principales observations du FMI, dix ans après les faits, tiennent en quelques constats:
1. Ce fut une crise financière pour les pays occidentaux, mais une crise économique pour tous les autres. A cet égard, le stimulus économique décidé en urgence par les dirigeants chinois à l’époque – représentant 10 % du PIB de leur pays – a joué un rôle d’amortisseur absolument décisif.
2. Le principal effet de la crise a été de freiner les investissements : ils ont perdu un quart de leurs montants en dix ans. Et cela expliquerait le fameux ralentissement de l’innovation.
3. Les pays les plus durement frappés sont ceux qui ne disposaient pas de la possibilité de jouer sur leurs taux de change – et c’était le cas essentiellement de la zone Euro.
4. Il fallait sans doute sauver les banques. Par contre, et tenez-vous bien car c’est le FMI qui le dit, il n’était peut-être pas indispensable de sauver les banquiers… qui ont peu changé leurs comportements.
5. La sur-financiarisation de certaines économies – occidentales quasi-exclusivement – les pénalise deux fois et conduit à un effet multiplicateur de la crise. Les économies sous-financiarisées en paient malgré elles quand même le prix pour de très longues années. Enfin, en période de crises aiguës la trop forte intégration d’économies comme cela est le cas de l’Europe, approfondie encore la récession en ne permettant pas d’user d’outils d’amortissement.

Traiter l’urgence

Dans cette même étude, le FMI conclut par trois tâches urgentes, un peu comme une litanie de vœux pieux :
➡️ Normaliser d’urgence les politiques monétaires.
➡️ Imaginer les réponses à apporter lorsque la prochaine crise va se déclencher – et de préférence en amont de la crise, car une fois qu’elle sera lancée, ce sera trop tard.
➡️ Et enfin, tenter de réparer les dommages causés par cette crise à la crédibilité des Occidentaux.
Et là, il reste du boulot… ou plutôt il aurait été plus judicieux de faire le boulot en temps et en heure.

🔴 Car tout ceci est quand même extraordinaire.
Sentant les premières alertes d’une prochaine crise financière d’envergure, le FMI -dont la principale tâche est quand même d’assurer la régulation et la sécurité du système financier international- semble se réveiller proposant de multiples recommandations qu’il n’a pas cherchées à mettre en œuvre pendant toute la décennie précédente.
Pourtant les réponses sont là, dans ses propres études et ses propres pistes de réflexion.
La nécessaire définanciarisation de l’économie en séparant banque commerciale et banque d’investissement, disposition à laquelle l’Europe, et notamment la France, se seront toujours opposées, et que les États-Unis, après l’avoir partiellement mis en œuvre, sont en train d’annuler sous l’administration Trump.
Changer également les comportements, mais pour ce faire encore faudrait-il que ceux responsables des errements et fraudes de 2008 aient été poursuivis et renvoyés à leurs chères études économiques.
Rien de tout cela, des institutions financières encore plus « trop grosses pour faire faillite » aux mains de banquiers auxquels gouvernements et institutions internationales ont offert un parapluie pour traverser la tempête de 2008 sans se mouiller.

En 2019, 2020… nous aurons été prévenus, les alertes, ça n’est pas ce qui a manqué.
Alors, comme le New York Times nous posons nous aussi la question: Are You Ready for the Financial Crisis of 2019?

MM.

Problème de santé mentale, qu’une question de coût ?

Le rapport annuel de l’Organisation de Coopération et de Développement Economique (OCDE) sur la Santé en Europe a été publié.
« Les problèmes de santé mentale coûtent à la France 80 milliards d’euros par an, soit 3,7% points de son PIB, selon le rapport annuel de l’Organisation de coopération et de développement économique (OCDE) sur la Santé en Europe publié jeudi 22 novembre ».


Voilà un bon exemple de ce type d’étude, d’une grande utilité, qui permet de mieux connaître et appréhender certains des grands enjeux économiques et sociaux qui traversent nos sociétés, surtout quand elle est réalisée de façon comparative sur plusieurs pays européens.

N’en déplaise à Manuel Valls et à ses acolytes, pour agir efficacement, encore faut-il connaître la situation, dans toute sa complexité et sa diversité, pour pouvoir faire un diagnostic et expliquer les enjeux.

Mais aussi un bon exemple de ce type d’institutions internationales (l’OCDE ici), sans aucun doute utile à certains égards, qui malheureusement vit trop souvent dans un monde parallèle qui confère à la cécité.
N’en déplaise aux gardiens de l’orthodoxie qui les habitent, ces entités sont décidément incapables de voir plus loin que leur petit livre rouge (le bien nommé) de leurs dogmes libéraux.

➡️ Il y a urgence à mieux prendre en charge la santé mentale alerte l’OCDE dans son Panorama de la santé, alors que 84 millions d’Européens (soit plus d’un sur six) sont concernés et que 84.000 décès intervenus en 2015 étaient imputables à des problèmes de santé mentale, suicides compris. Dans son opus 2018, l’OCDE tire la sonnette d’alarme non seulement pour améliorer la qualité de vie des patients mais aussi en raison du coût induit pour la société, estimé à 4% du PIB, soit 600 milliards d’euros, pour les 28 pays de l’Union Européenne. Un montant qui se décompose en 190 milliards (1,3% du PIB) de dépenses de santé, 170 milliards (1,2%) de dépenses sociales, auxquelles s’ajoutent 240 milliards (1,6%) de coûts indirects liés à un taux d’emploi et à une productivité plus faible parmi les personnes concernées.

En France, les coûts directs et indirects des problèmes de santé mentale sont estimés à environ 3,7% du PIB, soit plus de 80 milliards d’euros, dont plus de 25 milliards d’euros de coûts indirects, liés à un taux d’emploi et à une productivité plus faible.

«L’OCDE a établi un panel très large de personnes ayant des problèmes de santé mentale : des schizophrènes jusqu’aux personnes souffrant de déprime légère ou celles dépendantes à l’alcool».
La France ne se démarque pas par rapport à ses voisins européens. Les problèmes de santé mentale coûtent très cher aussi à l’Allemagne, au Danemark, aux Pays-Bas, au Royaume-Uni, à l’Espagne et à l’Italie.

➡️ Le constat général de cette étude, la possibilité de chiffrer effectivement ces problèmes de santé publique, sont des éléments d’analyse intéressants qui peuvent étonner par leur ampleur un citoyen peu au fait de ces questions. Le caractère européen de la situation devrait également interroger, mais nulle part l’OCDE ne semble faire un lien avec la très grande convergence des modes économiques de développement, des modes de consommation ou de la détérioration des conditions de travail. Plus remarquable encore, est la « profondeur » des recommandations de l’OCDE.
«Pour réduire ces coûts, l’OCDE recommande à la France, mais aussi à ses voisins européens, de mettre davantage l’accent sur la prévention des problèmes de santé mentale, sur les diagnostics précoces. Plus un patient est pris en charge tôt, moins son état se dégrade. L’OCDE recommande aussi à la France de s’intéresser en particulier à deux publics, parmi les plus touchés, les chômeurs et les retraités».
Un rapport d’une institution internationale reste un rapport d’une institution internationale ! Pas de miracles, il n’y a qu’un seul objectif, réduire les coûts. Comment ? En détectant le mal-être mental le plus tôt possible après son déclenchement. On aurait pu essayer d’agir sur les conditions rendant possible de tels mal-êtres. N’y pensez pas !
Soyons plus clairs. Que faire face au développement croissant de maladies mentales liées au travail ? Les détecter très rapidement, c’est sans doute pour cela que la médecine du travail est en train d’être sacrifiée.

Que faire face aux deux populations les plus touchées, chômeurs et retraités ?
Les diagnostiquer très rapidement.
Quant aux causes… À l’OCDE on pense que ce n’est pas parce qu’on aura identifié les causes premières de ces maladies qu’on diminuera immédiatement les coûts. Parce qu’un malade c’est un coût, et un coût est un coût.

Et puis tout ceci est un peu dommage, car notre institution libérale a mis le doigt sur un second phénomène. Elle souligne en effet que l’augmentation de l’espérance de vie ralentit dans l’Union Européenne. En France, l’espérance de vie est parmi les plus élevées de l’Union européenne : l’Hexagone se situe au 3è rang après l’Espagne et l’Italie. Mais il y a eu un net ralentissement de la croissance de l’espérance de vie en France ces dernières années, particulièrement chez les femmes où elle a stagné entre 2011 et 2016. Le Royaume-Uni, l’Espagne ou l’Allemagne connaissent le même phénomène.
Sans pouvoir fournir « d’explications complètes » (sic), l’OCDE estime que cette stagnation de l’espérance de vie est due au moins en partie à des augmentations de mortalité parmi les personnes âgées au cours des mois d’hiver, ces dernières années, liées notamment à la grippe et ses complications. À cela s’ajoute un ralentissement de la réduction de la mortalité liée aux maladies cardiovasculaires (crises cardiaques ou AVC) parmi l’ensemble de la population, possiblement liée à l’augmentation de certains facteurs de risque comme l’obésité, le manque d’activité physique et le diabète.
Ne cherchez pas les mots pollutions, alimentation déficitaire, conditions de travail, de transport, insalubrité de logement… c’est tellement mieux quand c’est la faute des maladies.

Avec l’OCDE, tout est conforme au modèle et on a la solution : les gens sont malades, ça coûte un « pognon de dingue », mais comme la maladie finit par les tuer, on devrait finir par diminuer les coûts.

MM.

Disclose: création d’un nouvel acteur de l’alerte


Nous, lanceurs d’alerte du collectif MetaMorphosis, nous réjouissons de l’initiative prise par les fondateurs et acteurs du projet Disclose.ngo, Media d’investigation à but non lucratif et d’intérêt général et leur apportons notre entier soutien.
Forts de nos expériences respectives de lanceurs dans des secteurs d’activités différents, nous estimons que Disclose dans son concept de traitement et d’approche de l’alerte, répond à une urgence et une nécessité fondamentale pour que demeure dans notre société la voix de l’intérêt général.

Nous avons tous été, à des degrés divers, confrontés à la difficulté de rendre publiques nos alertes.
Difficulté tout d’abord d’accéder tout simplement à des organes de presse disposés à s’investir dans nos histoires : nous avons tous connu l’auto-censure de certains journalistes, la censure plus ou moins déguisée des directeurs de publication ou des actionnaires, souvent un désintérêt pour ce qui est perçu comme complexe, trop souvent un refus de s’investir dans une affaire où l’on ne mesure pas immédiatement les tenants et aboutissants.
Difficulté ensuite à obtenir un traitement professionnel de l’alerte : par facilité, par soucis du sensationnel ou manque de moyens, l’analyse des alertes se limitent bien souvent aux lanceurs, à leur parcours, leur situation sociale et professionnelle, et il est fait l’économie d’une analyse approfondie et rigoureuse des mécanismes à l’œuvre, des implications pour ceux qui y exercent leur métier et plus généralement pour la société.

Enfin, et nous le savons tous trop bien, l’alerte porte mal son nom : il ne s’agit pas d’un cri qui réveillerait les consciences mais d’un long murmure parsemé de très longs silences. L’alerte se compte en années de combat, l’alerte est un « travail » qu’il faut remettre tous les jours sur le métier.
Pour ce faire, le lanceur a besoin d’une presse engagée à suivre au long cours les alertes, quitte a partager avec lui les désillusions, les échecs, et les victoires. Ici aussi, trop souvent, la presse traite l’alerte comme un fait divers, presque un produit d’appel, sans s’investir dans le long terme, à la seule écoute du prochain fait judiciaire.
Si informer est essentiel il n’en demeure pas moins que l’objectif premier de tout lanceur est de mettre un terme aux faits dénoncés. Faire bouger les lignes n’est pas une mince affaire…surtout pour celui qui la porte!
« Si le premier objectif de la presse est d’informer, elle doit aussi contribuer au changement. Dénoncer des pans obscurs de nos sociétés ne suffit plus. S’indigner à chaque scandale écologique, industriel ou sanitaire non plus. » Disclose.ngo

Le projet Disclose.ngo et la qualité de ses animateurs devraient à notre sens permettre de répondre à certaines de nos attentes : replacer l’alerte au centre, privilégier une approche professionnelle, donner les moyens d’un traitement sur la durée, en un mot redonner à l’alerte sa dimension première, celle d’une dénonciation d’une atteinte grave à l’intérêt général.

« Parce que l’information doit être ouverte et accessible au plus grand nombre, Disclose plaide pour un journalisme d’investigation indépendant, non lucratif, d’intérêt public »

Faites comme nous, appuyez, soutenez Disclose, passez de l’indignation à l’action!

➡️ Disclose.ngo

MM.

[Documentaire] La grande évasion fiscale: l’honneur perdu d’une banque

Le documentaire « La grande évasion fiscale: l’honneur perdu d’une banque »

Ce documentaire fait pénétrer le téléspectateur dans le secret de la succursale française d’UBS, qui est soupçonnée d’avoir été le laboratoire de l’industrialisation de l’évasion fiscale. Nos guides, dans cette plongée en eaux troubles, sont trois employés de cette banque -les lanceurs d’alerte- qui suspectent UBS France d’utiliser, au fil des années, des mécanismes sophistiqués pour démarcher les riches clients français. Témoignages, documents et photos révèlent les méthodes d’agents secrets que les chargés d’affaires de la banque devaient suivre. Cinquante-deux minutes pour vivre de l’intérieur l’intimidation, la traque et les exclusions que ces personnes ont dû subir, aussi bien de la part de leur propre banque que des services secrets français.
Nos gouvernements cherchent-ils vraiment à combattre l’évasion fiscale ? A travers l’exemple d’UBS, cette série éclaire les mécanismes d’un système obscur où sont liés banques et hommes politiques..

🔴 Rappel

Après avoir créé une succursale en France en 1999, la banque suisse UBS est soupçonnée d’avoir organisé une importante évasion fiscale et des démarchages de riches clients français. Trois de ses salariés découvrent des comptes suspects de vedettes et de politiques en Suisse et en parlent au journaliste Antoine Peillon. Leur probité va leur coûter cher, comme ils le racontent à Patrick Benquet. Ils ont subi l’intimidation, la traque, les exclusions aussi bien de la part d’UBS que des services secrets français. La justice sera longue à être rendue. UBS n’est mise en examen qu’en 2012.
En 2018, c’est un procès aux enjeux financiers, judiciaires et politiques majeurs inédit qui s’est ouvert le 08 octobre à Paris et qui va durer jusqu’au 15 novembre.

✅ Les années phares

Six ans et 30 tonnes de procédures
2011 : lettre anonyme à l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) ; enquête préliminaire du parquet.
2012 : information judiciaire pour blanchiment de fraude fiscale.
2013 : mise en examen d’UBS AG pour démarchage illicite et d’UBS France pour complicité. Blâme et sanction de 10 millions d’euros à l’encontre d’UBS France.
2014 : mise en examen d’UBS AG pour blanchiment aggravé de fraude fiscale. Caution de 1,1 milliard d’euros.
2015 : mandats d’arrêt contre trois anciens dirigeants. Mise en examen supplétive d’UBS France. Caution de 10 millions d’euros.
2016 : fin de l’enquête. UBS France est mise en examen pour subornation de témoin.
2017 : renvoi devant le tribunal correctionnel.

2018 : ouverture du procès. Nous y sommes.

En mode bulldozer

➡️ UBS: une défense par le déni et l’attaque

En mode punchingball

➡️ Les lanceurs: difficile c’est, difficile ce sera

On n’arrête pas le progrès, pas même la mauvaise foi…
En ce 1er novembre, fêtons nos morts. Qui d’UBS ou des lanceurs d’alerte ? Espérons que seuls les premiers soient tenus pour responsables et coupables.

MM.

Danske Bank : un cas d’école, un de plus…


L’amnésie devrait être reconnue maladie professionnelle… surtout dans les métiers de la finance.
On a quand même l’impression que l’histoire bégaie furieusement dans les salles des marchés, les services de contrôle bancaire, les services de compliance et autres autorités de régulation. Si le nom des banques changent, les pratiques, les techniques, les aveuglements, restent étrangement les mêmes.
Aujourd’hui on parle de Danske Bank, ici: « La Scandinavie touchée par un scandale bancaire », mais combien d’autres Banks précédemment, et ce depuis des décennies, mises en cause pour des faits quasi-similaires ?

« Depuis le 19 septembre et la publication du rapport du cabinet d’avocats Bruun & Hjejle, mandaté par la Danske Bank pour faire la lumière sur une des plus grosses affaires de blanchiment d’argent en Europe, le scandale ne cesse de connaître de nouveaux rebondissements. Dans la tourmente désormais : la Nordea, principale banque de Scandinavie, rattrapée par les révélations concernant la filiale estonienne de la Danske Bank, soupçonnée d’avoir couvert, entre 2007 et 2014, le transit de 200 milliards d’euros suspects, provenant de Russie et de l’ex-bloc soviétique ».

« Le 17 octobre, le parquet financier suédois a confirmé avoir enregistré une plainte contre Nordea, pour fraude, faux et blanchiment. Une seconde plainte a été déposée le 22 octobre, auprès des autorités finlandaises, visant 500 comptes de la branche finlandaise de la Nordea, où auraient transité 205 millions d’euros, également liés à la filiale estonienne de la Danske Bank et à l’Ukio Bank ».

Comme beaucoup, Jesper Rangvid, professeur à la Copenhagen Business School, témoigne de son effarement face à l’ampleur du scandale et du manque de réactions de la direction de la banque, ainsi que de l’autorité de régulation pendant des années, malgré les nombreuses mises en garde. « Entre 2010 et 2012, notamment, les revenus générés par la branche estonienne auraient dû inciter les gens à se poser des questions », estime Jesper Rangvid.

➡️ Explosion soudaine des revenus, aveuglement de la direction de la banque (qui dit revenus dit bonus !), apathie du régulateur, tous les ingrédients, déjà constatés et répétés cent fois, d’un scandale pouvant prospérer en toute tranquillité.
Cerise sur le gâteau, et là aussi un grand classique, entre fin 2013 et avril 2014, le lanceur d’alerte Howard Wilkinson, un trader britannique alors en poste à Tallinn, a envoyé quatre courriers à ses supérieurs à Copenhague. On l’assure que l’affaire est prise au sérieux. Il faut pourtant attendre 2015 pour que la Danske Bank ferme sa division estonienne aux clients non-résidents.

Comme souvent dans ce type d’affaire, l’accusé n’est pas seul coupable; l’imbrication des systèmes financiers conduit à une dissémination de la fraude. Rompant avec son usage de passer ses messages dans la plus grande discrétion, l’autorité fédérale allemande de la supervision bancaire, la Bafin, a admonesté publiquement la Deutsche Bank, lundi 24 septembre. Sans prendre la moindre précaution, le régulateur lui a ordonné de renforcer immédiatement ses contrôles pour prévenir le blanchiment.

Ce n’est pas la première fois que la Deutsche Bank se retrouve aux prises avec un scandale bancaire. Subprimes, Libor, marché des changes, évasion fiscale : le géant bancaire allemand s’est retrouvé au centre de toutes les affaires qui secouent le monde financier depuis la crise financière. Mais alors que la banque allemande a les plus grandes difficultés à se remettre de ses errements passés, la nouvelle affaire dans laquelle elle se retrouve compromise pourrait être le scandale de trop. Correspondante pour tous les virements électroniques en dollar de la première banque danoise, la Danske Bank, la Deutsche Bank est impliquée dans cette gigantesque affaire de blanchiment portant sur plus de 200 milliards d’euros. Malgré un beau catalogue de condamnations ces dernières années, la Deutsche Bank aussi, semble frappée d’amnésie.

« Le scandale force le Danemark, numéro deux au classement des pays les moins corrompus du monde selon l’ONG Transparency International, à l’introspection. « Si nous ne pouvons pas avoir confiance dans notre système financier, cela mènera à une défiance générale à l’égard du fonctionnement de notre société », a récemment mis en garde le premier ministre, Lars Lokke Rasmussen. Fin septembre, les députés ont voté un durcissement des pénalités en cas de fraude, multipliant par huit les amendes pour blanchiment d’argent ». Petite compensation, mais sera-t-elle suffisante pour soigner la maladie, on peut en douter.

➡️ Faut-il pour autant s’étonner de cette amnésie généralisée ?

Pour ceux qui suivent ces jours-ci les débats du procès d’UBS France, rien d’étonnant que l’amnésie soit devenue un exercice de management. Toujours le même discours : dans un monde parfait, pas de place pour l’imperfection. On peut pousser l’amnésie jusqu’à oublier ses propres scandales, ses propres condamnations passées, voire même les raisons pour lesquelles on est renvoyé devant les juges…dès l’instant que l’on a quelques boucs-émissaires (on les appelle parfois des lanceurs d’alerte) à se mettre sous la dent.

D’un autre côté, comment se souvenir de ce pourquoi on n’a jamais été condamné ?
Car sanctionner financièrement la Bank, comme c’est devenu l’usage, ce n’est pas sanctionner les pratiques, les errements, les malversations et leurs auteurs.
Une amende reste pour une Bank un simple élément d’un compte d’exploitation.
Dans la plupart des professions s’il s’avère que vous n’êtes pas capables d’exercer votre métier selon ses règles et sans danger pour la société, on vous interdit temporairement ou définitivement de l’exercer. Pas dans la finance. Une amende suffira.
Comme apprendre alors de ses propres erreurs, comment ne pas se renfermer dans le déni et l’amnésie ?

MM.

Question presse: Macron plus fort que Trump

L’Élysée a décidé de fermer sa salle de presse, écartant les journalistes de l’exercice du pouvoir. Donald Trump avait imaginé en son temps la même manœuvre à la Maison-Blanche, avant d’y renoncer.

Ces jours-ci, tout le monde scrute les rapports entre le président Trump et les médias alors qu’une série de colis piégés a été envoyée aux ennemis présumés du chef de l’État américain, Hillary Clinton, Barack Obama, CNN, Georges Soros, etc. Après avoir joué, non bien longtemps l’unité nationale et n’étant pas lui non plus à l’abri d’un égarement, Donald Trump a continué d’attaquer les médias américains et leurs « fake news », concluant que cette presse portait seule la responsabilité de ces attaques.
«Mais le sort des journalistes n’est pas toujours enviable non plus ailleurs dans le monde», relate le Washington Post en évoquant l’Europe où trois journalistes ont été tués en un an alors qu’ils enquêtaient sur des affaires de corruption.
«Il devient également de plus en plus difficile de faire ce travail, y compris dans des pays où la liberté de la presse est garantie et où les journalistes ne sont pas physiquement menacés, raconte le quotidien américain. Il suffit de regarder la France d’Emmanuel Macron, où la règle implicite est de faire relire et approuver la moindre citation par son auteur, et où les journalistes sont de plus en plus écartés du pouvoir».

➡️ Mercredi 23 octobre, l’Élysée a annoncé la fermeture de sa salle de presse, permettait aux journalistes suivant le Président, d’observer directement le perron de l’Élysée et d’être au plus près du pouvoir exécutif. Les médias seront déménagés en dehors du palais présidentiel avant la fin de l’année. L’Association de la presse présidentielle a dénoncé « une décision unilatérale incompréhensible et inacceptable » dans un communiqué.

Le Washington Post rappelle que Donald Trump aussi, au début de sa présidence, avait eu l’idée de déménager le « pool » de journalistes hors de la Maison-Blanche. Face à l’indignation suscitée, Trump avait fait machine arrière. Macron, non.


De manière plus large, le quotidien américain explique que le président français «a accusé les médias français d’être responsables de sa chute de popularité», notamment en raison de l’affaire Benalla.
À cette période, retrace le Washington Post, «Macron avait finalement assumé sa responsabilité dans le scandale, mais seulement après avoir attaqué les médias, recyclant même la rhétorique de Trump sur les ‘fake news’ et le manque de légitimité des journalistes».
Et de rappeler que fin juillet, au plus fort du scandale de son ancien petit protégé, Macron, prend tous ses accents « trumpiens » : «We have a press that no longer seeks the truth».

Le Washington Post trouve que Macron n’est pas seul à la manœuvre dans cette attaque frontale contre la presse, d’autres politiciens français ayant des attitudes encore plus extrêmes. «Last week, for instance, in the aftermath of a police raid on his home and party headquarters that were related to, among other things, alleged campaign finance violations, Jean-Luc Mélenchon, leader of the far-left “France Unbowed,” urged his followers to “ruin” journalists wherever possible». Et le grand quotidien de la capitale états-unienne de rappeler que même dans la bouche de Trump ou de ses colistiers, un tel terme est incongru, relevant plus du vocabulaire d’un politicien d’un état autoritaire.

Par ailleurs, le journal américain souligne que sur la scène internationale, Macron aime à se présenter comme un défenseur acharné de la presse libre. Concernant l’assassinat du journaliste saoudien, par ailleurs éditorialiste attitré du Post, Jamal Khashoggi au consulat saoudien d’Istanbul ce mois-ci, si Macron a demandé des explications au Roi, il n’a pas pour autant suspendu, au moins temporairement, les ventes d’armes au royaume.

Pour les journalistes qui couvrent la présidence française, ce comportement est tout à fait révélateur du décalage constant de Macron entre les discours et les actions concrètes, entre les beaux discours pour l’extérieur et ses actions à l’intérieur.
La réalité est autre et la signification première de ce déménagement de la salle de presse de l’Élysée traduit selon les journalistes accrédités, une volonté de museler les capacités d’observation, d’investigation et d’analyse de la presse nationale.

MM.

Le prix de la diversité

Hier, ici même, nous recensions les noms d’oiseau dont sont affublés les lanceurs d’alerte.
A devoir lister, nous pourrions nous y mettre aussi mais préférons parler « diversité ».
En ces temps obscurs, en cette « époque qui sent le sang » comme dirait Michel Onfray, diversité est devenu un gros mot. Rassurons les petits caporaux, les apprentis racistes et les convaincus, nous ne parlerons pas de cette diversité qui les fait vociférer, mais de celle du monde animal, plus spécifiquement en Afrique, élément aggravant nous en convenons !

🔴 Le New-York Times de ce jour se fait l’écho, dans un article intitulé « In Africa, ‘Paper Parks’ Are Starved for Cash – au sous-titre: In a unique analysis, researchers put a price on protecting Africa’s wildlife : at least $1.2 billion each year », de l’étude publiée par PNAS (Proceedings of the National Academy of Sciences of the U.S.A) : « More than $1 billion needed annually to secure Africa’s protected areas with lions ».

La démarche des auteurs de ce travail est originale et en ce sens une première.
Il ne s’agit pas d’aborder la question de la préservation de la faune africaine de façon passéiste en comptabilisant années après années la diminution des populations emblématiques, non plus en énumérant les prises faites à la contrebande.

➡️ L’étude part premièrement d’un constat communément admis par la communauté scientifique spécialiste de la faune africaine: si le lion, tout au haut de la hiérarchie, se porte bien, toute la faune se porte bien; si le lion périclite, c’est toute la chaîne animale qui périclite. Or, « their numbers have dropped 43 percent over the past two decades to as few as 20,000 in the wild. They now occupy just 8 percent of their historic habitat ».
Vous l’avez compris, leur nombre a chuté de 43% au cours des deux dernières décennies. A présent, les lions n’occupent plus que 8% de leur habitat historique.

➡️ Deuxièmement, PNAS pose une seconde vérité, là aussi très largement admise : sans action concrète et déterminée, des pans entiers de la faune africaine sont amenés à disparaître dans les prochaines décennies.
Surtout l’étude pose la question du sauvetage de la faune africaine dans les seuls termes à la fois utile et compréhensible par chacun et plus spécifiquement par les gouvernants, celui du coût de la préservation de cette faune, non pas dans des projets de reconquête de territoires, mais sur les bases des espaces aujourd’hui protégés.
La question posée est en fait d’une grande simplicité : quel est le prix à payer pour sauver la faune africaine dans le cadre des espaces qui lui sont dès à présent alloués ?

« To estimate the amount of funding needed to boost populations by at least 50 percent, the researchers relied on three different financial models. Then, following a review of state wildlife and donor funding, as well as interviews with park managers and officials, the team totaled the dollars available for protected areas in the 23 countries included in their study.
They found that 88 percent to 94 percent of parks operate on budgets that are less than 20 percent of that required to perform effective conservation. Parks need to invest $377 to $783 per square mile, the researchers concluded. On average, parks spend just $77 per square mile.
The grand total to renew Africa’s parks: $1.2 billion to $2.4 billion each year. If the funding deficits are not addressed, lions and other wildlife in affected areas will likely experience catastrophic declines, the authors warn
».

✅ Voilà, nous connaissons le prix de la diversité: 1,2 milliards de dollars par an au minimum.
Pognon de dingue ou pas ? Pour certains, à partir du moment où ça n’entre pas dans leur poche, c’est toujours trop… Certes nous pourrions comparer cette somme à d’autres, ô combien plus extravagantes et sans doute beaucoup moins utiles comme celle des ventes d’armes mondiales annuelles, mais on nous répondra que comparaison ne vaut pas raison. Encore que… Nous pourrions ramener cette somme au nombre d’années, de millénaires, de présence des lions sur terre et l’on constaterait que le prix à payer pour leur suivie est bien dérisoire.

Nous n’avons pas la prétention de clore cette question en quelques lignes. Nous voulions surtout, à l’occasion de la publication de cette étude, insister que dans une économie capitaliste, le plus judicieux est sans doute d’aborder les solutions aux grandes questions qui nous traversent, d’un point de vue avant tout monétaire.
Même s’il y a urgence à changer de modes de production et de consommation, de tels changements, au cas où une prise de conscience effective avait lieu, prendraient trop de temps pour permettre la survie d’une part importante de la faune.
Dans l’attente, il faut y mettre le prix.

Si la faune a été détruite pour de simples questions financières, sa préservation est donc elle aussi une question financière.
On ne pourra plus dire « je ne savais pas » et on ne pourra plus dire « à quel prix ? ».

MM.

à la Une

Lanceurs d’alerte: noms d’oiseau et post-vérité

Les lanceurs d’alerte sont donc des menteurs, des dérangés, des racketteurs, des affabulateurs, des intéressés… et on en oublie de plus belles.
Désolés, mais nous n’avons pas le vocabulaire des entreprises qu’ils dénoncent, apparemment cela nécessite un peu d’entraînement, de longues semaines passées sur les bancs des tribunaux. D’un autre coté, on se dit que ce n’est vraiment pas la peine de se pointer aux audiences avec une horde d’avocats, l’achat d’un dictionnaire de mots obscènes ferait largement l’affaire, et coûterait quand même bien moins cher. Car, quand on n’a pour seule défense l’insulte, qu’on a du mal à dépasser la psychologie à deux balles des cafés du commerce pour dépeindre ses accusateurs, un soupçon d’intelligence voudrait que l’on joue profil bas. Mais voilà, quand on pense que le monde vous appartient, votre vérité, aussi grossièrement travestie qu’elle soit, devient LA vérité. Et c’est bien connu, là où il n’y a pas de gêne, il n’y a pas de plaisir.

Attention, tout ceci n’est pas l’apanage des sociétés renvoyées devant les tribunaux suite à des dénonciations de lanceurs d’alerte. La post-vérité étant devenue la marque à la mode, le nouvel AberCrombie, tout aussi artificiel et espérons éphémère, les politiques s’en sont emparé comme des morts sur la faim.
Quand on n’a rien à dire, rien de tel qu’une petite insulte et des menaces à peine voilées. C’est comme ceci que les journalistes deviennent des abrutis, des menteurs et des tricheurs, et qu’on encourage le troupeau à leur pourrir la vie. De la même façon qu’il n’y a pas de dictateur sans un peuple acceptant la soumission, il n’y a pas de post-vérité sans un troupeau prêt à l’accepter et à la répéter les yeux fermés.

Au final, lanceurs d’alerte et journalistes sont traités de la même façon, et plus largement tous ceux qui se disent que la réalité est sans doute plus complexe que quelques mots piochés ici et là dans un dictionnaire de synonymes. C’est assez comique au demeurant de constater que certains se proclamant haut et fort défenseurs des lanceurs d’alerte, utilisent exactement les mêmes procédés que les entreprises que les lanceurs dénoncent. C’est encore plus comique, quoi que désolant, que certains lanceurs, légitimes dans leur combat, acceptent ce petit jeu qui revient à s’infliger soi-même les coups de poignards. Mais bon, la nature humaine, comme la post-vérité, sont sans doute insondables, et puis l’important au final c’est d’y croire, on y réfléchira plus tard.

Parce que quand on y croit, tout est permis. Il n’y a plus de barrière. On peut dire tout et son contraire dans la même phrase, on peut mentir outrageusement, peu importe. Là où les sciences sociales se sont donné pour objectif de mettre en œuvre les outils permettant d’interpréter et de comprendre la réalité, les réalités, nos challengers ont pour mission d’élaborer un discours qui se substitue de lui-même à la réalité et à la vérité. C’est facile et bien pratique : si l’on est Insoumis on peut « en même temps » prétendre défendre la liberté de la presse et menacer les journalistes, si l’on est macronien on peut « en même temps » défendre la tradition d’accueil de la France et refouler tous ceux qui se présentent aux frontières, si l’on est une banque française, on peut « en même temps » affirmer que l’on respecte les lois des pays dans lesquels on exerce et signer un protocole d’accord avec un pays tiers reconnaissant que l’on n’a pas respecté les lois en question. Et des exemples à l’avenant, l’actualité en regorge.

Si les lanceurs d’alerte sont le poil à gratter des entreprises montrées du doigt pour leurs comportements délictueux, ils sont aussi le cauchemar des politiques. Ceci expliquant sans doute l’inaction, au-delà des discours d’intentions sans lendemain de la caste politicienne, et ce d’une extrême à l’autre, quand ce n’est pas le mépris ou une volonté réelle de les bâillonner. Le lanceur d’alerte est le cauchemar du politique car il est la démonstration vivante que l’organisation politique et économique de la société qu’il nous vend comme indépassable, est une énorme tartufferie. Nous pourrions porter le regard dans de multiples directions, mais limitons nous ici à deux points d’ancrage.

La confiance, maître mot de l’organisation de notre « démocratie libérale ». Confiance dans les acteurs économiques, confiance dans les corps intermédiaires, dans la classe politique, sans cette confiance, que l’on voudrait quasi-naturelle, tout ne serait que déséquilibres et loi du chacun pour soi. Car la confiance c’est aussi le respect des engagements, le respect des processus électoraux, le respect des règles que la société se donne pour être, espère-t-elle plus harmonieuse et égalitaire.

C’est un b-a-ba de l’économie libérale : sans confiance entre les agents, sans respect des engagements, la transparence est impossible, la concurrence est faussée, les acteurs ne sont pas sur le même pied d’égalité. C’est une règle d’or affichée aux pontons de toute entreprise qui se respecte, on n’a pas inventé pour rien la possibilité de défaire des contrats quand la confiance est brisée, quand la loyauté est atteinte.
Et le lanceur d’alerte vient mettre son bordel dans ce monde rêvé : il l’applique à la lettre ! Il se conforme aux lois et règlements de son champ d’exercice, il assume ses responsabilités, il tient ses engagements, il agit en fait pour que la confiance puisse être maintenue entre les différents agents, persuadé que son comportement est un gage de stabilité et d’égalité de la société. Et pour ce faire, sa société, la société et tous les corps intermédiaires, le montrent du doigt, l’accusent, le marginalisent et l’excluent. Tout ceci, on l’aura compris, n’est qu’un comportement de défense, aussi puérile que de crier à la face du lanceur menteur ou autres noms d’oiseaux. Une fois de plus le symptôme a moins d’importance que la cause. Pourquoi un tel comportement si ce n’est pour reconnaître que le lanceur met en péril un certain équilibre, mais pas celui que l’on croit, pas celui que l’on cherche à nous vendre, juste un équilibre dans la négation des règles imposées ?

La méritocratie, l’un des principes fondateurs de la démocratie libérale, promesse devant sceller une société de progrès perpétuels, remise au goût du jour sous les lumières du pseudo « nouveau monde », même si c’est une fois de plus puérilement et grossièrement. Si le bonheur est dans le pré, le mérite est de l’autre côté de la rue !
Bon, on sait depuis longtemps que tout ceci est une grosse arnaque, mais le mythe demeure bien vivant et surtout bien entretenu. Mieux vaut être rentier et oisif que mal né et travailleur. La médiocratie a remplacé depuis des lustres la méritocratie, et en ces temps de libération de toutes les paroles, même les plus archaïques, et en ces temps où la bêtise est devenue un art de vivre (« parce que je le vaux bien »), le médiocre, pourvu qu’il ait quelques pouvoirs de polichinelles, se revendique haut et fort. Les médiocres ont pris le pouvoir, mais en plus ils sont militants et pour beaucoup d’entre eux corrompus, ouvertement. Alors là aussi, le lanceur d’alerte est un empêcheur de tourner en rond. Le médiocre n’a pas d’autre horizon que sa propre médiocrité pour maintenir ses pouvoirs, ses avantages, ses petites magouilles, après tout c’est pour ça qu’il a été coopté, il fera ce qu’on lui dit et ne remettra pas en cause l’équilibre de la pyramide. Le lanceur quand il dénonce ne fait pas que porter préjudice à l’entreprise en mettant sur la place publique ses dysfonctionnements, ses errements, ses malversations, il remet en cause l’équilibre précaire de toute la structure, le gagne pain facile de l’édifice et de ses médiocres.
Il n’est pas uniquement l’ennemi de l’organisation, il est aussi celui de tous ceux qui y vivent protégés derrière leurs insuffisances, leur incompétence et leur fidélité aveugle à la main qui leur donne à manger, encore un qui n’a pour d’autre horizon que d’y croire.

Derrière les noms d’oiseau il y a un autre monde, une autre réalité, une autre vérité, si éloignés du monde loué, que celui qui ose lever la main est condamné sans autre forme de procès.

MM.