La porte pour seule réponse

À boire et à manger ou plutôt à lire et à écouter.

MetaMorphosis apporte son soutien au lanceur d’alerte Karim Ben Ali, ancien employé d’ArcelorMittal.
Nous avons parlé de son affaire, relayé ici et ses diverses interventions et participé (ici) à une pétition destinée à la Procureure de la République en charge de l’instruction.
Cette dernière a annoncé récemment qu’elle ne communiquerait sur les conclusions de l’enquête préliminaire qu’à la fin de l’été 2018.
Un article paru récemment dans la presse régionale (ici), s’en fait l’écho et apporte quelques précisions.
Plane toujours le doute sur fond d’analyses des prélèvements qui, mandatées par la Procureure et tardant à être révélées (une année d’attente!), ne décèleraient selon ce même quotidien rien d’anormal. Un article qui, comme le présentateur de météo, vous annoncerait le temps à venir… Pour l’heure, soulignons que le journal en question n’a pas jugé utile de faire part de la position du lanceur d’alerte, se limitant à celle de la justice uniquement.
Quoi qu’il en soit, attendons la publication des conclusions définitives, nous aurons sûrement l’occasion d’y revenir.

On parle d’ArcelorMittal aussi dans Médiapart (ici) sous la plume de Pascale Pascariello.
«Le parquet de Dunkerque vient de classer sans suite un accident mortel, survenu en juillet 2015, dans l’usine ArcelorMittal. Pourtant, l’inspection du travail retient la responsabilité de la multinationale, passible de poursuites pour homicide involontaire. Depuis 2012, quatre accidents mortels survenus dans l’usine ont été classés sans suite… Et c’est la deuxième fois que la décision du procureur de la République va à l’encontre des conclusions de l’inspection du travail et de l’enquête de police».

MetaMorphosis vous conseille vivement la lecture de cet article. Il met en évidence un taux d’accident au travail chez ArcelorMittal bien supérieur à celui de ses concurrents et des défaillances récurrentes en matière de sécurité. Mais à chaque fois, la justice semble se résoudre à ne jamais retenir de fautes caractérisées à l’encontre de l’industriel et ce, malgré des rapports de police ou de l’inspection du travail contradictoires.

Plus intéressant, et maintenant c’est à écouter, le travail d’enquête réalisé par la même Pascale Pascariello pour France Culture sur cette succession de classements sans suite d’instructions sur la mort de salariés du site de Dunkerque. La parole est donnée à des travailleurs de l’usine, à des parents de victimes, à leur avocat et à des syndicalistes de l’entreprise. Il ne semble pas que la Direction d’ArcelorMittal ait souhaité s’exprimer…

Un grand moment de justice et de solitude vous attend à la fin de ce reportage quand la journaliste auteur de l’enquête interroge la substitut du procureur de Dunkerque en charge de tous ces dossiers.
Nous passerons sur le fait que trois morts en huit mois dans une même usine puisse lui paraître un événement négligeable (ça fera toujours plaisir aux familles des victimes!); mais le meilleur est vraiment pour la toute fin de l’entretien quand la journaliste ose encore s’étonner auprès de son interlocutrice que les présumées fautes des salariés sont seules à être retenues, jamais celles de l’entreprise pourtant relevées par des rapports de l’inspection du travail ou de la police.

La « réponse » de la représentante du parquet rentrera dans les annales judiciaires…

MM.

« Je m’appelle Karim Ben Ali… » – Paroles de Résistances

Un long et beau témoignage du lanceur d’alerte d’ArcelorMittal, tenu ce jour au plateau des Glières, haut lieu de la Résistance –

« Je m’appelle Karim Ben Ali, chauffeur routier depuis l’âge de 19 ans. Je suis père de trois enfants et j’ai été obligé de quitter la région où je vivais avec ma famille, où je travaillais parce que j’ai montré comment des sociétés pourrissent la planète et la vie des futures générations.

Comme intérimaire pour Suez-Environnement, j’ai conduit des camions de déchets chimiques provenant de l’usine Arcelor Mittal de Florange et répertoriés comme dangereux.

Je n’avais pas de formation spécialisée pour le transport et la manipulation de produits dangereux, mais cela devait probablement leur coûter moins cher et comme beaucoup, j’ai besoin de travailler.

A la fin de l’année 2016, on me demande d’aller déverser au crassier de Marspich, en pleine nature, les produits chimiques chargés dans le camion que je dois conduire, ce qui évite de payer le traitement dans un centre spécialisé! Je ne le savais pas à l’époque, mais d’autres avant moi l’ont fait et le disent aujourd’hui.

J’ai filmé ça avec mon téléphone, simplement parce que face au mensonge du discours officiel de la protection de l’environnement je ne pouvais pas garder ça pour moi et me taire. Je le dois à mes enfants mais aussi à tous ceux qui n’acceptent pas que l’on détruise l’avenir et la santé des générations futures.

J’ai d’abord alerté, les personnes qui travaillaient chez Suez et Arcelor Mittal car je pensais qu’ils ne savaient pas. Mais l’affaire a été enterrée jusqu’à ce qu’une journaliste de France Bleu rediffuse la vidéo et qu’il y ait cinq millions de vues sur Internet. C’est là que mes ennuis ont commencé.

Arcelor Mittal a dit qu’ils n’étaient pas au courant, ils ont dit que je mentais. Je n’ai plus pu retrouver du travail alors que je n’ai jamais eu de problème comme chauffeur.

Comme bien d’autres qui sont venus témoigner ici de leur parcours, j’ai pété les plombs et j’ai été hospitalisé, n’arrivant pas à supporter la pression de cette affaire pourtant si simple.

C’est moi qui ai ramassé et non pas ceux qui m’ont fait manipuler les produits dangereux sans protection. Aujourd’hui, j’ai perdu le goût et l’odorat, j’ai les yeux qui sont fragiles et ma santé générale est précaire.

Arcelor a déclaré que les produits déversés n’étaient pas de l’acide, mais j’ai rapporté la preuve grâce à la plaque qui identifie le chargement que je n’ai pas menti. Pourtant, dans la vallée je suis devenu un paria, je me fais régulièrement insulter par certains qui craignent sans doute une fermeture du site d’Arcelor Mittal.

Mon chef d’équipe disait qu’on avait toujours fait comme ça chez Arcelor, ils savaient que c’était de l’acide mais ça ne dérangeait personne, c’était la routine. Je suis donc allé voir la police et on m’a dit qu’on ne pouvait rien faire. En janvier 2017, j’ai envoyé les vidéos à François Hollande ainsi qu’au ministère de l’écologie, je n’ai eu aucun retour.

J’ai aussi transmis les vidéos à un sapeur-pompier. Au lieu d’en informer sa hiérarchie et le préfet, il a couru au service écologie d’Arcelor qui a enterré l’affaire … Le point positif c’est qu’ils ont immédiatement arrêté de déverser l’acide au crassier. Mais à partir de ce moment-là j’ai été blacklisté dans la région. J’ai donc médiatisé l’affaire en juillet 2017, grâce à une journaliste.

Arcelor Mittal a immédiatement démenti son implication ainsi que le risque écologique et sanitaire, Ils ont évidemment déposé une plainte en diffamation que la Procureure de la République a décidé d’instruire.

Les dirigeants d’Arcelor Mittal qui étaient au courant depuis janvier 2017 et savaient que la vidéo finirait par sortir, ont eu le temps de préparer leur défense.

Une enquête pénale a été ouverte par le parquet de Thionville suite à la diffusion de la vidéo. J’ai été convoqué par les enquêteurs et si ma première audition s’est bien passée, la seconde a été très difficile. Aujourd’hui j’ai toutes les peines du monde à obtenir des informations de la part du parquet.

J’ai engagé une procédure aux Prud’Hommes mais vu que je travaillais pour une société d’intérim je n’aurai pas grand-chose.
On nous parle de la Loi de protection des lanceurs d’alerte, mais je suis la preuve de son inefficacité. Hormis les vidéos que j’ai tournées et qui me semblaient largement suffisantes pour informer les directeurs de l’usine, je n’ai pas constitué un dossier juridique comme le voudrait la Loi. Les mouchards du camion : disparus, l’enquête de la Procureure de la République au ralenti … par contre pour moi c’est la galère assurée.

Où est cette soit disant protection des lanceurs d’alerte qui transmettent une information d’intérêt général ! Pas d’aide financière, pas de reclassement professionnel, fin de droit puisque personne ne veut me réembaucher, difficultés familiales, car toute ma famille se trouve sous la pression.

Rien n’est fait pour aider ceux qui révèlent la triche, le mensonge, la pollution et la mise en danger des générations futures..

Neuf mois après l’ouverture de l’enquête judiciaire la Procureure n’a rien sorti…. Les résultats des analyses des échantillons de terre prélevés, toujours pas connus, les témoignages de ceux que j’ai prévenu, toujours rien.

Heureusement j’ai eu la chance d’être contacté par l’agence « Première ligne » et le journaliste Pedro Brito da Fonseca que je tiens à remercier chaleureusement ici, dans ce haut-lieu de la résistance.

Son enquête a été diffusée le 2 avril dernier sur la chaîne planète. Il a retrouvé les vidéos, il a identifié la nature des chargements des produits dangereux grâce aux plaques sur le camion, il a enregistré ceux qui étaient informés, il a retrouvé d’anciens salariés qui ont confirmé que déverser des produits chimiques était une pratique connue dans l’entreprise, il a même obtenu les photos d’autres déversements, il a prélevé des échantillons des terres où j’ai déversé, il les a fait analyser, il a retrouvé les rapports des services de l’État à Arcelor Mittal … Il a fait le travail dont était chargés les enquêteurs judiciaires et la Procureure de la République qui elle, n’avait pas de résultat à communiquer …

Suite à cette diffusion des lanceurs d’alerte ont écrit une lettre à la Procureure de la République, je les remercie car dès le lendemain elle s’est trouvée obligée de répondre et de donner une date pour ses conclusions. Je tiens à citer les premiers signataires de cette lettre que vous connaissez car je sais qu’ils sont venus ici : Irène FRACHON, Antoine DELTOUR, Denis ROBERT, Daniel IBANEZ, Thomas DIETRICH, Raymond AVRILLIER, Caroline CHAUMET, Michèle RIVASI, Olivier DUBUQUOY, Annie THEBAUD MONY, Fabrice RIZZOLI, Françoise VERCHERE, Jean-Luc TOULY, Olivier THERONDEL, James DUNNE, Stéphanie GIBAUD, Jean-François BERNARDINI, Jean-Christophe PICARD, Florent COMPAIN, Céline MARTINELLI, Mathieu CHÉRIOUX, Florence HARTMANN, Philippe PASCAL, Hélène CONSTANTY. Leur lettre n’est pas qu’un soutien mais une action qui a porté.

Ils montrent que nous pouvons peser ensemble même sur des procureurs. Je remercie aussi Céline Boussié qui m’a proposé de venir au salon « Des livres et l’Alerte » de Paris où j’ai rencontré beaucoup de personnalités et où je suis invité en novembre prochain.

Je remercie le CRHA pour organiser ce forum des résistances et m’avoir invité, car je sais aujourd’hui que sans la résistance de chacun et de tous ceux qui m’ont apporté leur soutien, j’aurai définitivement sombré.

Je pensais faire simplement un acte citoyen, je voulais juste protéger la nature, les animaux, l’environnement. On parle de démocratie, de liberté, mais nous ne sommes même pas capables de protéger les lanceurs d’alerte !

Je finirai par une anecdote. L’autre jour, dans la rue, je me suis fait insulter pour la énième fois de « traitre » ou de « balance », je ne sais plus. Je fais tout pour rester calme, en particulier quand je suis avec mes enfants. Mon fils me dit : « Pourquoi tu ne vas pas voir la police ? », je lui réponds qu’elle ne fera rien. Et là il me sort: « On dit que la France est un pays de liberté, mais il n’y a pas de liberté… car ils ne te protègent pas. » Il a 12 ans…

Je vous remercie toutes et tous d’être présents. J’ai beaucoup appris de cette triste expérience qui n’est toujours pas terminée puisque nous attendons encore le résultat de l’enquête, mais je suis convaincu d’avoir bien fait en révélant ces pratiques honteuses.

J’ai rencontré des gens que je n’aurai jamais côtoyés, je suis fier devant mes enfants et ma famille d’avoir dit la vérité malgré ce que cela m’a coûté.

J’ai été obligé de déménager et de partir dans le Sud pour chercher du travail, pendant ce temps j’espère qu’ils ne déversent plus les produits dans la nature. J’espère que les responsables de ces pollutions et de ma situation devront dédommager pour ce qu’ils ont fait.

Je sais ce que j’ai perdu mais je sais aussi ce que j’ai gagné et je peux vous dire que me taire aurait été pire. »

Karim Ben Ali, lanceur d’alerte, plateau des Glières le 03 juin 2018.

Affaire ArcelorMittal Florange, lettre ouverte à Madame la Procureure de la République

Début juillet 2017, Karim Ben Ali, chauffeur de camion ex-employé sous-traitant d’ArcelorMittal Florange, dénonçait -vidéo à l’appui- des pratiques non règlementaires de rejets de déchets soupçonnés toxiques (acide), et ce en pleine nature, dans le crassier de l’usine incriminée.
Quelques jours après la divulgation de ces vidéos, le parquet de Thionville ouvrait une enquête, confiée à la police judiciaire de Metz.

Y a-t-il eu ou non de l’acide déversé sur le crassier d’ArcelorMittal à Florange ? Telle est la question.

Neuf mois après, où en sommes nous ? Où en est le Parquet Thionville qui a ouvert sitôt la diffusion du film, une enquête préliminaire ? Quid des résultats des analyses des prélèvements effectués sur le site ?
C’est pour obtenir ces réponses qui tardent à venir, qu’une lettre réclamant rapidement les conclusions de l’enquête préliminaire a été envoyée le 16 avril 2018, à Madame la Procureure de Thionville, copie au Ministre de la transition écologique, Nicolas Hulot.


Au-delà de cette initiative, une mobilisation plus large est nécessaire pour soutenir Karim qui seul face à une multinationale, ne peut peser sur le cours de la justice.
Comme pour beaucoup de lanceurs d’alerte, les lenteurs de la justice font de Karim à ce jour, la seule victime de cette affaire.

MM.