«Un pognon de dingue»

D’accord, le titre de cette tribune est un peu facile, d’un autre côté nous ne pouvions que l’utiliser…

MetaMorphosis parlait récemment (ici) budget et dette publics à l’occasion d’un énième rapport de la Cour des Comptes sur les finances de L’État. On s’étonnait à cette occasion, de cette obsession de nos politiques (non exempte d’arrière-pensées les concernant) mais également de l’Institution de la rue Cambon, de réduire le budget de la Nation aux seules dépenses. Si déficit il y a, c’est que les dépenses sont soit mal employées, soit trop importantes. Il est étonnant et sans doute très révélateur que l’autre composante essentielle pour ne pas dire première (sans elles, pas de dépenses) du budget, les recettes, ne soit jamais, ou seulement à la marge, évoquée. On pourrait en effet tenir le même type de réflexion ou de remarque, en s’interrogeant sur la nature même de ces recettes et de leur efficace ou non collecte. C’est un exercice qui n’est quasiment jamais effectué par nos politiques et instances en charge du suivi des comptes de la Nation.

Quelques informations dans l’actualité viennent agrémenter ce questionnement.

Une brève du Monde du 17 Juillet sous le titre «La lutte contre la fraude fiscale a moins rapporté en 2017» (ici) :
«La lutte contre la fraude fiscale a moins rapporté aux finances publiques en 2017, selon le rapport annuel de la direction générale des finances publiques (DGFiP) rendu public mardi 17 juillet. Sur l’ensemble de l’année, les redressements fiscaux ont atteint 17,9 milliards d’euros, soit un repli de 1,6 milliard par rapport à 2016 (19,5 milliards), et de 3,3 milliards par rapport à 2015, année marquée par un niveau de redressements record (21,2 milliards)».
En soi, ce n’est pas une baisse très importante. Mais l’interrogation nous semble être ailleurs, dans le fait qu’une baisse puisse être enregistrée. Dans ce type d’action, dont on nous dit depuis plusieurs années qu’elle est une préoccupation essentielle des différents gouvernements, l’expérience devrait conduire, par la connaissance des mécanismes de fraude et d’évasion qu’elle apporte aux services concernés, à un genre d’effet multiplicateur des redressements. Que certaines années comme 2015 puissent être exceptionnelles est compréhensible, il est par contre clair que la tendance sur trois ans est à la baisse.
Il y a d’autant plus matière à être très étonné d’un tel «trend» quand on se rappelle l’emphase avec laquelle le Ministre des comptes publics nous avait vendu l’impérieuse nécessité de maintenir le «verrou de Bercy» au nom de l’incommensurable efficacité de ce dispositif par rapport à la justice.
Nous ne savons pas si les juges seraient plus efficaces (et pour cause), par contre l’efficacité vantée par le gouvernement n’est pas, dans les chiffres, au rendez-vous.

Redonnons la parole aux Services fiscaux : «…le directeur général des finances publiques, Bruno Parent, explique les fluctuations de ces deux dernières années par deux facteurs. Le premier concerne la baisse du régime du service de traitement des déclarations rectificatives (STDR), mis en place en 2013 pour favoriser la régularisation des évadés fiscaux, et qui a officiellement fermé ses portes le 31 décembre 2017».
«L’autre explication tient à la baisse des dossiers dits « exceptionnels ». En 2015, plusieurs gros redressements liés à des multinationales avaient été notifiés par Bercy».

Résumons : la politique de lutte contre la fraude fiscale du gouvernement français repose sur deux axes, l’auto-dénonciation et les bons coups, en un mot une politique du type «sur un malentendu, ça peut le faire !».

Bien évidemment, si on parle lutte contre la fraude fiscale, on parle recettes. Selon des statistiques et estimations aujourd’hui communément admises, le manque à gagner en recettes fiscales serait pour la France au bas mot de 60 milliards d’euros par an (estimation basse). Une fois que l’on a fait ce constat, la seule chose qui importe est la politique et les moyens mis en œuvre pour recouvrir une telle somme. Quand on entend les discours précédents, on se dit qu’il n’y a guère de volonté politique pour tenter de remplir l’objectif.
Sans doute, volonté et efficacité sont intimement liées et passent par une soumission de tous au régime de droit commun, à une judiciarisation intégrale et sans exception des délits fiscaux, modèle le plus démocratique et efficace, comme on le voit en d’autres domaines, pour l’État de recouvrir tant de recettes perdues et ainsi s’éloigner des comportements de petits comptables des dépenses.
Il y a «le pognon de dingue» qui n’est pas encaissé sous forme de recettes fiscales, mais il y a également «le pognon de dingue» que certains coûtent à la collectivité. Non, nous ne parlons pas des «honteuses» dépenses de quelques centaines de millions d’euros (qui au passage remplissent pour la plupart très bien leur rôle), mais des dizaines de milliards que coûtent à la collectivité ceux qui sont «les seuls à créer de la richesse».
Sans doute, mais avec quel «pognon» et sur le dos de qui ?

Le 09 Juillet 2018, Bastamag (ici) s’est fait l’écho d’une étude originale publiée par l’Observatoire des multinationales (l’étude en question au format PDF : ici) sous le titre «Le véritable bilan annuel des grandes entreprises françaises».
L’objectif de l’étude y est décrit ainsi : «L’Observatoire des multinationales publie le premier «véritable bilan annuel» des multinationales françaises. Cet exercice inédit permet à tout un chacun d’aller au-delà de la comm’ et du jargon financier pour examiner ce que font réellement les grandes entreprises françaises dans des domaines aussi divers que le partage des richesses, la protection du climat, les droits des travailleurs, le lobbying ou la santé».

Bastamag en a fait une lecture critique : «Les vrais assistés de la société française ne sont pas forcément ceux qui sont le plus souvent montrés du doigt. Les gouvernements successifs ont fait de la préservation de la «compétitivité» des entreprises françaises leur mantra. «Compétitivité» qui s’est traduite par des allègements de cotisations sociales, par une précarisation de l’emploi, par des cadeaux fiscaux toujours plus importants, et qui a également servi à justifier l’absence d’action ambitieuse pour s’attaquer à la pollution de l’air ou réduire nos émissions de gaz à effet de serre».

L’étude de l’Observatoire des multinationales examine les «coûts sociétaux» imposés à la collectivité (l’État, les collectivités locales et la sécurité sociale) par cinq grandes multinationales françaises : Total, Michelin, Renault, EDF et Sanofi, du fait de mesures de moins-disant social, fiscal et environnemental destinées à préserver leur «compétitivité».
Résultat : le fardeau financier imposé chaque année aux budgets publics par ces entreprises s’échelonne entre 165 et 460 millions d’euros par an (soit une moyenne de 300 millions d’euros par entreprise). C’est davantage que le montant des impôts que ces entreprises versent chaque année en France. Or, l’impôt sur les sociétés n’est pas tant destiné à compenser les «coûts sociétaux» qu’à financer les infrastructures, le système éducatif ou judiciaire, dont ces entreprises ont aussi besoin pour fonctionner.
On pourrait encore aller plus loin dans le raisonnement comme le rappelle le site d’information : «Et encore, cette estimation ne prend en compte que les coûts réels et tangibles déjà encourus par la collectivité. Si l’on incluait les coûts subis par les particuliers sur le long terme, ou des coûts intangibles calculés par certains économistes, comme le prix d’une vie humaine en bonne santé, le fardeau imposé par ces multinationales à la société atteindrait rapidement des hauteurs stratosphériques, effaçant les bénéfices qu’elles réalisent chaque année».

Comme pour la fraude fiscale, nous serons tous d’accord pour dire que les politiques de soutien à la «compétitivité» de nos entreprises sont coûteuses. Ici aussi, au-delà du constat, ce qui importe est de pouvoir répondre à la question «sont-elles au moins efficaces?».
Les chiffres collectés par l’Observatoire des multinationales suggèrent que non. Toutes les entreprises étudiées, à l’exception d’EDF, ont vu leur effectif en France diminuer depuis 2010, alors même que leur effectif mondial et leur chiffre d’affaires cumulé croissaient de plus de 10 % sur la même période. Une tendance que l’on retrouve à l’échelle de tout le CAC40 qui a vu ses effectifs en France baisser de 20 % depuis 2010, malgré un chiffre d’affaires en hausse. Sur la même période, les dividendes ont bondi de 44 %.

Que ce soit une privatisation des bénéfices et/ou une mutualisation des coûts… dans les deux cas c’est «un pognon de dingue», mais pour qui ?

MM.

Sanofi, un groupe pharmaceutique qui vous veut du bien

Une «bonne» nouvelle et quelques questions…

La «bonne» nouvelle c’est le journal Le Monde du 09 Juillet 2018 qui s’en fait l’écho (ici) : «Le groupe pharmaceutique a annoncé, lundi, l’arrêt immédiat de la production de son usine chimique, devant le tollé suscité par des informations sur ses émissions hors norme de rejets toxiques », « afin d’opérer les améliorations techniques indispensables à un retour à la normale ».
En cause, des rejets dans l’atmosphère de substances dangereuses dans des quantités très supérieures aux limites autorisées. «Toutes les conditions en matière d’émissions et d’absence de risques pour les salariés et les riverains devront être réunies pour que l’État puisse autoriser une reprise de l’activité du site», a indiqué le gouvernement mardi 10 juillet.

On a bien fait de mettre des guillemets à bonne pour « bonne » nouvelle. À la limite, ça ne devrait même pas être une nouvelle… ou alors nous n’avons plus qu’à nous réjouir qu’une entreprise pharmaceutique qui ne respecte pas les règles élémentaires qui lui sont imposées, qui s’en rend compte mais ne fait rien, décide, parce que la presse s’en empare, de stopper son petit jeu de massacre. Nous devrions même lui donner une médaille pour cet acte de bravoure !

Parce que malheureusement, nous en sommes un peu là : un politicien corrompu qui est condamné à un ou deux ans de sursis, et le pays d’applaudir et de louer la sévérité de la justice, alors qu’il aurait pris du ferme et beaucoup plus dans la plupart des autres pays européens. Une banque qui négocie (et donc est exemptée de toute condamnation judiciaire) une amende de dix millions d’euros, et le peuple qui se réjouit que les fautes soient punies, sans que personne ne se demande combien de profits l’entreprise a pu engranger avec ses malversations.
Applaudissons tous en cœur l’extraordinaire acte de bravoure de Sanofi… et surtout pas de mauvais esprit à reparler du scandale maison de la Depakine.

Donc «aux grands maux, les grands remèdes», l’arrêt immédiat de l’usine a été annoncé ce 09 juillet. Dans un souci d’exactitude, on rappellera néanmoins qu’en octobre 2017, les rejets toxiques constatés dépassaient déjà toutes les normes… Si le temps ne fait rien à l’affaire, il aura quand même fallu attendre (quoi?) pour enfin décider d’interrompre «momentanément » toute production afin effectuer sur le site les travaux nécessaires pour un retour à la normale des valeurs. « Mieux vaut tard que jamais » dira l’optimiste, on peut donc se féliciter sur ce point et ne plus porter trop d’attention aux premières expertises alarmantes qui semblent s’être évaporées en même temps que les rejets incriminés.

Tout ceci pour nous ramener au sujet de l’alerte. Si alerter, que ce soit de la part de lanceurs -dont ce peut être l’obligation professionnelle mais en aucun cas le métier- ou d’autorités de contrôle dédiées -dont c’est la raison d’être- c’est prévenir pour que soit mis fin aux dysfonctionnements constatés; ne rien entendre ou tenter de minimiser le problème est un manquement grave à l’exercice de sa mission.
Dans le cas présent la passivité (pour ne pas dire plus) de l’entreprise et des autorités publiques, aurait pu avoir raison de la santé des riverains sans que des médias décident d’assumer d’alerter conduisant à la décision que l’on connaît.
Une fois de plus nous avons confirmation : nous ne pouvons guère faire confiance à un auto-contrôle des entreprises, le «rien faire», synonyme de dépenses non engagées, étant toujours (et on pourrait même dire « naturellement ») la décision privilégiée ; les autorités de contrôle sont déficientes ou inefficaces, en l’absence de moyens, d’un réel pouvoir de contrainte et d’une véritable autonomie par rapport aux industriels, elles ne remplissent que d’une façon parcellaire leur mission.

Revenons tout de même à la question centrale : comment Sanofi peut-elle sciemment rejeter jusqu’à 190 000 fois la norme autorisée de bromopropane, une substance classée comme cancérigène, mettant en danger la santé de ses salariés et des habitants de Mourenx ?
D’après le journal Mediapart qui a révélé l’affaire (ici), Jade Lindgaard, auteur de l’article va plus loin dans son enquête : «Mais les anomalies de l’usine de Sanofi à Mourenx ne s’arrêtent pas là. C’est lors d’une visite d’inspection, en septembre 2017, que des inspecteurs de l’environnement ont découvert que deux cheminées du site ne faisaient l’objet d’aucune mesure alors que le suivi des rejets de COV est obligatoire. Ils l’ont donc réclamé.
Sanofi s’est plié à leur demande plus d’un mois plus tard, en octobre. Les dépassements astronomiques de rejets de COV sont signalés dans une note interne de février 2018 »
et de rajouter que « Selon Patrick Mauboulès, de la Sepanso (Société pour l’Étude, la Protection et l’Aménagement de la Nature dans le Sud-Ouest), la situation est d’autant plus inquiétante qu’il y a des raisons de penser que ces rejets excessifs se produisent depuis 2012, date de la mise en place d’un nouveau procédé de fabrication sur le site ».
Question: Entre 2012 et 2017 aucun contrôle n’aurait été ni fait ni réclamé, pas même pensé?

Voilà donc un nouvel adage pour une nouvelle ère : «qui va vérifier s’il y a des anomalies, s’expose à en trouver».
C’est bien connu, alerter étant source d’angoisse, mieux vaut se taire… En effet, toujours selon Mediapart, «Patrice Laurent, le maire de Mourenx, dont certains habitants vivent à quelques dizaines de mètres du site, a appelé à ne pas alerter la population et à respecter «la sérénité», pour continuer à vivre et travailler en sécurité sur cette zone».
Tout va bien puisque «à la suite d’une rapide étude des risques sanitaires, le groupe Sanofi considère que les rejets de son usine ne sont pas dangereux pour la santé des riverains».
On a eu chaud ! Si ignorer le danger c’est «travailler en sécurité» , alors ignorer le thermomètre en cas de fièvre, c’est vous garantir la pleine forme ?

Ne rien voir, ne rien entendre, ne rien dire.
Il nous manquait le dernier pied pour que la chaise soit bien stable, « ne rien faire » : «Représentants écologistes et syndicaux s’alarment, mais l’État ne sanctionne pas».

MM.

Billet humeur : les allemands sont devenus fous !

Il n’y pas de quoi être fier, Messieurs les allemands !

Dans son édition du 19 Juin 2018, Le Monde publie un article «Dieselgate : le PDG d’Audi arrêté en Allemagne» (ici) qui a fait les gros titres de la presse européenne.
On y lit: «Rupert Stadler, le président du directoire d’Audi, filiale du constructeur automobile allemand Volkswagen, a été placé en détention provisoire lundi 18 juin, et suspendu de ses fonctions par le groupe quelques heures plus tard.
Il s’agit de la la première incarcération d’un très haut responsable dans l’enquête tentaculaire sur le scandale des moteurs diesel truqués»
.
Dans une déclaration, le porte-parole de Volkswagen a rappelé que M. Stadler bénéficiait de la présomption d’innocence. Voilà une déclaration pleine de bon sens qui replace cette affaire dans la bonne direction…

Parce que si nous voulons bien nous donner la peine d’y regarder d’un peu plus prés, en s’inspirant de la grande histoire de la démocratie française, il y a quelque chose de pourri dans la République germanique:
Voilà donc un pays où la présomption d’innocence ne vaut pas immunité…
Voilà donc un pays où ceux en responsabilité peuvent être reconnus responsables de leur actes ou décisions…
Voilà donc un pays où l’on arrive même à concevoir qu’un «premier de cordée», quelqu’un qui a «réussi», puisse être impliqué dans une fraude à grande échelle, dans une arnaque au détriment de «ceux qui ne sont rien»…

Parce qu’enfin, on ne verra jamais ça chez nous.
À raisonner ainsi, on mettra demain en détention provisoire un président d’une société sous prétexte que cette dernière a financé une organisation terroriste qui a fait des centaines de morts sur le territoire français…
À raisonner ainsi, on trouvera choquant demain qu’un président d’une société qui, sous son autorité, a perdu des parts de marché, a connu une forte détérioration de son cours de bourse et a procédé à des milliers de licenciements, puisse partir avec des dizaines de millions de bonus et retraites divers…
À raisonner ainsi, on trouvera anormal qu’une présidente d’une grande entreprise publique achète plusieurs milliards d’euros « ce qui ne vaut rien » et alors même qu’elle en est informée…
À raisonner ainsi, on enverra des politiciens corrompus en prison…
Un cauchemar, n’est-ce pas ? ! Pas de ça au «pays des droits de l’homme».

Mais le cauchemar de M. Stadler ne s’arrête pas là.
«Le parquet de Munich a confirmé cette arrestation, expliquant qu’elle avait été décidée en raison du risque de le voir supprimer des preuves. Le parquet avait mis en cause fin mai pour «fraude» M. Stadler ainsi qu’un autre membre du directoire».
Les mots ont quand même un sens. Si l’on comprend bien, le parquet munichois s’autorise à penser que ce «grand capitaine d’industrie» pourrait soustraire à la justice des preuves en les détruisant, qu’il pourrait en un mot avoir un comportement de voyou. On croit rêver ! Comme si de telles pratiques pouvaient exister chez ces gens-là.
Pourquoi -puisqu’ qu’on y est- ne pas accuser une grande banque d’avoir instrumentalisé la justice dans l’instruction d’une affaire retentissante post-2008 ?…
Pourquoi -puisqu’on y est- ne pas penser que si un ancien président de la République utilise des téléphones à prête-noms, comme un vulgaire dealer d’une banlieue pleine de racailles, c’est pour soustraire des informations aux services d’enquête judiciaire ?…

Sur ce point aussi l’Allemagne n’a qu’à s’en prendre à elle-même. Elle a beaucoup de retard dans l’adaptation de ses lois aux standards d’un État moderne. Qu’elle prenne exemple sur la France : «droit à l’erreur», «plaider-coupable», «amende contre condamnation», musellement de la presse, criminalisation des lanceurs d’alerte, «verrou de Bercy», «loi secret des affaires»… nous avons su, avec brio, mettre en place tout un arsenal de protection des «premiers de cordée».
Il faut vraiment être mauvais en 2018, si on est patron d’une grande entreprise, pour se faire rattraper par la justice.
Ou alors c’est pas de bol, à quand le «droit à pas de bol» ?

Pire, la justice allemande sous-entend que notre «premier de cordée» du jour qui aurait commis des «fraudes», serait donc un fraudeur. Parce que, il faut quand même le reconnaître, c’est pousser le bouchon un peu loin, franchement abusé.
Une fraude selon le Larousse est un «acte malhonnête fait dans l’intention de tromper en contrevenant à la loi ou aux règlements». Nos amis allemands ne comprennent décidément rien; aucune intention de tromper dans l’action de truquer les moteurs diesel Audi; aucun acte malhonnête dans le fait de frauder, de mentir aux clients, de contrevenir aux lois et règlements. Tout ceci s’inscrit dans un intérêt bien supérieur, dans l’intérêt général des actionnaires et de la sauvegarde des emplois, totem magique qui semble être absent de la culture judiciaire allemande. Ça, les français l’ont, eux, bien compris. Question de bon sens!

C’est bien triste mais ne soyons pas impatients. Bientôt, pourquoi pas une loi postulant que l’intérêt général de «ceux qui ne sont rien» puisse se résoudre tout simplement dans l’intérêt particulier des «premiers de cordée». La boucle sera bouclée, nous serons revenus à l’Ancien Régime, et tous ceux qui gesticulent aujourd’hui pour défendre leur pré carré au motif que la défense de leurs intérêts catégoriels relève de l’intérêt général ne viennent pas se plaindre; ils auront ouvert grand la porte.

MM.

Polluons dans l’intérêt général !

Dans un article du 11 Juin 2018 sous la plume de Jade Lindgaard, «Huile de palme : duel entre pollueurs» (ici) Médiapart revient sur les actions menées actuellement par la FNSEA contre la décision du ministre Hulot d’importer massivement en France de l’huile de palme destinée à la raffinerie de Total à La Mède.

«Il y a plusieurs manières de lire le conflit qui oppose le syndicat agricole FNSEA au groupe Total au sujet de sa raffinerie de la Mède (Bouches-du-Rhône), qui doit produire 500 000 tonnes de biodiesel par an, à partir de cet été. Jusqu’à mercredi, des militants de la première organisation professionnelle agricole perturbent et parfois bloquent des raffineries et des dépôts de pétrole, afin de dénoncer notamment l’importation d’huile de palme pour fabriquer des agrocarburants».

Comme nous l’explique le site d’information, ce conflit entre d’un côté le monde agricole étiqueté FNSEA et de l’autre le groupe Total et le gouvernement, relève de trois discordes : un conflit économique où se mêlent des situations de monopole (celles de Total et du groupe Avril propriété d’un ancien patron de la FNSEA), des subventions massives et des situations de rentes ; un conflit douanier avec la signature d’accords de libre échange qui ne respectent pas les conditions normatives des productions hexagonales ; et un conflit environnemental avec le désastre écologique bien connu de l’huile de palme.

Au-delà de ces sujets de friction, Médiapart nous rappelle : «Ces trois discordes ne doivent cependant pas cacher la dimension souterraine mais déterminante de cet affrontement : c’est un duel entre deux pollueurs. L’impact de l’exploitation de l’huile de palme est catastrophique sur l’écosytème. Mais le bilan de l’agriculture productiviste défendue bec et ongles par la FNSEA est tout aussi destructeur pour l’environnement».

Ne craignant pas la récupération honteuse, la FNSEA, pour justifier son action, se décrit en «lanceur d’alerte pour les consommateurs» et n’hésite pas à proclamer que son action s’inscrit dans le cadre de la défense de l’intérêt général. Rien de très étonnant en fait, ce thème étant devenu la tarte à la crème de toutes les revendications professionnelles ou sectorielles, chacun cherchant à justifier le bien fondé de ses propres revendications catégorielles par une soi-disante nécessité de défendre l’intérêt général. Nous ne serions même pas étonné que Total en vienne à nous expliquer que son projet de La Mède s’inscrit également dans cette optique!

À la FNSEA, comme ailleurs, ce discours ne fait que cacher une défense bien comprise d’intérêts particuliers -même pas ceux de l’ensemble de la profession que le syndicat est censé défendre- quitte à utiliser des techniques de harcèlement des pouvoirs publics (beaucoup trop complices) comme nous le rappelle son histoire.

Dès sa fondation, en 1946, la FNSEA domine le paysage syndical. Par la suite, ni le MODEF (d’orientation socialiste), ni le CNJA (centre national des jeunes agriculteurs) ne pourront sérieusement menacer son monopole. Depuis le début, ce leadership convient parfaitement à l’État dont c’est l’unique interlocuteur. La France agricole de l’après-guerre vit une profonde mutation puisque en moins de vingt-cinq ans se met en place un modèle d’agriculture intensive qui fera de l’État français l’une des premières puissances agricoles d’Europe. La FNSEA a toujours soutenu cette orientation et, pour parvenir à ses fins, elle a, dès 1961, mis en œuvre l’emploi de la violence en organisant des manifestations particulièrement musclées dont les premières du genre se déroulèrent en Bretagne. Cette politique se révéla payante car les pouvoirs publics y cédèrent sur une série de revendications majeures.

Dans les décennies suivantes, au gré des crises (surproduction, sécheresse, etc), caillassages de préfectures, blocus de gares, descentes dans les supermarchés, etc deviendront monnaie courante. Le paroxysme sera atteint en 1976, quand des viticulteurs en colère tueront un commandant de CRS à la carabine approvisionnée en munitions pour gros gibier et en blesseront 28 autres. L’enquête n’aboutira jamais, conformément à une tradition d’impunité solidement ancrée.

A l’image de feu Xavier Beulin, les dirigeants FNSEA sont des notables souvent de droite, maires de leurs villages, administrateurs de coopératives, de la Mutuelle Sociale Agricole (MSA) et/ou du Crédit Agricole. Malgré l’organisation par la FNSEA de manifestations ayant causé des centaines de millions de dégâts, François Guillaume, après de bons et loyaux services (1979 à 1986) comme président de la FNSEA, devient ministre de l’agriculture sous Chirac, entre 1986 et 1988. Cette nomination est un signal clair en direction de la FNSEA et de ses méthodes. C’est une reconnaissance pure et simple, par l’État, de ses actions violentes ; pour le passé et l’avenir.
Au fur et à mesure, la FNSEA s’est professionnalisée et aujourd’hui son expertise est appréciée jusqu’à Bruxelles. Elle est devenue une entreprise capitaliste plus soucieuse de ses parts de marchés et de ses profits que du monde agricole et des agriculteurs.

Adhérer à la FNSEA, c’est aussi bénéficier de réductions diverses, façon comité d’entreprise, avec la «carte moisson» (réductions pour matchs de foot, pour décathlon, etc), y compris chez… le grand ennemi (carrefour & co). Les fédérations encaissent, au passage, un pourcentage sur les ventes ; ce qui revient à pratiquer ce que la FNSEA, elle-même, dénonce, à savoir, les marges arrières.

Malgré les manifestations fréquentes et spectaculaires, il y a une profonde identité de vue entre l’État et la FNSEA sur un objectif à long terme, connu sous le terme de PAC et fixé par la loi de modernisation de l’agriculture française de 1962 : bâtir une agro-industrie puissante, centralisée et fortement capitalisée. Si la FNSEA doit prendre quelques libertés avec les règles en chemin pour protéger et développer ce secteur, qu’elle les prenne. Les pouvoirs publics ferment les yeux. Dans une confusion des genres, Bernard Lannes de la Coordination rurale (proche de l’extrême-droite), concurrente de la FNSEA, dénonçait : «… la FNSEA [qui] organise des pseudo-manifestations pour râler contre des décisions prises en cogestion avec l’État».

Nous le voyons bien, nous sommes très loin de la défense de l’intérêt général.
Comme la plupart des grandes centrales syndicales, la FNSEA défend, en quasi co-gestion avec l’État et Bruxelles (qu’elle critique en permanence) un modèle bien précis d’agriculture qui ne profite qu’à une frange minime de ses propres adhérents. Le tour de force consiste à faire croire d’une part qu’elle agit dans l’intérêt de l’ensemble de sa profession, d’autre part, que ses combats sont au service de l’ensemble de la population.

Nous aimons bien les symboles à MetaMorphosis. Nous connaissions déjà la trésorerie pléthorique de la CGT et ses dizaines de millions d’euros de placements financiers (les banques lui disent merci !), maintenant sachez que si vous devenez membre de la FNSEA vous obtiendrez une carte fidélité Carrefour !
C’est un clin d’œil qui nous plait bien.

MM.

« Les vacances de Monsieur Hulot »

Les vacances de Monsieur Hulot

«Les vacances de Monsieur Hulot», film de Jacques Tati de 1953.Monsieur Hulot est un personnage échappé du cinéma muet dans le monde du parlant. Il se heurte à la technologie, à un monde impersonnel et gadgétisé. Jacques Tati s’est servi de ses capacités de mime pour le confronter aux dérèglements, aux rites et au ridicule d’un monde en mutation. Il s’est inspiré pour la création de son personnage, de son voisin architecte, le grand-père de Nicolas Hulot.Ça tombe bien car c’est justement de Nicolas Hulot dont on voulait parler, ou plutôt «Les vacances du ministre Hulot», ministre de la transition écologique et solidaire.La suite ici : http://meta-m.org/index.php/2018/06/09/les-vacances-de-monsieur-hulot/

Publiée par MetaMorphosis sur samedi 9 juin 2018

«Les vacances de Monsieur Hulot», film de Jacques Tati de 1953.
Monsieur Hulot est un personnage échappé du cinéma muet dans le monde du parlant. Il se heurte à la technologie, à un monde impersonnel et gadgétisé. Jacques Tati s’est servi de ses capacités de mime pour le confronter aux dérèglements, aux rites et au ridicule d’un monde en mutation. Il s’est inspiré pour la création de son personnage, de son voisin architecte, le grand-père de Nicolas Hulot.

Ça tombe bien car c’est justement de Nicolas Hulot dont on voulait parler, ou plutôt «Les vacances du ministre Hulot», ministre de la transition écologique et solidaire.
Si l’on demande à Woerth -pour diriger la commission des finances de l’assemblée- d’être juste un bon président, pas nécessairement intègre, il n’y a pas de raison que l’on exige de monsieur Hulot d’être un écologiste à la tête de son ministère. D’ailleurs, n’a-t-il jamais été écologiste ?
En fait, on n’en sait pas grand-chose. Bon businessman c’est sûr, parvenant à se faire rémunérer par les plus grands pollueurs de la planète, réalisateur d’émissions télé à succès même si on apprécierait bien voir l’envers du décor comme pour Cousteau -et l’on risquerait d’avoir quelques surprises- bon ministre aussi car apprécié de ses patrons, mais il faut dire qu’il se donne du mal à leur ressembler. Il nous a tout de même gratifié récemment d’un grand classique de la politique politicienne dont il se vante être si éloigné; sur France-Inter, à la question d’un journaliste lui demandant si la non-inscription de la sortie du glyphosate dans la loi alimentation n’était pas un recul, un rendez-vous raté, il a répondu qu’il s’agissait selon lui d’un rendez-vous «incomplet». Décidément, on a beaucoup de mal à comprendre sur quelle planète vivent ces gens, étymologiquement un rendez-vous (qui est la rencontre entre deux ou plusieurs personnes à un endroit et un moment défini d’avance) a lieu ou n’a pas lieu. Hulot était seul à la rencontre et comme s’étant parlé à lui-même, très certainement a-t-il cru que le rendez-vous avait eu lieu ?!
Et dans tout ça, Hulot est-il écologiste ? Ça aurait pu être une question…

Comme Monsieur Hulot (celui des films), cherchons quelques indices dans l’actualité. Tout d’abord dans Libération du 09 Juin 2018, un article assez complet sur l’huile de palme sous l’intitulé «Biocarburant : Total jette de l’huile de palme sur le feu», ici.
Mercredi dernier, grâce au feu vert du ministre Hulot, la préfecture des Bouches-du-Rhône a autorisé le groupe Total à exploiter une bioraffinerie sur son site de la Mède, près de l’étang de Berre. Dès cet été, Total importera au moins 300.000 tonnes d’huile de palme par an, ce qui représente une augmentation des importations françaises de ce produit de 36%.
En juillet 2017, en présentant son plan climat, Nicolas Hulot proposait de «fermer la fenêtre d’opportunité qui permet d’incorporer de l’huile de palme dans les carburants». Mais dès sa nomination, le ministre a vite choisi de faire machine arrière. L’huile de palme a beaucoup de qualités : elle est facile à cultiver, et donc peu coûteuse; c’est un produit très stable, qui résiste à la chaleur et à l’oxydation; elle est facile à «travailler» dans un processus industriel.
Mais comme nous le savons tous, c’est une horreur. D’une part pour la santé des consommateurs (forts taux d’acides gras saturés…) mais aussi pour l’environnement.
Pour l’extraire, on se livre en Indonésie et en Malaisie (90% de la production) à une déforestation monstrueuse, afin de planter des palmiers à huile. Or, qui dit déforestation dit massacre des derniers orang-outans et des gibbons, destruction de la biodiversité, brûlis extrêmement polluants, expropriations de villages… Mais aussi aggravation du réchauffement climatique. Car, comme le rappelait Hulot avant qu’il ne soit ministre, «la déforestation est responsable de 10% des émissions de gaz à effet de serre mondiales».
Selon une étude commandée en 2016 par la Commission européenne, l’huile de palme est trois fois plus néfaste, en terme d’effets de serre, que les énergies fossiles.
La décision de Hulot est a priori incompréhensible. Elle est contraire aux intérêts des producteurs français de colza. Elle est contraire aux intérêts de la planète – et il n’y a pas et n’y aura de «planète B», pour paraphraser Macron qui jure avoir fait de la lutte contre le réchauffement climatique sa priorité. Elle est contraire à l’avis du Parlement européen qui, en janvier 2018, a voté la suppression de l’utilisation d’huile de palme dans les carburants d’ici 2021.
Pourquoi alors cette décision de Hulot ? Deux explications. D’une part un lobbying efficace de Total qui cherche à sauver son site de la Mède. D’autre part, une explication, plus cynique encore : la France vend des armes et des avions vers l’Indonésie et la Malaisie, et ces pays menacent de ne plus acheter ces engins si Paris nuisait à leurs exportations. On en revient à un grand classique français : « si c’est bon pour l’emploi ! »

Moralité : Macron, malgré les beaux discours, n’a que faire du climat et fait de la politique (avec de vieux arguments) ce qui est cohérent avec sa vision productiviste de l’économie et Hulot n’est pas sérieusement écologiste et qui plus est, est devenu au regard de sa capacité à se renier, un excellent politicien.

Autre indice. L’Observateur revient le 08 Juin sur la crise de l’apiculture avec le témoignage d’un professionnel du secteur sous le titre «Cet apiculteur a rencontré, jeudi, Nicolas Hulot. Mais il n’a rien obtenu de concret», ici.
Partout en France, les apiculteurs se sont mobilisés à l’appel de la Confédération paysanne et d’organisations apicoles, jeudi 07 Juin, pour demander un plan de soutien pour la sauvegarde des abeilles. Le ministre de la transition écologique et solidaire, Nicolas Hulot, est venu à leur rencontre aux Invalides à Paris. «Tous ces sujets, on les a mis sur le tapis», (des mauvaises langues diront plutôt «sous le tapis» !) a assuré Hulot à des apiculteurs inquiets, notamment sur la sortie du glyphosate, «ce qui est important c’est que ce soit irréversible, programmé, et qu’on essaie que personne ne soit dans une impasse». Le ministre leur a promis de voir ce qui est possible de faire pour les aider. Ça fait plaisir et ça ne mange pas de pain…
Après leur rassemblement sur la place des Invalides, les apiculteurs ont pris la direction du Palais de l’Élysée avec leurs cadres d’abeilles décimées. Ils voulaient réaliser une action symbolique avant d’être reçus par le ministre de l’Agriculture dans l’après-midi, mais… ils ont été interrompus dans leur marche par les forces de l’ordre.

Derrière tout cet habillage médiatique, quelle réalité, quelles décisions, quelles actions, monsieur Hulot ?
Notre apiculteur ne semble pas convaincu, nous non plus.

Au final ce n’est pas tant le ministre Hulot qui est en vacances, mais bien l’écologie.

Un petit souvenir?

MM.

« Je m’appelle Karim Ben Ali… » – Paroles de Résistances

Un long et beau témoignage du lanceur d’alerte d’ArcelorMittal, tenu ce jour au plateau des Glières, haut lieu de la Résistance –

« Je m’appelle Karim Ben Ali, chauffeur routier depuis l’âge de 19 ans. Je suis père de trois enfants et j’ai été obligé de quitter la région où je vivais avec ma famille, où je travaillais parce que j’ai montré comment des sociétés pourrissent la planète et la vie des futures générations.

Comme intérimaire pour Suez-Environnement, j’ai conduit des camions de déchets chimiques provenant de l’usine Arcelor Mittal de Florange et répertoriés comme dangereux.

Je n’avais pas de formation spécialisée pour le transport et la manipulation de produits dangereux, mais cela devait probablement leur coûter moins cher et comme beaucoup, j’ai besoin de travailler.

A la fin de l’année 2016, on me demande d’aller déverser au crassier de Marspich, en pleine nature, les produits chimiques chargés dans le camion que je dois conduire, ce qui évite de payer le traitement dans un centre spécialisé! Je ne le savais pas à l’époque, mais d’autres avant moi l’ont fait et le disent aujourd’hui.

J’ai filmé ça avec mon téléphone, simplement parce que face au mensonge du discours officiel de la protection de l’environnement je ne pouvais pas garder ça pour moi et me taire. Je le dois à mes enfants mais aussi à tous ceux qui n’acceptent pas que l’on détruise l’avenir et la santé des générations futures.

J’ai d’abord alerté, les personnes qui travaillaient chez Suez et Arcelor Mittal car je pensais qu’ils ne savaient pas. Mais l’affaire a été enterrée jusqu’à ce qu’une journaliste de France Bleu rediffuse la vidéo et qu’il y ait cinq millions de vues sur Internet. C’est là que mes ennuis ont commencé.

Arcelor Mittal a dit qu’ils n’étaient pas au courant, ils ont dit que je mentais. Je n’ai plus pu retrouver du travail alors que je n’ai jamais eu de problème comme chauffeur.

Comme bien d’autres qui sont venus témoigner ici de leur parcours, j’ai pété les plombs et j’ai été hospitalisé, n’arrivant pas à supporter la pression de cette affaire pourtant si simple.

C’est moi qui ai ramassé et non pas ceux qui m’ont fait manipuler les produits dangereux sans protection. Aujourd’hui, j’ai perdu le goût et l’odorat, j’ai les yeux qui sont fragiles et ma santé générale est précaire.

Arcelor a déclaré que les produits déversés n’étaient pas de l’acide, mais j’ai rapporté la preuve grâce à la plaque qui identifie le chargement que je n’ai pas menti. Pourtant, dans la vallée je suis devenu un paria, je me fais régulièrement insulter par certains qui craignent sans doute une fermeture du site d’Arcelor Mittal.

Mon chef d’équipe disait qu’on avait toujours fait comme ça chez Arcelor, ils savaient que c’était de l’acide mais ça ne dérangeait personne, c’était la routine. Je suis donc allé voir la police et on m’a dit qu’on ne pouvait rien faire. En janvier 2017, j’ai envoyé les vidéos à François Hollande ainsi qu’au ministère de l’écologie, je n’ai eu aucun retour.

J’ai aussi transmis les vidéos à un sapeur-pompier. Au lieu d’en informer sa hiérarchie et le préfet, il a couru au service écologie d’Arcelor qui a enterré l’affaire … Le point positif c’est qu’ils ont immédiatement arrêté de déverser l’acide au crassier. Mais à partir de ce moment-là j’ai été blacklisté dans la région. J’ai donc médiatisé l’affaire en juillet 2017, grâce à une journaliste.

Arcelor Mittal a immédiatement démenti son implication ainsi que le risque écologique et sanitaire, Ils ont évidemment déposé une plainte en diffamation que la Procureure de la République a décidé d’instruire.

Les dirigeants d’Arcelor Mittal qui étaient au courant depuis janvier 2017 et savaient que la vidéo finirait par sortir, ont eu le temps de préparer leur défense.

Une enquête pénale a été ouverte par le parquet de Thionville suite à la diffusion de la vidéo. J’ai été convoqué par les enquêteurs et si ma première audition s’est bien passée, la seconde a été très difficile. Aujourd’hui j’ai toutes les peines du monde à obtenir des informations de la part du parquet.

J’ai engagé une procédure aux Prud’Hommes mais vu que je travaillais pour une société d’intérim je n’aurai pas grand-chose.
On nous parle de la Loi de protection des lanceurs d’alerte, mais je suis la preuve de son inefficacité. Hormis les vidéos que j’ai tournées et qui me semblaient largement suffisantes pour informer les directeurs de l’usine, je n’ai pas constitué un dossier juridique comme le voudrait la Loi. Les mouchards du camion : disparus, l’enquête de la Procureure de la République au ralenti … par contre pour moi c’est la galère assurée.

Où est cette soit disant protection des lanceurs d’alerte qui transmettent une information d’intérêt général ! Pas d’aide financière, pas de reclassement professionnel, fin de droit puisque personne ne veut me réembaucher, difficultés familiales, car toute ma famille se trouve sous la pression.

Rien n’est fait pour aider ceux qui révèlent la triche, le mensonge, la pollution et la mise en danger des générations futures..

Neuf mois après l’ouverture de l’enquête judiciaire la Procureure n’a rien sorti…. Les résultats des analyses des échantillons de terre prélevés, toujours pas connus, les témoignages de ceux que j’ai prévenu, toujours rien.

Heureusement j’ai eu la chance d’être contacté par l’agence « Première ligne » et le journaliste Pedro Brito da Fonseca que je tiens à remercier chaleureusement ici, dans ce haut-lieu de la résistance.

Son enquête a été diffusée le 2 avril dernier sur la chaîne planète. Il a retrouvé les vidéos, il a identifié la nature des chargements des produits dangereux grâce aux plaques sur le camion, il a enregistré ceux qui étaient informés, il a retrouvé d’anciens salariés qui ont confirmé que déverser des produits chimiques était une pratique connue dans l’entreprise, il a même obtenu les photos d’autres déversements, il a prélevé des échantillons des terres où j’ai déversé, il les a fait analyser, il a retrouvé les rapports des services de l’État à Arcelor Mittal … Il a fait le travail dont était chargés les enquêteurs judiciaires et la Procureure de la République qui elle, n’avait pas de résultat à communiquer …

Suite à cette diffusion des lanceurs d’alerte ont écrit une lettre à la Procureure de la République, je les remercie car dès le lendemain elle s’est trouvée obligée de répondre et de donner une date pour ses conclusions. Je tiens à citer les premiers signataires de cette lettre que vous connaissez car je sais qu’ils sont venus ici : Irène FRACHON, Antoine DELTOUR, Denis ROBERT, Daniel IBANEZ, Thomas DIETRICH, Raymond AVRILLIER, Caroline CHAUMET, Michèle RIVASI, Olivier DUBUQUOY, Annie THEBAUD MONY, Fabrice RIZZOLI, Françoise VERCHERE, Jean-Luc TOULY, Olivier THERONDEL, James DUNNE, Stéphanie GIBAUD, Jean-François BERNARDINI, Jean-Christophe PICARD, Florent COMPAIN, Céline MARTINELLI, Mathieu CHÉRIOUX, Florence HARTMANN, Philippe PASCAL, Hélène CONSTANTY. Leur lettre n’est pas qu’un soutien mais une action qui a porté.

Ils montrent que nous pouvons peser ensemble même sur des procureurs. Je remercie aussi Céline Boussié qui m’a proposé de venir au salon « Des livres et l’Alerte » de Paris où j’ai rencontré beaucoup de personnalités et où je suis invité en novembre prochain.

Je remercie le CRHA pour organiser ce forum des résistances et m’avoir invité, car je sais aujourd’hui que sans la résistance de chacun et de tous ceux qui m’ont apporté leur soutien, j’aurai définitivement sombré.

Je pensais faire simplement un acte citoyen, je voulais juste protéger la nature, les animaux, l’environnement. On parle de démocratie, de liberté, mais nous ne sommes même pas capables de protéger les lanceurs d’alerte !

Je finirai par une anecdote. L’autre jour, dans la rue, je me suis fait insulter pour la énième fois de « traitre » ou de « balance », je ne sais plus. Je fais tout pour rester calme, en particulier quand je suis avec mes enfants. Mon fils me dit : « Pourquoi tu ne vas pas voir la police ? », je lui réponds qu’elle ne fera rien. Et là il me sort: « On dit que la France est un pays de liberté, mais il n’y a pas de liberté… car ils ne te protègent pas. » Il a 12 ans…

Je vous remercie toutes et tous d’être présents. J’ai beaucoup appris de cette triste expérience qui n’est toujours pas terminée puisque nous attendons encore le résultat de l’enquête, mais je suis convaincu d’avoir bien fait en révélant ces pratiques honteuses.

J’ai rencontré des gens que je n’aurai jamais côtoyés, je suis fier devant mes enfants et ma famille d’avoir dit la vérité malgré ce que cela m’a coûté.

J’ai été obligé de déménager et de partir dans le Sud pour chercher du travail, pendant ce temps j’espère qu’ils ne déversent plus les produits dans la nature. J’espère que les responsables de ces pollutions et de ma situation devront dédommager pour ce qu’ils ont fait.

Je sais ce que j’ai perdu mais je sais aussi ce que j’ai gagné et je peux vous dire que me taire aurait été pire. »

Karim Ben Ali, lanceur d’alerte, plateau des Glières le 03 juin 2018.

[vidéo] Lanceurs d’alerte : « On casse le thermomètre au lieu de soigner la fièvre »

Jusqu’où peuvent aller les lanceurs d’alerte ?

Débat entre Claude de Ganay, député LR, et Marie-Christine Blandin, ex-sénatrice écologiste (loi sur la protection des lanceurs d’alerte, modifiée par la loi Sapin 2).

GÉOPOLITIQUE, LE DÉBAT Le XXIe : siècle des lanceurs d’alerte ?

Le phénomène des lanceurs d’alerte connait une dynamique impressionnante, qui n’est pas seulement due à internet. Hommes, femmes, ils alertent l’opinion sur une menace sociale, sanitaire, démocratique ou environnementale. Deux thèmes nourrissent le débat actuel : leur solitude et l’organisation de leur nécessaire protection. La planète est-elle entrée dans une nouvelle ère de l’information, celle des leaks, les fuites ?

Invités :
– Jean-Jacques Lumumba, ancien cadre de la Banque Gabonaise et Française Internationale, lanceur d’alerte à l’origine de ce que les médias congolais ont baptisé les Lumumba Papers
– Renaud Piarroux, spécialiste des maladies infectieuses et professeur de parasitologie à l’Hôpital de La Pitié Salpêtrière à Paris, mondialement reconnu pour son expertise du choléra, le médecin qui a tenu tête à l’ONU en Haïti – William Bourdon, avocat et pénaliste spécialisé dans la défense des droits de l’homme, Président de Sherpa, ONG spécialisée dans la défense des victimes de crimes économiques, Président et fondateur de la Plateforme de Protection des Lanceurs d’Alerte en Afrique
– Olivier Piot, journaliste, fondateur de Médias et Démocratie, auteur de L’audacieuse résistance des lanceurs d’alerte africains (Le Monde Diplomatique Mai 2018) Le phénomène des lanceurs d’alerte connait une dynamique impressionnante, qui n’est pas seulement due à internet. Hommes, femmes, ils alertent l’opinion sur une menace sociale, sanitaire, démocratique ou environnementale. Deux thèmes nourrissent le débat actuel : leur solitude et l’organisation de leur nécessaire protection. La planète est-elle entrée dans une nouvelle ère de l’information, celle des leaks, les fuites ?

Du site youtube Bob Vanderhoeven ici

Multinationales et justice internationale

Jeune doctorante à l’Université Paris Ouest – Nanterre La Défense, Jelena Aparac pose la question fondamentale de la responsabilité des multinationales en droit international.
Malgré ce que l’on pourrait penser, cette question ne touche pas directement les conflits de nature commerciale, entre multinationales et États ou entre multinationales elles-mêmes, pour lesquels il existe déjà des tribunes pour régler litiges et contentieux, mais un champ beaucoup plus vaste qui a à voir avec la responsabilité des Nations et de leurs entreprises, avec la chose politique.
L’intérêt pour cette question, Jelena Aparac l’a mûri de son expérience personnelle : «Beaucoup de ceux qui ont connu la violence des guerres de Yougoslavie ont choisi de tourner la page, pas moi. Plus de vingt ans après les événements, les plus meurtriers d’Europe depuis la Seconde guerre mondiale, la jeune Croate née à Osijek, à vingt kilomètres de la Serbie, n’a rien oublié » explique-t- elle.
«Surtout, le conflit a fondé sa vocation. La trentenaire a choisi de se consacrer au droit des conflits armés et à son applicabilité aux nouvelles formes de guerre, particulièrement les guerres civiles. Pour cela, la jeune femme a choisi un angle mort du droit actuel, celui de la responsabilité internationale des multinationales, aujourd’hui non fondée juridiquement». «Construire le régime de responsabilité internationale pénale des multinationales peut les dissuader de s’impliquer et, donc, permettre de prévenir les conflits. Aujourd’hui, l’impunité est totale, commente la doctorante».

Car le paradoxe est bien là, montrant l’inversion des normes au profit des multinationales. Si celles-ci peuvent régler des litiges devant des cours arbitrales internationales, si elles peuvent même dans le cadre de certains accords bilatéraux ou plurilatéraux poursuivre des États, la traduction d’une multinationale devant une juridiction internationale n’a toujours pas eu lieu. La personnalité juridique de l’entreprise n’est en effet pas reconnue par le droit international ; idem pour celle de la multinationale.
«Mais il existe bien, selon Jelena Aparac, un chemin pour construire cette responsabilité des multinationales, entre le droit international humanitaire (qui reconnaît l’existence d’acteurs non étatiques en conflit armé) et le droit international pénal (qui sanctionne les violations les plus graves). Si le droit international pénal ne reconnaît pas la responsabilité des multinationales, il peut néanmoins poursuivre les dirigeants des entreprises pour violations du droit international humanitaire».
Jelena Aparac est également une activiste mettant en pratique ses recommandations : elle a demandé à la Cour pénale internationale qui, depuis sa création en 2002 n’a traduit que des responsables politiques, de poursuivre les dirigeants de Chiquita, une multinationale américaine connue pour avoir financé guérillas et paramilitaires colombiens. «Pour cela il faudrait une volonté politique partagée. La compétence de la CPI peut être élargie aux entreprises si deux-tiers des États signataires du Traité de Rome modifient les statuts en ce sens. Les États africains, qui accusent cette institution d’être le bras justicier d’un Occident colonial, y auraient intérêt plutôt que de menacer collectivement de s’en retirer. Obtenir de juger des multinationales – souvent issues des pays du Nord – serait un moyen pour eux de rééquilibrer à la CPI les rapports entre pays du Sud et du Nord, martèle Jelena Aparac».

En 30 ans, le nombre de sociétés multinationales a été multiplié par 10. Nombre d’entre elles ont acquis un pouvoir supérieur à bien des États : à titre d’exemple, le chiffre d’affaires cumulé des 10 premières sociétés transnationales dépasse les PIB de l’Inde et du Brésil. Mais, contrairement aux États et aux personnes physiques, ces entreprises n’ont pas de personnalité juridique internationale. Il n’existe que des entreprises nationales ayant des participations dans des entreprises étrangères. Concrètement, cela signifie qu’une entreprise multinationale dont le siège social est en France n’est pas juridiquement responsable si ses filiales à l’étranger polluent l’environnement, exploitent ou maltraitent ses salariés ou ses sous-traitants. La dérégulation permet aux investissements et aux bénéfices financiers de traverser les frontières pour revenir au siège social dans les pays riches ou de s’arrêter dans des paradis fiscaux ; mais la responsabilité juridique, elle, reste dans les pays où le droit social, environnemental, fiscal est moins exigeant ou moins appliqué.

C’est donc en raison de deux principes «sacrés» du droit des sociétés, la responsabilité limitée et l’autonomie juridique de la personne morale, que les groupes français n’ont presque jamais à faire face au juge en France pour des crimes ou délits dont elles seraient responsables ou complices dans des pays tiers. Et les exemples d’impunité se multiplient ici aussi. Ainsi, la cour de cassation peut exonérer la responsabilité du groupe Total pour la marée noire causée par le naufrage de l’Erika au prétexte que c’était «un navire étranger se trouvant en zone économique exclusive», c’est-à- dire hors des eaux territoriales françaises. Les juges français seront donc incompétents pour se saisir du dossier.
Autre exemple, au plan social : Serge Vanel, de nationalité française, a travaillé de 1978 à 1985 pour la Cominak, filiale du groupe Areva au Niger. M. Vanel est mort à 59 ans d’un cancer du poumon en 2009 ; sa famille demande que soit reconnue la responsabilité de la société-mère, dont le siège social est à Paris.
Selon l’avocat d’Areva : «Nous sommes ici en droit nigérien et c’est l’État où la maladie a été contractée qui est concerné». Et, aux yeux du droit actuel, il a raison : ce droit-là ne serait donc pas du côté des victimes.

Serait-il utopique de protéger les droits humains face à un modèle économique devenu prédateur ? Les États ont pourtant bien accepté des abandons de souveraineté pour protéger l’investissement et le commerce international, au sein de l’OMC par exemple. Ainsi, lorsque sont constatées des entorses au libre échange, les autorités compétentes appliquent des sanctions, y compris extraterritoriales. Or quand il s’agit de droits humains et des violations perpétrées par des entreprises, les mécanismes de protection sont souvent inexistants. Cette différence de traitement consacre un principe d’inégalité et non un principe de justice.
En bref, les droits humains ont aujourd’hui moins de poids que les droits de la finance et du commerce.

Sous pression de la société civile, des textes internationaux ont reconnu la responsabilité des entreprises en matière de droits de l’Homme : c’est le cas des principes directeurs des Nations unies relatifs aux droits de l’Homme et aux sociétés transnationales ou bien des Principes directeurs de l’OCDE à l’intention des multinationales. Cette reconnaissance est un premier pas, mais ces normes demeurent non contraignantes.
C’est en tant que garant de l’intérêt général que l’État doit maintenant rendre les entreprises judiciairement comptables de leurs exactions et de celles commises par leurs filiales, quels que soient le pays, le secteur ou le contexte dans lesquels elles interviennent.
Une première mesure concrète consisterait à encadrer la relation entre les maisons-mères et leurs filiales en instaurant la «responsabilité délictuelle du fait d’autrui». Ceci faciliterait l’accès à la justice pour les victimes des multinationales, partout dans le monde, auprès des tribunaux des pays des maisons-mères.
A moins d’être prisonniers de conflits d’intérêts, le réalisme politique et le pragmatisme ne doivent pas empêcher l’audace et la vision d’avenir, notamment pour les générations futures.
La question doit être posée et reste aujourd’hui que très insuffisamment répondue : les entreprises peuvent-elles avoir plus de droits que les citoyens, au Nord comme au Sud ?

MM.

En référence à Alternatives Économiques du 04 Mai 2018 «Comment mettre fin à l’impunité des multinationales», ici

« Tout le monde veut devenir milliardaire ! »

A l’heure où la chose économique est devenue pour nos politiques une foire d’empoigne où l’incontinence intellectuelle se mélange aux idéologies rances, essayons de prendre un peu de hauteur pour répondre à cette injonction macronienne « Tout le monde veut devenir milliardaire ! ».
Faut dire qu’ils n’y vont pas avec le dos de la cuillère, tout y passe : de l’économie de bistrot (le budget de l’État c’est comme le budget des ménages), de la pseudo-théorie surannée (le ruissellement), de l’idéologie à toutes les sauces (le président des riches), du foutage de gueule puissance dix (les millions d’emploi que créera -pas- le Medef avec de l’argent public), de la décriminalisation généralisée de la vie des entreprises, etc… sans oublier l’irrésistible « y’a pas d’autre solution », quel triste monde !

Tout d’abord, regardons l’excellent documentaire historique diffusé par Arte sur « Les Routes de l’Esclavage » (ici).
Au-delà de la tragédie, éminemment et essentiellement humaine, que constitue l’esclavage, nous pouvons dégager trois lignes forces de l’entrée des européens sur ce «marché» à la suite de la longue période des Empires arabes. Les européens, et plus spécifiquement les portugais, industrialisent l’esclavage dans le cadre des exploitations de cannes à sucre, à partir d’un échange triangulaire (marchandises, esclaves, canne à sucre). La dimension raciale (blancs et noirs) n’émergera que tardivement aux Antilles à l’occasion d’une généralisation du processus, comme moyen de production, l’esclave n’étant qu’un outil parmi d’autres comme le révèlent les inventaires de l’époque. Rapidement cette conception purement productiviste trouve ses limites, la sur-exploitation de cette « ressource » conduisant à son épuisement rapide (espérance de vie très courte) et à son incapacité à se renouveler (taux de mortalité des enfants extrêmement élevé). Un temps, l’augmentation du nombre d’esclave permet de compenser cette détérioration des conditions de production, mais au risque de l’émergence de conditions (poids respectifs des populations blanches et noires) politiques et sociales instables. C’est ce processus, allié à une prise de conscience humaniste avec le courant des Lumières et des réformés, et à des révoltes d’esclaves, qui conduira au final à l’interdiction ou l’abolition de l’esclavage en Europe. Si l’on accepte, comme les esclavagistes, de considérer l’esclave comme une simple variable de production, nous voyons très bien que les processus à l’œuvre et leurs conséquences ne sont aujourd’hui guère différentes : sur-exploitation et épuisement des ressources, non renouvellement naturel conduisant à des risques climatiques, politiques et sociaux, transfert général des richesses entre pays (mondialisation) mais aussi au sein même des États entre classes sociales, maintient de populations (même si elles n’ont plus le statut « légal » d’esclave) en monnaie d’échange…

Le document d’Arte finit la description de l’esclavagisme européen en s’interrogeant sur la contribution de ce « mode de production » à la richesse des nations (pour reprendre le titre de l’un des livre fondateur du libéralisme économique) et à l’avantage déterminant que prend l’Europe aux XVII et XVIII siècles sur le reste du monde. Parce que c’est bien de cela dont il s’agit au final : à l’origine, il n’y a aucune notion raciale dans l’esclavagisme (de toute façon autorisé et même légitimité par le Vatican), qui n’est qu’un simple mode de production (contraint et violent faut-il le rappeler), fondateur du capitalisme et ancêtre de ceux expérimentés par la suite. Dans son livre référence, Thomas Piketty avait tenté de chiffrer le « gain » pour l’économie américaine de la généralisation de l’esclavage dans les territoires du sud, montrant une contribution importante ayant sans aucun doute largement contribué à donner aux États-Unis une avance économique sur les anciennes puissances coloniales européennes dès le XIX siècle. Il en est de même un ou deux siècles plus tôt pour les pays européens. Même si tous les historiens ne s’entendent pas sur le chiffrage précis de cette contribution de l’esclavage aux économies européennes, n’oublions pas un principe premier du capitalisme, aujourd’hui encore plus, d’actualité : les capitaux vont en priorité vers les marchés offrant les meilleurs profits. Or le taux de profit tiré de la traite au XIXe siècle, est deux fois supérieur à celui généré par d’autres types « d’investissement ». C’est ce qui explique l’orientation massive de capitaux vers le commerce triangulaire. De toute façon un commerce ne perdure pas trois siècles s’il n’assure pas une haute rentabilité.

Macron a raison. L’organisation économique dont il se fait aujourd’hui le VRP zélé permet sans doute à chacun de devenir milliardaire: encore faut-il le vouloir ! Certains de ses amis nous le montrent aujourd’hui encore : il y a beaucoup de forêts à détruire, beaucoup de fonctionnaires et politiques à corrompre, beaucoup de populations malléables… En un mot des taux de profit élevés en perspective. Question de choix…

Ensuite, portons-nous sur une étude originale publiée par l’organisation américaine Trucost sous le titre « Natural Capital at Risk » (ici, le compte rendu en français fait par E-RES). Ce travail de chercheurs tend à montrer qu’aucune grande industrie ne serait rentable si elle payait ses impacts sur l’environnement.
Lisons : « Depuis longtemps on parle du principe de « pollueur-payeur ». Le concept est simple : lorsqu’un dommage est commis sur l’environnement, c’est celui qui a causé le dommage qui doit payer pour en gérer les conséquences sur la collectivité.
Régulièrement, on applique ce principe lorsque par exemple une entreprise est responsable d’une catastrophe écologique comme une marée noire : l’entreprise peut alors avoir à payer une amende aux collectivités qui ont été affectées. Mais que se passerait-il si on décidait d’appliquer totalement ce principe ? Si chaque entreprise devait gérer les externalités négatives de son activité sur la planète ? ».
« À l’heure actuelle le principe pollueur payeur n’est en effet appliqué que très partiellement. En fait, la plupart des pollutions causées par les entreprises (ou les autres acteurs) ne sont jamais ni mesurées, ni évaluées, et encore moins facturées. C’est ce que l’on appelle « les externalités environnementales » : l’activité de l’entreprise a une conséquence indirecte sur l’environnement, qui affecte la société. Pourtant, ce n’est pas l’entreprise qui finance le coût de cette externalité, mais bien la société, c’est à dire les citoyens.
Sur le principe, il semblerait plus logique que ce soit l’entreprise qui finance ce dont elle est responsable. Et c’est théoriquement possible, si on arrive à comptabiliser la valeur de ces externalités. Et c’est justement là tout l’enjeu : comment évaluer la valeur et le coût de réalités aussi diverses que la biodiversité, une forêt, ou une tonne de CO2 ?
C’est ce que se sont attachés à faire les chercheurs à l’origine de l’étude. Avec une méthodologie complexe et détaillée, ils sont parvenus à évaluer la valeur des externalités liées à l’activité économiques des grands secteurs industriels mondiaux. Et leurs résultats sont très inquiétants
».

Nous vous laissons découvrir dans l’étude détaillée, les résultats .
Au final, aucun grand secteur économique parmi les 100 plus rentables de la planète, ne serait bénéficiaire s’il devait réellement financer ses coûts pour la planète.

Il est facile de faire fortune sur les dos des autres. Nous sommes d’accord avec Macron : tout le monde peut devenir milliardaire. Nous pouvons tous être le propriétaire d’un groupe intégré qui détruit l’environnement local, corrompt les politiques pour obtenir des marchés, exploite la main d’œuvre… Nous pouvons tous être la figure emblématique d’un réseau social mondial après avoir pris soin d’éjecter nos co-créateurs ; nous pouvons tous être le leader mondial de la micro-informatique quand nous sommes en situation de quasi-monopole et que nous avons pris soin d’éradiquer toute concurrence… Les exemples ne manquent pas, nous pourrions aussi parler de tous ces milliardaires qui le sont devenus en ne payant pas ou peu d’impôts !!

Macron, toujours lui, a fait récemment un peu de service après vente dans Forbes. Le politique doit se soumettre aux affaires. La morale aussi, et tout le monde sera milliardaire. (ici)
Tant pis pour les autres; sauf que l’économie ce n’est pas que des chiffres, des taux de profit, mais aussi des choix, des choix de vie, des choix éthiques. Laissons leurs milliards aux esclavagistes et autres pollueurs.

Il suffirait qu’un jour, des chercheurs s’attaquent à l’étude de l’origine des «richesses des milliardaires». Comment se sont-elles constituées ? Si nous externalisions les impacts sur l’environnement, les situations de monopoles, les actes de corruption, des prévarications diverses, les « optimisations » en tout genre… que resterait-il de ces fortunes ?

MM.