Lanceurs d’alerte : plus belle la vie !

Tribune « coup de gueule » aujourd’hui.

Message à l’attention des lanceurs d’alerte : arrêtez de vous plaindre, arrêtez de gémir et de revendiquer, arrêtez de voir le mal partout, arrêtez de croire qu’on vous laisse sur le bord de la route…
Prenez le temps, regardez un instant… Elle n’est pas belle la vie ?

C’est ce qu’on se dit du côté de Genève. L’hebdomadaire Le Point est là pour nous le rappeler dans un article du 03 Juin 2018 : «En Suisse, on continue à blanchir de l’argent», ici.
«La justice espagnole pointe du doigt sept banques suisses impliquées dans le scandale qui a provoqué en Espagne la chute du gouvernement de Mariano Rajoy».
De quoi s’agit-il ? «Il faut prendre le temps de lire 1 689 pages du jugement de la justice espagnole condamnant le Parti populaire (PP) pour financement illégal, ainsi que 29 personnes pour «corruption, détournement de fonds et blanchiment d’argent» dans l’affaire Gürtel. Une affaire qui a fait chuter cette semaine le Premier ministre Mariano Rajoy. Ce travail patient, réalisé par le site suisse Gotham City, permet de révéler que cette «corruption institutionnalisée» n’a été possible que grâce au concours de sept banques helvétiques. La banque Cial (aujourd’hui le CIC), la Dresdner Bank (ex-LGT), la banque SYZ, Lombard Odier, le Crédit suisse, la BSI et la banque Mirabaud».
Bizarre quand même car officiellement, la Confédération ne blanchit plus d’argent et affirme même à qui veut l’entendre collaborer activement avec les fiscs étrangers. Ça tombe bien, la Commission Européenne l’a entendu au point de la déclassifier de noir à gris sur sa liste des États coopératifs. Toujours aussi mystérieuses les voix entendues par Moscovici et ses collègues, qui, un peu comme Jeanne d’Arc, semblent avoir quelques problèmes avec la réalité. Car c’est quand même bien foutu comme nous le raconte Le Point : «… le filet pour attraper les blanchisseurs contient toujours de gros trous. En effet, l’identification des clients ne s’applique pas aux sociétés fiduciaires et aux avocats. Ils n’ont toujours pas à vérifier l’identité de leurs clients et la provenance des fonds».
Concrètement, si vous avez quelques millions en petites coupures à déposer, la banque suisse vous demandera (normalement) des justificatifs. En revanche, si vous passez d’abord par un avocat d’affaires, ce dernier n’a pas la même obligation. Cela permet aux avocats et aux fiduciaires de travailler avec des clients dont la réputation est douteuse sans courir de risques réels.
Certains ne manquent pas de dénoncer «les énormes failles dans la législation suisse, notamment en ce qui concerne l’acquisition d’immeubles par des personnes étrangères. La loi suisse ne permet toujours pas de détecter (et donc de sanctionner) des opérations de blanchiment».
Elle n’est pas belle la vie ? Après tout, la Suisse est la patrie du gruyère. Un peu normal qu’il y ait autant de trous dans sa législation anti-blanchiment ! Et puis, comme l’Europe n’a rien à dire, tout va bien…

Les hommes politiques malaisiens n’ont pas trop envie non plus de se gâcher la vie. On doit reconnaître qu’ils font preuve d’imagination. C’est le Washington Post qui nous explique tout ceci dans un article du 02 Juin 2018. Avant de donner la référence, il convient de rappeler que la Malaisie a une dette extérieure de $ 250 milliards et que le pays et la quasi-totalité de sa classe politique sont empêtrés depuis plusieurs années dans l’un des plus grands scandales de corruption de ces dernières décennies, connu sous le nom du Fond Souverain 1MDB.
MetaMorphosis s’en est déjà fait l’écho par le menu détail dans une précédent article, ici.
La victime principale de cette énorme escroquerie est bien évidement le peuple malaisien qui se trouve spolié d’un Fond destiné à l’origine à investir sur l’avenir.
Revenons à l’article du Washington Post, intitulé «Malaysia has $250 billion of debt. The government is trying to crowdfund it», ici. Il fallait effectivement y penser, rembourser tout ou partie de la dette du pays par un… crowndfounding ! «When Malaysian Prime Minister Mahathir Mohamad unexpectedly won his bid for office in May, he pledged to do his best to find money that went missing in a massive corruption scandal under his predecessor. Former Prime Minister Najib Razak has been accused of stealing hundreds of millions of dollars from a state fund known as 1MDB.
Mahathir’s other priority was get the country’s $250 billion worth of debt under control. And this week, he announced the government had found a way to at least get started: crowdfunding».

La Malaisie a une dette qui représente 80% de son produit intérieur brut. Soit. Il faudrait savoir si tout ou partie de cette dette publique est totalement légitime. Soit. Généralement, pour rembourser une dette, qui est celle de l’ensemble de la collectivité, on fait appel à l’impôt, chacun contribuant proportionnellement à ses ressources. Les politiques locaux n’ont rien trouvé de mieux que de faire appel au bénévolat!

Même si, hypothèse utopique, tout le monde donnait, on voit bien que l’égalité devant l’impôt, et donc devant la dette, ne serait sûrement pas respectée. Déjà, voilà une idée pour le moins démagogique qui en plus provient d’un corps de la société qui s’est permis, au travers du scandale 1MDB, de se servir sur les deniers publics sans aucun état d’âme.
Elle n’est pas belle la vie ?

Elle est belle la vie à la Société Générale. Le magazine Challenges nous le confirme dans un article du 04 Juin 2018 «Libye : la Société générale paiera 250 millions d’euros au fisc français», ici.
La Société générale paiera 250 millions d’euros à l’État français pour mettre fin aux poursuites concernant ses relations litigieuses avec le fonds souverain libyen LIA (Libyan Investment Authority).
«Au terme de la convention judiciaire d’intérêt public (CJIP) signée le 24 mai, la Société générale accepte de payer une amende de 250 millions d’euros au trésor public français dans le dossier libyen, a déclaré Eliane Houlette. C’est la deuxième CJIP conclue par le parquet national financier (PNF) après celle de l’automne dernier avec HSBC. Elle a été validée lundi par la justice française à Paris.
Au total, la Société Générale a annoncé avoir accepté de payer des amendes d’un montant total de 1,34 milliard de dollars (1,15 milliard d’euros) pour résoudre deux litiges aux Etats-Unis et en France portant sur des manipulations supposées du taux interbancaire Libor et des soupçons de corruption en Libye. Dans ce dernier dossier, la banque française va également plaider coupable devant un tribunal new-yorkais mardi, a annoncé lundi le ministère américain de la Justice (DoJ)»
.
Saluons tout de suite (et encore) le magnifique travail de l’Association Transparency International France, promoteur acharné de cette CJIP, sans laquelle une telle situation ne serait pas possible. Cette Association est bien la même que celle prétendant défendre les intérêts des lanceurs d’alerte et lutter contre la corruption ! Penchons nous sur le magnifique tableau de chasse de la Société Générale, qui à l’image de Woerth, est, elle aussi, une multi récidiviste (en matière d’affaires et non de condamnation): manipulations de taux et corruption. Vous devez vous dire qu’elle va sûrement prendre cher ! Et bien non, une petite amende, pas de condamnation, et «business as usual».
Elle n’est pas belle la vie ?

Alors, Mesdames, Messieurs les lanceurs d’alerte, arrêtez de vous plaindre. Bon, ok, vous n’avez que respecté votre parole, vos engagements, vos obligations vis-à-vis de votre employeur et de votre profession ? Vous avez répondu aux obligations que vous impose la loi ? Vous avez dénoncé des faits qui portaient un préjudice grave à l’intérêt général ? Vous avez scrupuleusement respecté une procédure de dénonciation en interne puis en externe, ne doutant pas qu’il convenait de protéger votre employeur, votre profession ? Vous avez agi de bonne foi, avec sincérité et sans arrières pensées ? Vous pouvez prouver tous les éléments de votre dénonciation ? On vous a remercié en vous licenciant illico, en vous black listant dans votre profession ? Ça fait des années que la justice «travaille» sur le dossier ? Vous devez honorer des frais d’avocats exorbitants ? Vous êtes sans ressources ? C’est pas d’bol !
Mais arrêtez de gémir ! On vient de le voir, y’a pire…

Elle n’est pas belle la vie ? Nul doute que c’est ainsi que vous l’aviez rêvée.

MM.

« Je m’appelle Karim Ben Ali… » – Paroles de Résistances

Un long et beau témoignage du lanceur d’alerte d’ArcelorMittal, tenu ce jour au plateau des Glières, haut lieu de la Résistance –

« Je m’appelle Karim Ben Ali, chauffeur routier depuis l’âge de 19 ans. Je suis père de trois enfants et j’ai été obligé de quitter la région où je vivais avec ma famille, où je travaillais parce que j’ai montré comment des sociétés pourrissent la planète et la vie des futures générations.

Comme intérimaire pour Suez-Environnement, j’ai conduit des camions de déchets chimiques provenant de l’usine Arcelor Mittal de Florange et répertoriés comme dangereux.

Je n’avais pas de formation spécialisée pour le transport et la manipulation de produits dangereux, mais cela devait probablement leur coûter moins cher et comme beaucoup, j’ai besoin de travailler.

A la fin de l’année 2016, on me demande d’aller déverser au crassier de Marspich, en pleine nature, les produits chimiques chargés dans le camion que je dois conduire, ce qui évite de payer le traitement dans un centre spécialisé! Je ne le savais pas à l’époque, mais d’autres avant moi l’ont fait et le disent aujourd’hui.

J’ai filmé ça avec mon téléphone, simplement parce que face au mensonge du discours officiel de la protection de l’environnement je ne pouvais pas garder ça pour moi et me taire. Je le dois à mes enfants mais aussi à tous ceux qui n’acceptent pas que l’on détruise l’avenir et la santé des générations futures.

J’ai d’abord alerté, les personnes qui travaillaient chez Suez et Arcelor Mittal car je pensais qu’ils ne savaient pas. Mais l’affaire a été enterrée jusqu’à ce qu’une journaliste de France Bleu rediffuse la vidéo et qu’il y ait cinq millions de vues sur Internet. C’est là que mes ennuis ont commencé.

Arcelor Mittal a dit qu’ils n’étaient pas au courant, ils ont dit que je mentais. Je n’ai plus pu retrouver du travail alors que je n’ai jamais eu de problème comme chauffeur.

Comme bien d’autres qui sont venus témoigner ici de leur parcours, j’ai pété les plombs et j’ai été hospitalisé, n’arrivant pas à supporter la pression de cette affaire pourtant si simple.

C’est moi qui ai ramassé et non pas ceux qui m’ont fait manipuler les produits dangereux sans protection. Aujourd’hui, j’ai perdu le goût et l’odorat, j’ai les yeux qui sont fragiles et ma santé générale est précaire.

Arcelor a déclaré que les produits déversés n’étaient pas de l’acide, mais j’ai rapporté la preuve grâce à la plaque qui identifie le chargement que je n’ai pas menti. Pourtant, dans la vallée je suis devenu un paria, je me fais régulièrement insulter par certains qui craignent sans doute une fermeture du site d’Arcelor Mittal.

Mon chef d’équipe disait qu’on avait toujours fait comme ça chez Arcelor, ils savaient que c’était de l’acide mais ça ne dérangeait personne, c’était la routine. Je suis donc allé voir la police et on m’a dit qu’on ne pouvait rien faire. En janvier 2017, j’ai envoyé les vidéos à François Hollande ainsi qu’au ministère de l’écologie, je n’ai eu aucun retour.

J’ai aussi transmis les vidéos à un sapeur-pompier. Au lieu d’en informer sa hiérarchie et le préfet, il a couru au service écologie d’Arcelor qui a enterré l’affaire … Le point positif c’est qu’ils ont immédiatement arrêté de déverser l’acide au crassier. Mais à partir de ce moment-là j’ai été blacklisté dans la région. J’ai donc médiatisé l’affaire en juillet 2017, grâce à une journaliste.

Arcelor Mittal a immédiatement démenti son implication ainsi que le risque écologique et sanitaire, Ils ont évidemment déposé une plainte en diffamation que la Procureure de la République a décidé d’instruire.

Les dirigeants d’Arcelor Mittal qui étaient au courant depuis janvier 2017 et savaient que la vidéo finirait par sortir, ont eu le temps de préparer leur défense.

Une enquête pénale a été ouverte par le parquet de Thionville suite à la diffusion de la vidéo. J’ai été convoqué par les enquêteurs et si ma première audition s’est bien passée, la seconde a été très difficile. Aujourd’hui j’ai toutes les peines du monde à obtenir des informations de la part du parquet.

J’ai engagé une procédure aux Prud’Hommes mais vu que je travaillais pour une société d’intérim je n’aurai pas grand-chose.
On nous parle de la Loi de protection des lanceurs d’alerte, mais je suis la preuve de son inefficacité. Hormis les vidéos que j’ai tournées et qui me semblaient largement suffisantes pour informer les directeurs de l’usine, je n’ai pas constitué un dossier juridique comme le voudrait la Loi. Les mouchards du camion : disparus, l’enquête de la Procureure de la République au ralenti … par contre pour moi c’est la galère assurée.

Où est cette soit disant protection des lanceurs d’alerte qui transmettent une information d’intérêt général ! Pas d’aide financière, pas de reclassement professionnel, fin de droit puisque personne ne veut me réembaucher, difficultés familiales, car toute ma famille se trouve sous la pression.

Rien n’est fait pour aider ceux qui révèlent la triche, le mensonge, la pollution et la mise en danger des générations futures..

Neuf mois après l’ouverture de l’enquête judiciaire la Procureure n’a rien sorti…. Les résultats des analyses des échantillons de terre prélevés, toujours pas connus, les témoignages de ceux que j’ai prévenu, toujours rien.

Heureusement j’ai eu la chance d’être contacté par l’agence « Première ligne » et le journaliste Pedro Brito da Fonseca que je tiens à remercier chaleureusement ici, dans ce haut-lieu de la résistance.

Son enquête a été diffusée le 2 avril dernier sur la chaîne planète. Il a retrouvé les vidéos, il a identifié la nature des chargements des produits dangereux grâce aux plaques sur le camion, il a enregistré ceux qui étaient informés, il a retrouvé d’anciens salariés qui ont confirmé que déverser des produits chimiques était une pratique connue dans l’entreprise, il a même obtenu les photos d’autres déversements, il a prélevé des échantillons des terres où j’ai déversé, il les a fait analyser, il a retrouvé les rapports des services de l’État à Arcelor Mittal … Il a fait le travail dont était chargés les enquêteurs judiciaires et la Procureure de la République qui elle, n’avait pas de résultat à communiquer …

Suite à cette diffusion des lanceurs d’alerte ont écrit une lettre à la Procureure de la République, je les remercie car dès le lendemain elle s’est trouvée obligée de répondre et de donner une date pour ses conclusions. Je tiens à citer les premiers signataires de cette lettre que vous connaissez car je sais qu’ils sont venus ici : Irène FRACHON, Antoine DELTOUR, Denis ROBERT, Daniel IBANEZ, Thomas DIETRICH, Raymond AVRILLIER, Caroline CHAUMET, Michèle RIVASI, Olivier DUBUQUOY, Annie THEBAUD MONY, Fabrice RIZZOLI, Françoise VERCHERE, Jean-Luc TOULY, Olivier THERONDEL, James DUNNE, Stéphanie GIBAUD, Jean-François BERNARDINI, Jean-Christophe PICARD, Florent COMPAIN, Céline MARTINELLI, Mathieu CHÉRIOUX, Florence HARTMANN, Philippe PASCAL, Hélène CONSTANTY. Leur lettre n’est pas qu’un soutien mais une action qui a porté.

Ils montrent que nous pouvons peser ensemble même sur des procureurs. Je remercie aussi Céline Boussié qui m’a proposé de venir au salon « Des livres et l’Alerte » de Paris où j’ai rencontré beaucoup de personnalités et où je suis invité en novembre prochain.

Je remercie le CRHA pour organiser ce forum des résistances et m’avoir invité, car je sais aujourd’hui que sans la résistance de chacun et de tous ceux qui m’ont apporté leur soutien, j’aurai définitivement sombré.

Je pensais faire simplement un acte citoyen, je voulais juste protéger la nature, les animaux, l’environnement. On parle de démocratie, de liberté, mais nous ne sommes même pas capables de protéger les lanceurs d’alerte !

Je finirai par une anecdote. L’autre jour, dans la rue, je me suis fait insulter pour la énième fois de « traitre » ou de « balance », je ne sais plus. Je fais tout pour rester calme, en particulier quand je suis avec mes enfants. Mon fils me dit : « Pourquoi tu ne vas pas voir la police ? », je lui réponds qu’elle ne fera rien. Et là il me sort: « On dit que la France est un pays de liberté, mais il n’y a pas de liberté… car ils ne te protègent pas. » Il a 12 ans…

Je vous remercie toutes et tous d’être présents. J’ai beaucoup appris de cette triste expérience qui n’est toujours pas terminée puisque nous attendons encore le résultat de l’enquête, mais je suis convaincu d’avoir bien fait en révélant ces pratiques honteuses.

J’ai rencontré des gens que je n’aurai jamais côtoyés, je suis fier devant mes enfants et ma famille d’avoir dit la vérité malgré ce que cela m’a coûté.

J’ai été obligé de déménager et de partir dans le Sud pour chercher du travail, pendant ce temps j’espère qu’ils ne déversent plus les produits dans la nature. J’espère que les responsables de ces pollutions et de ma situation devront dédommager pour ce qu’ils ont fait.

Je sais ce que j’ai perdu mais je sais aussi ce que j’ai gagné et je peux vous dire que me taire aurait été pire. »

Karim Ben Ali, lanceur d’alerte, plateau des Glières le 03 juin 2018.

Infos en stock et en bref

➡️ New-York Times du 01 Juin 2018 «Fed Makes a Risky Bet on Banks» par le Editorial Board, ici.
Nous en parlions cette semaine à l’occasion d’une tribune : la majorité républicaine au Sénat américain est en train de détricoter l’essentiel des règles prudentielles mises en place à la suite de la crise de 2008 par la précédente administration. Compte tenu du poids du secteur financier américain dans l’économie mondiale mais aussi de l’action des lobbyistes bancaires auprès de la Commission Européenne pour obtenir également des allégements de certains dispositifs présentés comme «contraignants», cette question nous touche directement.
Comme beaucoup d’analystes le font remarquer, si les dispositifs nés de l’après 2008 ne garantissent pas de la non survenance d’une prochaine crise car ils sont bien en deçà de ce qu’il aurait été nécessaire de faire, leur démantèlement total ou partiel ne peut conduire qu’à précipiter les choses.
L’Editorial Board du NYT publie un article ce jour au titre révélateur : les autorités de contrôle font un «pari risqué» sur les banques. Pour les défenseurs d’un allègement des règles prudentielles et dans la bouche même de Trump, cette action serait indispensable pour permettre aux banques de travailler «au bénéfice de l’économie». Le NYT rappelle que les résultats colossaux des banques américaines depuis plusieurs années viennent contredire cette affirmation («If banks are overly burdened by this regulatory load, it’s not apparent in their robust results»). Concernant la volonté des établissements de veiller au financement équilibré de l’économie, l’Editorial Board ne se prive pas de rappeler : «The Great Recession amply demonstrated that when banks chose between proprietary trading and customers’ interests, the customers lost out».
La critique fondamentale, et c’est bien à ce niveau que semble être effectivement le cœur du sujet, pose la question de la responsabilité des autorités politiques et de contrôle, et leur capacité à anticiper l’avenir.
En écho au titre de notre propre contribution («Mémoire courte et vue basse», ici), le journal assène : «There’s a saying that the time to fix a leaky roof is when the sun is shining. And our economy is, if not shining, certainly sunny. The fear is that, when it comes to our financial system, both our Congress and our regulators are now loosening the shingles».

➡️ The Guardian du 01 Juin 2018 «Murdered Maltese reporter faced threat of libel action in UK» par Juliette Garside, ici.
The Guardian nous fait part ce jour des informations portées à sa connaissance par les enfants de Daphne Caruana Galizia, journaliste d’investigation assassinée il y a un an à Malte.
«In the months before her death, the anti-corruption journalist received letters from the London office of the blue-chip firm Mishcon de Reya, which specialises in bringing defamation cases. Mishcon had been hired to defend the reputation of a client doing business in Malta».
Daphne Caruana Galizia semble avoir également subit, avant la fin tragique que l’on connaît tous, le traitement habituel des lanceurs d’alerte en matière de harcèlement judiciaire. Cet épisode met en évidence que certains cabinets d’avocats, notamment londoniens, semblent s’être spécialisés (si l’on peut dire) dans ce type «d’activité». Le cas de Daphne Caruana Galizia pose une nouvelle fois la question des procédures bâillons, notamment quand elles sont exercées comme dans cet exemple au travers de juridictions différentes (via des attaques judiciaires contre le diffuseur). Les avocats des enfants de Daphne souhaitent mobiliser la Commission et le Parlement européen pour que soit voté au niveau communautaire une restriction à ces procédures qui portent au final atteinte à la liberté de la presse.
«Vella said jurisdictional threats were being used to “condition” Maltese journalism, and that his paper has separately been threatened with UK court action by a Lebanese energy giant, a British biotech entrepreneur and a UK company with interests in football and shipping».
«If the Maltese courts uphold decisions delivered in a UK court on defamation actions, the consequences for the free press and Maltese democracy would be disastrous,” Vella claimed».
«Such cases could be seen as a “jurisdictional tactic to silence the press without trial”, according to the academic Justin Borg-Barthet, who said the cost of defending suits was often enough to force small media houses to redact or remove articles».
«Borg-Barthet, who is from Malta and lectures in the school of law at the University of Aberdeen, said a revision of EU law on jurisdiction in libel cases was urgently required to protect press freedoms».

➡️ Washington Post du 01 Juin 2018 «Google to drop Pentagon AI contract after employee objections to the ‘business of war’», ici, par Drew Harwell.
Les craintes des salariés de Google sur le contrat signé par la firme avec le Pentagone étaient fondées. Nous nous en sommes déjà fait l’écho dans MetaMorphosis, ici.
Leur mobilisation était donc justifiée d’autant plus qu’ils obtiennent que leur employeur cesse de travailler pour l’armée américaine sur les questions d’intelligence artificielle. Ledit contrat a en effet été rendu public par la presse ainsi que certains échanges internes à la firme, démontrant que la motivation principale était bien de nature purement financière, sans que les questions d’éthique ou d’image soient vraiment prises en considération.
Le Washington Post y revient dans son édition du jour : «Google will not seek to extend its contract next year with the Defense Department for artificial intelligence used to analyze drone video, squashing a controversial alliance that had raised alarms over the technological buildup between Silicon Valley and the military».
«Thousands of Google employees wrote chief executive Sundar Pichai an open letter urging the company to cancel the contract, and many others signed a petition saying the company’s assistance in developing combat-zone technology directly countered the company’s famous “Don’t be evil” motto».
Ce cas d’école, mêlant droit d’alerte des salariés et clause de conscience, est à méditer pour beaucoup de lanceurs d’alerte, généralement seuls et marginalisés par leur propres collègues de travail, ce qui est du pain béni pour la hiérarchie. A partir du moment où les salariés font valoir leurs droits, ensemble et en amont, leur combat a de forte chance de rencontrer un écho et un résultat positif. Mais pour tout ça, il faudrait un peu de courage ce qui est une matière première très rare dans le monde de l’entreprise…

➡️ Le Monde du 01 Juin 2018 «Au Sahara, voyager devient un crime», ici, par Julien Brachet.
Nous pourrions croire que les décisions sur les questions de migration et d’immigration prises au Palais Bourdon ou au Parlement Européen n’ont de conséquences qu’en France ou en Europe.
Quid de l’autre côté de la méditerranée ? Allons jeter un œil…
C’est ce à quoi nous enjoint l’anthropologue Julien Brachet dans sa tribune publiée par Le Monde : «Au mépris du droit international, la région (le Sahara) est devenue, sous l’égide de l’Europe, une zone où les êtres humains peuvent être contrôlés, catégorisés, triés et arrêtés».
L’actualité récente nous le rappelle : «La France s’est émue lorsque Mamoudou Gassama, un Malien de 22 ans, sans papiers, a sauvé un enfant de 4 ans d’une probable chute fatale à Paris. Une figure de «migrant extraordinaire», comme les médias savent régulièrement en créer, mais qui ne devrait pas faire oublier tous les autres, les statistiques, les sans-nom, les numéros. Ni tous celles et ceux qui n’ont aucune intention de venir en Europe, mais qui sont néanmoins victimes des nouvelles politiques migratoires européennes et africaines mises en œuvre à l’abri des regards, à l’intérieur même du continent africain».
Prenons le cas du Niger : «La mission européenne Eucap Sahel Niger, lancée en 2012 et qui a ouvert une antenne permanente à Agadez en 2017, apparaît comme un des outils clés de la politique migratoire et sécuritaire européenne dans ce pays. Cette mission vise à «assister les autorités nigériennes locales et nationales, ainsi que les forces de sécurité, dans le développement de politiques, de techniques et de procédures permettant d’améliorer le contrôle et la lutte contre les migrations irrégulières», et d’articuler cela avec la «lutte antiterroriste» et contre «les activités criminelles associées». Outre cette imbrication officialisée des préoccupations migratoires et sécuritaires, Eucap Sahel Niger et le nouveau cadre de partenariat pour les migrations, mis en place par l’UE en juin 2016 en collaboration avec le gouvernement nigérien, visent directement à mettre en application la loi nigérienne n°2015-36 de mai 2015 sur le trafic de migrants, elle-même faite sur mesure pour s’accorder aux attentes européennes en la matière». Surtout, ne parlons pas d’ingérence !
Cette loi, qui vise à «prévenir et combattre le trafic illicite de migrants» dans le pays, définit comme trafiquant de migrants «toute personne qui, intentionnellement et pour en tirer, directement ou indirectement, un avantage financier ou un autre avantage matériel, assure l’entrée ou la sortie illégale au Niger» d’un ressortissant étranger.
Résultat, à plusieurs centaines de kilomètres des frontières, des transporteurs, «passeurs» avérés ou supposés, requalifiés en «trafiquants», jugés sur leurs intentions et non leurs actes, peuvent dorénavant être arrêtés. Pour les autorités nationales, comme pour leurs homologues européens, il s’agit ainsi d’organiser le plus efficacement possible une lutte préventive contre «l’émigration irrégulière» à destination de l’Europe.

Julien Brachet résume cette situation ainsi : «Cette aberration juridique permet d’arrêter et de condamner des individus dans leur propre pays sur la seule base d’intentions supposées : c’est-à-dire sans qu’aucune infraction n’ait été commise, sur la simple supposition de l’intention d’entrer illégalement dans un autre pays».
Ce qu’ils n’osent pas encor faire ici (la criminalisation sur la base de simples intentions supposées), nos gouvernements l’imposent là-bas aux gouvernements locaux.
Prenons-y garde, les discours récurrents sur l’emprisonnement préventif des fichés S n’est rien d’autre que cela. La peur de certains et la lâcheté de beaucoup d’autres, nous y conduisent tout droit.
A celles et ceux qui aiment répéter à l’envie que la France serait la patrie des droits de l’homme, comme si l’incantation de la formule vaudrait protection éternelle, rappelons que la France, et l’Europe avec elle, n’est que la patrie de la déclaration des droits de l’homme. De bonnes intentions, tout le monde peut en avoir…

➡️ Libération du 01 Juin 2018 « En Suisse, l’initiative « monnaie pleine » », ici, par Bruno Amable, .
Les Suisses ne font jamais rien comme tout le monde. C’est sans doute pour ça qu’ils se sont toujours tenus à l’écart du projet européen.
Libération nous informe d’une initiative qui sur le papier est proprement révolutionnaire : «Le 10 juin, les Suisses seront appelés à voter pour ou contre l’initiative «monnaie pleine». Il s’agit d’une réforme visant à changer radicalement le fonctionnement du système bancaire de la Confédération. Pour résumer simplement, les dépôts à vue dans les banques commerciales devraient être placés auprès de la Banque nationale suisse (BNS) et donc retirés du bilan des banques. Le but de l’opération est d’obliger ces dernières à couvrir intégralement les prêts par leurs propres ressources».
L’initiative monnaie pleine veut d’une certaine façon séparer les activités ordinaires des banques (les prêts et autres) de la création de monnaie. Cette dernière activité serait exclusivement réservée à la Banque centrale, quelle que soit la forme de la monnaie (électronique par exemple).
L’un des aspects de cette consultation est la volonté de regagner le contrôle du système bancaire, perçu, non forcément à tort, comme fonctionnant pour son intérêt propre et non pour celui de la société dans son ensemble.
L’idée est simple : l’essentiel de la création monétaire des banques commerciales n’est actuellement fondé sur aucune garantie publique, c’est donc de la «fausse monnaie». Par conséquent, les moyens de paiement produits par la banque centrale (les pièces et billets) est la seule «vraie monnaie», quand bien même elle serait issue d’une création bancaire ex nihilo… Dès lors, l’idée est de contraindre les banques à n’accorder de crédits que lorsqu’elles disposent d’une couverture intégrale de la somme créée, soit sous la forme de prêts de la banque centrale, soit sous forme de capital. L’intégralité de cette monnaie serait donc issue d’une émission de la banque centrale. Il ne s’agit pas seulement de respecter la constitution suisse, mais bien davantage de renverser la logique actuelle.
Selon ses défenseurs, ce serait un moyen d’éviter les crises financières et leurs conséquences. Puisque la création monétaire est privatisée, dénoncent ces derniers, elle sert naturellement des intérêts privés. Le crédit irrigue donc de façon irrationnelle les sources de rendements : produits financiers, bulles immobilières ou certains secteurs rapidement en surcapacité. Cette logique s’auto-entretient : les prix montent grâce au crédit et encouragent encore l’accès au crédit de ceux qui veulent avoir leur part du gâteau.
Si la Suisse s’engageait dans cette voie, ce serait indéniablement une véritable révolution dans l’approche des questions monétaires.
A suivre…

MM.

Lanceur, joue-la comme Woerth !

Nous vous rassurons, nous n’allons pas refaire l’histoire du financement présumé (bien obligé!) de la campagne présidentielle de Nicolas Sarkozy par le régime libyen de feu le Colonel Kadhafi. Médiapart, Fabrice Arfi, Cash Investigation… les sources ne manquent pas pour ceux qui veulent encore savoir ce que veut dire « présumé »… Attachons-nous plutôt au cas d’Eric Woerth qui vient d’être mis en examen dans le cadre de ce dossier et qui se trouve être par ailleurs, et entre autres, Président de la Commission des Finances de l’Assemblée Nationale.

Dans un article paru ce jour dans Médiapart «Des figures de la majorité volent au secours du soldat Eric Woerth», ici, Manuel Jardinaud et Antton Rouget nous rappellent :
«En France, depuis la « jurisprudence Balladur », un mis en examen peut difficilement rester plus de 24 heures au poste de ministre. S’il fait du football, il est dans l’impossibilité de porter le maillot de l’équipe de France. Mais en revanche, il peut tranquillement continuer à présider la commission des finances de l’Assemblée nationale.
Éric Woerth en a fait la démonstration après sa mise en examen dans l’affaire des financements libyens, sur la corruption présumée de la campagne de Nicolas Sarkozy en 2007 par la dictature de Mouammar Kadhafi».
«Éric Woerth était le trésorier de cette campagne. Il a reconnu, le 16 mai 2017, devant les policiers de l’Office anticorruption (OCLCIFF), l’existence d’espèces non déclarées durant la campagne. Selon lui, les fonds, « plus encombrants qu’un don du ciel », « provenaient de personnes qui voulaient aider et qui ne voulaient pas apparaître ». Il a été mis en examen, mardi 29 mai, pour « complicité de financement illicite de campagne électorale », deux mois après la mise en cause de Nicolas Sarkozy pour « corruption passive », « financement illicite de campagne » et « recel de détournement de fonds publics libyens»
.

Le groupe LR à l’Assemblée est tout de suite venu à la rescousse de leur «collègue» craignant surtout que la majorité présidentielle profite de cette nouvelle situation pour reprendre le contrôle de cette commission parlementaire de première importance. Nous vous le donnons in extenso, pour le plaisir : «Face à cette nouvelle épreuve qui lui est imposée, les députés Les Républicains, connaissant la probité d’Éric Woerth ainsi que son sens de l’intérêt général, lui renouvellent unanimement leur confiance et leur soutien et lui témoignent toute leur affection», a rapidement communiqué le groupe Les Républicains à l’Assemblée nationale».
N’oublions pas aussi les interventions des lèches bottes de service : «Nous n’avons pas à commenter une affaire judiciaire en cours. Éric Woerth est, qui plus est, un très bon président de la commission des finances», a déclaré dans le quotidien Olivia Grégoire, membre de ladite commission. Dans la même veine, Aurore Bergé, députée des Yvelines venant des rangs de la droite, a rappelé que «quelle que soit la personne, être mis en examen n’est pas une présomption de culpabilité».

La majorité présidentielle va-t-elle en profiter ? Que nenni ! Et voilà que le Sir Woerth obtient le soutien appuyé du vice-président du groupe LREM, le député Gilles Le Gendre : «Nous considérons que cette affaire n’a pas à impliquer qui que ce soit [sic], n’a pas à justifier la moindre position, et encore moins la moindre récupération de la part du groupe majoritaire. Nous considérons que vous êtes absolument légitime à la tête de cette commission. C’est une position de notre groupe, elle ne variera pas». Médiapart nous précise : «La salle applaudit».
C’est beau comme une session extraordinaire du Politburo. C’est bien que nous parlions du Politburo car on voit dans cette affaire que l’opposition dite de «gauche» n’est pas plus disposée à remuer le cocotier parlementaire : à ce jour, un seul (une en l’occurrence) des 577 députés de la majorité comme de l’opposition a publiquement réclamé le départ d’Éric Woerth de la Présidence de la Commission des finances…

Au final, que l’on soit assis sur les bancs des Républicains, des Communistes, de la France Insoumise ou de LREM, la mise en examen de Woerth, pour les faits qui lui sont reprochés et dans le dossier emblématique dont il s’agit, ne doit pas de facto l’empêcher de continuer à présider l’une des principale Commission parlementaire, et ce pour l’ensemble de la «caste» politique.
Soit… On ne veut pas avoir nécessairement raison contre tous, alors voyons les arguments tels qu’ils ressortent des déclarations reprises précédemment.

➡️ Eric Woerth se trouve face à une nouvelle épreuve qui lui est imposée : c’est donc un récidiviste, mais attention, il est une victime.
➡️ La probité et le sens de l’intérêt général le caractérisent : si ce sont les députés les Républicains qui le disent, c’est que ça doit être vrai… Tout est question de définition.
➡️ Il mérite la confiance de ses pairs et même leur affection : la famille, rien de tel dans les moments difficiles, surtout quand on a une grande famille de 576 députés… il y a toujours une brebis galeuse!
➡️ Des grands classiques, ensuite : « on ne commente pas une affaire judiciaire en cours », « ça ne nous regarde pas et de toute façon il bénéficie de la présomption d’innocence ». Donc, circulez, y’a rien à voir!
➡️ Enfin, l’argument infaillible : « c’est un très bon Président de Commission ». On ne saura jamais qui l’a décrété, mais enfin, on lui demande d’être bon, pas d’être honnête…

Nous aimerions pouvoir transposer ce cas d’école à celui d’un lanceur d’alerte:

➡️ Il est récidiviste : c’est foutu d’entrée de jeu ! et s’il a quelques broutilles, il sera pendu immédiatement sur la place publique.
➡️ Être victime pour avoir dénoncé : faut pas rêver !
➡️ Il agit pour l’intérêt général : jamais de la vie, « c’est à des fins personnelles », « c’est de la vengeance ».
➡️ La confiance de ses collègues et de sa hiérarchie : et puis quoi encore ?! C’est chacun pour soi.
➡️ Il bénéficie de la présomption d’innocence : d’une présomption de culpabilité, ça c’est sûr. D’ailleurs il faut absolument étudier « sa bonne foi », sait-on jamais.
➡️ Il était bon dans son boulot : pourquoi croyez-vous qu’on l’a viré ?

Une même réalité, deux mondes.

Lanceur d’alerte, un conseil, deviens député ! Joue-la comme Woerth !

MM.

Mémoire courte et vue basse

Nous avons connu dans les années 80 / 90 une vague sans précédent de déréglementations, dérégulations et privatisations en tout genre, notamment d’activités dites de service public. Les différentes crises qui ont suivi, jusqu’à l’apothéose de la crise financière de 2008 ont conduit à une sorte de re-régulation d’un certain nombre d’activités considérées comme stratégiques ou systémiques. Le cas le plus marquant est sans aucun doute celui de l’industrie financière.

Récemment, le balancier est reparti en sens inverse. Au regard de nombreuses et récentes décisions importantes et emblématiques de la nouvelle administration américaine et du gouvernement Macron, la volonté semble aller au-delà de ces seules questions de réglementation d’activités, mais vers la recherche, la création d’un cadre permettant à certaines activités d’agir en dehors des lois communes.
Nos sociétés démocratiques sont en théorie construites sur l’égalité de la loi pour tous. La loi « secret des affaires » d’une certaine façon, le droit à l’erreur, le maintien du verrou de Bercy, la substitution des peines par des amendes… sont autant de dispositions prises par le nouveau gouvernement français ayant au final pour conséquence que certaines activités peuvent être conduites en s’exonérant des dispositions communes. Il en est de même sous le gouvernement Trump comme en témoigne l’acharnement à remettre en cause tout le corpus réglementaire né des deux mandats Obama, et encore tout récemment les dispositions en matière bancaire et financière. Nous voyons avec cet exemple, mais le cas français n’y déroge pas, que ces choix sont avant tout dictés par des convictions idéologiques, la rationalité économique n’étant que rarement au rendez-vous.
Attardons nous donc sur la réforme financière en cours d’adoption par le Congrès américain.

Les crises financières commencent toujours de la même façon. Le relâchement de la politique monétaire entraîne une augmentation de la dette et une augmentation de la prise de risque. Des financiers trop confiants, des régulateurs laxistes et des politiques qui cherchent désespérément à plaire à leurs électeurs, évoluent dans cet environnement toxique jusqu’à ce qu’une bulle finisse par éclater, entraînant le système financier dans sa chute.
Le Congrès américain pourrait très bien adopter la semaine prochaine un projet de loi visant à annuler les réformes de la loi Dodd-Frank adoptées en 2010, après la crise. Cela se produit à un moment où les taux d’intérêt sont à des niveaux historiquement bas depuis près de 10 ans, où la dette publique et privée atteint des niveaux records, où l’endettement des consommateurs et les défauts de paiement des prêts hypothécaires à risque augmentent, et où les politiques cherchent à injecter un peu plus de kérosène dans l’économie pour séduire les électeurs à l’approche des élections américaines de mi-mandat de novembre.
Le projet de loi, rédigé par Mike Crapo, le républicain qui est à la tête du Senate banking committee (Comité sénatorial des banques), est présenté comme un moyen d’alléger le coûteux fardeau réglementaire des banques régionales et locales afin qu’elles puissent faire plus de prêts ordinaires aux agriculteurs ou aux jeunes couples qui cherchent à acheter une maison – une mesure très bien vue avant une élection.

Pourtant, les chiffres montrent que la croissance des prêts dans les banques locales est déjà plus forte que la moyenne du secteur (en hausse d’environ 8 % par année au cours des deux dernières années), grâce à la croissance des prêts immobiliers commerciaux, des prêts hypothécaires sur les résidences et des prêts pour les commerces et les industries.
«Il n’y a aucune preuve d’un problème d’offre de crédit», a déclaré Dennis Kelleher de Better Markets, un groupe opposé à l’abrogation de la réforme financière. «Étant donné que nous sommes en retard dans le cycle économique, que nous avons une stagnation des salaires et que le niveau d’endettement est maintenant à son niveau de pré-crise, la seule façon de déployer des prêts supplémentaires serait d’alléger les normes de souscription».

Un rapport publié la semaine dernière par la New York Federal Reserve a révélé que la valeur nette des logements aux États-Unis est remontée depuis la crise de 2008. Mais dans le même temps, la dynamique du marché du logement a aussi beaucoup changé. Presque tous les bénéfices sont allés aux emprunteurs les plus riches et les plus solvables, tandis que le nombre de jeunes qui passent de la location à la propriété a diminué de façon précipitée.

Alors que le resserrement du crédit fait partie du problème, Beverly Hirtle, vice-présidente exécutive de la Fed de New York, note que le problème sous-jacent «semble être l’augmentation d’autres formes d’endettement – notamment les prêts étudiants – chez les jeunes emprunteurs ayant une notation de crédit plus faible».
Encourager ces types d’emprunteurs à s’endetter, même s’ils étaient enclins à le faire, ne contribuera évidemment pas à la croissance ou à la stabilité financière.

Pendant ce temps, le groupe bipartite de membres du Congrès qui fait avancer le projet de loi, minimise le fait qu’il offre deux carottes importantes pour les grandes banques dont les actifs vont de 250 milliards de dollars à plus de 2 000 milliards de dollars. Ces institutions pourront désormais reclasser les obligations municipales en «actifs de haute qualité», ce qui leur permettra de jouer plus facilement sur le ratio de couverture des besoins de liquidité. Les banques de dépôt bénéficieront également d’un assouplissement des normes de fonds propres fixées après la crise. Elles pourront déduire les liquidités de leurs clients de leurs calculs de l’effet de levier, ce qui pourrait profiter même aux grandes banques comme Citigroup ou JPMorgan qui ont des activités de banque de dépôt.

Ce projet de loi de «réforme» conduit exactement dans la mauvaise direction, et au mauvais moment. Comme l’ont souligné des experts comme Tom Hoenig, ancien vice-président de la Federal Deposit Insurance Corporation, il existe de nombreuses recherches qui montrent que les banques ayant des niveaux de fonds propres plus élevés prêtent plus, et non pas moins. Même un ratio capitaux propres sur actifs de 15 % (environ le triple de ce que les institutions doivent détenir aujourd’hui) réduit considérablement le risque de faillite des banques, avec seulement une légère augmentation des coûts des prêts.
Le moment serait au contraire bien choisi pour durcir les règles en matière de fonds propres des banques les plus sûres qui se trouvent au cœur des marchés financiers, plutôt que de les diminuer. C’est toujours une bonne idée d’avoir un coussin de sécurité avant la prochaine crise.

Ce projet de loi fera exactement le contraire. Il annulera également les interdictions de la règle Volcker concernant les opérations pour compte propre effectuées par des banques ayant moins de 10 milliards de dollars d’actifs. Il est vrai que ces institutions le pratiquaient rarement auparavant. Mais dans un environnement dans lequel les marges bancaires risquent de rester comprimées pour diverses raisons, les petits établissements résisteront-ils à la tentation d’atteindre des rendements plus élevés à l’avenir ?

Ce projet de remise en cause de la loi Dodd-Frank arrive, bien sûr, à un moment où les efforts de déréglementation financière s’intensifient également au niveau du Trésor, de la Securities and Exchange Commission (SEC), de la Réserve fédérale américaine, de l’Office of the Comptroller of the Currency (OCC), de la Commodity Futures Trading Commission (CFTC), etc.
Est-ce vraiment là où nous voulons être à la fin d’un cycle de reprise, avec un niveau d’endettement record et un environnement de taux d’intérêt changeant ? Non.
Malheureusement, la mémoire courte et la remise en cause des réglementations d’après-crise sont récurrents dans l’histoire financière.

Nous le voyons bien, il n’y a guère de justifications économiques à mener une telle réforme, encore moins en cette période de retournement de cycle, notamment en matière de taux. Mêmes les justifications présentées ne sont pas opérantes et ladite réforme générera sans aucune doute des effets pervers en accroissant les risques d’exposition de l’ensemble du secteur.
Alors que l’administration Trump s’engage unilatéralement dans une guerre commerciale avec le reste du monde, créant un environnement économique et financier instable, la prudence voudrait que l’on maintienne l’architecture globale de cette réglementation voire qu’on la perfectionne. Seules des considérations politiciennes (élections de mi-mandat en vue) et idéologiques sont ici aussi à l’œuvre.

Nous retrouvons la même chose sous nos latitudes. Toute la politique fiscale déployée depuis un an, basée sur une justification théorique et pratique inexistante, est sans doute réalisée à contre-courant.
La mémoire courte et la vue basse de nos politiques nous font nous rapprocher à chaque fois un peu plus du mur…

MM.

En référence au «Big Banks to Get a Break From Limits on Risky Trading» du New-York Times du 30 Mai 2018, ici .

Un long fleuve pas si tranquille

Au fil de l’actualité : un paradis fiscal, un économiste hors des sentiers battus, la crise de l’euro encore, de l’éthique en entreprise, et une «perle» en image.

➡️ Le Monde du 30 Mai 2018 «L’île Maurice à la frontière entre optimisation et évasion fiscale», ici.
«Selon l’Agence mauricienne de promotion des activités financières, l’île comptait en 2017 pas moins de 967 fonds d’investissement, 450 structures de capital-risque et 23 banques internationales. Sans parler des sociétés offshore – plus de 20 000 – qui ont élu domicile à Maurice. Depuis le début des années 2000, fonds de placement et de pension, banques commerciales, d’affaires et d’investissements ont trouvé refuge dans ce « hub » de l’océan Indien. Au point qu’en 2017, le secteur des services financiers représentait à lui seul près de 50 % du PIB, contre 7 % pour le tourisme et 15 % pour l’industrie».
À la lecture de cette longue liste d’indicateurs établie par Le Monde, vous pourriez penser que l’Ile Maurice est un paradis fiscal. 50% du PIB réalisé dans les services financiers, c’est un beau score ! Et bien non, on vous rassure, la Commission Européenne est formelle, l’Ile Maurice n’est pas un paradis fiscal… En plus, ils ont promis de faire des efforts, comme le Panama en son temps. Donc tout va bien.
Pour quiconque travaillant dans la finance, il ne fait guère de doute que l’Ile Maurice s’est construite depuis une quinzaine d’années sur un schéma général d’optimisation et d’attraction fiscale (soyons gentils!) à outrance, notamment depuis que certains pays européens se sont fait rattrapés par des pratiques anciennes aujourd’hui condamnées. Ce qui n’est plus là, trouve refuge là-bas. L’article du Monde met par ailleurs très bien en évidence que l’Ile Maurice est avant tout une «plaie fiscale» pour les pays africains où elle s’est faite une place privilégiée.

➡️ Challenges du 29 Mai 2018 «Quand le meilleur jeune économiste de France assassine les banques», ici.
Jeune professeur de 31 ans à l’université de Berkeley, en Californie, Gabriel Zucman, que l’on connaît bien pour ses travaux sur les paradis fiscaux et les systèmes d’évasion fiscale, est le lauréat 2018 du Prix du meilleur jeune économiste de France, créé en 2000 par Le Monde et le Cercle des économistes. Il a donné à cette occasion un entretien au Monde «Comprendre les implications de l’évasion fiscale» que l’on peut retrouver sur le site du quotidien. Il a également profité de l’occasion de remise du prix pour tenir un discours très dur sur les banques à… la Banque de France.

➡️ Médiapart du 30 Mai 2018 «Avec l’Italie, la crise de l’euro se rappelle au souvenir des dirigeants européens», ici.
Il y aurait plein de choses à dire sur la «crise» en cours en Italie : les forces en présence, leurs attachements politiques et idéologiques, leur politique migratoire, l’attitude du chef de l’état en refusant la nomination du ministre de l’économie proposé par la coalition, la nature même de cette coalition…etc…
Restons-en à la question économique. Car le débat de fond, qui est également un débat démocratique, est celui que résume Médiapart dans son édition du jour : «Elle (cette crise) traduit une nouvelle fois la discorde qui règne au sein de l’Europe, le fossé n’ayant cessé de se creuser entre les différents partenaires depuis 2008, mais aussi l’impasse dans laquelle ils se trouvent. Avec l’Italie, les responsables européens se retrouvent non seulement confrontés à une nouvelle crise politique et financière, mais aussi face à l’échec de leur gestion accablante des dix dernières années, face à leur déni de la réalité».
Ce qu’il y a de nouveau dans la démarche de la coalition italienne, ce n’est pas de dire – comme les grecs ont essayé un temps – qu’ils ont une autre politique économique, toute prête, à mener. Ils prennent en réalité les tenants de l’orthodoxie européenne à leur propre jeu, à leur «pas d’alternative possible». Ils disent en substance à la Commission Européenne, à Merkel et à Macron : «vous avez eu 10 ans pour mener à votre guise, sans entraves et sans opposants, votre politique. C’est un échec total. La question n’est pas de savoir s’il y a une autre politique possible, mais ce qui est certain c’est qu’il faut arrêter tout de suite celle qui a été menée depuis 10 ans, avec des résultats catastrophiques. On n’est pas totalement sûr de ce qu’il faut faire, mais on pense que si on fait le contraire de ce que qui a échoué jusqu’ici, ça ne pourra pas être pire !». Ils renversent l’argument de rationalité économique, pierre angulaire des orthodoxes européens, en soulignant qu’une saine rationalité veut que l’on abandonne ce qui ne marche pas…

➡️ New-York Times du 30 Mai 2018 «How a Pentagon Contract Became an Identity Crisis for Google», ici.
L’affaire du contrat signé avec le Pentagone fait toujours des remous chez Google. Les salariés ont une véritable position éthique, estimant que leur travail ne peut en aucun cas servir à un État d’assurer une éventuelle surveillance de la population.
«The clash inside Google was sparked by the possibility that the Maven work might be used for lethal drone targeting. And the discussion is made more urgent by the fact that artificial intelligence, one of Google’s strengths, is expected to play an increasingly central role in warfare».
La question fait débat au sein même de la direction du groupe : «According to employees who watched the discussion, Ms. Greene held firm that Maven was not using A.I. for offensive purposes, while Ms. Whittaker argued that it was hard to draw a line on how the technology would be used».
La position des salariés de Google est intéressante car elle mêle à la fois une sorte de «droit de retrait» (ça ne fait pas partie de mon travail mais de mon point de vue c’est moralement condamnable) et de «principe de précaution» (puisque que nul n’est en mesure d’en connaître toutes les implications).

➡️ Attac France, le 30 Mai 2018, et nous terminerons là-dessus :
«Incompétence et aveuglement idéologique, tout y est».

MM.

Russian Street in London

L’écrivain italien Roberto Saviano aime rappeler que selon lui «le Royaume-Uni est le pays le plus corrompu du monde» et que «Londres est (devenu) le centre mondial du blanchiment du trafic de drogue». Il n’est pas le seul à énoncer un tel constat, mais tout ceci ne semble pas jusqu’ici interpeller plus que ça les autorités anglaises.
The Guardian nous informe dans son édition du 21 Mai 2018 «Russian activity in City of London faces further scrutiny by MPs» (ici) que Londres semble décidé d’aller voir d’un peu plus près la nature exacte des activités des oligarques russes à la City.
Nous ne sommes pas dupes, un tel intérêt soudain n’est pas le fruit d’une volonté d’action, mais une conséquence du refroidissement sensible depuis quelques mois des relations anglo-russes.

Ne boudons pas notre plaisir et comme dit le proverbe «mieux vaut tard que jamais…».
Avec un peu de chance, l’initiative anglaise donnera peut-être l’idée aux autorités françaises d’aller voir d’un peu plus près ce qui se passe à Monaco avec certains oligarques russes, ukrainiens ou bulgares, qui ont pignon sur rue, mais dont certaines des activités justifieraient une attention toute particulière.
Dernier en date à être placé sous les radars des autorités anglaises :«Roman Abramovich, the owner of Chelsea Football Club, could be asked to explain the source of his vast wealth before he is granted a new UK visa» (The Guardian du 21 Mai 2018 «Roman Abramovich may have to explain source of wealth to get UK visa»).
Selon le journal anglais, tous ses voyages ont été décortiqués (pour la petite histoire, deux passages à l’aéroport de Nice en deux mois et demi) pour confirmer une présence effective et suffisante sur le sol britannique.

Mais l’affaire la plus embarrassante concerne aujourd’hui Oleg Deripaska : «A second select committee of MPs is expected to examine how Russian companies use the City of London after the foreign affairs committee singled out the corporate law firm Linklaters for its role in advising on last year’s flotation of Oleg Deripaska’s En+. Parliamentary sources indicated that the Treasury select committee would take up the subject as part of its inquiry into economic crime and that Linklaters could again be asked to appear, potentially creating a confrontation with a law firm that has so far refused to give evidence.
Linklaters turned down more than one request to explain its involvement as the principal lawyers in the £5bn flotation of En+ in November 2017, which has become controversial as Anglo-Russian relations have deteriorated and Deripaska was placed on a US economic sanctions list»
.

La capitale britannique a acquis le surnom de «Londongrad», depuis une vingtaine d’années, en accueillant à bras ouverts les caciques du régime russe comme ses opposants en exil. Les milliardaires sont minoritaires parmi les 60.000 résidents russes enregistrés au Royaume-Uni, bien sûr, mais leur présence, dans le cœur de Londres, est aussi spectaculaire que celle, dans un autre genre, des grandes fortunes du Golfe. Pendant de longues années, le Royaume-Uni a tout fait pour accueillir les russes expatriés.
A partir de 2008, pour un investissement de 2 millions de livres, un étranger pouvait obtenir un «golden visa» qui devenait, cinq ans plus tard, une autorisation de résidence permanente. Avec 10 millions de livres, l’attente pouvait être réduite à deux ans. Avant le renforcement des contrôles sur l’origine des fonds, il y a trois ans, pas moins de 706 Russes ont reçu ce fameux visa, soit 23 % du total des demandes.

Le 27 mars dernier, la commission des Affaires étrangères du Parlement britannique tenait une session sur la corruption russe au Royaume-Uni. Symptôme d’un problème qui devient croissant en Angleterre : première puissance financière mondiale, la rutilante City of London est également devenue la capitale mondiale du blanchiment d’argent et de l’évasion fiscale. De plus en plus conscientes de l’ampleur du problème, les autorités de la capitale britannique multiplient depuis les procédures judiciaires à l’encontre des criminels internationaux installés à Londres.
Parmi eux, on trouve bon nombre d’hommes d’affaires étrangers et plus particulièrement plusieurs oligarques russes. Une fâcheuse situation qui pousse la justice à intervenir, notamment à la demande des entreprises britanniques escroquées ou volées par ces hommes d’affaires voyous.
C’est par exemple le cas de la société de capital-investissement Lehram, dont l’essentiel de l’activité repose sur la gestion d’actifs miniers en Russie. L’entreprise se bat actuellement pour récupérer une mine sibérienne d’une valeur de 250 millions de livres sterling. Celle-ci aurait été transférée illégalement à une autre société russe, dans des circonstances troubles et sans l’accord de la direction londonienne.

Selon les informations de The Guardian, l’affaire, déposée devant le tribunal de commerce de Kemerovo, centre administratif de la ceinture houillère de la Russie, éclate juste après l’envoi en prison, en 2015, d’un certain Igor Rudyk, directeur local de l’entreprise britannique.
Il avait alors cédé pour une bouchée de pain le complexe minier et ferroviaire de Gramoteinskaya à une holding appartenant à Alexander Shchukin, magnat de l’industrie minière russe. Celui-ci, avec ses réseaux et ses hommes de main, aurait menacé le directeur de la mine de le laisser croupir en prison, voire d’attenter à sa vie, s’il ne lui cédait pas cette exploitation minière (dont les réserves de charbon sont estimées à plus de 300 millions de tonnes).
Désormais, Lehram cherche à faire annuler ce transfert et à sanctionner Shchukin.
Autrefois l’un des hommes d’affaires les plus riches de la Russie, avec une fortune estimée à 1,8 milliard de dollars en 2011, Shchukin est depuis un an assigné à résidence en Russie pour corruption. Il nie avoir orchestré la «prise de contrôle hostile» de la mine, mais son passé plaide contre lui. En 2016, il s’était déjà emparé de la mine de charbon Inskoy en utilisant les mêmes méthodes. Depuis, il a investi avec succès dans un réseau de sociétés-écrans basées principalement à Chypre et au Royaume-Uni.
Comme le souligne The Guardian, la famille Shchukin a de nombreux intérêts en Grande-Bretagne. Plusieurs de ses membres ont obtenu la nationalité britannique et mènent un train de vie fastueux. C’est notamment le cas de son gendre, Ildar Uzbekov, véritable «relai» de l’oligarque russe à Londres.
Selon la justice britannique, Uzbekov et son associé Dmitry Tsvetkov seraient à la tête d’une société financière «Bryankee Holdings». D’énormes sommes d’argent seraient ainsi blanchies pour un «fonds de retraite» informel pour Shchukin, les proches de ce dernier s’occupant directement de transférer des sommes astronomiques de la Russie vers le Royaume-Uni.
Jusqu’ici, les amis et les membres de la famille du milliardaire n’ont pas été inquiétés par les autorités britanniques, mais la mise à jour de ce réseau financier et mafieux devrait sonner le glas de leur impunité.

L’exemple de la société Lehram est révélateur. On y retrouve tout ce qui fait le «charme» du capitalisme d’oligarchie, et pas uniquement russe : captation d’actifs industriels, vols avec menaces, corruption, connivences politiques au plus haut niveau, instrumentalisation de la justice… mise en place de réseaux opaques qui servent à blanchir l’argent de tout type d’activités illégales.
Mais là, on n’est pas à Moscou ou à Bogotá. Tout ceci fonctionne à partir de Londres, Chypre, et sans doute ailleurs, qui apportent leurs «expertises» pour servir tout ce petit monde.

Voilà un nouveau «leak» dont on pressentait quand même l’existence depuis longtemps ; que les autorités britanniques se réveillent, tant mieux, en espérant que ce ne sera pas encore qu’un simple coup d’épée dans l’eau. Et une fois de plus, ce qui se passe là, confirme la nécessité, mille fois répétée, d’aller voir ailleurs, au sein même de l’Europe.
Alors quand la Commission européenne nous dit qu’il n’y a rien à voir à Malte, on ne leur demande plus pourquoi, mais dans l’intérêt de qui.

MM.

Les humoristes engagés au « service du public »

Cash Investigation est revenu mardi 22 mai sur le financement libyen présumé de la campagne de Sarkozy, en diffusant l’enquête de Nicolas Vescovacci, journaliste et réalisateur, co-auteur en son temps du reportage sur la banque Pasche/CIC-Crédit Mutuel à Monaco (s’attirant à cette occasion les foudres d’un « Bolloré tout puissant », pour reprendre le titre de son livre co-écrit avec Jean-Pierre Canet).

L’entrée en matière dudit reportage ne manque pas de piquant.

Le 10 décembre 2017, à l’occasion de la journée mondiale de lutte contre la corruption, Fabrice Rizzoli (Président de l’association Crim’Halt comme alternative) en partenariat avec des associations/militants (dont Anticor, Deputy Watch, Voltuan, et MetaMorphosis) avait organisé « l’opération Guéant rends l’appartement » devant le domicile de l’intéressé, ex-ministre.
MetaMorphosis en avait fait à l’occasion un billet avec vidéo (ici).

Nicolas Vescovacci était présent et avait capturé quelques passages de la manifestation, donnant lieu à une scène cocasse dans le montage de son documentaire (à 1h27min35s).

On aime, … 

Le lendemain, Charline Vanhoenacker et Alex Vizorek s’en sont fait l’écho dans le « Journal de presque 17h17″, la chronique actu de l’émission Par Jupiter. L’occasion pour eux de détourner une punchline culte de la radio.

Pour connaître un peu la fine équipe, nous les savons très sensibles aux questions de la justice et des lanceurs d’alerte.
Aussi, nous voulions relier leur intervention en partageant le podcast de la rubrique en question ( à partir de 2’08 » ) :

Des récidivistes ?

Ce n’est pas la première fois que les joyeux drilles de France Inter s’engagent.
Rappelons-nous l’interview improbable de Guillaume Meurice à l’Assemblée Nationale à l’occasion des discussions parlementaires sur la loi « secret des affaires »:

Enjoy! C’est disruptif comme dirait l’autre…

MM.

Nicolas Forissier : « Alerter, témoigner et agir »

Ancien responsable du service audit-inspection du groupe UBS France, Nicolas Forissier fait partie de ceux qui ont révélé le vaste système de fraude fiscale mis en place par la banque suisse.
Il fut licencié après des mois de placardisation.
La suite? l’insoutenable solitude et un long combat à mener. Il raconte le calvaire que lui ont valu ses révélations, nous fait part de ses réflexions sur les évolutions du statut de lanceur d’alerte, ses protections à travers la loi Sapin2, ses craintes avec le « secret des affaires » en cours de promulgation, sa vision sur les politiques et enfin ses engagements.
Un tour d’horizon assez complet sur les problématiques de l’alerte et comment y faire face.

L’envers (l’enfer) du décor

Les rapports de la Cour des comptes sont souvent très instructifs, parfois drôles, presque toujours énervants pour le contribuable lambda qui y découvre, s’il prend la peine de s’y plonger, matière à dénoncer gaspillages divers, aberrations administratives et avantages catégoriels honteux.
Le Monde nous résume dans son édition du du 19 Mai 2018 dans «La Cour des comptes presse le gouvernement de baisser la dépense publique» (ici), les grandes lignes du rapport sur le budget de l’Etat 2017.

Dès qu’on parle budget, les rapports de la Cour des comptes c’est un peu comme les recommandations du Fonds Monétaire International : du « copier coller » année après année.
Pas beaucoup d’originalité, une analyse un peu au ras des pâquerettes, et toujours le même discours, inlassablement rabâché comme s’ils cherchaient eux-mêmes à s’en convaincre, diminuer les dépenses publiques. La doxa économique dominante est respectée, s’il y a déficit c’est que ces «fainéants» de contribuables ne pensent qu’à dépenser plus (sous entendu dans du futile comme la protection sociale, la santé, l’éducation, la culture…) que ce qu’ils gagnent. On ne reviendra pas, même si cela est totalement absent de ce type de rapport, sur le bon usage keynésien du déficit et sur la comparaison, comme justification «théorique», au budget d’un ménage qui n’a d’un point de vue macro-économique, aucun sens. Retenons quand même que dans un budget d’un agent économique comme de l’État, il n’y a pas que des dépenses, on est également sensé y trouver des recettes.

Et là, force est de constater que ce chapitre n’est que rarement évoqué sauf pour insister sur un hypothétique seuil de tolérance qui a pour but de justifier l’impossibilité d’accroître les recettes. A priori on aurait tendance à être d’accord, le taux de pression fiscale est dans l’absolu déjà bien élevé dans un pays comme la France. Mais cela n’empêche pas d’aller voir plus loin, de regarder concrètement ceux qui contribuent et ceux qui ne contribuent pas, à quel niveau pour certains, à quel niveau pour d’autres. Et pour se faire, rien de tel que de prendre un peu de hauteur, de replacer ces sujets en perspective.

Selon une idée reçue et tellement convenue, politiques, économistes et médias mainstream prenant le soin de le répéter depuis des décennies, telle une mantra, « les dépenses publiques ne progressent plus depuis longtemps ». Les dépenses de l’État français ont en fait régressé en proportion du PIB depuis les années 1980. Ainsi, en 1985, les dépenses de l’État représentaient 24,8 % du PIB. En 1990, la proportion était de 22,2 %, et de 22,5 % en 2000. Et en 2012, elles redescendent à 21,6 % du PIB. Elles sont restées au même niveau en 2014.
En résumé, la part des dépenses de l’État dans le PIB français a donc baissé de trois points en trente ans. On pourrait même en poussant le raisonnement, considérer qu’elles ont diminué plus largement si l’on tenait compte (mais ces éléments sont difficilement chiffrables) du vieillissement de la population sur la période, la sophistication de nos modes d’organisation et l’invasion progressive de la technologie dans tous les secteurs de la société, autant d’éléments qui sont de nature à accroître, au moins dans un premier temps, les dépenses de fonctionnement.

Malgré cette maîtrise des dépenses, la dette n’a fait qu’augmenter : elle représentait 16 % du PIB en 1974, et 96,5 % en 2016. Entre 2008 et 2015, la dette publique française est passée de 68 % à plus de 97 % du produit intérieur brut (PIB).

Trois raisons principales expliquent cette situation.

➡️ Tout d’abord, l’État a multiplié les exonérations pour les ménages aisés et les grandes entreprises.
Les exonérations aux plus riches ont fait baisser les recettes de l’État qui ont chuté de 5 points dans le PIB en 30 ans. En 1980, les recettes en impôts et cotisations sociales qui arrivaient dans les caisses de l’État représentaient plus de 20 % du PIB français. Le chiffre est retombé à 18 % dans les années 1990, et à environ 16 % depuis 2010. Les budgets suivants poursuivent sur cette tendance.

Ainsi, de 1980 à aujourd’hui les recettes ont chuté de plus 4%.
Récemment encore, en parallèle du plan de réduction globale des dépenses publiques, les budgets prévoient plusieurs allégements fiscaux supplémentaires pour les entreprises, notamment le Crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE) et les mesures du pacte de responsabilité, le tout pour 33 milliards € pour 2016 et de 41 milliards € pour 2017. Et l’on ne parle même pas de toutes les dispositions de baisse des recettes de la nouvelle majorité dont on mesurera rapidement les effets dévastateurs sur les comptes publics.
Si l’État avait préservé ses recettes au lieu d’organiser ses déficits, la dette publique serait aujourd’hui inférieure de 24 points de PIB. Soit 488 milliards € de moins.

➡️ Ensuite, des taux d’intérêt excessifs ont provoqué un «effet boule de neige».
En cause, la loi Pompidou-Giscard de 1973 sur la Banque de France, dite loi «Rothschild», du nom de la banque dont était issu le président français, étendue et confortée ensuite au niveau de l’Union européenne par les traités de Maastricht (article 104) et Lisbonne (article 123).
En effet, l’Article 25 de la loi française de 1973, puis les Articles 104 et 123 au niveau européen interdisent les États d’emprunter auprès de leur Banque Centrale. C’est la soumission des États aux banques privées.
En clair depuis 1973, la Banque de France a désormais interdiction de faire crédit à l’État, le condamnant à se financer en empruntant contre intérêts aux banques privées. Depuis, la dette publique n’a fait qu’augmenter et comme par hasard le chômage avec.
Cet effet «boule de neige» est de loin le plus dévastateur pour les finances publiques.
En effet, si l’État, au lieu de se financer depuis 1974 ans sur les marchés financiers, avait recouru à des emprunts directement auprès de la banque de France à taux zéro, il aurait économisé depuis cette date jusqu’à aujourd’hui environ 1.800 milliards € (en euros 2016 constants).

➡️ Enfin, un cinquième de la dette publique est causé par l’évasion fiscale.
L’évasion fiscale atteint 60 et 80 milliards € par an selon un rapport de parlementaires. C’est sans compter les centaines de milliards d’euros potentiels qui échappent aux caisses de l’État par le biais des multiples techniques dites d’optimisation fiscale et dans la volontaire non uniformisation des règles fiscales au niveau européen.
Selon les estimations de l’économiste Gabriel Zucman «cette pratique serait responsable d’un manque à gagner de 17 milliards d’euros pour l’État français en 2013. Sans l’évasion fiscale, la dette publique de la France s’élèverait à 70 % du PIB, au lieu de dépasser les 90 % ».
Ce qui veut dire que près de un cinquième de la dette de l’État serait à mettre sur le compte de l’évasion fiscale.
Gabriel Zucman souligne : «Chaque année, l’État, parce qu’il a été privé des impôts évadés depuis les comptes cachés, a dû s’endetter davantage».

Si les dirigeants de la France avaient tenu compte de l’intérêt général au lieu de servir les banques et les plus nantis, alors ce serait 80% de la dette actuelle qui n’existerait pas, sans tenir compte de l’évasion fiscale.
Ces conclusions tendent à montrer l’illégitimité d’une très large partie de cette dette.
Les politiques d’austérité imposées aux populations au nom de son remboursement sont donc absurdes économiquement, dangereuses politiquement et injustifiables du point de vue de l’intérêt général : cette dette publique n’a été creusée qu’au bénéfice de l’oligarchie financière, celle-ci devrait donc supporter le coût de son annulation partielle ou totale.

Ces réflexions font écho au sujet de notre billet du 18 mai 2018 « De quel intérêt général parle-t-on ? » (ici) sur la notion d’intérêt général.
Nous voyons bien que tous ces dispositifs s’opposent totalement à la tradition de la République en matière d’intérêt général, des intérêts partisans étant les seuls à bénéficier de cet accroissement artificiel de la dette publique.

Allez, la Cour des comptes, encore un petit effort ! A quand un rapport carabiné qui insiste sur la baisse continue des recettes de l’État, qui s’émeut de son financement contraire à l’intérêt général, de la sélectivité des bénéficiaires des baisses de charges et crédits d’impôt en tout genre, qui s’inquiète même de la baisse des dépenses publiques qui est quelque part la marque d’un appauvrissement du bien commun ?

MM.