« Tout le monde veut devenir milliardaire ! »

A l’heure où la chose économique est devenue pour nos politiques une foire d’empoigne où l’incontinence intellectuelle se mélange aux idéologies rances, essayons de prendre un peu de hauteur pour répondre à cette injonction macronienne « Tout le monde veut devenir milliardaire ! ».
Faut dire qu’ils n’y vont pas avec le dos de la cuillère, tout y passe : de l’économie de bistrot (le budget de l’État c’est comme le budget des ménages), de la pseudo-théorie surannée (le ruissellement), de l’idéologie à toutes les sauces (le président des riches), du foutage de gueule puissance dix (les millions d’emploi que créera -pas- le Medef avec de l’argent public), de la décriminalisation généralisée de la vie des entreprises, etc… sans oublier l’irrésistible « y’a pas d’autre solution », quel triste monde !

Tout d’abord, regardons l’excellent documentaire historique diffusé par Arte sur « Les Routes de l’Esclavage » (ici).
Au-delà de la tragédie, éminemment et essentiellement humaine, que constitue l’esclavage, nous pouvons dégager trois lignes forces de l’entrée des européens sur ce «marché» à la suite de la longue période des Empires arabes. Les européens, et plus spécifiquement les portugais, industrialisent l’esclavage dans le cadre des exploitations de cannes à sucre, à partir d’un échange triangulaire (marchandises, esclaves, canne à sucre). La dimension raciale (blancs et noirs) n’émergera que tardivement aux Antilles à l’occasion d’une généralisation du processus, comme moyen de production, l’esclave n’étant qu’un outil parmi d’autres comme le révèlent les inventaires de l’époque. Rapidement cette conception purement productiviste trouve ses limites, la sur-exploitation de cette « ressource » conduisant à son épuisement rapide (espérance de vie très courte) et à son incapacité à se renouveler (taux de mortalité des enfants extrêmement élevé). Un temps, l’augmentation du nombre d’esclave permet de compenser cette détérioration des conditions de production, mais au risque de l’émergence de conditions (poids respectifs des populations blanches et noires) politiques et sociales instables. C’est ce processus, allié à une prise de conscience humaniste avec le courant des Lumières et des réformés, et à des révoltes d’esclaves, qui conduira au final à l’interdiction ou l’abolition de l’esclavage en Europe. Si l’on accepte, comme les esclavagistes, de considérer l’esclave comme une simple variable de production, nous voyons très bien que les processus à l’œuvre et leurs conséquences ne sont aujourd’hui guère différentes : sur-exploitation et épuisement des ressources, non renouvellement naturel conduisant à des risques climatiques, politiques et sociaux, transfert général des richesses entre pays (mondialisation) mais aussi au sein même des États entre classes sociales, maintient de populations (même si elles n’ont plus le statut « légal » d’esclave) en monnaie d’échange…

Le document d’Arte finit la description de l’esclavagisme européen en s’interrogeant sur la contribution de ce « mode de production » à la richesse des nations (pour reprendre le titre de l’un des livre fondateur du libéralisme économique) et à l’avantage déterminant que prend l’Europe aux XVII et XVIII siècles sur le reste du monde. Parce que c’est bien de cela dont il s’agit au final : à l’origine, il n’y a aucune notion raciale dans l’esclavagisme (de toute façon autorisé et même légitimité par le Vatican), qui n’est qu’un simple mode de production (contraint et violent faut-il le rappeler), fondateur du capitalisme et ancêtre de ceux expérimentés par la suite. Dans son livre référence, Thomas Piketty avait tenté de chiffrer le « gain » pour l’économie américaine de la généralisation de l’esclavage dans les territoires du sud, montrant une contribution importante ayant sans aucun doute largement contribué à donner aux États-Unis une avance économique sur les anciennes puissances coloniales européennes dès le XIX siècle. Il en est de même un ou deux siècles plus tôt pour les pays européens. Même si tous les historiens ne s’entendent pas sur le chiffrage précis de cette contribution de l’esclavage aux économies européennes, n’oublions pas un principe premier du capitalisme, aujourd’hui encore plus, d’actualité : les capitaux vont en priorité vers les marchés offrant les meilleurs profits. Or le taux de profit tiré de la traite au XIXe siècle, est deux fois supérieur à celui généré par d’autres types « d’investissement ». C’est ce qui explique l’orientation massive de capitaux vers le commerce triangulaire. De toute façon un commerce ne perdure pas trois siècles s’il n’assure pas une haute rentabilité.

Macron a raison. L’organisation économique dont il se fait aujourd’hui le VRP zélé permet sans doute à chacun de devenir milliardaire: encore faut-il le vouloir ! Certains de ses amis nous le montrent aujourd’hui encore : il y a beaucoup de forêts à détruire, beaucoup de fonctionnaires et politiques à corrompre, beaucoup de populations malléables… En un mot des taux de profit élevés en perspective. Question de choix…

Ensuite, portons-nous sur une étude originale publiée par l’organisation américaine Trucost sous le titre « Natural Capital at Risk » (ici, le compte rendu en français fait par E-RES). Ce travail de chercheurs tend à montrer qu’aucune grande industrie ne serait rentable si elle payait ses impacts sur l’environnement.
Lisons : « Depuis longtemps on parle du principe de « pollueur-payeur ». Le concept est simple : lorsqu’un dommage est commis sur l’environnement, c’est celui qui a causé le dommage qui doit payer pour en gérer les conséquences sur la collectivité.
Régulièrement, on applique ce principe lorsque par exemple une entreprise est responsable d’une catastrophe écologique comme une marée noire : l’entreprise peut alors avoir à payer une amende aux collectivités qui ont été affectées. Mais que se passerait-il si on décidait d’appliquer totalement ce principe ? Si chaque entreprise devait gérer les externalités négatives de son activité sur la planète ? ».
« À l’heure actuelle le principe pollueur payeur n’est en effet appliqué que très partiellement. En fait, la plupart des pollutions causées par les entreprises (ou les autres acteurs) ne sont jamais ni mesurées, ni évaluées, et encore moins facturées. C’est ce que l’on appelle « les externalités environnementales » : l’activité de l’entreprise a une conséquence indirecte sur l’environnement, qui affecte la société. Pourtant, ce n’est pas l’entreprise qui finance le coût de cette externalité, mais bien la société, c’est à dire les citoyens.
Sur le principe, il semblerait plus logique que ce soit l’entreprise qui finance ce dont elle est responsable. Et c’est théoriquement possible, si on arrive à comptabiliser la valeur de ces externalités. Et c’est justement là tout l’enjeu : comment évaluer la valeur et le coût de réalités aussi diverses que la biodiversité, une forêt, ou une tonne de CO2 ?
C’est ce que se sont attachés à faire les chercheurs à l’origine de l’étude. Avec une méthodologie complexe et détaillée, ils sont parvenus à évaluer la valeur des externalités liées à l’activité économiques des grands secteurs industriels mondiaux. Et leurs résultats sont très inquiétants
».

Nous vous laissons découvrir dans l’étude détaillée, les résultats .
Au final, aucun grand secteur économique parmi les 100 plus rentables de la planète, ne serait bénéficiaire s’il devait réellement financer ses coûts pour la planète.

Il est facile de faire fortune sur les dos des autres. Nous sommes d’accord avec Macron : tout le monde peut devenir milliardaire. Nous pouvons tous être le propriétaire d’un groupe intégré qui détruit l’environnement local, corrompt les politiques pour obtenir des marchés, exploite la main d’œuvre… Nous pouvons tous être la figure emblématique d’un réseau social mondial après avoir pris soin d’éjecter nos co-créateurs ; nous pouvons tous être le leader mondial de la micro-informatique quand nous sommes en situation de quasi-monopole et que nous avons pris soin d’éradiquer toute concurrence… Les exemples ne manquent pas, nous pourrions aussi parler de tous ces milliardaires qui le sont devenus en ne payant pas ou peu d’impôts !!

Macron, toujours lui, a fait récemment un peu de service après vente dans Forbes. Le politique doit se soumettre aux affaires. La morale aussi, et tout le monde sera milliardaire. (ici)
Tant pis pour les autres; sauf que l’économie ce n’est pas que des chiffres, des taux de profit, mais aussi des choix, des choix de vie, des choix éthiques. Laissons leurs milliards aux esclavagistes et autres pollueurs.

Il suffirait qu’un jour, des chercheurs s’attaquent à l’étude de l’origine des «richesses des milliardaires». Comment se sont-elles constituées ? Si nous externalisions les impacts sur l’environnement, les situations de monopoles, les actes de corruption, des prévarications diverses, les « optimisations » en tout genre… que resterait-il de ces fortunes ?

MM.

L’œil du lanceur

Il n’est pas question de revenir sur le débat politique d’hier soir, l’interview du président de la république Emmanuel Macron menée par Edwy Plenel et Jean-Jacques Bourdin.
Il y a abondance ce jour, de remarques, commentaires, analyses et autres, de tout genre, tout niveau et pour tous les goûts. Il n’y avait pas grand chose à attendre de ce débat et le résultat nous donne raison.
A cet exercice debout qui nous change des Pernault ou Delahousse assis, reconnaissons aux interviewers d’avoir fait le travail même si cela a manqué parfois de persévérance dans le questionnement; reconnaissons enfin à l’interviewé une certaine combativité même si l’on reste sur notre faim sur le fond.
Cela reste au final un exercice de communication politique pour les deux parties, qui – chacune dans leur rôle- présentent une facture assez lisse et sans surprise.

Regardons plutôt du côté des moments qui sortent de cette continuité, de cette permanence de la communication. Laissons les interviewers à leur travail : nous regretterons que Plenel ait été si facilement déstabilisé par la basse attaque sur le redressement fiscal de Médiapart (cf. plus loin) et ait mis un temps certain avant de revenir dans le débat sans vraiment pousser l’interviewé dans ses retranchements; nous pouvons regretter que Bourdin ait parfois trop facilement lâché prise ou n’ait pas su choisir les arguments et exemples les plus appropriés…

Mais celui qui nous intéresse c’est l’autre. Une prestation combative mais au final assez convenue, conforme au personnage sans vision de l’avenir, arqué sur des positions idéologiques et emmuré dans ses certitudes de classe. D’accord ou pas, on ne lui en veut pas, il fait le job de ceux qui l’on fait élire et auxquels il doit rendre des comptes ce qui était sans doute la finalité première de l’exercice d’hier soir (le choix des contradicteurs et il ne manquait plus que Lucet, semble aller dans ce sens), genre «regardez, je n’ai pas peur de ces ennemis de notre classe, je confirme devant tout le monde que je ferai ce pour quoi vous m’avez fait élire»
Après, nous ne chipoterons pas sur les inexactitudes, approximations, affirmations fausses, réponses à côté de la plaque… de toute façon «votre bon peuple» veut voir un gendre parfait avec des couilles… Pardon pour l’expression, mais chez les lanceurs, c’est sans langue de bois!

Revenons à ces fameux moments, à ces cassures dans le discours. Ce qui est bien avec Macron, et ce n’est pas la première fois que nous le remarquons (cf. sa dernière visite en milieu hospitalier), c’est qu’il perd vite pied dès qu’il y a un petit accroc dans la machine ; autre avantage c’est que ça se voit tout de suite dans le discours lui-même mais aussi dans le ton de la voix et ses expressions. On peut donc difficilement se tromper, à sa décharge ses amis ne lui demandent pas d’être un bon comédien, juste un bon serviteur.
Nous avons décelé trois moments, fort intéressants car ils relèvent du même sujet qui se trouve être l’un des chevaux de bataille de MetaMorphosis.

A trois reprises Macron a dévié de son plan de communication. A trois reprises, il est sorti de son rôle de président gendre idéal pour redevenir le réactionnaire oligarque qu’il est. A chaque fois cela avait affaire à l’argent, comme si en parler était déjà un péché : Arnault, Pinault et Parly.

Temps 1, sur le premier personnage, Arnault – il n’est secret pour personne qu’il demeure son obligé – sa réaction fut virulente et haineuse comme en témoigne l’attaque par le redressement fiscal de Médiapart. Outre le fait que Macron connaît très bien la réalité de cette affaire et le bien fondé de la position du site journalistique, il est quand même étonnant, pour quelqu’un qui nous rabâche pratiquement à chacune de ses sorties l’importance de la révolution numérique, de le voir se perdre dans une telle attaque, un coup bas, petit mais blessant. Laissons ça de côté, Médiapart est assez grand pour se défendre. Alors pourquoi blesser ? Rendre coup pour coup parce qu’on est soi-même blessé?
Dire et affirmer qu’Arnault pratique l’optimisation fiscale à outrance atteint donc directement Macron. Pourquoi pas! Nous avons eu droit alors à ce magnifique flou artistique du chat noir qui n’est pas tout noir, de la fraude qui n’est pas totalement de la fraude, de l’optimisation qui n’est pas encore de la fraude, de la fraude que ce n’est pas la mienne de faute… Tout ça pour nous dire qu’on ne fera pas grand chose.

Temps deux, Pinault…décidément ils commencent à m’ennuyer mes patrons! Alors, là oui, bien sûr que l’on fait quelque chose, mais on ne vous dira pas quoi ; et puis comme on n’a rien à cacher, on va le faire sous le couvert du verrou de Bercy mais là aussi on ne vous dira pas quoi… Si Pinault ça gêne moins qu’Arnault, que l’un et l’autre ne s’en n’inquiètent pas, on va juste dire qu’on va faire des choses… De toute évidence, sur la séquence fraude fiscale, Macron n’était pas à l’aise et assez vindicatif. Dommage que les interviewers n’aient pas plus profité de ce moment. Si d’un côté on peut comprendre que l’inaction est difficilement défendable pour l’homme d’action qu’il cherche à vendre, la réaction est apparue tout à fait disproportionnée comme si certains sujets ne pouvaient être débattus sur la place publique. Concernant la fraude fiscale, la re-publica (la chose publique) s’arrête aux portes des ministères.

Temps 3, la dernière séquence concernant Parly, est la plus révélatrice. Comme pour Arnault, voilà Macron qui attaque sous la ceinture lorsque Plenel évoque le salaire de Parly quand elle était en charge de la stratégie (sic) à la SNCF. Entreprise publique, argent public, salaires rendus publics, c’est quoi le problème Macron ? D’accord, 50.000 euros par mois pour une responsable de la stratégie de l’entreprise c’est un peu cher payé quand on voit le tableau catastrophique que nous tire aujourd’hui le gouvernement de ce service public! Mais pire, et c’est là que nous voulions en venir car cette séquence résume pour nous ce qui devait être retenu du débat, Plenel a eu l’indécence de mettre en parallèle pouvoir et responsabilité. Comme pour les deux cas précédents, Macron a joué la carte de l’attaque pour repousser la question et bien évidemment ne jamais y répondre. Mieux, il est apparu dédouaner de toute responsabilité ceux en charge de la stratégie, au motif qu’ils ne sont pas directement responsables des choix stratégiques de l’entreprise. Dit autrement, la responsable de la stratégie de la SNCF n’est pas responsable des échecs stratégiques de la SNCF qui relèvent de choix stratégiques de la SNCF !!! Comprendra qui pourra, là on a dépassé de loin la séquence sur la fraude fiscale.

Le moment est en fait assez délicieux pour ceux qui, comme les lanceurs d’alerte, ont vécu directement et dans leur chair parfois, cette démission générale des structures dirigeante et de contrôle, ce basculement bien réel vers l’irresponsabilité que même la justice aujourd’hui semble reconnaître, cette déconnexion totale entre l’exercice du pouvoir et la responsabilité. Mais nous comprenons mieux la logique : si la responsable de la stratégie n’est pas responsable des échecs stratégiques, les salariés, eux, en paieront quoi qu’il en soit, le plein tarif.

MM.

Lutte contre la fraude fiscale… une autre fois, peut être !

En référence à l’article de Médiapart du 28 Mars 2018 « Fraude fiscale : les demi-mesures de Bercy » par Romaric
Godin, (ici).

Pour avoir déjà à plusieurs reprises traité cette question de la lutte contre la fraude fiscale dans MetaMorphosis, nous ne reviendrons pas ici sur le détail des «demi-mesures» annoncées par Bercy. D’autant plus que l’article de Romaric Godin dans Médiapart suffit à cette mission et justifie une lecture attentive, notamment au sujet du «verrou de Bercy» dont l’abolition est la condition sine qua none à toute politique censée de lutte contre la fraude fiscale.

Sans surprise sur cette absence évidente de volonté du gouvernement à vouloir lutter efficacement contre la «grande» fraude fiscale, nous souhaiterions juste revenir sur les présupposés d’une telle attitude qui résident comme nous l’avons déjà évoqué, sur des postures proprement idéologiques totalement déconnectées de la rationalité économique et leur servant pour autant, de justification.

Deux points méritent d’être soulignés :
Tout d’abord, comme nous l’explique Médiapart : «Le projet de loi contre la fraude fiscale présenté ce mercredi 28 mars en conseil des ministres est l’occasion de montrer que le gouvernement n’entend pas plaisanter avec ceux qui refusent d’apporter leur contribution pleine et entière aux ressources de la collectivité. C’est surtout l’occasion de prouver que l’exécutif sait se montrer sévère avec les entreprises et les plus riches. La lutte contre la fraude fiscale serait alors le pendant des baisses d’impôts sur le capital, ses revenus et les bénéfices, mises en place dès le 1er janvier et qui ont tant de mal à passer dans l’opinion. Le taux d’imposition baisse, certes, mais l’État affirme qu’il va désormais s’assurer que chacun paie son dû».

Pourquoi pas ! Il n’est pas du tout absurde – si les présupposés économiques qui prévalaient à un tel énoncé étaient effectivement «rationnels» – de développer d’un côté un plan de baisses fiscales en vue de dynamiser l’économie, d’un autre côté de s’assurer que les bénéficiaires de ces mesures paient effectivement leur contribution à la société.
Une fois de plus avec ce gouvernement c’est la méthode qui choque, une fois de plus nous nous demandons de quelle «planète économique» ils viennent.
Pour quiconque travaillant en entreprise, de surcroît dans des secteurs commerciaux soumis à la réalisation d’objectifs, une telle méthode de travail est une ineptie. Nos Macron, Le Maire ou Darmanin, si friands d’argent public, n’ont pas dû être souvent confrontés à ce type de contraintes ; sinon ils sauraient qu’une telle articulation ne peut être au mieux que concomitante, normalement consécutive.
C’est un peu comme si on offrait à un commercial sa prime sur résultats avant même de les avoir effectivement réalisés. Ça se passe peut-être comme ça dans le monde rêvé de notre trio, mais pas dans la vraie vie. Dans la vie de la rationalité économique, on s’assure préalablement que l’assujetti fiscal remplit intégralement ses obligations avant de lui accorder des déductions ou avantages qui ne viendront que compliquer un peu plus la surveillance de la réalisation du premier objectif. Ou alors, on ne s’y prendrait pas autrement si nous avions pour idée de ne pas trop chercher de poux aux fraudeurs fiscaux.

Ensuite, et nous en revenons à un grand classique avec cette nouvelle majorité, c’est cette faculté de vivre dans un monde de bisounours et de croire aveuglément en ses propres certitudes, loin de toute efficacité et rationalité économique qui pourtant semblent fonder son action même.

Revenons à l’article de Romaric Godin : «La réalité, c’est que le gouvernement n’a pas la fraude fiscale comme priorité, mais ce qu’il estime être la compétitivité. Et cette compétitivité passe, à son sens, par une complaisance envers les plus fortunés et les entreprises. C’est ici le sens du « plaider-coupable » et du maintien du verrou de Bercy : garder le contact avec les entreprises, maintenir la possibilité de négocier, ne jamais s’opposer ouvertement à elles. C’est aussi pour cette raison que cette loi évite le sujet autrement plus brûlant de l’optimisation fiscale légale et que, à Bruxelles, Paris freine pour que soit instaurée la présentation de résultats pays par pays. Le cœur de la politique économique du gouvernement est de protéger les entreprises et de leur donner plus de capacité de faire des profits. Toute la politique du gouvernement est contenue dans cet espoir un peu naïf que les entreprises, et surtout les plus grosses, rendront en emplois un peu de cette bienveillance gouvernementale».

Vivons d’espoir, c’est un peu le seul horizon de cette politique fiscale.
Que le fisc soit bienveillant – et on se donne tous les moyens avec le «verrou de Bercy» et le «plaider-coupable» – avec les entreprises et les fraudeurs fiscaux, que le gouvernement les caressent dans le sens du poil en leur octroyant baisses et avantages divers, et prions pour qu’ils nous le rendent bien! Là aussi, pourquoi pas ? Sauf que nous savons depuis longtemps que ça ne fonctionne pas ainsi, qu’aucune expérience ne vient confirmer la véracité d’une telle affirmation, que les expériences passées ont au contraire démontré l’inanité de telles politiques.

Lutter contre la fraude fiscale c’est donc vivre, plein d’espoir, dans un monde imaginaire… Bon courage !

MM.

On voudrait bien y croire, mais…

Il y a des jours comme ça, on se dit que ça va être une bonne journée…

Dans son édition du jour, Le Monde (ici) nous informe du départ du «numéro deux» de la Société Générale : le directeur général délégué, Didier Valet, quitte en effet le groupe vendredi.
Comme l’indique le quotidien : «La justice américaine a le bras long. Très long». On se fait tout de suite plaisir avec «l’explication obscure» de la banque : «à la suite d’une différence d’appréciation dans la gestion d’un dossier juridique spécifique du groupe, antérieur à son mandat de directeur général délégué, Didier Valet, soucieux de préserver l’intérêt général de la banque, a présenté sa démission».
Décidément, le ridicule ne tue pas, sinon la Société Générale serait morte depuis longtemps. Après les «fake-news» made in Société Générale, la vérité : le départ de Didier Valet a été imposé par les autorités judiciaires américaines, à l’image du débarquement de membres de l’état-major de BNP-Paribas suite à l’accord conclu en mai 2014 concernant la violation des embargos américains, qui s’était traduit par une amende pharaonique de 9 milliards de dollars (7,3 milliards d’euros). Outre l’affaire du Libor, la Société générale négocie avec la justice outre-Atlantique pour régler deux autres litiges. «Comme BNP Paribas, Deutsche Bank ou le Crédit agricole avant lui, l’établissement fait d’abord l’objet d’une enquête de l’OFAC, le bureau du Trésor américain qui gère les sanctions financières à l’encontre de ceux ayant contourné les embargos américains à l’encontre de l’Iran, Cuba ou le Soudan. Ensuite, il doit répondre à des accusations de corruption concernant ses opérations avec le fonds souverain libyen Libyan Investment Authority (LIA)».
Pour comprendre ce que les Etats-Unis reprochent désormais à la Société générale, il faut se rappeler comment fonctionne le Libor. Ce thermomètre du marché monétaire est déterminé chaque jour à Londres à partir des déclarations des banques partenaires qui indiquent à quel taux elles empruntent au jour le jour.
Sur le Libor, la Société générale est accusée d’avoir minoré, entre mai 2010 et octobre 2011 ses déclarations quotidiennes de taux, afin de ne pas apparaître fragilisée durant la crise de l’euro en révélant qu’elle empruntait plus cher que ses concurrents, signe d’une défiance de la communauté financière. En août 2017, la justice de l’Etat de New York a inculpé deux salariées de la trésorerie du groupe, Danielle Sindzingre et Muriel Bescond. Ce sont elles qui déterminaient au sein de la banque les estimations transmises à Thomson Reuters, le gestionnaire du Libor. La justice américaine les accuse d’avoir « délibérément » donné des estimations basses concernant le Libor en dollar. «Si la trésorerie dépend de la salle des marchés, elle est copilotée par la direction financière. Or, Didier Valet était directeur financier de la banque entre mai 2008 et décembre 2011. Il a participé à des réunions où ces questions ont été évoquées».
Pour la justice américaine, c’est impardonnable, et la sanction semble logique. Mais c’est là que le bas blesse : tout le monde au siège de la Société Générale loue «l’éthique irréprochable» de Didier Valet… Décidément les banques françaises sont incorrigibles. Parce qu’il faudra quand même nous expliquer quelque chose : comment peut-on (en même temps pour être dans l’air du temps) signer un accord avec la justice américaine valant reconnaissance de culpabilité dont celle de son numéro deux, et ne pas entamer à son encontre et de tous les autres responsables impliqués les procédures adéquates, la première victime de cette affaire étant la banque, ses actionnaires et ses salariés ? Si un gestionnaire de compte vient à voler sur les comptes de ses clients, la banque reconnaissant sa responsabilité en les remboursant, on la voit mal ne pas poursuivre son employé indélicat. Deux poids, deux mesures.
Donc ne nous réjouissons pas trop vite. Si la décision de la justice américaine est un bon signal, elle demeurera vaine si elle n’est pas de nature à modifier en plus des comportements, les mentalités. Et il apparaît malheureusement que le chemin est encore long.
Deuxième bonne nouvelle ? The Guardian (ici) nous annonce la fermeture prochaine du fameux cabinet panaméen Mossack & Fonseca. Comme pour la Société Générale, nous sommes gratifiés d’un communiqué officiel, grand art de la langue de bois : «The reputational deterioration, the media campaign, the financial circus and the unusual actions by certain Panamanian authorities, have occasioned an irreversible damage that necessitates the obligatory ceasing of public operations at the end of the current month». Voilà, bravo messieurs les journalistes, vous avez un mort sur la conscience ! Revenons, là aussi, à la vérité. L’industrie de la fraude fiscale a bon dos, Mossack & Fonseca n’est que l’un des acteurs panaméens de cette activité au demeurant tout à fait légale dans ce pays. Le problème de la fraude fiscale n’est pas une question entre des pays d’un côté, et un cabinet de l’autre, mais entre deux pays. Si certains pays européens souhaitent mettre fin à cette évasion fiscale massive, ce n’est pas avec Mossack & Foncesa qu’ils doivent traiter mais avec le Panama. C’est que l’on oublie un peu vite les autres affaires Mossack & Fonseca, mis à jour ou non lors des révélations du ICIJ, à savoir le blanchiment massif d’argent d’activités illicites (cartels de la drogue) et la fameuse affaire de corruption latino-américaine Odebrecht (groupe de BTP brésilien). Il convient en effet de rappeler que les deux associés du cabinet ont été placés en détention provisoire au Panama dans le cadre de ce scandale de corruption. Le ministère public qui les accuse de blanchiment de capitaux, avait perquisitionné leur cabinet. Selon le procureur Kenia Porcell, Mossack Fonseca est soupçonné d’être «une organisation criminelle qui se chargeait de cacher des actifs et des sommes d’argent à l’origine douteuse». Le cabinet a également pour rôle, selon elle, «d’éliminer les preuves [contre] des personnes impliquées dans les activités illégales liées au cas “Lavage Express”».

Une fois de plus, on voit qu’il y a plus d’un pas entre le discours et la réalité. Mossack & Fonseca nous quitte pour avoir industrialisé, comme tant d’autres, l’évasion fiscale ? On peut en douter… Si l’on doit bien évidemment s’en réjouir, nous sommes toujours dans l’attente d’une action forte des pays européens à l’encontre de ces territoires et de tous les intermédiaires, notamment agissant à partir de leur sol, rendant possible l’évasion fiscale. Or sur ce chapitre et à cette heure-ci, c’est plutôt le calme plat.

Allé, on cherche encore. Une success-story ? De ces histoires qui font rêver toute la macronie heureuse. C’est le Washington Post (ici) qui nous raconte cette merveilleuse histoire. Une femme, Elizabeth Holmes, jeune, blonde, partie de rien, fondatrice et Chief Executive d’une start-up… Et ce n’est pas tout, le cadre est idyllique : la Silicon Valley, les nouvelles technologies, une biotech, Theramos. Ça nous change de nos fonctionnaires qui ne pensent qu’à défendre leur statut, incapables de prendre des risques, de briser les «chaînes de l’assistanat».
Le hic, c’est qu’Elizabeth a un peu trop écouté Emmanuel. Notamment quand il conseille de ne jamais respecter les règles. Notre héroïne, alliée à son associé, n’y est pas allée avec le dos de la cuillère et ça a fini par se voir : «The SEC alleges that Holmes, Balwani and Theranos raised more than $700 million from investors by misrepresenting the capabilities of the proprietary blood-testing technology that was at the core of its business — as well as by making misleading or exaggerated statements about the company’s financial status and relationships with commercial partners and the Department of Defense». Ce qu’on lui reproche : d’avoir menti aux investisseurs, à ses clients, au marché, sur la réalité des activités de Theranos, d’avoir exagéré et trafiqué les comptes de la société… En somme, rien de bien extraordinaire !
Jina Choi, directrice du bureau régional de San Francisco de la SEC trouve les mots justes : «The Theranos story is an important lesson for Silicon Valley. Innovators who seek to revolutionize and disrupt an industry must tell investors the truth about what their technology can do today, not just what they hope it might do someday».

La leçon de l’histoire ne serait-elle pas plutôt que pour faire rêver, il faut vendre du rêve ?

Au final, on aurait bien voulu y croire … mais… Le responsable de la Société Générale, éjecté de son poste sur ordre de la justice, reste pour la banque quelqu’un à «l’éthique irréprochable». Le cabinet Mossack & Fonseca met la clé sous la porte, un autre doit être en train d’ouvrir et les pays européens regardent toujours partir l’argent…

Nos politiques vendent du rêve pour se faire élire, les entreprises aussi.

Au final, c’est une journée comme une autre.

MM.

Allez, encore un petit effort !

Article en référence : « Paradise Papers : la Commission européenne entame une procédure d’infraction contre Malte, Chypre et la Grèce », (ici) du journal Le Monde du 08 Mars 2018.

Nous vous rassurons tout de suite : il n’y a pas d’obsession particulière chez MetaMorphosis à l’encontre du Commissaire Moscovici. En raison de sa fonction au sein de la Commission Européenne, il est à son dépens souvent annonceur de mauvaises nouvelles, parfois, et nous l’en remercions, le porte parole de son incompétence, de sa mauvaise foi, quand il n’est pas le chargé en chef de l’humour bruxellois (« il n’y a pas de paradis fiscaux en Europe ») dont la compréhension et les subtilités ne sont pas toujours à la portée de tous…

Pour une fois, rendons lui grâce, le Sir Moscovici nous annonce une bonne nouvelle ! Explications…

Quatre mois après les révélations des « Paradise Papers », la Commission européenne communique : « Les Paradise Papers ont dévoilé une fraude à la TVA de grande ampleur dans le secteur des yachts », et annonce le lancement d’une procédure d’infraction contre la Grèce, Chypre et Malte pour leur taxation très avantageuse des navires de luxe. « Nous ne pouvons admettre ce type de traitement fiscal favorable accordé aux yachts privés, qui fausse la concurrence dans le secteur maritime », a également dénoncé le commissaire européen aux affaires économiques et financières, Pierre Moscovici, en dénonçant une atteinte « à la justice fiscale ».

Rien que ça…

Le lancement de cette procédure d’infraction confirme que plusieurs des révélations faites en novembre 2017 par le Consortium International des Journalistes d’Investigation (ICIJ en anglais), ont permis de mettre à jour des schémas d’évasion fiscale illégale. Comme le rappelle Le Monde : « A Malte, les acheteurs de yachts peuvent en effet bénéficier d’une TVA à un taux réduit de 5,4 % et économiser ainsi potentiellement plusieurs centaines de milliers d’euros… En quelques années, cette petite île méditerranéenne est devenue grâce à cet avantage un des principaux lieux d’achat de yachts pour les riches du monde entier ».
Les avantages fiscaux en question résident dans un système de location-achat, baptisé «leasing maltais» qui permet de ne s’acquitter de la TVA que sur une infime partie du prix du bateau.
Le journal du soir nous précise enfin que les trois Etats disposent désormais de deux mois pour répondre à la Commission, qui pourra à terme leur imposer des sanctions financières s’ils ne mettent pas fin à ces pratiques.

Ne polémiquons pas, mais quand même.
Donc, sans l’ICIJ, qu’est ce qu’on fait ? Ou plutôt qu’est ce que font la Commission et son Commissaire ? Ils attendent ? Que les pays en infraction viennent s’auto-dénoncer ?
Nous qui pensions que l’administration européenne était une grande machine animée par les meilleurs esprits du continent ; nous qui pensions qu’elle était au service des citoyens des états membres pour y défendre la libre circulation des biens et des personnes dans le cadre d’une concurrence équitable ; nous qui pensions qu’elle disposait des outils, notamment comptables, pour lui permettre de suivre et vérifier que chacun se conforme à l’esprit et à la lettre de l’Union ! Sans l’ICIJ, elle ne voit rien ? Vous nous direz, ce n’est pas une première, l’enfumage de la Grèce sur sa dette publique avec l’aide active d’une certaine Goldman Sachs, reste dans les mémoires. Donc Grèce, Chypre et Malte vont peut-être être sanctionnés grâce au travail de la presse d’investigation… À quand un « joint-venture » Commission Européenne – ICIJ ?

Le Commissaire Moscovici a employé, pour lui en tous les cas, des mots forts (sans doute des gros mots pour certains) : « justice fiscale », « concurrence faussée ». Les mécanismes mis en place par les pays incriminés portent donc atteinte à la justice fiscale au sein de l’Union et faussent la concurrence. Rappelons, pour condamnables que soient ces pratiques, qu’elles restent en valeur absolue de faible montant. Très loin en tous les cas des pratiques des fameux États, Luxembourg, Pays-Bas, Irlande… qui ne sont pas, tout le monde l’aura compris, des paradis fiscaux.
Que la Commission nous explique la différence entre les pratiques des pavillons fiscaux et celles mises en œuvre en matière d’imposition des multi-nationales ou des personnes fortunées dans ces pays.
Que la Commission nous explique en quoi il y aurait d’un côté une atteinte à la concurrence entre les États membres, de l’autre une simple mise en concurrence entre États.
Que la Commission nous explique son échelle de graduation des atteintes à la justice fiscale…

Allez, encore un petit effort !
S’il faut commencer par les petits pour arriver aux gros, pourquoi pas…
S’il faut taper sur des États qui n’ont pas beaucoup de poids dans le cadre de l’Union, il ne faudrait pas que ce soit uniquement pour la façade, il ne faudra pas se déculotter devant ces autres États devenus de véritables usines d’injustice fiscale et de concurrence dévoyée…

Nous saurons bientôt si nous pouvons encore parler en bien du Commissaire Moscovici.

MM.

Quand on veut on peut : l’exemple néerlandais

Les Pays-Bas, paradis fiscal au sein de l’Europe, n’en déplaise au Commissaire Moscovici, Aveugle en Chef au pays des non-voyants, nous montreraient-ils l’exemple ?
L’excellent site bruxellois « Finance Watch » dont nous vous recommandons la consultation périodique, nous relate une information reprise en France par le journal économique « Les Echos » (ici), lui même source d’une information publiée par « Het Financieele Dagblad ».

Si les Pays-Bas sont un paradis fiscal, logiquement les banques locales participent à cet état de fait et s’exposent comme ailleurs à être rattrapées par la justice pour certaines de leurs « activités ».
C’est ce qui arrive à la banque néerlandaise ING, citée et poursuivie dans plusieurs affaires de corruption et de blanchiment d’argent. Ces affaires connues sous le nom de « Dossier Houston » selon la terminologie des services de l’Administration, ont démontré une défaillance majeure de la banque « en matière d’intégrité ».
On y retrouve de la corruption sur marchés, qui a notamment conduit le fisc américain à poursuivre la banque (amende transactionnelle de 1,76 milliards de dollars), des versements de sommes non justifiés au bénéfice de la fille du Président d’Ouzbékistan et de blanchiment d’argent lié au secteur des casinos dans les Antilles, tout ceci en lien avec la famille de l’ex-Président angolais Dos Santos. Sont notamment mises en cause, la mauvaise foi de la banque dans la dénonciation des opérations douteuses en temps et en heure, et la mise en oeuvre d’un réseau organisé d’évasion et de fraude fiscale au travers d’un trust financier opaque.

Nous avons malheureusement envie de dire « rien de bien exceptionnel » pour une grande banque internationale, les faits déjà jugés ou en cours d’instruction d’autres grandes banques, n’étant pas tellement différents.
Le modèle sous jacent aux grandes banques étant semblable d’un pays à l’autre, il n’y aurait aucune raison de penser que les banques françaises ou celles ayant la licence d’exercer en France aient des comportements différents. Plusieurs affaires récentes ou toujours en cours d’instruction confirment des circuits comparables, les « activités » de blanchiment d’argent étant « gérées » par leur non déclaration aux Autorités compétentes et celles d’évasion et de fraudes fiscales par le biais de structures offshores opaques.

Ce qui est à la fois étonnant et remarquable dans le cas d’ING, compte tenu de la relative permissivité des Autorités locales à ce type d’opération, c’est la réaction des Autorités judiciaires et de contrôle néerlandaises.
Là où, en France notamment, on se satisfera de pieux engagements de l’institution incriminée à « faire le nécessaire », là où on va se satisfaire de simples modifications de procédures sans contrôle de leur effectivité et efficacité, les Autorités des Pays-Bas, ont elles, décidé de prendre la main.
La banque ING est en effet placée sous une forme de « curatelle » de la justice et du fisc néerlandais, ces administrations souhaitant garder la main mise sur la marche des affaires au sein de la banque.

Si elles s’en souciaient, nos propres Autorités judiciaires et administratives en charge d’assurer le bon fonctionnement des établissements bancaires sous licence, sauraient d’expérience que l’on ne peut se satisfaire de simples engagements de bonne conduite.
Combien de banques en France après des scandales retentissants se sont vues imposer de telles contraintes ? Combien de Société Générale faudra-t-il pour que des mesures efficaces sur les activités de marché soient imposées ? Combien de scandales de blanchiment ou de fraude fiscale, tant qu’on ne se sera pas assuré au minimum que les établissements respectent et fassent respecter les procédures de compliance ?

La façon dont les Pays-Bas ont traité le cas ING, nous semble devoir devenir la règle, c’est à dire la mise sous tutelle immédiate de la banque soupçonnée ou accusée d’opérations de blanchiment ou de fraude fiscale, car nous devons expliquer ici quelque chose dont les non initiés à ces activités bancaires, n’ont sans doute pas la mesure. Dans ces activités, très largement et fortement réglementées depuis le début des années 2000, connaître l’origine des fonds et la nature économique des opérations, est le B.A.BA du travail de banquier.

En dépit de la multiplication de ces types d’affaire, et parce que l’on veut souvent nous les présenter comme complexes alors qu’elles sont d’une très grande simplicité, on nous donne l’impression qu’il s’agirait d’activités exceptionnelles et difficiles à appréhender. Il n’en est évidemment rien, le banquier ayant toujours la possibilité, en cas de doute, de ne pas faire. Et plus encore, en cas de soupçon, il se doit de « déclarer », conformément à ses obligations professionnelles.
Suffisamment d’outils et de supports existent pour permettre d’allumer les voyants rouges et cette faculté qu’ont certains banquiers à découvrir la couleur du feu à posteriori, est désarmante. On en arrive ainsi, dans certaines affaires, à des situations où des banquiers ayant commis des manquements caractérisés et indiscutables à la loi, se retrouvent inquiétés, non pas pour les faits commis (et alors qu’ils avaient généralement les moyens de privilégier le principe de précaution), mais pour ne pas les avoir déclarés conformément à leur obligation.

Comme chez Kafka, on se retrouverait, à titre d’exemple, dans la position d’un automobiliste contrôlé avec 3 grammes d’alcool dans le sang, et qui serait uniquement verbalisé, non pas pour ce taux d’alcoolémie, mais pour ne pas avoir informé qu’il conduirait sous l’emprise de l’alcool. Pire, on le laisserait repartir en voiture avec une éventuelle future convocation à se présenter devant la justice.

Ne pas agir comme le font les Autorités néerlandaises, c’est tout simplement dire : « Nous savons ce que vous avez fait, on vous laisse régler ça en interne et on verra plus tard… le temps qu’on trouve… si on cherche. »

MM.

La vie des alertes: UBS bientôt le procès

Tout se passe cet automne, du 8 octobre au 15 novembre, à raison de trois demi-journées par semaine: UBS AG sera jugée à Paris pour son vaste système de fraude fiscale, ainsi que sa filiale française pour complicité et six hauts responsables de la banque en France et en Suisse, impliqués.
Leur sont reprochés les faits suivants: démarchage bancaire illégal (sans licence) d’une riche clientèle française au profit de la banque helvétique, blanchiment aggravé de fraude fiscale, double comptabilité pour masquer les mouvements de capitaux illicites entre les deux pays.

La fraude est estimée à quelque 10 milliards d’euros. Quant à l’amende elle peut se monter « jusqu’à la moitié de la valeur ou des fonds sur lesquels ont portés les opérations de blanchiment » selon le code pénal.

L’affaire et le résultat sont à suivre de près; MetaMorphosis qui compte un de ces lanceurs parmi ses membres fondateurs, y reviendra.
Merci aux lanceurs d’alerte, sans lesquels rien ne serait arrivé.

Fraude fiscale: UBS sera jugée cet automne à Paris

MM.

La justice par l’exemple

S’ouvre le procès en appel de Jérôme Cahuzac.
Médiapart, à l’origine et un des acteurs principaux de cette affaire, revient ici sur cette actualité.
L’enjeu principal semble être la confirmation ou non de la peine de prison de trois ans infligée en première instance. Nous ne reviendrons pas sur les détails de l’affaire, bien connue et largement documentée par Médiapart, si ce n’est pour rappeler quelques caractéristiques bien souvent communes à la plupart des affaires dénoncées.
Outre l’habituel « c’est celui qui dit qui est », on retrouve le plus souvent chez les personnes incriminées un sentiment d’impunité dont Fabrice Arfi se fait l’écho ce jour dans une interview donnée à Brut ici.

Ces deux éléments, confirmation d’une peine de prison ferme et sentiment d’impunité, sont loin d’être isolés l’un de l’autre, bien au contraire, il nous apparaît qu’il existe une corrélation forte.
Beaucoup de lanceurs et au premier chef parmi les fondateurs de MM. pourront attester que ce sentiment d’impunité est bien plus que partagé dans le monde politique et le monde des affaires, qu’ils constituent même l’un des paramètres de la réalisation d’opérations illégales.
Quel lanceur n’a pas entendu dire de la bouche de sa propre hiérarchie que de toute façon « on ne s’en prend jamais aux banques », (ou autre grosse entité), « nous sommes intouchables » ?
C’est bien parce que ce sentiment d’impunité fait partie intégrante à certains niveaux de hiérarchie, de l’exercice même du métier, c’est bien parce que ce sentiment d’impunité est intégré par les personnels en situation d’autorité ou de pouvoir, que la banalisation d’agissements contraires aux règles ou à la loi est devenue courante dans certains métiers. En un mot, « pourquoi se priver » quand on sait qu’il est intégré au sein de la profession et pire au sein des entités chargées de la contrôler, voire même de la justice, que la probabilité d’être poursuivi ou pire condamné pour agissements illicites est extrêmement faible. La hiérarchisation des entreprises joue également dans cette situation où l’on constate souvent que ceux qui sont à la manœuvre prennent soin de mêler ou d’exposer les hiérarchies en amont ou en aval pour s’assurer leur propre protection. Et tant qu’à faire dans l’illégalité, tout le monde a intégré le « plus c’est gros plus ça passe ».
Au-delà de cette constatation, il importe de comprendre que si ce sentiment semble si largement répandu au sein des organisations, c’est sans doute parce que la justice aurait échoué dans l’une de ses missions, à savoir l’exemplarité.
Il ne peut y avoir de justice sans peine, il ne peut y avoir de justice rendue au bénéfice de la collectivité si elle n’a pas pour fonction de montrer l’exemple.
Nous en revenons au cas de Monsieur Cahuzac. Même s’ils condamnent ses agissements, certains nous expliquent aujourd’hui qu’ils ne souhaitent à personne d’être condamné à une peine de prison ferme. Au-delà du fait que beaucoup de lanceurs vous diront qu’il peut y avoir des peines bien pires que celle de la prison, ce type de réflexion nous semble hors sujet car il faut bien voir que la peine ne sanctionne pas l’homme mais ses agissements dont il est à tout moment pleinement responsable.
Nous pensons au contraire que la justice serait bien éclairée à retrouver sa fonction d’éducation qui passe aussi par des peines conformes aux faits reprochés, évitant ainsi que se propage ce sentiment bien réel d’une justice à deux vitesses, celle des petits délits et celle des « cols blancs ».
Au-delà de ce constat et on l’aura compris, l’objectif est de refouler ce sentiment d’impunité et ce cercle vicieux où l’absence de peine exemplaire conduit à la reproduction d’actes délictueux qui eux-mêmes ne sont pas ou peu sanctionnés.
Il n’est pas inutile de rappeler comme le fait Fabrice ARFI dans l’interview, qu’il s’agit encore une fois d’une spécificité bien française, des cas similaires à l’affaire Cahuzac en France, pouvant être documentés dans des pays démocratiques comparables, donnant lieu le plus souvent à des condamnations fortes agrémentées de peines de prison fermes.
Ceci expliquant sans doute cela, le nombre d’affaires dans ces pays, est sensiblement inférieures…

MM.

Paradis fiscaux, un petit effort ?

Profitons de la publication par l’Association Tax Justice Network (TJN) de sa liste des paradis fiscaux (actualisée tous les deux ans) pour montrer, s’il en était encore besoin, la vacuité de celle récemment présentée par l’Union Européenne.

Là où l’Europe publie une liste des paradis fiscaux (si on peut l’appeler encore ainsi), basée sur des compromis politiques obscurs, celle de TJN prend en compte toute une batterie d’indices (à consulter ici), notamment le poids de chaque pays dans les flux financiers internationaux, lui permettant de déterminer en autre un indice d’opacité financière et surtout « a secrecy score » offrant une comparaison plus judicieuse entre les pays.

A ce titre, comme par magie, les grands oubliés de la liste européenne tels la Suisse, le Luxembourg ou le Panama, réapparaissent à des places très honorables !
Vous pouvez consulter la liste complète du Financial Secrecy Index 2018 de TJN ici.

Comme dans beaucoup d’autres domaines, ce type de classement ne vaut que par la méthodologie retenue, dépourvue de toutes considérations de nature politique.
Force est de constater que celle proposée (imposée) par le bon docteur Moscovici, au delà d’être totalement insuffisante au regard des critères retenus, fait avant tout l’objet, ce qui pour ainsi dire constitue sa seule méthodologie, d’arrangements politico-financiers qui lui enlèvent par conséquent, toute crédibilité.

D’un point de vue démocratique, il serait légitime que l’Europe confie l’établissement de ce type de liste à des organismes indépendants (tels TJN ou OXFAM aux résultats très proches et ce, via des méthodologies différentes), qui s’imposeraient à elle.

Suisse et Etats-Unis en tête : le vrai classement des paradis fiscaux

Au final rappelons que la lutte contre la fraude fiscale relève avant tout d’une volonté politique.
Lutter contre l’évasion fiscale c’est abattre les compromissions politiques et étatiques, mettre fin à de sombres arrangements passés avec la finance qui a pris le pouvoir sur le politique et le législatif.
Pour tous ceux ayant touché de près à la mécanique des flux financiers internationaux, inutile de mettre en oeuvre une armée de contrôleurs et de voter une myriade de textes de réciprocité, l’exemple Américain démontrant que lorsqu’il y a une réelle volonté politique, les caisses de l’Etat savent récupérer ce qui leur est dû.

MM.