Infos en stock et en bref

➡️ New-York Times du 01 Juin 2018 «Fed Makes a Risky Bet on Banks» par le Editorial Board, ici.
Nous en parlions cette semaine à l’occasion d’une tribune : la majorité républicaine au Sénat américain est en train de détricoter l’essentiel des règles prudentielles mises en place à la suite de la crise de 2008 par la précédente administration. Compte tenu du poids du secteur financier américain dans l’économie mondiale mais aussi de l’action des lobbyistes bancaires auprès de la Commission Européenne pour obtenir également des allégements de certains dispositifs présentés comme «contraignants», cette question nous touche directement.
Comme beaucoup d’analystes le font remarquer, si les dispositifs nés de l’après 2008 ne garantissent pas de la non survenance d’une prochaine crise car ils sont bien en deçà de ce qu’il aurait été nécessaire de faire, leur démantèlement total ou partiel ne peut conduire qu’à précipiter les choses.
L’Editorial Board du NYT publie un article ce jour au titre révélateur : les autorités de contrôle font un «pari risqué» sur les banques. Pour les défenseurs d’un allègement des règles prudentielles et dans la bouche même de Trump, cette action serait indispensable pour permettre aux banques de travailler «au bénéfice de l’économie». Le NYT rappelle que les résultats colossaux des banques américaines depuis plusieurs années viennent contredire cette affirmation («If banks are overly burdened by this regulatory load, it’s not apparent in their robust results»). Concernant la volonté des établissements de veiller au financement équilibré de l’économie, l’Editorial Board ne se prive pas de rappeler : «The Great Recession amply demonstrated that when banks chose between proprietary trading and customers’ interests, the customers lost out».
La critique fondamentale, et c’est bien à ce niveau que semble être effectivement le cœur du sujet, pose la question de la responsabilité des autorités politiques et de contrôle, et leur capacité à anticiper l’avenir.
En écho au titre de notre propre contribution («Mémoire courte et vue basse», ici), le journal assène : «There’s a saying that the time to fix a leaky roof is when the sun is shining. And our economy is, if not shining, certainly sunny. The fear is that, when it comes to our financial system, both our Congress and our regulators are now loosening the shingles».

➡️ The Guardian du 01 Juin 2018 «Murdered Maltese reporter faced threat of libel action in UK» par Juliette Garside, ici.
The Guardian nous fait part ce jour des informations portées à sa connaissance par les enfants de Daphne Caruana Galizia, journaliste d’investigation assassinée il y a un an à Malte.
«In the months before her death, the anti-corruption journalist received letters from the London office of the blue-chip firm Mishcon de Reya, which specialises in bringing defamation cases. Mishcon had been hired to defend the reputation of a client doing business in Malta».
Daphne Caruana Galizia semble avoir également subit, avant la fin tragique que l’on connaît tous, le traitement habituel des lanceurs d’alerte en matière de harcèlement judiciaire. Cet épisode met en évidence que certains cabinets d’avocats, notamment londoniens, semblent s’être spécialisés (si l’on peut dire) dans ce type «d’activité». Le cas de Daphne Caruana Galizia pose une nouvelle fois la question des procédures bâillons, notamment quand elles sont exercées comme dans cet exemple au travers de juridictions différentes (via des attaques judiciaires contre le diffuseur). Les avocats des enfants de Daphne souhaitent mobiliser la Commission et le Parlement européen pour que soit voté au niveau communautaire une restriction à ces procédures qui portent au final atteinte à la liberté de la presse.
«Vella said jurisdictional threats were being used to “condition” Maltese journalism, and that his paper has separately been threatened with UK court action by a Lebanese energy giant, a British biotech entrepreneur and a UK company with interests in football and shipping».
«If the Maltese courts uphold decisions delivered in a UK court on defamation actions, the consequences for the free press and Maltese democracy would be disastrous,” Vella claimed».
«Such cases could be seen as a “jurisdictional tactic to silence the press without trial”, according to the academic Justin Borg-Barthet, who said the cost of defending suits was often enough to force small media houses to redact or remove articles».
«Borg-Barthet, who is from Malta and lectures in the school of law at the University of Aberdeen, said a revision of EU law on jurisdiction in libel cases was urgently required to protect press freedoms».

➡️ Washington Post du 01 Juin 2018 «Google to drop Pentagon AI contract after employee objections to the ‘business of war’», ici, par Drew Harwell.
Les craintes des salariés de Google sur le contrat signé par la firme avec le Pentagone étaient fondées. Nous nous en sommes déjà fait l’écho dans MetaMorphosis, ici.
Leur mobilisation était donc justifiée d’autant plus qu’ils obtiennent que leur employeur cesse de travailler pour l’armée américaine sur les questions d’intelligence artificielle. Ledit contrat a en effet été rendu public par la presse ainsi que certains échanges internes à la firme, démontrant que la motivation principale était bien de nature purement financière, sans que les questions d’éthique ou d’image soient vraiment prises en considération.
Le Washington Post y revient dans son édition du jour : «Google will not seek to extend its contract next year with the Defense Department for artificial intelligence used to analyze drone video, squashing a controversial alliance that had raised alarms over the technological buildup between Silicon Valley and the military».
«Thousands of Google employees wrote chief executive Sundar Pichai an open letter urging the company to cancel the contract, and many others signed a petition saying the company’s assistance in developing combat-zone technology directly countered the company’s famous “Don’t be evil” motto».
Ce cas d’école, mêlant droit d’alerte des salariés et clause de conscience, est à méditer pour beaucoup de lanceurs d’alerte, généralement seuls et marginalisés par leur propres collègues de travail, ce qui est du pain béni pour la hiérarchie. A partir du moment où les salariés font valoir leurs droits, ensemble et en amont, leur combat a de forte chance de rencontrer un écho et un résultat positif. Mais pour tout ça, il faudrait un peu de courage ce qui est une matière première très rare dans le monde de l’entreprise…

➡️ Le Monde du 01 Juin 2018 «Au Sahara, voyager devient un crime», ici, par Julien Brachet.
Nous pourrions croire que les décisions sur les questions de migration et d’immigration prises au Palais Bourdon ou au Parlement Européen n’ont de conséquences qu’en France ou en Europe.
Quid de l’autre côté de la méditerranée ? Allons jeter un œil…
C’est ce à quoi nous enjoint l’anthropologue Julien Brachet dans sa tribune publiée par Le Monde : «Au mépris du droit international, la région (le Sahara) est devenue, sous l’égide de l’Europe, une zone où les êtres humains peuvent être contrôlés, catégorisés, triés et arrêtés».
L’actualité récente nous le rappelle : «La France s’est émue lorsque Mamoudou Gassama, un Malien de 22 ans, sans papiers, a sauvé un enfant de 4 ans d’une probable chute fatale à Paris. Une figure de «migrant extraordinaire», comme les médias savent régulièrement en créer, mais qui ne devrait pas faire oublier tous les autres, les statistiques, les sans-nom, les numéros. Ni tous celles et ceux qui n’ont aucune intention de venir en Europe, mais qui sont néanmoins victimes des nouvelles politiques migratoires européennes et africaines mises en œuvre à l’abri des regards, à l’intérieur même du continent africain».
Prenons le cas du Niger : «La mission européenne Eucap Sahel Niger, lancée en 2012 et qui a ouvert une antenne permanente à Agadez en 2017, apparaît comme un des outils clés de la politique migratoire et sécuritaire européenne dans ce pays. Cette mission vise à «assister les autorités nigériennes locales et nationales, ainsi que les forces de sécurité, dans le développement de politiques, de techniques et de procédures permettant d’améliorer le contrôle et la lutte contre les migrations irrégulières», et d’articuler cela avec la «lutte antiterroriste» et contre «les activités criminelles associées». Outre cette imbrication officialisée des préoccupations migratoires et sécuritaires, Eucap Sahel Niger et le nouveau cadre de partenariat pour les migrations, mis en place par l’UE en juin 2016 en collaboration avec le gouvernement nigérien, visent directement à mettre en application la loi nigérienne n°2015-36 de mai 2015 sur le trafic de migrants, elle-même faite sur mesure pour s’accorder aux attentes européennes en la matière». Surtout, ne parlons pas d’ingérence !
Cette loi, qui vise à «prévenir et combattre le trafic illicite de migrants» dans le pays, définit comme trafiquant de migrants «toute personne qui, intentionnellement et pour en tirer, directement ou indirectement, un avantage financier ou un autre avantage matériel, assure l’entrée ou la sortie illégale au Niger» d’un ressortissant étranger.
Résultat, à plusieurs centaines de kilomètres des frontières, des transporteurs, «passeurs» avérés ou supposés, requalifiés en «trafiquants», jugés sur leurs intentions et non leurs actes, peuvent dorénavant être arrêtés. Pour les autorités nationales, comme pour leurs homologues européens, il s’agit ainsi d’organiser le plus efficacement possible une lutte préventive contre «l’émigration irrégulière» à destination de l’Europe.

Julien Brachet résume cette situation ainsi : «Cette aberration juridique permet d’arrêter et de condamner des individus dans leur propre pays sur la seule base d’intentions supposées : c’est-à-dire sans qu’aucune infraction n’ait été commise, sur la simple supposition de l’intention d’entrer illégalement dans un autre pays».
Ce qu’ils n’osent pas encor faire ici (la criminalisation sur la base de simples intentions supposées), nos gouvernements l’imposent là-bas aux gouvernements locaux.
Prenons-y garde, les discours récurrents sur l’emprisonnement préventif des fichés S n’est rien d’autre que cela. La peur de certains et la lâcheté de beaucoup d’autres, nous y conduisent tout droit.
A celles et ceux qui aiment répéter à l’envie que la France serait la patrie des droits de l’homme, comme si l’incantation de la formule vaudrait protection éternelle, rappelons que la France, et l’Europe avec elle, n’est que la patrie de la déclaration des droits de l’homme. De bonnes intentions, tout le monde peut en avoir…

➡️ Libération du 01 Juin 2018 « En Suisse, l’initiative « monnaie pleine » », ici, par Bruno Amable, .
Les Suisses ne font jamais rien comme tout le monde. C’est sans doute pour ça qu’ils se sont toujours tenus à l’écart du projet européen.
Libération nous informe d’une initiative qui sur le papier est proprement révolutionnaire : «Le 10 juin, les Suisses seront appelés à voter pour ou contre l’initiative «monnaie pleine». Il s’agit d’une réforme visant à changer radicalement le fonctionnement du système bancaire de la Confédération. Pour résumer simplement, les dépôts à vue dans les banques commerciales devraient être placés auprès de la Banque nationale suisse (BNS) et donc retirés du bilan des banques. Le but de l’opération est d’obliger ces dernières à couvrir intégralement les prêts par leurs propres ressources».
L’initiative monnaie pleine veut d’une certaine façon séparer les activités ordinaires des banques (les prêts et autres) de la création de monnaie. Cette dernière activité serait exclusivement réservée à la Banque centrale, quelle que soit la forme de la monnaie (électronique par exemple).
L’un des aspects de cette consultation est la volonté de regagner le contrôle du système bancaire, perçu, non forcément à tort, comme fonctionnant pour son intérêt propre et non pour celui de la société dans son ensemble.
L’idée est simple : l’essentiel de la création monétaire des banques commerciales n’est actuellement fondé sur aucune garantie publique, c’est donc de la «fausse monnaie». Par conséquent, les moyens de paiement produits par la banque centrale (les pièces et billets) est la seule «vraie monnaie», quand bien même elle serait issue d’une création bancaire ex nihilo… Dès lors, l’idée est de contraindre les banques à n’accorder de crédits que lorsqu’elles disposent d’une couverture intégrale de la somme créée, soit sous la forme de prêts de la banque centrale, soit sous forme de capital. L’intégralité de cette monnaie serait donc issue d’une émission de la banque centrale. Il ne s’agit pas seulement de respecter la constitution suisse, mais bien davantage de renverser la logique actuelle.
Selon ses défenseurs, ce serait un moyen d’éviter les crises financières et leurs conséquences. Puisque la création monétaire est privatisée, dénoncent ces derniers, elle sert naturellement des intérêts privés. Le crédit irrigue donc de façon irrationnelle les sources de rendements : produits financiers, bulles immobilières ou certains secteurs rapidement en surcapacité. Cette logique s’auto-entretient : les prix montent grâce au crédit et encouragent encore l’accès au crédit de ceux qui veulent avoir leur part du gâteau.
Si la Suisse s’engageait dans cette voie, ce serait indéniablement une véritable révolution dans l’approche des questions monétaires.
A suivre…

MM.

«Être un mouton» n’est ni un métier, ni une vocation

Le mouvement prend de l’ampleur chez Google.
Le journal Le Monde du 05 Avril nous informe qu’environ 3 100 employés de Google ont réclamé, dans une lettre dévoilée jeudi par le New York Times, que l’entreprise mette un terme à son partenariat avec le Pentagone. Début mars, Google avait en effet admis dans les colonnes du magazine Gizmodo qu’il mettait à la disposition du Ministère Américain de la Défense, certaines technologies d’intelligence artificielle (IA).
«Ce partenariat s’inscrit dans le projet Maven, un programme lancé en avril 2017 avec l’objectif, expliquait le Pentagone dans une note, de «rendre rapidement intelligible l’énorme volume de données accessibles au ministère de la défense ».
Dans un communiqué transmis en mars à la presse américaine, Google avait expliqué fournir au Pentagone des accès à son logiciel ouvert d’apprentissage automatique TensorFlow. L’objectif : l’aider à analyser des images de drones, à des fins de renseignement. L’outil peut par exemple être utilisé pour identifier de manière automatisée des bâtiments, véhicules ou humains figurant sur des photos ou vidéos. Cela permet de surveiller des lieux, ou d’identifier des cibles».

Les employés signataires ont ainsi invité Sundar Pichai, le PDG de la firme, à «annuler immédiatement» le partenariat établi avec le Pentagone.
«Nous estimons que Google ne devrait pas être impliqué dans le business de la guerre. C’est pourquoi nous demandons à ce que le projet Maven soit annulé, et à ce que Google dessine, publie et mette en place une politique claire, qui précise que ni l’entreprise ni ses partenaires ne fabriqueront jamais de technologies de combat».

Le partenariat aurait, estiment les signataires, «causé des dommages irréparables à la marque Google».
«L’argument selon lequel d’autres entreprises comme Microsoft et Amazon participent également ne rendent pas l’opération moins risquée pour Google, est-il écrit dans la lettre. (…) Nous ne pouvons pas [non plus] nous dédouaner de la responsabilité de nos technologies et la laisser peser sur les tiers».

Plusieurs employés ont été indignés du fait que leur entreprise puisse offrir des ressources à l’armée.
En effet, Maven soulève des questions éthiques sur le développement et l’utilisation de l’apprentissage automatique (machine learning). Eric Schmidt, collaborateur de chez Google, s’est exprimé à ce sujet : «Il y a une inquiétude générale dans la communauté de la technologie sur la façon dont le complexe militaro-industriel utilise leurs «trucs» pour tuer les gens de manière incorrecte».

Certains services de renseignements des États-Unis sont bien connus pour l’espionnage massif de la population. L’intelligence artificielle leur permettra d’aller beaucoup plus loin dans leurs démarches. En effet avec Maven, il serait possible de suivre une personne à la trace d’un point A vers un point B sans intervention humaine. C’est l’un des aspects du projet qui inquiète particulièrement chez Google. Google est un élément clé dans la stratégie du gouvernement. «Avant Maven, personne dans le département n’avait la moindre idée de comment acheter, aligner et mettre en œuvre correctement l’IA», écrit Greg Allen, un spécialiste de l’utilisation de l’IA par les militaires.

Reconnaissons que cette «mobilisation éthique» des salariés de Google fait plaisir et c’est bien parce qu’elle est rare, qu’il fallait la souligner.
Là où bien souvent, même devant les évidences, les salariés acceptent soit une cécité spontanée, soit un lâche détournement du regard, soit un désintérêt total y compris moral devant les malversations ou manquements graves à la loi dont ils peuvent être les témoins directs ou alertés par des lanceurs, reconnaissons que la réaction rapide et forte des employés du géant américain de l’Internet laisse de l’espoir.

Il n’est pas inutile de rappeler à certains que «être un mouton» n’est ni un métier, ni une vocation. Ce n’est qu’un comportement lâche qui conduit souvent le lanceur d’alerte à se battre seul là où une action collective -le cas de Google nous le démontre- permettrait de peser à la fois sur l’employeur, les structures de contrôle et de sanction du métier, et la justice.
Combien de lanceurs d’alerte, seuls dans leur combat pendant de longues années, auraient apprécié que leur dénonciation soit appuyée et relayée par plusieurs milliers de collègues de travail?
Beaucoup d’alertes n’auraient sans doute même pas eu besoin de sortir des murs de l’entreprise si les salariés s’étaient détachés de leur peur et de leur lâcheté.
Quoi qu’il arrive, les lanceurs n’oublieront pas de sitôt le nom des moutons qui firent partie de leur troupeau, ceux restés au bord de la route…

MM.

En référence à l’article du journal Le Monde du 05 Avril 2018 «Intelligence artificielle : 3 100 employés pressent Google d’arrêter d’aider le Pentagone», ici.

Intelligence artificielle : tu auras les honneurs mon fils

Nous en parlions sur MetaMorphosis dans une récente tribune : parmi les grands défis de la société française, le développement de l’intelligence artificielle tient une place fondamentale, aux côtés des problématiques liées au réchauffement climatique.
Nous rappelions également que sur des sujets d’avenir importants, le nouveau gouvernement ne répondait pour l’instant que par d’anciennes solutions surannées, marque de son incompréhension des enjeux qui viennent confronter son avenir, celui du pays et ses propres certitudes. A l’occasion de la présentation des axes de sa politique en matière d’intelligence artificielle, suite au rapport Villani (un grand mathématicien, fait-il pour autant malgré toute la bonne volonté, un grand politique et un visionnaire?), Médiapart porte sous la plume de Romaric Godin (ici) un regard critique mais lucide.

Débarrassons-nous tout de suite de l’habillage promotionnel de la chose, pratique désormais courante de la politique macronienne, mais nécessaire pour replacer le débat dans toute sa dimension.
«Comme souvent, l’exécutif fait de bons constats. Mais ces bons constats sont souvent le paravent communicationnel d’une action au bout du compte décevante et fondamentalement classique de l’État français. Jeudi 29 mars, le chef de l’État, Emmanuel Macron, a prononcé un discours ampoulé sur le sujet. Un seul chiffre en est ressorti : 1,5 milliard d’euros supplémentaires d’ici à 2022, tous dispositifs confondus. En moyenne, c’est 3,75 % d’augmentation de l’ensemble des dépenses publiques d’innovation. Cet argent était déjà promis par François Hollande. En réalité, il n’y a rien de nouveau. Il est difficile de voir là les moyens d’une véritable percée dans un domaine où l’on gagne du terrain à coups de milliards. Les investissements de recherche d’Amazon, à lui seul, s’élèvent à 16 milliards d’euros par an».

Effet d’annonce, vide de toute réalité, mais rien d’étonnant. Faisons un petit détour : à sa décharge comme ses prédécesseurs depuis une vingtaine d’années, ce gouvernement n’a qu’un seul mot à la bouche, «réforme», «réformer». Un petit détour par l’épistémologie grâce au Littré. «1625 : rétablissement de l’ancienne discipline dans une maison religieuse» ; «1690 : suppression des abus» ; «1762 : fait d’écarter de l’armée un homme… reconnu inapte au service» ; «1837 : mettre à la réforme, au rebut (Balzac )».
Nous en sommes bien là : réformer c’est mettre au rebut tout ce que l’on considère inapte, pour revenir aux anciennes disciplines et pratiques. A-t-on vraiment besoin de réformer, ne doit-on pas plutôt adapter?
Reformer donc c’est faire table rase de ce qui existe, de ce qui a été lentement construit, et regarder vers le passé (une bonne définition en somme de la politique actuelle du gouvernement), alors qu’adapter c’est prendre en compte l’existant et chercher à le faire coïncider à l’avenir avec les nouveaux enjeux.
Au final, en matière d’intelligence artificielle, tout ceci ne semble pas si éloigné de la politique gouvernementale actuelle.

Continuons la lecture de l’article de Médiapart, après le renoncement français que traduit l’inexistence d’un budget digne de ce nom : «Dans la chaîne de valeur de l’IA, la France n’a pas d’autres ambitions que de devenir un lieu de sous-traitance de certaines fonctions. En soi, pourquoi pas. Sauf que le pouvoir de décision ne sera pas maîtrisable par la France ou l’UE, mais par les géants privés. Or les conséquences de cette absence de pouvoir ne sont pas maîtrisables : les grands groupes privés feront leurs choix d’implantation en fonction de leurs intérêts. La place de la France dépendra ainsi de trois critères : le coût du travail, un niveau d’imposition faible et un flux de subventions publiques déguisées. Pour conserver les si précieux investissements, la France devra accepter ces trois conditions».
Puis «Mais il y a davantage. L’IA est aussi un enjeu éthique. C’est aussi pour cela que les représentants de l’intérêt général sont hautement concernés et devraient s’interroger sur la nécessité d’un développement autonome de la recherche publique dans l’IA. Là encore, Emmanuel Macron n’a pas manqué de recourir dans son discours à ses habituels termes ronflants sur le sujet. «Quand la technique sert le bien commun, tout va bien. Mais le jour où une start-up ne se référera pas à la préférence collective, nous aurons un problème», a-t-il affirmé … «La stratégie du gouvernement n’est pas étonnante : elle traduit cette confiance fondamentale de l’exécutif dans les mécanismes du marché et sa défiance envers l’action de l’État. Mais dans le cadre de l’IA, cette vision est à très haut risque : elle place la France dans un état de dépendance vis-à-vis des géants privés du secteur, conduit au renoncement sur la question de l’éthique, et risque de placer le pays sur un créneau de moyen de gamme qui a déjà prouvé ses limites dans d’autres secteurs ».

Comme en matière d’écologie, ce gouvernement est-il à la hauteur des enjeux? Ce gouvernement prend-t-il en compte les expériences passées et actuelles, a-t-il tiré les conséquences des échecs, des insuffisances des politiques d’aide à la recherche et développement ? Assurément non.

Ce gouvernement est-il toujours aussi obsédé par cette nécessité de casser, de réformer pour parler «start-up France», sans voir que les acquis actuels nécessitent d’être adaptés aux nouveaux enjeux ? Assurément oui.
La France débloque déjà, tous dispositifs confondus, 10 milliards d’euros par an dans l’innovation, sans que cette politique ait permis à la France de se hisser sur la scène mondiale du numérique.
Plus que miser sur une politique de subventions à l’ancienne, le chef de l’État dit vouloir solliciter l’investissement privé avec tous les risques que cela représente. M. Macron s’est démené pour pousser des fleurons de la technologie tels que Deepmind, Google, Samsung, Fujitsu, Microsoft ou IBM à annoncer ces deux derniers jours un centre de recherche, une chaire ou un plan de formation, mais à quel prix…

Également au cœur du plan présidentiel, la recherche. Elle constitue, en France comme ailleurs, le nerf de la guerre. Pour retenir les chercheurs français attirés comme des aimants par la Silicon Valley, Emmanuel Macron lance un «programme national», coordonné par l’Institut national de recherche en informatique et en automatique. L’objectif est de faire émerger «un réseau d’instituts dédiés localisés dans quatre ou cinq endroits en France», accompagné par un programme de chaires individuelles, afin «d’attirer les meilleurs chercheurs mondiaux et de doubler les capacités de formation en IA».

En revanche, le président de la République n’a pas voulu doubler les salaires des chercheurs du secteur public en France, alors que la faiblesse des rémunérations doublée de la difficulté de faire carrière en tant que doctorant dans l’Hexagone, décourage les vocations et pousse les meilleurs hors de nos frontières.

Chers doctorants, Chers chercheurs,
Vous avez le choix entre:
Des Honneurs Académiques, si vous travaillez pour la «start-up France» – avec peu voire pas de salaires et sans conditions de travail valorisantes.
ou la totale (salaire, conditions, honneurs…) si vous décidez d’aller travailler pour Google ou Microsoft…

Espérons qu’à terme, l’Intelligence artificielle puisse remédier au manque de bon sens qu’a perdu la France.
Les seuls honneurs pour seule motivation, ont très rarement nourri et incité l’homme à rester pour peu qu’il soit un minimum ambitieux.

Mais vu ainsi, nul doute que la France sera gagnante… ou pas.

MM.

En référence à l’article de Romaric Godin paru dans Médiapart, 30 Mars 2018- «Intelligence artificielle : la stratégie perdante du gouvernement» ici