On voudrait bien y croire, mais…

Il y a des jours comme ça, on se dit que ça va être une bonne journée…

Dans son édition du jour, Le Monde (ici) nous informe du départ du «numéro deux» de la Société Générale : le directeur général délégué, Didier Valet, quitte en effet le groupe vendredi.
Comme l’indique le quotidien : «La justice américaine a le bras long. Très long». On se fait tout de suite plaisir avec «l’explication obscure» de la banque : «à la suite d’une différence d’appréciation dans la gestion d’un dossier juridique spécifique du groupe, antérieur à son mandat de directeur général délégué, Didier Valet, soucieux de préserver l’intérêt général de la banque, a présenté sa démission».
Décidément, le ridicule ne tue pas, sinon la Société Générale serait morte depuis longtemps. Après les «fake-news» made in Société Générale, la vérité : le départ de Didier Valet a été imposé par les autorités judiciaires américaines, à l’image du débarquement de membres de l’état-major de BNP-Paribas suite à l’accord conclu en mai 2014 concernant la violation des embargos américains, qui s’était traduit par une amende pharaonique de 9 milliards de dollars (7,3 milliards d’euros). Outre l’affaire du Libor, la Société générale négocie avec la justice outre-Atlantique pour régler deux autres litiges. «Comme BNP Paribas, Deutsche Bank ou le Crédit agricole avant lui, l’établissement fait d’abord l’objet d’une enquête de l’OFAC, le bureau du Trésor américain qui gère les sanctions financières à l’encontre de ceux ayant contourné les embargos américains à l’encontre de l’Iran, Cuba ou le Soudan. Ensuite, il doit répondre à des accusations de corruption concernant ses opérations avec le fonds souverain libyen Libyan Investment Authority (LIA)».
Pour comprendre ce que les Etats-Unis reprochent désormais à la Société générale, il faut se rappeler comment fonctionne le Libor. Ce thermomètre du marché monétaire est déterminé chaque jour à Londres à partir des déclarations des banques partenaires qui indiquent à quel taux elles empruntent au jour le jour.
Sur le Libor, la Société générale est accusée d’avoir minoré, entre mai 2010 et octobre 2011 ses déclarations quotidiennes de taux, afin de ne pas apparaître fragilisée durant la crise de l’euro en révélant qu’elle empruntait plus cher que ses concurrents, signe d’une défiance de la communauté financière. En août 2017, la justice de l’Etat de New York a inculpé deux salariées de la trésorerie du groupe, Danielle Sindzingre et Muriel Bescond. Ce sont elles qui déterminaient au sein de la banque les estimations transmises à Thomson Reuters, le gestionnaire du Libor. La justice américaine les accuse d’avoir « délibérément » donné des estimations basses concernant le Libor en dollar. «Si la trésorerie dépend de la salle des marchés, elle est copilotée par la direction financière. Or, Didier Valet était directeur financier de la banque entre mai 2008 et décembre 2011. Il a participé à des réunions où ces questions ont été évoquées».
Pour la justice américaine, c’est impardonnable, et la sanction semble logique. Mais c’est là que le bas blesse : tout le monde au siège de la Société Générale loue «l’éthique irréprochable» de Didier Valet… Décidément les banques françaises sont incorrigibles. Parce qu’il faudra quand même nous expliquer quelque chose : comment peut-on (en même temps pour être dans l’air du temps) signer un accord avec la justice américaine valant reconnaissance de culpabilité dont celle de son numéro deux, et ne pas entamer à son encontre et de tous les autres responsables impliqués les procédures adéquates, la première victime de cette affaire étant la banque, ses actionnaires et ses salariés ? Si un gestionnaire de compte vient à voler sur les comptes de ses clients, la banque reconnaissant sa responsabilité en les remboursant, on la voit mal ne pas poursuivre son employé indélicat. Deux poids, deux mesures.
Donc ne nous réjouissons pas trop vite. Si la décision de la justice américaine est un bon signal, elle demeurera vaine si elle n’est pas de nature à modifier en plus des comportements, les mentalités. Et il apparaît malheureusement que le chemin est encore long.
Deuxième bonne nouvelle ? The Guardian (ici) nous annonce la fermeture prochaine du fameux cabinet panaméen Mossack & Fonseca. Comme pour la Société Générale, nous sommes gratifiés d’un communiqué officiel, grand art de la langue de bois : «The reputational deterioration, the media campaign, the financial circus and the unusual actions by certain Panamanian authorities, have occasioned an irreversible damage that necessitates the obligatory ceasing of public operations at the end of the current month». Voilà, bravo messieurs les journalistes, vous avez un mort sur la conscience ! Revenons, là aussi, à la vérité. L’industrie de la fraude fiscale a bon dos, Mossack & Fonseca n’est que l’un des acteurs panaméens de cette activité au demeurant tout à fait légale dans ce pays. Le problème de la fraude fiscale n’est pas une question entre des pays d’un côté, et un cabinet de l’autre, mais entre deux pays. Si certains pays européens souhaitent mettre fin à cette évasion fiscale massive, ce n’est pas avec Mossack & Foncesa qu’ils doivent traiter mais avec le Panama. C’est que l’on oublie un peu vite les autres affaires Mossack & Fonseca, mis à jour ou non lors des révélations du ICIJ, à savoir le blanchiment massif d’argent d’activités illicites (cartels de la drogue) et la fameuse affaire de corruption latino-américaine Odebrecht (groupe de BTP brésilien). Il convient en effet de rappeler que les deux associés du cabinet ont été placés en détention provisoire au Panama dans le cadre de ce scandale de corruption. Le ministère public qui les accuse de blanchiment de capitaux, avait perquisitionné leur cabinet. Selon le procureur Kenia Porcell, Mossack Fonseca est soupçonné d’être «une organisation criminelle qui se chargeait de cacher des actifs et des sommes d’argent à l’origine douteuse». Le cabinet a également pour rôle, selon elle, «d’éliminer les preuves [contre] des personnes impliquées dans les activités illégales liées au cas “Lavage Express”».

Une fois de plus, on voit qu’il y a plus d’un pas entre le discours et la réalité. Mossack & Fonseca nous quitte pour avoir industrialisé, comme tant d’autres, l’évasion fiscale ? On peut en douter… Si l’on doit bien évidemment s’en réjouir, nous sommes toujours dans l’attente d’une action forte des pays européens à l’encontre de ces territoires et de tous les intermédiaires, notamment agissant à partir de leur sol, rendant possible l’évasion fiscale. Or sur ce chapitre et à cette heure-ci, c’est plutôt le calme plat.

Allé, on cherche encore. Une success-story ? De ces histoires qui font rêver toute la macronie heureuse. C’est le Washington Post (ici) qui nous raconte cette merveilleuse histoire. Une femme, Elizabeth Holmes, jeune, blonde, partie de rien, fondatrice et Chief Executive d’une start-up… Et ce n’est pas tout, le cadre est idyllique : la Silicon Valley, les nouvelles technologies, une biotech, Theramos. Ça nous change de nos fonctionnaires qui ne pensent qu’à défendre leur statut, incapables de prendre des risques, de briser les «chaînes de l’assistanat».
Le hic, c’est qu’Elizabeth a un peu trop écouté Emmanuel. Notamment quand il conseille de ne jamais respecter les règles. Notre héroïne, alliée à son associé, n’y est pas allée avec le dos de la cuillère et ça a fini par se voir : «The SEC alleges that Holmes, Balwani and Theranos raised more than $700 million from investors by misrepresenting the capabilities of the proprietary blood-testing technology that was at the core of its business — as well as by making misleading or exaggerated statements about the company’s financial status and relationships with commercial partners and the Department of Defense». Ce qu’on lui reproche : d’avoir menti aux investisseurs, à ses clients, au marché, sur la réalité des activités de Theranos, d’avoir exagéré et trafiqué les comptes de la société… En somme, rien de bien extraordinaire !
Jina Choi, directrice du bureau régional de San Francisco de la SEC trouve les mots justes : «The Theranos story is an important lesson for Silicon Valley. Innovators who seek to revolutionize and disrupt an industry must tell investors the truth about what their technology can do today, not just what they hope it might do someday».

La leçon de l’histoire ne serait-elle pas plutôt que pour faire rêver, il faut vendre du rêve ?

Au final, on aurait bien voulu y croire … mais… Le responsable de la Société Générale, éjecté de son poste sur ordre de la justice, reste pour la banque quelqu’un à «l’éthique irréprochable». Le cabinet Mossack & Fonseca met la clé sous la porte, un autre doit être en train d’ouvrir et les pays européens regardent toujours partir l’argent…

Nos politiques vendent du rêve pour se faire élire, les entreprises aussi.

Au final, c’est une journée comme une autre.

MM.

Un petit avant goût

En référence à l’article de Philippe Riès paru dans Médiapart le 13 Mars 2018:
« Noble Group : une nouvelle affaire Enron, en tout impunité ».

Nous vous annoncions dans un précédent billet (ici) la sortie prochaine sur vos écrans de «Lehman Brothers, le retour».
En avant première, une autre saga, annonciatrice des maux futurs : Enron, saison 2.

Comme dans toutes les bonnes séries de fiction, l’important est de ne pas changer les ingrédients qui ont fait le succès de la première saison. Et avec l’affaire Noble Group, le moins que l’on puisse dire c’est que les scénaristes ne se sont pas beaucoup creusés les méninges. Tout y est, même intrigue, mêmes acteurs, mêmes victimes… et même fin, sans condamnés, histoire de ne pas se fermer la porte à une autre saison. Malheureusement tout ceci n’est pas vraiment de la fiction !

Noble Group est un petit Enron asiatique, le premier négociant en matières premières de la région. Enfin petit, il ne faut pas exagérer, une perte de 4,9 milliards de us dollars au titre de l’exercice 2017, c’est déjà un beau bébé. Comme le relate Médiapart sous le plume de Philippe Riès (ici) : « Après une dégringolade de quelque 98 % de son cours de bourse en trois ans et la vente de ses principaux actifs à prix cassés, Noble Group, baptisé par son fondateur en référence au livre classique de James Clavell sur Hong Kong, n’est plus que l’ombre de lui-même. Mais le ferrailleur britannique Richard Elman, qui créa l’entreprise à Hong Kong en 1986 après avoir fait ses classes dans les scrap yards (casses industrielles) de Newcastle jusqu’au Japon, reste à la tête d’une fortune considérable. Avion privé, mansion luxueuse à Londres et train de vie afférent, il a cédé en temps utile une grande partie de sa participation à des valeurs gonflées par les manipulations comptables mises en évidence par Iceberg (Iceberg Research société d’analyse boursière) ».

Voilà que tous les ingrédients sont présents pour assurer le succès de la saison Enron: un fondateur propriétaire qui mène son affaire à la ruine en ayant bien pris soin préalablement d’assurer très confortablement ses arrières, une folie des grandeurs avec une boulimie d’acquisitions, de la mégalomanie, des manipulations comptables à tout va, des fraudes en veux-tu, en voilà. « Noble est vraiment un nouvel Enron : une manipulation financière massive fondée sur l’exploitation systématique des failles de la réglementation comptable ».
Et c’est bien connu, les bons acteurs savent tout jouer.

Alors, reprenons les mêmes : un cabinet comptable d’audit (Ernst & Young) qui autorise allègrement toutes les acrobaties comptables, qui ne s’alarme d’aucune alerte, une autorité de contrôle (les autorités de surveillance de Singapour) atteinte de cécité avancée, des agences de notations (en particulier la française Fitch) qui ne connaissent que la première lettre de l’alphabet et des banques bien sûr dont, aux premières loges, l’indispensable Société Générale (encore un coup de Kerviel!). On ne perdra pas son temps à parler des quelques 20.000 employés du Group, de tous les porteurs d’obligations devenues monnaie de singe… après tout ce ne sont que des figurants.

Comme pour son illustre prédécesseur, Noble ne s’est pas réveillé un matin en faillite.
L’embarrassant dans ce système, c’est qu’il y a encore des brebis galeuses qui font leur boulot : la traite ici est Iceberg Research, une société d’analyse boursière qui met en ligne sur Internet le 15 février 2015 une première étude intitulée « Noble Group, une répétition d’Enron ».
Dans un avertissement inhabituel, ses auteurs indiquent : « Vous devez prendre en compte que Iceberg Research s’est enregistré ou va le faire comme lanceur d’alerte auprès des autorités de surveillance ».
En un an, trois autres rapports suivront lesquels dissèqueront les différentes méthodes employées par Noble pour fabriquer des bénéfices à partir d’une situation financière de plus en plus compromise. « Nombre d’entreprises ont souvent été comparées à Enron, pas toujours pour de bonnes raisons, écrivait Iceberg. Noble est vraiment un nouvel Enron : une manipulation financière massive fondée sur l’exploitation systématique des failles de la réglementation comptable ».

Pour paraphraser une célèbre chanson de Bob Dylan, Iceberg Research a « soufflé l’alerte dans le vent » et les vents contraires devaient être tellement puissants que personne n’a entendu le message, bien au contraire.
Le bateau avait déjà virtuellement sombré que les banques négociaient le renouvellement de leurs lignes de crédit !

Morale de l’histoire ? Citons l’article de Médiapart : « Morale de la saga Noble : si on regarde en arrière vers la crise financière globale, on constate que pas un seul coupable des innombrables fraudes, manipulations et autres malversations qui y ont conduit, n’aura passé un jour derrière les barreaux. Pour toutes les « institutions » impliquées, y compris les régulateurs qui ont laissé faire, c’est business as usual ».

Gageons que tous les acteurs seront encore là pour la saison 3.

MM.

Il n’y a pas de lanceurs d’alerte « alternatifs »

Nous vous recommandons aujourd’hui la lecture (ici) de l’excellent article de Sarah Kilani et Thomas Moreau intitulé « Le Média sur la Syrie : naufrage du « journalisme alternatif » paru sur le site « lundimatin » du 28 Février 2018.

D’un point de vue factuel, le travail des deux auteurs, largement documenté et référencé, permet de mettre en évidence plusieurs biais fondamentaux du média de la France Insoumise.
D’une part une incompétence évidente de la chaîne et plus particulièrement de son « blogueur libanais » qui lui fait office « d’expert », sur les questions du conflit syrien.
La gravité extrême du sujet exigerait que Le Média maîtrise au minimum, la géographie des lieux, l’histoire du conflit, les origines et actions des forces en présence. Nous en sommes très loin, ça frise par moment le ridicule, malheureusement il n’y a pas de quoi en rire… Alors que la F.I. et son organe de presse « Le Média » fustigent à juste titre le recours abusif par la presse mainstream à des pseudo experts aux parcours et aux compétences litigieuses, ils utilisent au final les mêmes artifices. D’autre part, toute l’argumentation déployée sous couvert d’une volonté de ne pas prendre partie et de ne pas recourir au « sensationnel » conduit ce site à poser sur un pied d’égalité toutes les parties en présence, tout en prenant soin néanmoins de charger un peu plus la barque des forces non gouvernementales.
D’un côté, cet « argumentaire » est déjà un parti pris qui, n’en déplaise au Média, peut être perçu comme une volonté de replacer ce conflit au niveau des sentiments et non plus de la raison. D’un autre côté, et comme le soulignent très bien (exemples à l’appui) les deux auteurs de l’article, placer deux parties aux forces totalement disproportionnées sur un pied d’égalité, est à la fois une hérésie et une volonté idéologique bien comprise de « prendre parti ». Nous entendons en permanence la F.I. se plaindre du rapport de force totalement disproportionné à l’Assemblée Nationale entre la majorité présidentielle et l’opposition : pourquoi ne raisonnerions-nous pas sur le schéma Le Média – Syrie ?

Il ne s’agit pas à MetaMorphosis de refaire l’histoire du conflit syrien. Ce qui nous intéresse, comme nous l’avons déjà abordé à plusieurs reprises, c’est le rôle de la presse dans la manifestation et le suivi des alertes.
Au regard de l’état actuel de la presse d’investigation en France, de la mainmise d’intérêts politiques et économiques sur la quasi-totalité de la presse nationale et locale, l’émergence d’un nouveau média, qui se dit être indépendant et se disait non affilié à un parti politique, pouvait légitimement être perçu comme une opportunité d’enrichir le débat. Cela d’autant plus que le mouvement politique en question à l’initiative de sa création, s’est toujours présenté comme un défenseur inconditionnel des lanceurs d’alerte, de leurs combats et de leurs causes.

Cette triste histoire syrienne nous apprend que la main mise financière sur les médias, pour dangereuse qu’elle puisse être pour l’information, la liberté d’expression et l’investigation, n’est pas le seul biais qui guette les lanceurs d’alertes.
Le pouvoir de l’argent est en soi l’expression d’une idéologie, celle de la défense d’intérêts bien compris. Le parti pris doctrinaire, au mépris des réalités et de la vérité, dont a fait preuve Le Média, n’est pas bien différent et conduit aux mêmes appauvrissement et altération de l’information.

Définitivement le positionnement apolitique et non partisan de MetaMorphosis est un choix noble et fondamental.

MM.

Les règles, c’est pour les autres !

Source : « Tarnac : justice de justice ou justice d’Etat » par Frédéric Lordon, 12 Mars 2018 (ici).

Sur son blog du Monde Diplomatique, Frédéric Lordon s’interroge ce mois-ci sur le rôle de la justice aujourd’hui.
En partant de deux exemples, celui de l’affaire Tarnac et celui de Loïc Canitrot, il cherche à mettre en évidence le lent mais certain basculement de l’appareil judiciaire en un pouvoir au service de l’ordre établi du patronat et du politique, l’ayant transformé en une justice d’État.

C’est un sujet qui intéresse fortement les lanceurs d’alerte, nombre d’entre eux ayant été confrontés à cette dure réalité : la justice reproduit les discours dominants, la justice se range trop souvent du côté des pouvoirs, cette justice qui aurait la fâcheuse tendance à chercher avant tout à criminaliser celui qui porte l’alerte.

Comme dans le cas de Loïc Canitrot (relaté par Frédéric Lordon) ou peut être demain pour l’affaire Tarnac (dont le procès vient de s’ouvrir), il y a encore des acteurs de cette justice qui voient clair.
On ne parlera pas de résistance, faire son métier ou respecter son serment professionnel ce n’est pas résister, c’est tout simplement vivre, c’est être un acteur citoyen.
Mais ne soyons pas dupes : ces quelques soubresauts de justice ne sont que l’arbre qui cache la forêt. S’il y a encore des palais où la justice est dite, combien d’affaires ne sont pas même instruites, combien ne le seront jamais ou si mal, combien verront l’équité d’une justice pour tous bafouée ? Et derrière une grosse affaire, un nom emblématique, combien de dénonciations maltraitées, par manque de moyens, pas absence de volonté, par abaissement de l’idéal ?

En citant Frédéric Lordon, malheureusement beaucoup de lanceurs d’alerte risquent de se reconnaître :
« Pour une part croissante de son activité, la justice est devenue une justice de la contestation politique. C’est-à-dire, par contraction, une justice politique. Et, partant, autre chose que la justice ».
Et un peu plus loin :
« Heureux dénouement, mais vérité institutionnelle pénible : l’obtention ordinaire de la justice est devenue une issue extraordinaire. La simple demande du fonctionnement normal de l’institution du droit requiert désormais des miracles. Si avoir à faire à la justice c’est s’en remettre à la contingence miraculeuse, on comprend qu’on n’y regarde pas sans un pincement – et en réalité avec de plus en plus lourds soupçons ».

Triste réalité où l’exercice de la justice se comprend pour le justiciable, comme un jeu de roulette au casino. Faudrait-il avant tout compter sur la chance pour espérer tirer la bonne couleur et le bon numéro!

Peut-être que la réponse à cette triste réalité nous vient de plus loin, des lointaines Indes… et le jour même de la publication de l’article de Frédéric Lordon.
Voilà le garant de l’indépendance de la justice française, le garant de « l’ordre » républicain, de ses « valeurs universelles », le Président de la République en personne, qui nous donne un conseil de réussite : « ne respectez jamais les règles ».

La belle affaire ! Dénoncer c’est justement rappeler que les règles ne sont pas respectées. Non pas par plaisir, mais simplement parce qu’après plus de deux siècles d’une histoire démocratique, parfois chaotique, il apparaît que le respect de certaines règles, par tous, facilite le « vivre ensemble » et place chacun sur un pied d’égalité même si elle reste toute relative. Dénoncer, souvent parce que cela est une obligation professionnelle et légale, c’est demander qu’elles soient toujours respectées.

Si l’objectif est de ne jamais respecter les règles, abolissons-les, et d’une pierre deux coups, plus besoin de justice… Mais il est moins sûr que cette proposition satisfasse les pouvoirs : des règles il en faut absolument, la justice se chargera simplement de dire qui doit les respecter et qui en est exempté.
En somme, une justice ordinaire…

MM.

De l’accident à l’habitude

De l’article du New York Times du 10 Mars 2018, ‘ISIS Is Coming!’ How a French Company Pushed the Limits in War-Torn Syria, ici.
Sous les signatures de Liz Alderman, Élian Peltier et Hwaida Saad, le New York Times publie ce jour une longue enquête sur le « cas » Lafarge. Si la plupart des informations reprises sont déjà parues dans la presse française, ce travail a le mérite de replacer en perspective cette affaire dans l’histoire de cette compagnie et dans la logique de ce type d’entreprise.
Dans l’attente des avancées des procédures judiciaires françaises, et peut-être demain américaines, quelques éléments factuels ne font que nous interroger un peu plus sur la déliquescence de la notion d’éthique dans « la marche des affaires ».

Dans le cochon, tout est bon
La Société Lafarge est une habituée : fondée en 1833, elle a une histoire avec la réalisation de projets « compliqués ». Durant la seconde guerre mondiale elle a participé, en fournissant le ciment, à la construction pour le régime nazi du « Mur de l’Atlantique » qui s’étendait de la Scandinavie à l’Espagne. Récemment, alors que ses agissements en Syrie sous occupation de l’État islamique étaient rendus publics, Lafarge s’est proposée pour participer à la construction du « wall » voulu par le Président Trump à la frontière mexicaine.

L’argent n’a pas d’odeur
L’implantation de Lafarge en Syrie par l’acquisition d’une usine désaffectée en 2007 dans le nord du pays a été rendue possible par la conclusion d’un partenariat avec Firas Tlass, un influent tycoon syrien extrêmement proche de la famille de Bachar al-Assad. Il obtient du gouvernement syrien pour Lafarge, permis et licence d’exploitation. Après trois ans de rénovation, l’unité Lafarge ouvre en octobre 2010. Quelques mois plus tard, en mars 2011, le « Printemps arabe » syrien est férocement réprimé par les forces de sécurité de Bachar. À la fin de l’année 2011, les Nations-Unies déclarent la Syrie en état de guerre civile et l’Union Européenne prend les premières mesures d’embargo à l’encontre du régime syrien. Total, Bel Group, Air Liquide et bien d’autres cessent toute opération sur le territoire syrien. Pas Lafarge.

« Business as usual »
A partir de la mi-2012, alors que la situation devient de plus en plus difficile, Lafarge demande à son partenaire local de payer les groupes armés présents sur le terrain (l’armée syrienne libre) pour s’assurer de pouvoir continuer ses activités. Ironie de l’histoire ou plutôt habitude du business, le partenaire proche de la famille Bachar se charge donc de payer pour Lafarge ceux qui veulent justement la renverser… En 2013 l’Etat islamique prend pied à Raqqa, à 90 kilomètres du centre d’opération syrien de Lafarge, et Al Qaeda, en opposition avec l’E.I. se rabat sur le territoire d’opération du cimentier français. Pas de problèmes, après l’armée syrienne libre, Lafarge va payer des groupes terroristes. On se rassure, les personnels de direction français vont être mis au vert, au Caire.

Responsable mais pas…responsable
Lafarge le jure haut et fort, la société n’avait qu’un seul objectif : la sécurité de ses employés. Le commun des mortels ne peut pas comprendre, il y a sécurité et sécurité, il y a Le Caire ou l’État islamique. Et ce n’est pas un choix… Pourquoi s’en prendre à Lafarge alors qu’elle était animée d’une si noble intention ?!
Elle les aime tellement ses employés locaux qu’après la fermeture de l’usine syrienne elle leur a trouvé une place, pour eux et leur famille, dans les camps de réfugiés de la région où ils apprennent à survivre.
L’un d’eux, Jarir Yahyaalmullaali, réfugié à Urfa en Turquie, témoigne : « If we had waited there, we would be dead by now ». Un autre, Mohamad, dit clairement ce qu’il y a à retenir de cette histoire : « The factory was the only thing they cared about ».

Manque dans cette compilation des horreurs du New York Times, un acteur, peut-être essentiel, l’État français.
Après avoir nié être informé des agissements de Lafarge en Syrie, le Quai d’Orsay vient de retrouver la mémoire.
Le Quai d’Orsay indiquait jusqu’ici n’avoir eu aucune rencontre avec Lafarge de 2011 à 2014.
L’ancien ambassadeur de France en Syrie, Eric Chevallier, reconnaît pour la première fois une rencontre avec des dirigeants du groupe français ce qu’il a indiqué dans une lettre envoyée aux juges d’instruction.

Les pertes de mémoire finiront pas tuer le business…

MM.

Carte blanche à Diani Barreto (Expose Facts) : Du Pentagone au Paradis, plus de 40 ans d’alertes

Le discours politique moderne postule que l’information accessible au public sert l’intérêt général. Elle nourrit le débat pour le bien commun, pour la chose publique, et par conséquent les « leakers » et lanceurs d’alerte doués de principes moraux renforcent l’intérêt public en exposant d’embarrassants faits occultés, souvent en s’exposant eux-mêmes à de grands dangers.

Ne tuez pas le messager!

L’image de martyre du messager vexatoire est profondément enracinée dans notre culture, et associe des figures séminales telles que Prométhée, Jésus, Martin Luther King, Julian Assange à des lanceurs d’alerte tels que Daniel Ellsberg, Chelsea Manning, Edward Snowden, Antoine Deltour ou « John Doe » la source anonyme des Panama Papers, pour ne citer qu’eux.

Au cours des cinquante dernières années, les urticants annonceurs de vérités et leurs fuites sont devenus d’importants vecteurs de changement dans les problématiques les plus cruciales de notre société. Dans leur rôle de catalyseur de changement du dernier recours, les lanceurs d’alerte au travers de leur usage « jusqu’au-boutiste » de la liberté d’expression, dévoilent des activités illégales et considérées comme des violations des règles et lois qui régissent une certaine organisation ou activité, et démontrent en quoi ces activités illégales représentent une menace à l’intérêt ou à la sécurité publics.

Les lanceurs d’alerte ont fini par être vus comme une nouvelle avant-garde qui, de façon peu orthodoxe nous a amenés à remettre en question les lois et les institutions qui nous gouvernent. Ces individus résolument intrépides ont remis en question les limites de fiabilité de nos démocraties modernes, et par conséquent ont « forcé les États à prendre une posture réactionnaire », selon l’analyse du philosophe français Geoffroy de Lagasnerie.

Un autre philosophe français, Michel Foucault, nous enseigne dans son œuvre « Le Courage de la Vérité » que l’ouvrage de la Grèce antique « La Parrêsia » signifie « dire la vérité ». Il semble que nous ayons oublié l’importance, dans une démocratie en bonne santé, de la fonction du « dire-vrai », telle qu’elle existait dans la société grecque : chaque citoyen libre avait le droit de tout dire avec franchise et sans crainte de ses concitoyens tant qu’il savait la vérité vraie. En allemand, cette notion s’exprime sous la formule Freimütigkeit, connue en français sous le nom de franc-parler.

Dans la « tradition occidentale de la critique » de Foucault, « les diseurs de vérité » modernes servent-ils la cause de la raison, de la justice et du progrès? Ou bien sont-ils une méprisable bande d’opportunistes, perfides donneurs de leçons au service de leur propre égo, ou d’idéologies politiques, souffrant du complexe du Christ?
L’exercice de la liberté d’expression est-il aujourd’hui devenu quelque chose de ringard? Pour aborder correctement cette question, il faut intégrer la tendance menaçante qui a débuté sous l’administration Nixon, toujours d’une actualité criante, qui a mis en œuvre une répression vicieuse et impitoyable doublée d’un matraquage judiciaire obscène envers ceux qui ont tenté d’exprimer librement la vérité face au pouvoir.

Les révélateurs de vérité ont atteint une sorte de statut cultuel, au travers d’une irradiante autonomie politique, manifestement divergente, en adoptant des moyens de libre expression peu orthodoxes pouvant être interprétés par certains comme de la divulgation publique apostasique. Ensuite, inévitablement, ils subissent une stigmatisation sociale virulente, pour avoir radicalement altéré la progression linéaire habituelle de la temporalité politique, comme Lagasnerie l’a écrit sur l’action de lancer l’alerte et ses effets sur le discours politique contemporain. Les lanceurs d’alerte ont défié la suprématie toute puissante de la parole nationale portée par ceux qui occupent le monopole du pouvoir et de l’information.

Lagasnerie nous dit que ces francs-parleurs ont totalement et ouvertement pris l’État par surprise : l’embuscade contestataire a jailli des propres rangs du gouvernement, de leurs propres institutions, exécutée par des « insiders ». Ce phénomène est perçu par le gouvernement américain comme une soi-disant « menace intérieure », et cela n’est pas dit à la légère : ces actions perfides sont considérées comme des actes de « lèse majesté », de sédition, ou de trahison subversive : un crime capital méritant la peine de mort.

Par cette action radicale de révélation au public, les lanceurs d’alerte ont réussi à devenir des agents déstabilisateurs, remettant en question la légalité des agendas occultes, et la légitimité entière de la culture du secret et l’obsession de la sur-classification, une maladie qui nous infecte aujourd’hui à travers le culte obscurantiste et omniscient de la sécurité nationale qui règne en maître sur notre époque de guerre perpétuelle connue sous le nom de « guerre globale contre la terreur ».

Cette tradition de la parrhésie ou du « franc parler », a des attraits historiques importants à la compréhension des événements aussi bien passés qu’actuels. Les faits dévoilés par Daniel Ellsberg en 1971, connus sous le nom de Pentagon Papers, nous aident à mieux appréhender le culte de la sécurité nationale d’aujourd’hui ainsi que l’apologie de la sur-classification qui dominent en ce moment la plupart des unes des journaux. Ellsberg a révélé dans son livre récent, que même à l’époque où il était un « planificateur de guerre nucléaire » au début des années 60, il envisageait déjà de faire une divulgation sismique, pourtant fondée sur des principes, afin d’éviter un possible holocauste nucléaire qui aurait coûté la vie à des centaines de millions d’êtres humains dans le monde entier.

Depuis, il a voué sa vie à prévenir de tels destins funestes.

Il est et demeure le séraphin prodigue, le messager divin et, grâce à l’héritage qu’il laisse, le Parrain de tous les lanceurs d’alerte.

Plus de quarante ans après, il continue d’inspirer de nouvelles générations de lanceurs d’alerte.

Que lui soit rendu honneur, à lui et à tous les apôtres et messagers hérétiques de la Vérité qui lui ont succédé.

Par Diani Barreto, Expose Facts, sur Elevate.
FROM PENTAGON TO PARADISE 40+ YEARS OF WHISTLEBLOWING

Traduit de l’anglais par Gilles Mendes, Collectif MetaMorphosis

Art, mécénat, défiscalisation, blanchiment et corruption

En référence à l’article du journal Le Monde du 10 Mars 2018 « La défiscalisation a permis aux Galeries Lafayette de créer un nouveau lieu consacré à l’art contemporain à Paris »

« Les goûts et les couleurs »… Ce pourrait être l’objet d’une longue tribune, qui a priori n’aurait pas sa place sur MetaMorphosis. Encore que… La financiarisation des marchés de l’art, comme un écho démultiplié de la mondialisation, nous rapproche un peu plus de nos thématiques. Les goûts y ont leur place comme nous le rappelle l’interminable polémique parisienne des « tulipes » de Jeff Koons, surtout quand la couleur qui y prédomine est celle de l’argent public sous toutes ses formes.
On s’intéressera à l’occasion d’une prochaine tribune à ce marché de l’art contemporain, animé par quelques centaines d’acteurs qui fixent à la fois les quantités et les prix entre eux (c’est beau la main invisible des marchés !) et qui, comme nous le rappelle Le Monde (ici), se sont ces dernières années engouffrés dans la défiscalisation à tout va au travers de Fondations d’art.
Argent public, quand tu nous tiens !
Promouvoir l’art et la création artistiques grâce à des aides publiques est une chose tout à fait concevable. Promouvoir un marché extrêmement restreint et non concurrentiel avec des fonds publics pour que leurs quelques bénéficiaires influent ainsi sur les prix, en est une autre.

Attachons nous plutôt à un aspect moins connu de ces choses.
La découverte fin 2016, chez un parrain de la Camorra, de deux tableaux de Van Gogh dérobés en 2002 n’est que l’un des épisodes d’un pillage à grande échelle dont l’Italie est l’une des principales victimes.
« Aujourd’hui, l’art est le principal canal de recyclage de l’argent sale. Parce qu’une toile du Caravage laisse moins de traces qu’une montagne d’argent, on peut la déplacer facilement et c’est un investissement relativement sûr » commentait Roberto Saviano au lendemain de cette découverte. L’auteur de « Gomorra » avait déjà raconté, dans son roman décrivant la Camorra, l’histoire d’un juge corrompu avec un tableau de Botticelli. En 1992, l’opération « Mains propres » révélait que la corruption à l’aide d’objets d’art était une pratique courante.
Le trafic d’œuvres d’art est ainsi devenu le troisième plus important au monde après celui de la drogue et des armes, générant un chiffre d’affaires estimé à 10 milliards d’euros.
« La Mafia est une société comme les autres, l’important est de faire des profits. » poursuit Marcello Ravveduto, spécialiste de la Camorra à l’Université de Naples- Frédéric II. « L’art constitue un investissement qui rapporte et prend de la valeur avec le temps. Elle est ainsi en contact avec des conseillers, souvent extérieurs aux milieux criminels, qui lui permettent d’effectuer ses achats pour blanchir de l’argent. Ses vols servent aussi à corrompre ou comme monnaie d’échange » . C’est ainsi que le célèbre trafiquant Gianfranco Becchina, lié à Cosa Nostra, propriétaire d’une galerie d’art en Suisse, a pu vendre au Getty Museum un vase antique 275.000 dollars, alors que le paysan qui l’avait déterré s’en serait séparé contre un cochon.
Parmi ses clients, les milliardaires américains Shelby White et Leon Levy, les musées du Louvre, de Boston, les universités de Columbia, Princeton et Yale.

Un autre indice ? Une initiative lancée par des professionnels suisses veut rétablir l’image du marché de l’art en bannissant les risques de blanchiment et de menaces de financement du terrorisme.
C’est à l’occasion d’une conférence donnée en 2017 en marge du Salon ArtGenève, que l’initiative RAM (The Responsible Art Market Initiative) a été lancée. Sa mission ? Sensibiliser les acteurs et les collectionneurs d’art aux risques auxquels est confrontée l’industrie et fournir des conseils pratiques sur l’établissement et la mise en œuvre de pratiques responsables pour faire face à ces risques. Ces recommandations ont été élaborées par un groupe de travail comprenant des collaborateurs de la SGS Art Services, de Christie’s, des Ports Francs, de Seydoux & Associés et du Centre du droit de l’art de l’Université de Genève. Elles se veulent évolutives et surtout non contraignantes ! « Il s’agit surtout d’indiquer les règles de comportement à suivre dans le marché de l’art », souligne Pierre Gabus, l’un des responsables du projet. Ainsi, l’initiative RAM liste principalement les « voyants rouges » ou « red flags » concernant le client, l’œuvre ou la transaction qui doivent alerter l’acheteur ou le vendeur sur les possibles risques de blanchiment ou de financement terroriste.

Marchés de l’art et blanchiment, les chiffres parlent d’eux-mêmes… Nous aurions aussi pu parler de ces enquêtes sous instruction de la justice italienne tendant à démontrer les liens tissés entre organisations mafieuses et État Islamique dans le cadre d’un gigantesque troc armes contre œuvres d’art, auquel semblent mêlées quelques institutions financières tout à fait « respectables »…

Et qu’en est-il du mécénat ?
Dans une très intéressante tribune de son blog, Christine Sourgins ose poser la question qui fâche : « Peut-on déguiser la corruption en mécénat ? ». Nous lirons avec plaisir son papier, ici, mais prenons soin de la citer : « La Chine est à l’honneur à la Fondation Vuitton, au Bon Marché avec Ai Weiwei puis, en mai, Huang Yang Ping « investira » le Grand Palais pour un énième Monumenta. Hasards du calendrier ? Pas vraiment puisque Vuitton possède le Bon Marché mais l’orchestration va plus loin : Emmanuelle Lequeux vend délicatement la mèche dans un article du Monde et ce qu’elle baptise « redoutable entreprise de séduction des musées français » ressemble beaucoup à une corruption déguisée en mécénat, à moins que cela ne relève de la simonie (dans l’histoire du christianisme, l’achat et la vente de biens spirituels, par extension , le trafic du symbolique, de la légitimation) ».

La multiplication de partenariats musées – fondations privées avec des milliardaires collectionneurs qui, contre donations sonnantes et trébuchantes, utilisent les structures étatiques pour exposer « leurs » artistes, pose un indéniable risque de corruption déguisée quand ce n’est pas, comme le souligne Christine Sourgins, le contribuable qui assume les acquisitions : « car les œuvres achetées sur le conseil du conservateur pro-chinois (la Fondation privée), resteront à charge du Centre (organisme public), donc du contribuable français, qui devra financer expositions, assurances, restaurations… ».

Défiscalisation, blanchiment, corruption. Le marché de l’art est aussi mis à contribution.
Et le principe de la chose publique est respecté : privatisation des profits et mutualisation des charges.

MM.

Allez, encore un petit effort !

Article en référence : « Paradise Papers : la Commission européenne entame une procédure d’infraction contre Malte, Chypre et la Grèce », (ici) du journal Le Monde du 08 Mars 2018.

Nous vous rassurons tout de suite : il n’y a pas d’obsession particulière chez MetaMorphosis à l’encontre du Commissaire Moscovici. En raison de sa fonction au sein de la Commission Européenne, il est à son dépens souvent annonceur de mauvaises nouvelles, parfois, et nous l’en remercions, le porte parole de son incompétence, de sa mauvaise foi, quand il n’est pas le chargé en chef de l’humour bruxellois (« il n’y a pas de paradis fiscaux en Europe ») dont la compréhension et les subtilités ne sont pas toujours à la portée de tous…

Pour une fois, rendons lui grâce, le Sir Moscovici nous annonce une bonne nouvelle ! Explications…

Quatre mois après les révélations des « Paradise Papers », la Commission européenne communique : « Les Paradise Papers ont dévoilé une fraude à la TVA de grande ampleur dans le secteur des yachts », et annonce le lancement d’une procédure d’infraction contre la Grèce, Chypre et Malte pour leur taxation très avantageuse des navires de luxe. « Nous ne pouvons admettre ce type de traitement fiscal favorable accordé aux yachts privés, qui fausse la concurrence dans le secteur maritime », a également dénoncé le commissaire européen aux affaires économiques et financières, Pierre Moscovici, en dénonçant une atteinte « à la justice fiscale ».

Rien que ça…

Le lancement de cette procédure d’infraction confirme que plusieurs des révélations faites en novembre 2017 par le Consortium International des Journalistes d’Investigation (ICIJ en anglais), ont permis de mettre à jour des schémas d’évasion fiscale illégale. Comme le rappelle Le Monde : « A Malte, les acheteurs de yachts peuvent en effet bénéficier d’une TVA à un taux réduit de 5,4 % et économiser ainsi potentiellement plusieurs centaines de milliers d’euros… En quelques années, cette petite île méditerranéenne est devenue grâce à cet avantage un des principaux lieux d’achat de yachts pour les riches du monde entier ».
Les avantages fiscaux en question résident dans un système de location-achat, baptisé «leasing maltais» qui permet de ne s’acquitter de la TVA que sur une infime partie du prix du bateau.
Le journal du soir nous précise enfin que les trois Etats disposent désormais de deux mois pour répondre à la Commission, qui pourra à terme leur imposer des sanctions financières s’ils ne mettent pas fin à ces pratiques.

Ne polémiquons pas, mais quand même.
Donc, sans l’ICIJ, qu’est ce qu’on fait ? Ou plutôt qu’est ce que font la Commission et son Commissaire ? Ils attendent ? Que les pays en infraction viennent s’auto-dénoncer ?
Nous qui pensions que l’administration européenne était une grande machine animée par les meilleurs esprits du continent ; nous qui pensions qu’elle était au service des citoyens des états membres pour y défendre la libre circulation des biens et des personnes dans le cadre d’une concurrence équitable ; nous qui pensions qu’elle disposait des outils, notamment comptables, pour lui permettre de suivre et vérifier que chacun se conforme à l’esprit et à la lettre de l’Union ! Sans l’ICIJ, elle ne voit rien ? Vous nous direz, ce n’est pas une première, l’enfumage de la Grèce sur sa dette publique avec l’aide active d’une certaine Goldman Sachs, reste dans les mémoires. Donc Grèce, Chypre et Malte vont peut-être être sanctionnés grâce au travail de la presse d’investigation… À quand un « joint-venture » Commission Européenne – ICIJ ?

Le Commissaire Moscovici a employé, pour lui en tous les cas, des mots forts (sans doute des gros mots pour certains) : « justice fiscale », « concurrence faussée ». Les mécanismes mis en place par les pays incriminés portent donc atteinte à la justice fiscale au sein de l’Union et faussent la concurrence. Rappelons, pour condamnables que soient ces pratiques, qu’elles restent en valeur absolue de faible montant. Très loin en tous les cas des pratiques des fameux États, Luxembourg, Pays-Bas, Irlande… qui ne sont pas, tout le monde l’aura compris, des paradis fiscaux.
Que la Commission nous explique la différence entre les pratiques des pavillons fiscaux et celles mises en œuvre en matière d’imposition des multi-nationales ou des personnes fortunées dans ces pays.
Que la Commission nous explique en quoi il y aurait d’un côté une atteinte à la concurrence entre les États membres, de l’autre une simple mise en concurrence entre États.
Que la Commission nous explique son échelle de graduation des atteintes à la justice fiscale…

Allez, encore un petit effort !
S’il faut commencer par les petits pour arriver aux gros, pourquoi pas…
S’il faut taper sur des États qui n’ont pas beaucoup de poids dans le cadre de l’Union, il ne faudrait pas que ce soit uniquement pour la façade, il ne faudra pas se déculotter devant ces autres États devenus de véritables usines d’injustice fiscale et de concurrence dévoyée…

Nous saurons bientôt si nous pouvons encore parler en bien du Commissaire Moscovici.

MM.

Bientôt sur vos écrans : Lehman Brothers, le retour

– A partir de la Tribune de Simon Johnson, économiste, publiée le 07/03/2018 dans le journal Le Monde « L’administration Trump prépare Lehman Brothers, épisode 2 », (ici) –

Au-delà des questions d’éthique, ce qui semble le plus caractériser les acteurs politiques, quel que soit d’ailleurs leur pays d’origine, est leurs problèmes de mémoire. Décidément ils n’apprennent rien de leurs erreurs, des faits et dysfonctionnements passés. Il semblerait que l’Histoire ne fasse plus partie du champ du politique et que l’on pourrait organiser ainsi la Société, sans se soucier des expériences passées. On va sans doute un peu vite en besogne, ces pertes de mémoires ne relèvent pas encore d’un Alzheimer aiguë, mais d’une sélectivité bien comprise. L’Histoire, le passé, en veux-tu en voilà sur les valeurs, la Nation…
Par contre, sur les questions économiques, c’est le trou noir. De vieilles « théories » économiques, à l’efficacité jamais démontrée, on nous en sort à la pelle. Un peu de ruissellement, une théorie de l’offre usitée jusqu’à l’overdose mais n’ayant montré qu’une faible efficacité… c’est cadeau. Par contre, les crises financières passées, leurs causes, leurs effets, les mécanismes à l’œuvre… plus aucun souvenir. Le trou noir.

Le président américain Donald Trump a frappé une nouvelle fois par voie de décret. Il en a signé deux démantelant les réformes clés en matière de réglementation financière mises en place par son prédécesseur Barack Obama dans le sillage de la crise des subprimes de 2008. Il a demandé au Trésor et au ministère du Travail de se pencher sur les moyens de réformer la loi Dodd-Frank (au nom de deux élus démocrates Chris Dodd et Barney Frank) et de la règle Volcker (au nom de Paul Volcker, un ancien président de la Réserve fédérale américaine). Ces deux législations visent à éviter les excès sur les marchés et à protéger davantage les consommateurs. «J’ai des amis qui ne peuvent pas lancer leur entreprise parce que les banques ne veulent pas leur prêter à cause des règles et des contrôles de Dodd-Franck», a lancé Donald Trump.
La machine est en marche au Congrès, une commission paritaire travaillant à un projet de loi destiné à plus ou moins abroger le cadre réglementaire post crise 2008. Au-delà de la majorité républicaine, nombre de démocrates semblent favorables à ces dispositions, comme en écho aux critiques de leur trop grande proximité avec les milieux financiers.
Petit rappel : Tout avait commencé par des dizaines de banques qui avaient prêté – sans scrupule et sans s’assurer de la capacité de remboursement des débiteurs – des sommes énormes pour investir dans l’immobilier. Dans un deuxième temps, les banques avaient transféré les risques en vendant des produits dérivés complexes. La crise de 2008 avait provoqué non seulement la faillite des milliers des ménages américains, mais aussi des banques se retrouvant incapables de recouvrer leurs investissements. C’est dans ce contexte que l’administration Obama avait promulgué en 2010 la loi Dodd-Frank, aussi connu comme la loi «too big to fail – trop grosses pour faire faillite» qui oblige les banques à notamment augmenter leurs fonds propres et à prévenir leur propre surendettement. Dans le même registre, la règle Volcker vise à freiner les investissements spéculatifs avec l’argent de leurs clients. N’oublions pas que le nouveau président américain a par ailleurs définitivement abrogé une disposition de la loi Dodd-Frank qui visait à éviter la corruption pour l’obtention de concessions. Désormais, les compagnies pétrolières et minières américaines ne sont plus obligées de rendre publiques les sommes versées aux gouvernements étrangers.

La crise des subprimes n’aurait donc servi à rien ? Les défenseurs de l’abrogation des dispositions les plus contraignantes de la loi Dodd-Frank ont la réponse : « La crise des subprimes ? Un accident de parcours qui ne doit pas remettre en cause l’utilité de la finance ».
On n’ose imaginer ce que pourrait être un réel accident !

Ce retour en force vers une nouvelle phase de déréglementation financière et bancaire s’appuie, en substance, sur un corpus de croyances des économistes ultra-libéraux selon lesquels les banquiers, les financiers et autres spéculateurs savent mieux que quiconque évaluer le risque de leur contrepartie à laquelle ils consentent des crédits ou lorsqu’ils spéculent sur des produits financiers !! Dans ces conditions, à quoi bon vouloir restreindre certains mouvements des acteurs financiers par des réglementations ?
Toute forme de régulation financière visant à protéger la finance de ses dérives, et par voie de conséquence l’économie dans son ensemble, se révélera inévitablement, du moins selon ces thuriféraires du laisser-faire financier, contre-productif.

En Europe, quelques voix disent s’inquiéter de ce processus de déréglementation. « Donald Trump est bel et bien une menace pour la stabilité financière. C’est dangereux, nuisible et extrêmement malheureux à l’époque où nous vivons », a déclaré le ministre suédois des Marchés financiers, Per Bolund à l’agence TT. Peu de banquiers à la tribune, et pour cause, la pêche est miraculeuse, en attendant le prochain Lehman Brothers…

Même si de nombreuses études ont pu démontrer que la déréglementation bancaire des années 80 n’est pas étrangère ni à la multiplication des crises, ni à l’accroissement de leur intensité, nos politiques ont une nouvelle fois perdu la mémoire.
On ne va pas se compliquer la vie avec de vieilles histoires… de toute façon, au final, il y a toujours le « prêteur -pigeon- de dernier ressort », un certain contribuable.

MM.

Quand on veut on peut : l’exemple néerlandais

Les Pays-Bas, paradis fiscal au sein de l’Europe, n’en déplaise au Commissaire Moscovici, Aveugle en Chef au pays des non-voyants, nous montreraient-ils l’exemple ?
L’excellent site bruxellois « Finance Watch » dont nous vous recommandons la consultation périodique, nous relate une information reprise en France par le journal économique « Les Echos » (ici), lui même source d’une information publiée par « Het Financieele Dagblad ».

Si les Pays-Bas sont un paradis fiscal, logiquement les banques locales participent à cet état de fait et s’exposent comme ailleurs à être rattrapées par la justice pour certaines de leurs « activités ».
C’est ce qui arrive à la banque néerlandaise ING, citée et poursuivie dans plusieurs affaires de corruption et de blanchiment d’argent. Ces affaires connues sous le nom de « Dossier Houston » selon la terminologie des services de l’Administration, ont démontré une défaillance majeure de la banque « en matière d’intégrité ».
On y retrouve de la corruption sur marchés, qui a notamment conduit le fisc américain à poursuivre la banque (amende transactionnelle de 1,76 milliards de dollars), des versements de sommes non justifiés au bénéfice de la fille du Président d’Ouzbékistan et de blanchiment d’argent lié au secteur des casinos dans les Antilles, tout ceci en lien avec la famille de l’ex-Président angolais Dos Santos. Sont notamment mises en cause, la mauvaise foi de la banque dans la dénonciation des opérations douteuses en temps et en heure, et la mise en oeuvre d’un réseau organisé d’évasion et de fraude fiscale au travers d’un trust financier opaque.

Nous avons malheureusement envie de dire « rien de bien exceptionnel » pour une grande banque internationale, les faits déjà jugés ou en cours d’instruction d’autres grandes banques, n’étant pas tellement différents.
Le modèle sous jacent aux grandes banques étant semblable d’un pays à l’autre, il n’y aurait aucune raison de penser que les banques françaises ou celles ayant la licence d’exercer en France aient des comportements différents. Plusieurs affaires récentes ou toujours en cours d’instruction confirment des circuits comparables, les « activités » de blanchiment d’argent étant « gérées » par leur non déclaration aux Autorités compétentes et celles d’évasion et de fraudes fiscales par le biais de structures offshores opaques.

Ce qui est à la fois étonnant et remarquable dans le cas d’ING, compte tenu de la relative permissivité des Autorités locales à ce type d’opération, c’est la réaction des Autorités judiciaires et de contrôle néerlandaises.
Là où, en France notamment, on se satisfera de pieux engagements de l’institution incriminée à « faire le nécessaire », là où on va se satisfaire de simples modifications de procédures sans contrôle de leur effectivité et efficacité, les Autorités des Pays-Bas, ont elles, décidé de prendre la main.
La banque ING est en effet placée sous une forme de « curatelle » de la justice et du fisc néerlandais, ces administrations souhaitant garder la main mise sur la marche des affaires au sein de la banque.

Si elles s’en souciaient, nos propres Autorités judiciaires et administratives en charge d’assurer le bon fonctionnement des établissements bancaires sous licence, sauraient d’expérience que l’on ne peut se satisfaire de simples engagements de bonne conduite.
Combien de banques en France après des scandales retentissants se sont vues imposer de telles contraintes ? Combien de Société Générale faudra-t-il pour que des mesures efficaces sur les activités de marché soient imposées ? Combien de scandales de blanchiment ou de fraude fiscale, tant qu’on ne se sera pas assuré au minimum que les établissements respectent et fassent respecter les procédures de compliance ?

La façon dont les Pays-Bas ont traité le cas ING, nous semble devoir devenir la règle, c’est à dire la mise sous tutelle immédiate de la banque soupçonnée ou accusée d’opérations de blanchiment ou de fraude fiscale, car nous devons expliquer ici quelque chose dont les non initiés à ces activités bancaires, n’ont sans doute pas la mesure. Dans ces activités, très largement et fortement réglementées depuis le début des années 2000, connaître l’origine des fonds et la nature économique des opérations, est le B.A.BA du travail de banquier.

En dépit de la multiplication de ces types d’affaire, et parce que l’on veut souvent nous les présenter comme complexes alors qu’elles sont d’une très grande simplicité, on nous donne l’impression qu’il s’agirait d’activités exceptionnelles et difficiles à appréhender. Il n’en est évidemment rien, le banquier ayant toujours la possibilité, en cas de doute, de ne pas faire. Et plus encore, en cas de soupçon, il se doit de « déclarer », conformément à ses obligations professionnelles.
Suffisamment d’outils et de supports existent pour permettre d’allumer les voyants rouges et cette faculté qu’ont certains banquiers à découvrir la couleur du feu à posteriori, est désarmante. On en arrive ainsi, dans certaines affaires, à des situations où des banquiers ayant commis des manquements caractérisés et indiscutables à la loi, se retrouvent inquiétés, non pas pour les faits commis (et alors qu’ils avaient généralement les moyens de privilégier le principe de précaution), mais pour ne pas les avoir déclarés conformément à leur obligation.

Comme chez Kafka, on se retrouverait, à titre d’exemple, dans la position d’un automobiliste contrôlé avec 3 grammes d’alcool dans le sang, et qui serait uniquement verbalisé, non pas pour ce taux d’alcoolémie, mais pour ne pas avoir informé qu’il conduirait sous l’emprise de l’alcool. Pire, on le laisserait repartir en voiture avec une éventuelle future convocation à se présenter devant la justice.

Ne pas agir comme le font les Autorités néerlandaises, c’est tout simplement dire : « Nous savons ce que vous avez fait, on vous laisse régler ça en interne et on verra plus tard… le temps qu’on trouve… si on cherche. »

MM.