https://media.giphy.com/media/l0HFkA6omUyjVYqw8/giphy.gifQuand la toxicité a bon dos

La Cour des comptes vient de rendre public son habituel rapport annuel. Comme à chaque fois, il y aurait beaucoup à dire mais concentrons-nous aujourd’hui sur le chapitre qu’elle consacre aux coûts de sortie des emprunts toxiques contractés par les Collectivités locales au début des années 2000.
Rappelons que 579 Collectivités (départements, villes, syndicats intercommunaux…) ont contracté dans ces années là des emprunts dits « toxiques » à savoir pour l’essentiel, des emprunts à taux variables indexés sur certaines devises (notamment le franc suisse).
Suite à la crise financière de 2008, et à la forte variation des monnaies ou des cours de marché sur lesquels ces prêts s’appuyaient, beaucoup de collectivités se sont retrouvées en situation difficile, contraignant l’Etat à intervenir et à supporter en grande partie les coûts de sortie.
Dans son dernier rapport, la Cour des comptes chiffre le coût pour le fond dédié créé à cet effet, à 2.6 milliards d’euros, ici.
La Cour des comptes souligne les « risques inconsidérés » pris par certaines collectivités de taille importante: « les dix plus gros bénéficiaires du fond disposaient d’une capacité d’expertise liée à leur taille qui aurait dû leur permettre des choix plus éclairés en matière d’emprunt ». On soulignera pour la petite histoire, que la métropole de Lyon et le Conseil Départemental du Rhône, ont été parmi les plus exposés.

Tout banquier privé ou d’affaires ayant travaillé dans les années 2000, a eu affaire d’une façon ou d’une autre, à ce type de prêt indexé essentiellement sur le franc suisse ou le yen.
Il n’y a sur le fond, rien de répréhensible à proposer ce type de produit ou pour être plus précis de montage car ces prêts étaient souvent adossés à des actifs.
Ceci étant dit, il convient de rappeler que si le banquier peut vendre tout ce qui est autorisé, un certain nombre de règles professionnelles voire réglementaires encadrent l’exercice de son métier.
Parmi ces règles, il s’impose aux banquiers de s’assurer que le contractant a une connaissance suffisante du risque, qu’il est en mesure d’apprécier et de comprendre les risques directs et indirects liés au produit vendu.
Autre règle, et nous ne serons pas exhaustifs dans leur énoncé, le banquier doit s’assurer que le produit souscrit s’inscrit dans la stratégie patrimoniale du souscripteur, qu’il doit être conforme à un certain équilibre au sein du patrimoine et répondre aux objectifs de gestion retenus.
Dans le cas des prêts toxiques, et puisque la Cour des comptes souligne qu’aussi bien l’Etat, les élus et les banques sont coupables de cette situation, nous sommes en droit de nous poser quelques questions.
Par définition, la gestion des finances d’une Collectivité ne peut être court-termiste. Elle s’inscrit bien au contraire, dans une vision parfois sur plusieurs générations, compte tenu du coût unitaire important des investissements collectifs et d’un retour sur investissements à long terme.
Comment dans ce contexte les établissements financiers dont certains étaient publics ou para publics (DEXIA et consorts), ont pu proposer des montages à base de taux variables qui présentent par définition même un risque dépassant l’horizon temporel de quelques années ?
Pire, il semble que les outils de couverture ont été peu ou mal utilisés.
Comment des élus et à fortiori les Cours régionales des comptes ont-elles pu accepter que soient souscrits de tels prêts sans exiger que toutes les garanties soient prises pour préserver les finances publiques ?
Le rapport de Cour des comptes est très clair à ce sujet puisqu’il souligne la responsabilité conjointe des élus locaux « qui ont pris des risques inconsidérés sans en informer correctement leur Assemblée délibérante », des banques qui « ont conçu ces produits structurés et encouragé leur souscription », enfin celle de l’Etat « qui n’a pas pris la mesure des risques encourus ».

Une fois de plus, le trop grand pouvoir laissé à certains élus sans qu’ils bénéficient pour autant des compétences nécessaires, l’absence ou la défaillance du contrôle de l’Etat et la facilité déconcertante avec laquelle les banques ont pu sur-vendre ces produits très rentables pour elles, placent la Collectivité devant le fait de devoir subir une situation et in fine contraignent le contribuable à payer les errements de décideurs irresponsables.

Loin de nous de tomber dans quelques théories du complot, mais force est de constater une fois de plus avec cette affaire, après Areva, Alstom… et tant d’autres, que le problème semble être toujours le même: des décisions en petit comité, des partenaires de l’entre-soi, des autorités de contrôles inefficaces, des alertes dont on ne tient jamais compte.
En un mot, les donneurs de leçon de bonne gestion sont bien souvent de mauvais gouvernants.

MM.

Il y a délit et délit !

Qui a dit « Informer n’est pas un délit » ?
Si vous êtes un habitué de MetaMorphosis, vous avez sûrement la réponse.
Plus difficile. Qui a dit : « Dénoncer un délit, ce n’est pas de la délation » ?
L’auteur de cette maxime, au demeurant d’une grande vérité et pour ainsi dire à la base de toute action des lanceurs d’alerte, n’est autre que Christian Estrosi. Le bien nommé « motodidacte » nous gratifie de cette pensée profonde à l’occasion de la défense de sa nouvelle trouvaille niçoise en cours de test au joli nom de « reporty », ici, une application sécuritaire devant permettre à tout citoyen de dénoncer un délit ou une incivilité en temps réel à la police.
Nous ne discuterons pas ici de l’intérêt de cette initiative du maire de Nice, ayant trop peur d’arriver à la même conclusion que pour les caméras de surveillance dont l’efficacité n’est plus à démontrer depuis un certain soir de 14 juillet…
Reconnaissons que nous serons pour une fois d’accord avec l’énoncé de Monsieur Estrosi quand il dit « Dénoncer un délit, ce n’est pas de la délation ».
Sauf qu’il doit bien y avoir un loup quelque part…
Au fait, de quel délit parle t-on?
En droit un délit est toujours un délit quelle qu’en soit la gravité appréciée par le degré de la peine encourue ou par la réprobation morale qu’il peut engendrer.
Etant nécessairement rationnel, le maire de Nice doit considérer que tout délit vaut dénonciation et qu’il ne pourra en aucun cas être reproché à celui qui la réalise, un quelconque acte de délation. Sans faire un catalogue des positions et votes politiques de ce personnage, remontons seulement deux années en arrière à l’occasion du vote de la Loi Sapin2 qui visait à donner un cadre juridique aux personnes qui dans l’exercice de leur fonction sont amenées à dénoncer des délits. Quelle a bien pu être la position de Monsieur Estrosi sur ce texte qui prévoyait également quelques dispositions de moralisation de la vie politique?
Il a, une fois de plus, comme à l’occasion de proposition de lois sur la fraude fiscale et sur le verrou de Bercy, voté contre ces textes.
Nous ne discuterons pas de la cohérence des positions qu’il partage avec la plupart de ses collègues parlementaires, les votes étant le plus souvent conditionnés à des décisions partisanes et/ ou de défense de son électorat, il n’en demeure pas moins que ce type de position met en évidence que le corps politique et de façon générale la Société, ont une appréciation très sélective des délits. Système au combien pernicieux car il nous semble rejaillir dans le fonctionnement même de la justice.
Sans juger de leurs utilités, quelques affaires récentes (qui rappelons-le encore une fois, méritent une justice exemplaire) ont mis en évidence les moyens extraordinaires mis en oeuvre par les services de police et de la justice, sur une seule affaire – un cas récent de féminicide a mobilisé jusqu’à 500 personnes pendant plusieurs semaines, de l’aveu même de la Procureure en charge du dossier – en écho à la litanie des affaires politico-financières pour lesquelles l’Etat est incapable de mobiliser plus d’un fonctionnaire à temps plein.
En quoi consiste l’application niçoise estrosienne? Dénonciation d’un vol à l’étalage, d’un vol à l’arrachée? D’une dégradation de véhicule? D’un comportement suspect?…Autant de petits délits qui ont à faire quelque part à une atteinte aux biens privés. Les questions politico-financières et c’est bien en cela que réside tout le problème, sont des atteintes à la propriété collective dans lesquelles chaque citoyen a individuellement du mal à se retrouver et donc à en comprendre les enjeux, tant pour la Société que pour lui-même.
Pour ceux qui naviguent depuis de longues années dans ce type d’affaire, à l’image des lanceurs d’alerte, il est évident qu’il n’existe ni au sein des services de police ni au sein de la justice elle-même et encore moins de la part du corps politique, de volonté et souvent de capacité à mettre en oeuvre les moyens nécessaires pour traiter convenablement ces affaires.
Sous une pression électorale et médiatique, notre justice et notre police sont devenues des services de proximité visant à contenir quand ça n’est pas entretenir, le fameux « sentiment d’insécurité » au détriment d’une insécurité plus insidieuse mais tout autant pernicieuse pour la cohésion du corps social. Ne pas s’attaquer à la corruption au sein des corps institués c’est hypothéquer l’avenir.

MM.

Nucléaire: entre opacité et mensonges, que vaut l’alerte?

L’opacité et le mensonge semblent être devenus la règle dans la filière nucléaire. Le recours systématique à la sous-traitance avec des travailleurs précaires, l’augmentation de la charge de travail des personnels, la recherche d’économies sur les matériels et le vieillissement des installations… augmentent inéluctablement les risques d’accidents. De facto, des alertes, en veux-tu, en voilà !
Pour ou contre le nucléaire, ici n’est pas le débat. Les centrales telles qu’elles fonctionnent et les lacunes dans la prévention des risques, posent en l’état, un problème sérieux.


La France serait -elle, avec un temps de réaction inquiétant, plus dans la réaction que dans l’action ?
Si tel est le cas, comme nous avons pu le constater avec l’affaire Lactalis où certaines catégories de professionnels auraient pu anticiper les dangers pour la population de produits contaminés, il s’est avéré au final, qu’en amont, quasiment personne n’a vraiment bougé. Si pour le nucléaire il devait en être ainsi, quand il s’agira de s’enquérir concrètement du problème, ce sera malheureusement bien trop tard…
Si alerter ne suffit plus, d’autres prennent les devants quitte à faire passer pour ridicule notre fleuron nucléaire aux « sécurités maximales ». Comme le disait Yannick Rousselet, chargé du dossier nucléaire à Greenpeace France « C’est dommage de devoir entrer dans une centrale, se mettre dans l’illégalité et risquer de la prison, pour que les députés se saisissent du sujet ». Voilà, la photo de la Centrale rhabillée de l’étendard Greanpeace prise…la sécurité a bien fonctionné, de façon maximale nous a-t-on dit.

La prochaine étape ? Une commission d’enquête parlementaire. ici. Encore une !
L’objectif ? Enquêter et auditionner de nombreux acteurs en lien avec l’industrie nucléaire: des lanceurs d’alerte, l’exploitant EDF, des organismes de contrôle, sachant que pas plus tard la semaine dernière, le gendarme de l’atome a déjà jugé que le nucléaire se portait mieux en France ! ici

Faut- il rappeler à ce beau monde que c’est la catastrophe de Fukushima en 2011 au Japon qui a révélé comment l’opérateur privé Tepco avait falsifié les rapports alarmants sur la sûreté des installations, avec la complicité de l’État ? … En France, devrions-nous faire davantage confiance à EDF et à l’Etat ?
Rappelons que si sortir de l’opacité sur le nucléaire n’est pas une mince affaire, sortir de son opacité financière ne l’est pas non plus. Si in fine tout est question de coûts, qu’en est-il de la transparence sur la gestion d’un des principaux acteurs du secteur, Areva / UraMin et ses milliards perdus ? Et pour EDF ?
Enfin, si ces pratiques et cette opacité semblent à ce jour résister aux nombreuses alertes, dénoncer n’est pas de tout repos… pour seule réponse, des menaces et des attaques judiciaires comme unique politique de communication…

MM.

Vous reprendrez bien un peu de secret…

Nous y voilà ! La machine à se taire, à faire taire, est donc en marche.
Première décision importante relative au secret des affaires, le cas du magazine économique Challenges (expliqué dans le détail dans l’article paru dans Médiapart ce jour, ici) nous laisse augurer des jours tourmentés pour la liberté de la presse et, accessoirement et concomitamment, pour la liberté d’alerter.
Rappelons-nous à l’époque de la présentation du projet de loi sur le secret des affaires, des alertes qui avaient été portées par des journalistes et des Associations sur le risque que pouvait représenter cette disposition, notamment au regard du flou de sa définition, pour la liberté de la presse et pour la liberté de l’alerte citoyenne.
Rappelons-nous que ses défenseurs faisaient fi de ces remarques arguant – toujours sur le terrain de l’efficacité économique – que cette loi avait pour objectif unique de protéger les secrets des entreprises face à la concurrence.
Que nous sommes loin de ces vœux pieux dans le cas de l’affaire Challenge vs Conforama. Même si la décision n’est pas encore définitive puisque le Directeur de la publication a décidé de faire appel, l’arrêt du Tribunal du Commerce dit en substance, en motivant sa décision sur des arguments pour le moins fragiles comme l’a rappelé Médiapart dans son article, qu’au titre du secret des affaires, Challenges n’est pas autorisé à révéler que la chaîne de distribution Conforama connait de graves difficultés suite aux procédures contre les malversations réalisées par son actionnaire Sud-africain, dans lesquelles on retrouve pour la petite histoire et à l’image d’Enron, un grand cabinet d’audit international qui a allègrement certifié les comptes!
Bizarrement, le Tribunal du Commerce prend une décision pour soi-disant protéger l’entreprise qui va à l’encontre de l’un des sacro-saints piliers de l’économie de marché à savoir leur transparence et une information égale pour tous.
Il y aurait comme le fait remarquer le journal économique, des acteurs de marché qui pourraient bénéficier d’une information de première importance et d’autres qui en seraient interdits. Nous ne parlons même pas, mais qui s’en soucierait, des salariés du Groupe qui pourraient être intéressés quant à l’état de santé de leur employeur.
Au final de quoi parle-t-on ? De quel secret parle-t-on ? Dans le cas présent, vu les faits qui sont reprochés à l’actionnaire, on pourrait se demander si l’on ne protège pas en fait le secret de malversation…
Il semble malheureusement qu’il y ait une logique à ça, qui s’initie peu à peu dans le droit, visant à décriminaliser toute action répréhensible des entreprises. Il n’y a pas d’autre logique par exemple dans la CJIP (Convention Judiciaire d’Intérêt Public) où toute condamnation formelle est abandonnée. Il n’y a pas d’autre logique dans le cas nous occupant, que de préserver les intérêts d’une société au détriment de l’information des marchés.
On voit à présent, et on suivra avec beaucoup d’attention les prochaines décisions s’appuyant sur le secret des affaires, que l’on cherche effectivement à limiter le droit d’information de la presse mais que l’on cherche aussi à ôter aux différents acteurs l’information nécessaire à des prises de positions financières sur telle ou telle société.
Plus loin, même s’il n’y a pas à cette heure-ci à notre connaissance de décisions relatives à des sujets d’alerte prises sous couvert du secret des affaires, le cas Challenges vs Conforama ne laisse rien présager de bon. En théorie on voit bien qu’à toute alerte, il pourrait se voir opposer le secret d’affaire puisqu’il s’agit dans la majorité des cas, de mettre en évidence des dysfonctionnements ou des malversations, qui, par définition, dès qu’elles sont connues du public, sont de nature à altérer la confiance en elle de ses partenaires et des marchés.
CQFD !

MM.

Il était une fois la Wells Fargo et ses whistleblowers

Ce soir, nous allons vous raconter une histoire extraordinaire.
Dans un pays lointain, des lanceurs d’alerte ont porté…l’alerte, ont été (difficilement) entendus par les Autorités de contrôle de leur secteur d’activité, puis licenciés par la banque, pour être ensuite, finalement réintégrés, les préjudices subis et salaires non perçus pendant ces années, devant être réglés par l’employeur licencieur.
Wells Fargo ends fight with a whistleblower in fake-accounts scandal
Leurs dénonces ? des comptes fantômes ouverts dans la banque, des surprimes d’assurances autos, des pratiques commerciales douteuses…une série de scandales qui apparaissent les uns après les autres.
Quoiqu’il en soit, des mesures de précautions et sanctions significatives (prises par la FED) sont tombées ce jour.

Ce merveilleux pays n’est pourtant pas très différent du nôtre. Nous avons la même économie, les mêmes principes de droit, les mêmes Autorités de contrôle, une justice dans les textes totalement indépendante, et sans doute ce pays ne compte pas plus de voyous qu’ailleurs.
Si dans ce pays une telle histoire est une réalité, chez nous, ce n’est qu’un rêve pieux.

Mais quel est ce pays où l’Autorité de contrôle du secteur ne se contente pas de promesses mais interdit toute extension des activités tant que les dysfonctionnements ne sont pas corrigés?
Mais quel est ce pays où le gendarme du secteur impose non pas le licenciement de quelques seconds couteaux mais de quatre membres du Conseil d’Administration?
Mais quel est ce pays où des membres du Parlement agissent pour que les sanctions soient exemplaires et se réjouissent que les Autorités de contrôle puissent faire leur travail en indépendance et avec efficacité ?
Sans doute un Etat communiste qui a dû renier la beauté et la magie de l’économie libérale?
Eh bien non! Il s’agit des Etats-Unis de Trump et de l’une des plus grande banque du secteur…

En tous les cas, vous l’aurez compris, tous les donneurs de leçons habituels le disent en cœur: « pas de ça chez nous, ici on est en France ».

Une sanction sans précédent s’abat sur Wells Fargo
Wells Fargo defrauded the government during financial crisis: suit

MM.

Spoofing: UBS épinglée

Avec la banque suisse UBS, Deutsche Bank et HSBC passeront à la caisse pour éviter des poursuites pénales aux Etats-Unis.
Leur tort, selon les autorités américaines? Avoir mis en place un système dit de spoofing, de manipulation des cours de matières premières. Cette méthode, dite «d’usurpation» en français, est illégale depuis 2009.

Qu’est ce que le spoofing?
Le spoofing est une technique de trading algorithmique qui consiste en une manipulation d’autres opérateurs présents sur le marché, (et notamment des autres traders haute-fréquence), en plaçant un nombre important d’ordres à l’achat ou à la vente afin de faire croire à une augmentation ou à une baisse soudaine de l’offre ou de la demande. Ces ordres sont ensuite annulés juste avant leur exécution mais provoquent néanmoins une réaction quasi-instantanée des robots-ordinateurs de trading haute-fréquence, très sensibles, qui suivent ce faux-départ. Après l’annulation des premiers ordres, le spoofer va placer de nouveaux ordres dans l’autre sens du marché afin de profiter de la baisse des prix (achat) ou de leur hausse (vente), déformant ainsi le marché afin de générer du profit en trompant les autres acteurs, ce qui peut en faire une pratique répréhensible.
Résultat des courses : le marché est manipulé et échappe à tout contrôle. Mais alors que les algorithmes et les traders jouent avec des chiffres – ils ne savent pas ce qu’ils achètent ou ils vendent, ce sont de vraies entreprises qui en subissent les conséquences, ainsi que l’économie réelle.
S’il est difficile de trouver des preuves tangibles de cette manipulation qui ne dure que quelques dixièmes de seconde, les sanctions en cas de pratique avérée (prévues par le Dodd-Frank Act), sont sévères: elles représentent une peine de prison de 10 ans et 1 million de dollars d’amende.

Quant à UBS, HSBC et Deutsche Bank, qui ont usé de la pratique, elles préfèrent passer à la caisse pour éviter des poursuites pénales aux Etat-Unis. La banque allemande paiera l’amende la plus importante: 30 millions de dollars. UBS paiera 15 millions et HSBC – qui a collaboré avec les enquêteurs – 1,6 million.

Dans toutes activités financières de marché, il appartient au régulateur d’identifier et de sanctionner la minorité d’acteurs qui commet des manquements à la réglementation et ce afin d’en préserver l’intégrité de marché.
UBS amendée pour avoir manipulé les marchés des métaux précieux

D’une façon plus générale, au-delà de la technique du spoofing qui demeure illégale, le trading haute fréquence (HFT) présente un certain nombre de dangers bien connus: des effets pervers sur la liquidité, des effets sur les coûts de transaction, et in fine sur la stabilité des marchés, sans oublier les questions d’équité face à la concurrence et dans la distribution des risques.

A défaut d’interdire les HFT purement et simplement comme l’avait envisagé un projet de loi en janvier 2016, il conviendrait au minimum de réguler ce type d’activité. Or, au travers de sa réglementation MIF2 (ici) de 2016 il apparaît que la Commission Européenne a renoncé à réguler le Trading Haute Fréquence en vidant ladite réglementation de toute sa substance. Le texte de la directive se limite à une perspective prudentielle et élude totalement la question de l’utilité du HFT (haute fréquence trading). Exit toute modification des règles du jeu en matière de trading par exemple en renforçant les obligations de tenue de marché, en imposant un prix (même très faible) à toute modification ou annulation d’ordre (afin de réguler les stratégies d’abus de marché), ou en réformant le régime des « pas de cotations ».
Force est de constater une fois de plus que les lobbies bancaires, omniprésents pour ne pas dire omnipotents à Bruxelles, sont parvenus à obtenir une définition très large qui considère comme HFT, plus de 90% des intermédiaires financiers. CQFD, si le HFT est la norme, il est inutile de le réglementer…

Puisque les lobbies semblent dicter à la Commission Européenne les règles, il reste encore la possibilité (à l’image de ce qu’a fait l’Italie) de taxer ce type d’opération afin d’essayer d’en limiter l’utilisation excessive, disposition bien évidemment très imparfaite mais qui a le mérite d’exister.

MM.

Paradis fiscaux, un petit effort ?

Profitons de la publication par l’Association Tax Justice Network (TJN) de sa liste des paradis fiscaux (actualisée tous les deux ans) pour montrer, s’il en était encore besoin, la vacuité de celle récemment présentée par l’Union Européenne.

Là où l’Europe publie une liste des paradis fiscaux (si on peut l’appeler encore ainsi), basée sur des compromis politiques obscurs, celle de TJN prend en compte toute une batterie d’indices (à consulter ici), notamment le poids de chaque pays dans les flux financiers internationaux, lui permettant de déterminer en autre un indice d’opacité financière et surtout « a secrecy score » offrant une comparaison plus judicieuse entre les pays.

A ce titre, comme par magie, les grands oubliés de la liste européenne tels la Suisse, le Luxembourg ou le Panama, réapparaissent à des places très honorables !
Vous pouvez consulter la liste complète du Financial Secrecy Index 2018 de TJN ici.

Comme dans beaucoup d’autres domaines, ce type de classement ne vaut que par la méthodologie retenue, dépourvue de toutes considérations de nature politique.
Force est de constater que celle proposée (imposée) par le bon docteur Moscovici, au delà d’être totalement insuffisante au regard des critères retenus, fait avant tout l’objet, ce qui pour ainsi dire constitue sa seule méthodologie, d’arrangements politico-financiers qui lui enlèvent par conséquent, toute crédibilité.

D’un point de vue démocratique, il serait légitime que l’Europe confie l’établissement de ce type de liste à des organismes indépendants (tels TJN ou OXFAM aux résultats très proches et ce, via des méthodologies différentes), qui s’imposeraient à elle.

Suisse et Etats-Unis en tête : le vrai classement des paradis fiscaux

Au final rappelons que la lutte contre la fraude fiscale relève avant tout d’une volonté politique.
Lutter contre l’évasion fiscale c’est abattre les compromissions politiques et étatiques, mettre fin à de sombres arrangements passés avec la finance qui a pris le pouvoir sur le politique et le législatif.
Pour tous ceux ayant touché de près à la mécanique des flux financiers internationaux, inutile de mettre en oeuvre une armée de contrôleurs et de voter une myriade de textes de réciprocité, l’exemple Américain démontrant que lorsqu’il y a une réelle volonté politique, les caisses de l’Etat savent récupérer ce qui leur est dû.

MM.

DIGIWHIST une initiative européenne pour détecter la corruption et mauvaise gestion

Heureux de relayer ce post de nos amis Xnet d’Espagne qui nous informe de l’intéressante initiative européenne DIGIWHIST, qui doit permettre de détecter d’éventuelles anomalies relatives à des faits de corruption ou de mauvaises pratiques de gestion.

« C’est un grand projet de données pour la détection de la fraude au niveau européen, quelque chose comme une grande «machine» de la société civile pour détecter la corruption et les mauvaises pratiques dans la gestion de l’argent public. »

Pour en savoir plus:
DIGIWHIST

L’alerte au temps de la censure

La sortie demain du livre « Vincent tout-puissant » co-écrit par Messieurs Jean-Pierre Canet et Nicolas Vescovacci fait l’objet ce jour d’une pré-couverture dans Télérama ici.

A ce titre, rappelons que certains membres fondateurs de MetaMorphosis sont bien malgré eux à la genèse de l’enquête menée sur la Banque Pasche – Crédit Mutuel CIC censurée par Canal+ et Bolloré, qui est devenue emblématique du cœur de la réflexion que mène le Collectif sur le vaste sujet de l’alerte.

Messieurs Canet et Vescovacci commencent leur récit par la déprogrammation par Canal+ du documentaire Banque Pasche – Crédit Mutuel CIC. Comme rappelé dans l’interview de Télérama, les lanceurs d’alerte leur avaient fait rapidement part de leur inquiétude de l’effective diffusion de leur travail sur cette chaîne. Certes parce qu’ils bénéficiaient d’une source privilégiée leur permettant d’avoir cette inquiétude avant même les réalisateurs du documentaire… mais pas uniquement. Leur sentiment reposait également sur la relation privilégiée et ancienne entretenue entre les groupes Crédit Mutuel (maison mère de la Pasche) et Bolloré, la banque étant un partenaire financier important de ce dernier. ici
Les lanceurs réagissaient également après deux années de combat en fonction de l’expérience qu’ils avaient de leur relation avec la presse.
Après avoir sollicité tout ce que la France peut compter de presse quotidienne et hebdomadaire, les silences des uns, les refus polis d’autres, voire les refus motivés de certains autres, pouvaient laisser penser, face à l’incapacité de susciter l’attention, que les rapports de pouvoir au sein du monde médiatique avaient très largement basculés au profit des financiers et au détriment de l’investigation (à l’exception notable de Médiapart et de un ou deux journalistes indépendants).

Malgré le professionnalisme, la volonté et la réelle indépendance des auteurs du reportage, les lanceurs ont très rapidement été pour toutes ces raisons, suspicieux dans la capacité d’obtenir une diffusion nationale de l’enquête selon le format qui avait été retenu.

Nous touchons là au second point de ce billet, cet exemple et toute la démonstration que souhaitent réaliser Messieurs Canet et Vescovacci au travers de leur livre, confirment une fois de plus que l’un des enjeux principaux de l’alerte est la capacité pour les lanceurs, déjà exclus du processus judiciaire, de trouver des canaux leur permettant de relayer leur témoignage.
Jeux de pouvoir, liens financiers, liens incestueux avec le politique (l’absence totale de réaction du monde politique -autant sollicité que les médias- étant à ce titre très révélatrice), procédures bâillons dont l’un des auteurs de « Bolloré tout-puissant » en est aujourd’hui la victime, prise de contrôle des rédactions, chantage à l’emploi… autant de situations et de techniques visant à faire taire l’alerte, sans que les lanceurs ne puissent compter sur quelles qu’autres formes de contre pouvoir, si ce n’est comme cherche à le faire MetaMorphosis, de fédérer des expériences et des combats au sein d’une structure totalement indépendante des pouvoirs aussi bien économique que politique.
Nous avons conscience à MetaMorphosis que sur le papier le combat peut apparaître fortement déséquilibré voire perdu d’avance diront certains, il n’en demeure pas moins que pour nous, tant qu’il y aura la liberté de parole, il y a la liberté d’agir et la possibilité de continuer à faire passer les messages.

Alors, rejoignez MetaMorphosis le site et bientôt l’Association.

MM.

Et pour ceux qui n’ont pas vu ledit reportage:

Monnaie de singe

Reconnaissons le rôle précurseur joué par Transparency France dans l’affaire qui nous occupe aujourd’hui.
Rappelons que cette Association a défendu bec et ongles dans le cadre de la Loi Sapin2, sans jamais vraiment se soucier de ce que pouvaient en penser les principaux intéressés à savoir les lanceurs d’alerte, la fameuse Convention Judiciaire d’intérêt Public (CJIP).
Celle-ci permet à une entreprise coupable de faits relevant des tribunaux pénaux, de ne jamais être condamné contre la simple reconnaissance des faits et le paiement d’une amende. Transparency et le Gouvernement de l’époque ont démontré à cette occasion, le peu d’intérêt qu’ils portaient aux lanceurs d’alerte (tout en feignant le contraire) et leur totale méconnaissance de la nature même de leur action.
Qu’attendent les lanceurs d’alerte si ce n’est la reconnaissance par une décision de justice du bien fondé de leurs dénonciations, seule solution leur permettant d’envisager une reconstruction personnelle et professionnelle ?
Qui peut croire au bout de tant d’années de combat qu’un lanceur d’alerte puisse se résoudre à retrouver devant lui une organisation pouvant clamer haut et fort qu’elle n’a jamais été condamnée?

Marchons dans les pas de Transparency France et allons un peu plus loin dans cette logique, l’actualité récente nous donnant matière à faire une nouvelle proposition: instaurons dans le droit français la peine : « Je m’excuse ».
D’un côté Lactalis qui a en toute connaissance de cause avec la complicité bienveillante de la grande Distribution, mis sur le marché des produits dangereux pour les consommateurs et, ce que beaucoup semblent oublier, interdits à la vente. A ce que nous sachions, quand le cartel de Medellin met sur le marché de la cocaïne, le premier réflexe qui vient, est qu’il s’agit d’un produit interdit à la vente, aux effets également dangereux. Bizarrement, y compris au gouvernement, concernant Lactalis, cela ne semble pas avoir été la première réflexion. Madame Agnès Buzin Ministre des Solidarités et de la Santé, nous explique en effet dans les jours suivant la mise en évidence de ce scandale, « que les excuses de Lactalis: pas sûr que ce soit suffisant  » ici
On serait en droit d’attendre d’une Ministre de la République, qu’elle soit avant tout scandalisée par le fait que cette société ait continué à commercialiser des produits nocifs interdits à la vente. A la place, on la découvre déjà réfléchir à quel degré de « peine » ce manquement déclencherait une sanction, comme s’il y avait quand on enfreint la loi, un plan B autre que celui passant nécessairement par la case justice.
Nouvel exemple tout récent avec l’affaire des essais de Volkswagen sur des êtres humains et des singes. On découvre cette magnifique déclaration du porte-parole de la Chancelière Merkel mais au combien révélatrice qui nous dit que de tels agissements sont injustifiables « d’un point de vue éthique » ici. Comme nous savons tous depuis Platon que l’éthique ou la morale n’ont pas grand chose à faire avec le droit et donc la justice, nous en déduisons que pour le porte-parole de Madame Merkel, les agissements de Volkswagen ne relèvent pas de ladite justice.
Cette société l’a très bien compris puisqu’elle nous a tout de suite livré son analyse de la situation: « Je m’excuse » ici. Un « je m’excuse » du type : « voilà ça c’est dit, passons maintenant à autre chose ». Certes, c’était pour les essais sur les macaques, il ne reste plus qu’à le réitérer pour les hommes.

Nous ne pouvons que conseiller à toutes les sociétés faisant l’objet d’instruction judiciaire, Lafarge par exemple ou telles ou telles banques, de se saisir de ce nouvel argument de défense qui semble imparable et bien compris de la classe politique: des excuses valent pardon et rédemption, inutile d’aller à l’église.

Si les peuples européens montrent un tel désaveu dans leur classe politique, une telle méfiance dans les systèmes judiciaires, un tel sentiment d’impunité pour les grandes sociétés et les puissants, cela vient aussi d’une dénaturation du sens même de l’exercice du droit relayé en cela par ceux qui ont justement la charge de le faire appliquer.

A ne pas y faire attention, ces petites incisions dans le corps de la justice où celui qui est mis en cause finit lui même par décider de sa peine (parce qu’au final dans la CJIP l’inculpé garde la main comme en témoigne la transaction signée avec HSBC), c’est la démocratie qu’on risque d’assassiner.
Finissons sur un exemple qui vient illustrer le propos et qui est d’autant plus inquiétant qu’il sort de la bouche d’un procureur de la République déclarant ainsi: « Ce n’est pas normal qu’il y ait si peu de déclarations de soupçons sur la Côte d’Azur. Les professionnels n’ont pas le courage de lâcher les chiens. » ici
Rappelons que les professionnels en question, Notaires et Agents Immobiliers, ont au titre du blanchiment les mêmes obligations que celles censées encadrer la profession bancaire. S’agissant de leurs responsabilités professionnelle et légale, il est étonnant et symptomatique de la bouche d’un Procureur de confondre Courage et Obligation.

A quand une justice du mea-culpa et des peines appréciées en fonction du niveau de courage de chacun?

MM.